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LA CONFIANCE, 1799

La capture d'un vaisseau marchand en course


1 - UNE FRÉGATE FRANÇAISE TRÈS CÉLÈBRE

La Confiance fut construite à Bordeaux en 1799. Elle affichait 491 tonneaux, 39 m de long et portait 18 canons. Sitôt lancée, elle navigua vers l’océan Indien et l'île de France (Ile Maurice). A son arrivée à Port Louis, les cosignataires du navire en offrirent le commandement à Robert Surcouf, un jeune corsaire de Saint-Malo qui opérait dans le golfe du Bengale depuis quatre ans. Le Malouin accepta, mais il s’ingénia à perfectionner le bâtiment.
En octobre 1800, avec la Confiance, Surcouf captura le Kent, un gros indiaman anglais de 1 200 tonneaux qui transportait en outre 250 soldats. Ce glorieux fait d'armes poussa l'Angleterre à mettre à prix la tête du corsaire. Le Kent fut ramené à Port Louis, puis vendu à un marchand danois. Surcouf quitta l’Ile de France en janvier 1801 pour regagner la Rochelle, qu'il atteignit 72 jours plus tard avec une cargaison évaluée à 2 millions de francs.
En 1803, la Confiance fut capturée sur les côtes africaines. En 1816, toujours à flot, on la retrouve entre les mains d'un commerçant anglais qui était très fier de son célèbre bateau.

2 - SURCOUF, UN MARIN DE LÉGENDE

Robert Surcouf naît à Saint-Malo en 1773. A quinze ans, il s’engage comme volontaire sur l’Aurore en partance pour les Indes. Le bâtiment fait naufrage sur les côtes d’Afrique. Le jeune Malouin reste sur place et se familiarise avec l’environnement : Madagascar, l’Ile de France. Il obtient un premier commandement sur la Créole, navire négrier. Sous la Révolution, quand la France est en guerre contre l’Angleterre, il va assurer la défense des territoires français dans l’océan Indien en déployant ses qualités de combattant et de marin chevronné. Il repart sur un petit brick, l’Emilie, pour acheter aux Seychelles une cargaison de tortues. Son bâtiment n’a qu’un simple permis de navigation qui lui donne juste le droit de se défendre, mais Surcouf va en faire un redoutable corsaire.

En janvier 1796, l’Emilie a déjà capturé, à l’embouchure du Gange, quatre navires chargés de riz. Inlassablement, le brick continue ses prises, y compris celles de navires plus fortement armés. Peu après, Surcouf retourne en France pour faire reconnaître la validité de ses prises, puis repart sur la Clarisse de 14 canons, fournie par un armateur nantais.
La nouvelle campagne, toujours dans l’océan Indien et le golfe du Bengale, sera fructueuse. Les Anglais s’alarment. Le Malouin prépare ses courses avec minutie (détroit de la Sonde, côtes de Sumatra) et s’empare de tout ce qu’il rencontre. C’est à cette époque qu’il se voit confier le commandement de la Confiance. Quelques semaines après son appareillage, le bâtiment est signalé sur toutes les côtes de l’Inde. Les navires marchands anglais n’osent plus prendre la mer sans être escortés par des navires de guerre. L’un d’eux, la Sybille, a pour mission de capturer le corsaire français. En octobre 1800, Surcouf s’empare du Kent. L’Angleterre offre un million en or pour la tête du corsaire. De retour en France en 1801, il s’installe à Saint-Malo, se marie et mène une vie de riche armateur. Après la rupture de la paix d’Amiens, il repart vers l’Ile de France sur un beau trois-mâts, le Revenant, dont il a lui-même dessiné les plans. De nouveau, les prises vont se succéder.
Enfin, il regagne Saint-Malo et cesse de naviguer. Cependant, entre 1809 et 1814, il arme de nombreux navires pour la course. Les Malouins le voient souvent, dans sa redingote bleue, aller inspecter les navires qu’il fait construire.

La paix revenue, il s’occupe de commerce maritime. A Riancourt, la gentilhommière qu’il s’est achetée aux portes de Saint-Sevan, il se plaît à recevoir d’anciens adversaires qui sont devenus des amis. C’est là qu’il meurt en 1827. Il fut inhumé à Saint-Malo. Son corps y fut transporté conformément à ses désirs : par la mer. Cinquante canots portant le clergé et les autorités suivirent la barque où l’on avait placé sa dépouille. De vieux marins qui avaient servi sous ses ordres composaient l’escorte d’honneur.

3 - LA CAPTURE DU KENT

«Le 7 octobre 1800, la Confiance rencontre le Kent, un magnifique vaisseau de la Compagnie des Indes de 1 200 tonneaux, armé de 26 canons, monté par 200 hommes d'équipage. Le Kent transporte en outre 250 soldats. Son capitaine, le brave Revington, est tellement sûr de triompher qu'il demande à ses passagers et passagères de venir sur la dunette pour leur montrer comment il s'y prend pour couler un corsaire français ; mais bientôt il devra les prier de regagner leurs chambres. La bordée du Kent passe au-dessus de la Confiance, très basse sur l'eau, et, par d'habiles manœuvres, Surcouf accroche l'Anglais et peut s'élancer à l'abordage. 150 Français vont affronter 450 Anglais en un sanglant corps à corps, sur un champ de bataille de quarante mètres de long sur dix de large. Revington est tué. Après trois heures de combat, le Kent amène son pavillon. Surcouf ordonne de respecter les survivants...»
Armel de Wismes, Les ports de Bretagne au temps de la grande marine à voiles.

4 - LA CAPTURE D'UN NAVIRE MARCHAND EN COURSE

Sous Louis XIV, lorsqu’un corsaire capturait un navire marchand, il devait respecter certains principes propres à la guerre de course :

1) Saisir tous les papiers du vaisseau : ceux du bâtiment lui-même ainsi que les documents relatifs au chargement (nature, port d’embarquement, destination, etc.) et les garder précieusement.
2) Fermer les armoires, les coffres et toutes les chambres où est entreposé le fret afin que rien ne soit pillé.
3) Amariner la prise, c’est-à-dire faire passer sur son bord le capitaine du navire capturé ainsi que les principaux matelots et les remplacer par des gens de son propre équipage en nombre suffisant pour empêcher ceux qui restent à bord du navire capturé de se révolter. Le corsaire conservait les clés des magasins jusqu’au port : il n’avait aucun droit sur les marchandises tant qu’un juge n’avait pas déclaré le bâtiment de «bonne prise».
4) Quand le navire arrive au port, le responsable de la prise s’en va faire le rapport ou la déclaration aux juges de l’Amirauté. Les juges vont sur le vaisseau et dressent un procès-verbal, c’est-à-dire consignent tout ce qu’ils y trouvent. Les lieux sont scellés avec le sceau de l’Amirauté tandis qu’un gardien y demeure jusqu’au jugement. S’il y a des marchandises qui risquent de se corrompre, les juges en ordonnent la vente immédiate. La somme récoltée est alors mise de côté jusqu’à l’arrêt.
5) Les juges constituent alors l’instruction de la prise : ils interrogent le capitaine du navire saisi, éventuellement les matelots, examinent les papiers et la déclaration de l’armateur. Ils essaient aussi de savoir si le vaisseau a été «masqué» (falsification des documents du navire où un pays est remplacé par un autre - pratique courante en temps de guerre).

Quand l’instruction n’arrivait pas à prouver formellement que le vaisseau et les marchandises appartenaient à l’ennemi, les juges ordonnaient que tout soit rendu au maître du navire : on appelait cette procédure «faire mainlevée». Si l’on prouvait que le corsaire était dans son tort parce qu’il savait dès le début que le bâtiment n’était pas un ennemi, il était condamné à payer des dommages et intérêts, tant pour le retard causé au voyage du navire que pour les dégâts et le dépérissement éventuel de la marchandise. De la sorte, un corsaire, pour sortir du port, devait obtenir une caution d’un bourgeois de la ville jusqu’à hauteur de 15 000 livres.
Quand le navire était prouvé de bonne prise, les juges en ordonnaient la vente (bâtiment et marchandises) par devant eux. Sur le gain de cette vente, on prélevait les frais de déchargement, de la garde du vaisseau et des marchandises. Ensuite, le dixième revenait au grand amiral, puis on payait les juges qui avaient mené l’instruction. Enfin, la somme restante était partagée entre les trois parties prenantes dans l’armement du navire corsaire : le propriétaire, l’avitailleur (celui qui fournissait les vivres, les poudres, les munitions, etc.) et l’équipage. Dans la pratique, il pouvait s’écouler un an avant que les matelots du corsaire ne touchent leur dû, d’où le risque important de violation des règles de la guerre de course et de pillage de la prise.


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