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L'OURAGAN

Brick négrier, XIXe siècle


1 - PRÉSENTATION

Jusqu'à la fin du Premier Empire et l'abolition de la traite décidée au Congrès de Vienne en 1815, les marchands négriers utilisaient des navires de commerce ordinaires auxquels on avait apporté les modifications indispensables au transport de centaines de captifs.
Après 1815, pour échapper aux navires de surveillance, notamment ceux de la Royal Navy qui était intraitables avec les hors-la-loi qui continuaient le commerce du bois d'ébène, le bâtiment négrier dut se faire rapide, maniable, donc moins lourd. Il ne dépassa plus les 250 tonneaux, alors qu'il pouvait monter jusqu'à 700 tonneaux auparavant. Il lui fallait aussi conserver une largeur de cale suffisante pour le transport des esclaves et bénéficier d'un tirant d'eau réduit afin de passer les barres peu profondes des rivières africaines.
A l'opposé, il ne devait pas adopter un profil trop élancé qui aurait pu trahir la nature de son commerce. Les rapports des commissions de contrôle comportent encore souvent comme motif d'interdiction : «bâtiment soupçonné d'être destiné à la traite en raison de ses formes trop fines». Le brick du début du XIXe siècle, comme ici l'Ouragan, répond à toutes ces exigences et apaise les craintes des armateurs. Surnommés par les marins «les rois de la mer», ils connaissent à cette époque une grande vogue.

2 - LA TRAITE NÉGRIÈRE TRANSATLANTIQUE

Il y a trois types de traite :

- la traite intra-africaine qui remonte à une époque qu'il est impossible de préciser, mais, les hommes étant ce qu'ils sont; il y a lieu de penser qu'elle est aussi ancienne que l'esclavage en Europe, au Moyen-Orient ou en Asie. Ce qui nous renvoie avant notre ère. Les esclaves sont des Africains (hommes, femmes, enfants) razziés ou des prisonniers de guerre qui ne sont pas mis à mort. Les négriers africains sont maîtres chez eux. Au demeurant, cette traite, selon les rapports les plus sérieux, n'a pas disparu au XXIe siècle.

- la traite arabe. Cette traite très ancienne (VIIe siècle) s'est étalée sur quinze siècles et a inondé en esclaves le Maghreb et le Moyen-Orient. Elle a fait beaucoup plus de victimes que la traite transatlantique, les Arabes ayant, en autres, l'habitude de castrer tous leurs esclaves noirs mâles - il fallait donc un apport permanent. Cette traite a été minimisée parce que les marchands et négriers arabes ont laissé beaucoup moins de documents écrits que les Européens. On pourra se référer au livre de Jacques Heers, Les négriers en terres d'Islam chez Perrin.

- enfin la traite transatlantique, courte dans le temps et riche en documents, qui ne peut se concevoir sans la traite intra-africaine. Ce sont les Européens eux-mêmes qui ont entrepris de la faire cesser - au grand dam des rois africains. C'est de cette traite que nous parlerons ici.

A partir du XVIIe siècle, la traite transatlantique s'intègre dans le commerce triangulaire entre l'Europe, l'Afrique et les Amériques. Dans les ports européens, les navires se chargent de marchandises diverses qui seront vendues aux rois africains en échange de captifs serviles. Ceux-ci seront à leur tour vendus sur les marchés aux esclaves du Nouveau Monde. Les navires reviendront à leur port d'attache chargés de produits tropicaux (sucre, café, coton, indigo, tabac et autres marchandises très prisées des Européens).
A cette époque, l'Afrique n'est pas colonisée. Elle est soumise à la volonté de rois plus ou moins puissants qui vendent aux négriers leurs prisonniers de guerre ou, plus simplement, certains de leurs sujets quand les prisonniers manquent. Les Blancs ne pénètrent pas en Afrique et laissent les négriers noirs amener les esclaves vers les côtes. Français, Anglais, Hollandais, Portugais, Danois, Prussiens ne possèdent que quelques forts sur les côtes (en Sénégambie, en Guinée ou sur la côte aux Esclaves) - toujours avec l'accord des rois locaux. Certains de ces rois sont très puissants. Alkémy, le roi de Guinée, s'enrichit avec la traite. Quant au roi du Dahomey, il convoque chaque année les Blancs des forts et les négriers de passage à la fête des coutumes, marquée par la mise à mort rituelle de dizaines de prisonniers de guerre. L'un de ses ministres, le yovogan, est exclusivement chargé des transactions avec les négriers.

En échange, par un système de troc, les Africains recevaient les marchandises européennes et même indiennes qu'ils convoitaient : tissus, cotonnades, armes à feu et armes blanches, poudre à canon, vins et alcools, métaux (fer, cuivre, plomb), verroterie et enfin tabac, notamment le tabac brésilien très prisé. Souvent, les textiles représentent 50% de la cargaison au départ de l'Europe.
Les rois africains ne sont pas des naïfs : il leur arrive de louer les services de courtiers européens (souvent hollandais) pour évaluer la qualité de la marchandise qu'on souhaite leur vendre. Par exemple, les fusils de fabrication anglaise ont meilleure réputation que les fusils français et il ne faut pas essayer de leur en faire accroire. Même chose pour les indiennes, ces cotonnades colorées qui connaissent un grand succès en Europe : les manufactures françaises ont dû créer une gamme de motifs particuliers correspondant au goût des Africains.
En dépit du partage des tâches entre négriers blancs et négriers noirs, le commerce du bois d'ébène est soigneusement organisé par les négociants européens qui envoient des bâtiments sur la côte africaine quand et où ils le veulent. La composition de la cargaison servile et les endroits où elle sera chargée à bord sont toujours choisis en fonction de la conjoncture. Toutes les ethnies sont parfaitement connues. Ainsi, on lit dans l'Encyclopédie de d'Alembert à l'article nègre que les Sénégalais sont regardés comme les plus beaux noirs de toute l'Afrique ou encore que, à partir du Cap des Palmes, on trouve «les nègres Mines, vigoureux et fort adroits pour apprendre des métiers...»

Pourquoi les rois africains vendaient-ils des hommes? Il y a à cela deux raisons principales :
1. Seuls les Africains résistaient aux maladies tropicales. Comme l'écrivait un chroniqueur des Antilles : «Un Blanc qui cultive son champ creuse sa tombe.» Quant aux Amérindiens, ils avaient été décimés par les maladies importées d'Europe.
2. Les rois et les notables africains voulaient avoir leur part dans le commerce international, mais ils ne possédaient aucune industrie manufacturière, donc rien à vendre en échange des produits étrangers. Ils proposèrent donc des hommes et des femmes, à la plus grande satisfaction des planteurs et des colons des Amériques.
Rappelons ici des faits qui doivent être connus : Voltaire avait pris des parts dans la traite transatlantique et, selon certains auteurs, toute l'Europe le savait. Les Européens avaient bonne conscience car ils savaient qu'ils achetaient des captifs voués souvent à une mort certaine de par la volonté du chef de la tribu qui les avait capturés. Question : sachant qu'ils pouvaient vendre leurs captifs aux négriers européens, les rois africains ont-ils eu tendance à se faire la guerre davantage qu'auparavant? Réponse des historiens : non, la seule chose qui avait changé est qu'ils tuaient beaucoup moins leurs prisonniers. Une fois en Amérique, certains pouvaient être affranchis. Il leur arrivait alors d'acquérir une terre et d'acheter, eux aussi, des esclaves africains. Ils rejoignaient ainsi la classe sociale dite des «petits blancs».

3 - LE TRANSPORT POUR TRAVERSER L'OCÉAN

Les conditions de vie des esclaves à bord des navires négriers ont été décrites comme épouvantables. Dans les archives de Nantes (l'un des principaux ports négriers français), le taux de mortalité lors de la traversée de l'Atlantique varie de 6% à 14%. L'historien américain Anstey évalue à 7% le nombre de décès survenus parmi le million et demi de captifs chargés par les Anglais de 1761 à 1807. Chaque esclave mort représente une perte économique. En fait, les lettres des armateurs et les rapports montrent que l'hygiène à bord et la lutte contre les maladies sont l'une des préoccupations majeures. La gravure du Brookes, qui se rapproche du ponton mouroir, montre un entassement d'esclaves sur les ponts totalement irréaliste : le taux de mortalité aurait été énorme et le commerce de bois d'ébène largement déficitaire.

A bord, la catastrophe peut survenir dans deux cas : une traversée trop longue ou le déclenchement d'une épidémie. Même si les navires sont construits pour être rapides, le calme plat ou la tempête peuvent rallonger dangereusement le voyage. S'ensuivent alors le manque d'eau, de nourriture et une mortalité croissante. Quant à la promiscuité, elle favorise les épidémies : variole, dysenterie et fièvre typhoïde.

Les captifs sont parqués dans l'entrepont et sur le pont. La partie arrière du navire est transformée en forteresse pour l'équipage et les officiers. L'entrepont est divisé en deux par un échafaud à mi-hauteur pour accroître le volume habitable. L'appareillage demeure la période la plus difficile : l'équipage doit à tout prix empêcher le risque de révolte. Les captifs voient s'éloigner la côte africaine pour un voyage qu'ils savent sans retour ; beaucoup croient les Blancs cannibales. S'ils peuvent s'emparer du navire, c'est maintenant. En haute mer, il sera trop tard. Ramener en Afrique un voilier de cette dimension est impossible quand on ignore tout de la navigation hauturière. Historiquement, il est bon de rappeler l'état de violence qui régnait aux XVIIe et XVIIIe siècles. A bord des vaisseaux de guerre, les matelots fautifs sont fréquemment fouettés, parfois à mort. Sur un négrier, un captif est une marchandise de haut prix. Les révoltés, quand il y en a, sont fouettés et mis au fer. L'attrait du profit l'emporte sur une punition qui, dans d'autres circonstances, aurait été «exemplaire».


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