1 - LA POLACCA, UNE CRÉATION ORIGINALE
La Polacca est apparue au début du XVIIe siècle en Méditerranée. Les historiens
navals pensent que ce type de navire a été créé d'après les concepts du
chébec ou de la galéasse, bien que son tirant d'eau soit plus important.
La polacca était utilisée comme navire d'escorte ou comme navire marchand.
Sa décoration suivait le goût de l'époque, celle du déclin de Venise,
amorcé au XVIIe siècle et marqué paradoxalement par une extraordinaire
créativité artistique.
Le bateau reproduit ici servait dans la flotte vénitienne en mer Adriatique.
Il était surtout utilisé pour protéger les voies maritimes de la Sérénissime
contre les pirates dalmates, grecs et turcs.
Son gréement se compose d'une grande voile latine sur un mât de misaine
légèrement penché vers l'avant (gréement classique des chébecs), trois
voiles carrées sur le grand-mât et une autre voile latine sur l'artimon.
Il possède même quatre rames sur chaque bord pour se donner les moyens
d'avancer par vent calme. Ce profil tout à fait original a peut-être été
conçu par les architectes navals de l'Arsenal de Venise dont le rôle était
de concevoir des prototypes de navires aptes à répondre aux nécessités
de la cité en matière de guerre, de commerce et de protection de ses navires
marchands.
2 - VENISE, UNE CITÉ GLORIEUSE
L'ascension de Venise commence grâce à des privilèges commerciaux
accordés à ses marchands par l'Empire byzantin, dès le XIe siècle. Au
cours des décennies suivantes, pour accroître son hégémonie, la cité des
Doges conclut d'autres accords lucratifs avec les puissances musulmanes
d'Afrique du Nord, de Syrie et d'Egypte. Quand la diplomatie est impuissante,
c'est à coups de pillages, de destructions et d'expéditions punitives
que la ville cherche à s'étendre. Les territoires où elle impose son autorité
se situent en Terre Ferme (Golfe, Istrie, delta du Pô, Dalmatie) et sur
un chapelet d'îles en Méditerranée orientale dont les plus importantes
ne seront rien moins que Corfou, Chypre ou la Crête.
Après la première croisade (début du XIIe siècle), les Vénitiens, comme
les cités rivales, installent des comptoirs dans tous les états latins
créés par les barons francs au Moyen-Orient. Sans aucune gratitude envers
son ancien allié, Venise envoie ses galères ravager les possessions byzantines
dans la mer Egée. Elle met à profit la quatrième croisade (début du XIIIe
siècle) et le sac de Constantinople par les croisés pour s'emparer d'une
partie de l'Empire byzantin. Enfin, une fois débarrassée de la rivalité
armée qui l'opposait à Gênes (la paix est signée à Turin en 1381), Venise
peut s'enorgueillir, aux XVe et XVIe siècles, du rang de première puissance
maritime de l'Occident, voire du monde.
Avec ses multiples comptoirs et ses privilèges, Venise s'assure la majeure
partie du commerce des épices en provenance du Moyen-Orient. Celles-ci,
une fois revendues à prix d'or en Europe, lui rapportent des bénéfices
considérables. Les marchandises des Indes remontent la mer Rouge sur des
boutres arabes. Des caravanes chamelières traversent ensuite le désert
d'Arabie et arrivent aux comptoirs de Syrie ou d'Egypte où les attendent
les marchands de Venise. Tout est bon pour trafiquer et s'enrichir : grains,
épices, étoffes de luxe, matériaux stratégiques prohibés (bois, fer) et
même esclaves. Au XVe siècle, las des intermédiaires vénitiens et arabes,
les Portugais seront les premiers à lancer leurs caraques autour de l'Afrique
pour rapporter les épices eux-mêmes...
La victoire de Lépante (1571) marque l'apogée de la cité des Doges. Venise
a contribué pour plus de la moitié à l'effort de guerre des princes chrétiens
coalisés qui se termine par l'écrasement de la flotte ottomane.
3 - LE DÉBUT D'UN DÉCLIN
INEXORABLE
Malgré Lépante, la Sérénissime continue de subir la pression des Turcs
qui conservent Chypre, une île stratégique. Si l'on y ajoute les dépenses
énormes consenties pour la guerre et pour l'entretien de ses comptoirs,
la baisse de ses revenus commerciaux (les épices font désormais le tour
de l'Afrique), les profondes mutations dans l'univers marchand dues à
la concurrence anglaise, française et hollandaise, enfin les nouvelles
techniques navales venues du Ponant, on comprend que Venise, au début
du XVIIe siècle, s'engage sur la voie du déclin. Ce déclin se traduira
par la perte progressive de tous ses territoires en Méditerranée orientale,
la plupart du temps au profit des Ottomans.
Sentant sa puissance décroître sur les mers, l'aristocratie marchande
se tourne vers la Terre Ferme et investit dans la plaine du Pô. Grâce
à cette nouvelle économie foncière, Venise parvient bon an, mal an à maintenir
son rang et à surmonter la crise des échanges maritimes. La nouvelle puissance
industrielle compense le déclin de l'Arsenal qui s'accompagne de lourds
déficits financiers et de pertes démographiques dues aux combats maritimes
et à la terrible peste de 1576. Vis-à-vis de ses voisins, la République
adopte une politique de neutralité armée qu'elle respectera avec sagesse
pendant la guerre de Trente Ans (1618-1648).
Paradoxalement, l'art n'a jamais été aussi florissant. Autour du thème
glorieux de la victoire de Lépante se tresse un tissu d'uvres magnifiques
(peintures, sculptures) qui vient rappeler la puissance de la Venise d'autrefois.
Véronèse, le Tintoret, Palma le jeune et leurs élèves décorent les salles
de toiles triomphantes.
4 - LES DERNIERS COMBATS
Une première menace secoue la Sérénissime en 1606, après l'excommunication
du doge Leonardo Dona et du théologien Paolo Sarpi. Une coalition associant
l'Espagne, le duc d'Autriche, la Savoie, le duché de Milan et le Tyrol
veut l'attaquer sur terre et sur mer. Mais l'Angleterre et la Hollande
volent à son secours. A l'issue des combats, en 1617, Venise s'est à peu
près débarrassée des nids de pirates en Istrie.
Après avoir pris Chypre au siècle précédent, les Turcs s'attaquent à la
Crète en 1646 et mettent le siège devant Candie, la principale place de
l'île. C'est le début d'une guerre de vingt-cinq ans. Venise ne trouve
que l'Ordre de Malte à ses côtés. Après quelques péripéties glorieuses
et mineures, le commandant vénitien Francesco Morosini décide, en 1669,
de mettre fin à une guerre ruineuse et évacue Candie avec les honneurs.
En 1684, les Turcs se lancent à l'assaut de l'Europe et arrivent aux portes
de la capitale autrichienne. Contre eux se forme une Sainte Ligue réunissant
Venise, les Etats de l'Eglise, l'Autriche et la Pologne. Morosini, à la
tête des troupes vénitiennes, reconquiert le Péloponnèse, perdu à la fin
du XVe siècle. En 1688, il est élu doge de Venise. La paix de 1699 est
précaire ; dès 1714, les Turcs regagnent toutes les possessions perdues.
Venise renouvelle l'entente avec l'Autriche. Cependant, à la fin de la
guerre du Péloponnèse (traité de Passarowitz de 1718), les Autrichiens
- qui cherchent à accroître l'activité du port de Trieste aux dépens de
Venise - et les Turcs s'entendent pour confisquer à la Sérénissime la
quasi-totalité de ce qu'il lui reste encore d'empire maritime. Elle ne
conserve que l'île de Corfou et quelques bases navales de faible importance.
La fin de la guerre marque aussi la fin de l'activité de l'Arsenal qui
n'a pas réussi à résoudre le dilemme entre la nécessaire construction
de gros vaisseaux (comme le font les pays du Ponant) et le manque de profondeur
de ses eaux. Le chantier produit moins d'un navire par an. Un long immobilisme
s'amorce. Venise, devenue puissance marginale, avec une flotte marchande
obsolète, voit ses eaux infestées de corsaires, ses rivages victimes de
razzias. Il n'y a plus de flotte de guerre.
Il faut attendre la deuxième moitié du XVIIIe siècle pour que la marine
marchande retrouve une place significative dans le commerce méditerranéen.
En 1736, on définit les critères de qualités indispensables pour la construction
de navires marchands capables de résister aux corsaires. Tout l'Arsenal
se mobilise pour créer ces prototypes de 24 canons. L'architecture de
la polacca veneziana s'inscrit dans ce sursaut inventif et technique pour
la survie de la cité des Doges.
5 - LA FIN DE LA RÉPUBLIQUE
Entre 1784 et 1792, Venise livre ses derniers combats. Sa flotte
part en campagne contre celle du bey de Tunis pour mettre fin aux attaques
des corsaires tunisiens. Mais les moyens mis en uvre sont trop faibles.
Pour faire plier les Barbaresques, Venise doit accepter le versement d'un
très lourd tribut.
L'épisode du Phnix, vaisseau de 64 canons, clôture dans l'infortune
une épopée maritime jadis glorieuse. En 1783, à peine achevé, ce vaisseau
sort de la lagune sur des "chameaux" (dispositif en bois qui le soulève
au-dessus des eaux peu profondes) pour rejoindre la flotte à Corfou. Sans
doute à cause de la pression des lourdes plates-formes sur ses flancs,
il coule à pic.
En 1797, l'armée du général Bonaparte entre à Venise. Le doge et le Grand
Conseil renoncent à leur mandat. C'est la fin de la République. Dix ans
plus tard, entre 1806 et 1814, Venise, cédée par l'Autriche, deviendra
une partie de l'empire napoléonien. En 1811, sur ordre de Napoléon Ier
et pour montrer aux Vénitiens qu'ils pouvaient encore réaliser de beaux
navires, leur arsenal construit le Rivoli et le fait sortir de la lagune
au moyen de chameaux, comme le Phnix. Deux jours après, il est attaqué
par deux vaisseaux anglais, qui l'attendaient à la sortie. Après un dur
combat d'une journée entière, le navire est obligé de se rendre. Il sera
incorporé plus tard dans la Royal Navy.
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