Site : patrimoine-histoire.fr
© Philippe Tannseeler 2009
Lancer
l'impression
Fermer
la
fenêtre
POLACCA VENEZIANA

Venise, XVIIIe siècle

La cité des Doges de l'âge d'or au déclin


1 - LA POLACCA, UNE CRÉATION ORIGINALE

La Polacca est apparue au début du XVIIe siècle en Méditerranée. Les historiens navals pensent que ce type de navire a été créé d'après les concepts du chébec ou de la galéasse, bien que son tirant d'eau soit plus important. La polacca était utilisée comme navire d'escorte ou comme navire marchand. Sa décoration suivait le goût de l'époque, celle du déclin de Venise, amorcé au XVIIe siècle et marqué paradoxalement par une extraordinaire créativité artistique.

Le bateau reproduit ici servait dans la flotte vénitienne en mer Adriatique. Il était surtout utilisé pour protéger les voies maritimes de la Sérénissime contre les pirates dalmates, grecs et turcs.
Son gréement se compose d'une grande voile latine sur un mât de misaine légèrement penché vers l'avant (gréement classique des chébecs), trois voiles carrées sur le grand-mât et une autre voile latine sur l'artimon. Il possède même quatre rames sur chaque bord pour se donner les moyens d'avancer par vent calme. Ce profil tout à fait original a peut-être été conçu par les architectes navals de l'Arsenal de Venise dont le rôle était de concevoir des prototypes de navires aptes à répondre aux nécessités de la cité en matière de guerre, de commerce et de protection de ses navires marchands.

2 - VENISE, UNE CITÉ GLORIEUSE

L'ascension de Venise commence grâce à des privilèges commerciaux accordés à ses marchands par l'Empire byzantin, dès le XIe siècle. Au cours des décennies suivantes, pour accroître son hégémonie, la cité des Doges conclut d'autres accords lucratifs avec les puissances musulmanes d'Afrique du Nord, de Syrie et d'Egypte. Quand la diplomatie est impuissante, c'est à coups de pillages, de destructions et d'expéditions punitives que la ville cherche à s'étendre. Les territoires où elle impose son autorité se situent en Terre Ferme (Golfe, Istrie, delta du Pô, Dalmatie) et sur un chapelet d'îles en Méditerranée orientale dont les plus importantes ne seront rien moins que Corfou, Chypre ou la Crête.
Après la première croisade (début du XIIe siècle), les Vénitiens, comme les cités rivales, installent des comptoirs dans tous les états latins créés par les barons francs au Moyen-Orient. Sans aucune gratitude envers son ancien allié, Venise envoie ses galères ravager les possessions byzantines dans la mer Egée. Elle met à profit la quatrième croisade (début du XIIIe siècle) et le sac de Constantinople par les croisés pour s'emparer d'une partie de l'Empire byzantin. Enfin, une fois débarrassée de la rivalité armée qui l'opposait à Gênes (la paix est signée à Turin en 1381), Venise peut s'enorgueillir, aux XVe et XVIe siècles, du rang de première puissance maritime de l'Occident, voire du monde.

Avec ses multiples comptoirs et ses privilèges, Venise s'assure la majeure partie du commerce des épices en provenance du Moyen-Orient. Celles-ci, une fois revendues à prix d'or en Europe, lui rapportent des bénéfices considérables. Les marchandises des Indes remontent la mer Rouge sur des boutres arabes. Des caravanes chamelières traversent ensuite le désert d'Arabie et arrivent aux comptoirs de Syrie ou d'Egypte où les attendent les marchands de Venise. Tout est bon pour trafiquer et s'enrichir : grains, épices, étoffes de luxe, matériaux stratégiques prohibés (bois, fer) et même esclaves. Au XVe siècle, las des intermédiaires vénitiens et arabes, les Portugais seront les premiers à lancer leurs caraques autour de l'Afrique pour rapporter les épices eux-mêmes...
La victoire de Lépante (1571) marque l'apogée de la cité des Doges. Venise a contribué pour plus de la moitié à l'effort de guerre des princes chrétiens coalisés qui se termine par l'écrasement de la flotte ottomane.

3 - LE DÉBUT D'UN DÉCLIN INEXORABLE

Malgré Lépante, la Sérénissime continue de subir la pression des Turcs qui conservent Chypre, une île stratégique. Si l'on y ajoute les dépenses énormes consenties pour la guerre et pour l'entretien de ses comptoirs, la baisse de ses revenus commerciaux (les épices font désormais le tour de l'Afrique), les profondes mutations dans l'univers marchand dues à la concurrence anglaise, française et hollandaise, enfin les nouvelles techniques navales venues du Ponant, on comprend que Venise, au début du XVIIe siècle, s'engage sur la voie du déclin. Ce déclin se traduira par la perte progressive de tous ses territoires en Méditerranée orientale, la plupart du temps au profit des Ottomans.

Sentant sa puissance décroître sur les mers, l'aristocratie marchande se tourne vers la Terre Ferme et investit dans la plaine du Pô. Grâce à cette nouvelle économie foncière, Venise parvient bon an, mal an à maintenir son rang et à surmonter la crise des échanges maritimes. La nouvelle puissance industrielle compense le déclin de l'Arsenal qui s'accompagne de lourds déficits financiers et de pertes démographiques dues aux combats maritimes et à la terrible peste de 1576. Vis-à-vis de ses voisins, la République adopte une politique de neutralité armée qu'elle respectera avec sagesse pendant la guerre de Trente Ans (1618-1648).

Paradoxalement, l'art n'a jamais été aussi florissant. Autour du thème glorieux de la victoire de Lépante se tresse un tissu d'œuvres magnifiques (peintures, sculptures) qui vient rappeler la puissance de la Venise d'autrefois. Véronèse, le Tintoret, Palma le jeune et leurs élèves décorent les salles de toiles triomphantes.

4 - LES DERNIERS COMBATS

Une première menace secoue la Sérénissime en 1606, après l'excommunication du doge Leonardo Dona et du théologien Paolo Sarpi. Une coalition associant l'Espagne, le duc d'Autriche, la Savoie, le duché de Milan et le Tyrol veut l'attaquer sur terre et sur mer. Mais l'Angleterre et la Hollande volent à son secours. A l'issue des combats, en 1617, Venise s'est à peu près débarrassée des nids de pirates en Istrie.

Après avoir pris Chypre au siècle précédent, les Turcs s'attaquent à la Crète en 1646 et mettent le siège devant Candie, la principale place de l'île. C'est le début d'une guerre de vingt-cinq ans. Venise ne trouve que l'Ordre de Malte à ses côtés. Après quelques péripéties glorieuses et mineures, le commandant vénitien Francesco Morosini décide, en 1669, de mettre fin à une guerre ruineuse et évacue Candie avec les honneurs.
En 1684, les Turcs se lancent à l'assaut de l'Europe et arrivent aux portes de la capitale autrichienne. Contre eux se forme une Sainte Ligue réunissant Venise, les Etats de l'Eglise, l'Autriche et la Pologne. Morosini, à la tête des troupes vénitiennes, reconquiert le Péloponnèse, perdu à la fin du XVe siècle. En 1688, il est élu doge de Venise. La paix de 1699 est précaire ; dès 1714, les Turcs regagnent toutes les possessions perdues. Venise renouvelle l'entente avec l'Autriche. Cependant, à la fin de la guerre du Péloponnèse (traité de Passarowitz de 1718), les Autrichiens - qui cherchent à accroître l'activité du port de Trieste aux dépens de Venise - et les Turcs s'entendent pour confisquer à la Sérénissime la quasi-totalité de ce qu'il lui reste encore d'empire maritime. Elle ne conserve que l'île de Corfou et quelques bases navales de faible importance.

La fin de la guerre marque aussi la fin de l'activité de l'Arsenal qui n'a pas réussi à résoudre le dilemme entre la nécessaire construction de gros vaisseaux (comme le font les pays du Ponant) et le manque de profondeur de ses eaux. Le chantier produit moins d'un navire par an. Un long immobilisme s'amorce. Venise, devenue puissance marginale, avec une flotte marchande obsolète, voit ses eaux infestées de corsaires, ses rivages victimes de razzias. Il n'y a plus de flotte de guerre.

Il faut attendre la deuxième moitié du XVIIIe siècle pour que la marine marchande retrouve une place significative dans le commerce méditerranéen. En 1736, on définit les critères de qualités indispensables pour la construction de navires marchands capables de résister aux corsaires. Tout l'Arsenal se mobilise pour créer ces prototypes de 24 canons. L'architecture de la polacca veneziana s'inscrit dans ce sursaut inventif et technique pour la survie de la cité des Doges.

5 - LA FIN DE LA RÉPUBLIQUE

Entre 1784 et 1792, Venise livre ses derniers combats. Sa flotte part en campagne contre celle du bey de Tunis pour mettre fin aux attaques des corsaires tunisiens. Mais les moyens mis en œuvre sont trop faibles. Pour faire plier les Barbaresques, Venise doit accepter le versement d'un très lourd tribut.

L'épisode du Phœnix, vaisseau de 64 canons, clôture dans l'infortune une épopée maritime jadis glorieuse. En 1783, à peine achevé, ce vaisseau sort de la lagune sur des "chameaux" (dispositif en bois qui le soulève au-dessus des eaux peu profondes) pour rejoindre la flotte à Corfou. Sans doute à cause de la pression des lourdes plates-formes sur ses flancs, il coule à pic.

En 1797, l'armée du général Bonaparte entre à Venise. Le doge et le Grand Conseil renoncent à leur mandat. C'est la fin de la République. Dix ans plus tard, entre 1806 et 1814, Venise, cédée par l'Autriche, deviendra une partie de l'empire napoléonien. En 1811, sur ordre de Napoléon Ier et pour montrer aux Vénitiens qu'ils pouvaient encore réaliser de beaux navires, leur arsenal construit le Rivoli et le fait sortir de la lagune au moyen de chameaux, comme le Phœnix. Deux jours après, il est attaqué par deux vaisseaux anglais, qui l'attendaient à la sortie. Après un dur combat d'une journée entière, le navire est obligé de se rendre. Il sera incorporé plus tard dans la Royal Navy.


——————° ° ° ° ——————