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La Tour Jeanne d'Arc est le seul vestige
du château construit à Rouen, de 1204 à 1210,
sur ordre de Philippe Auguste. Quand il fait main basse sur la Normandie
en 1204 et sur la ville de Rouen, jusqu'alors sous la domination
anglaise de Jean sans Terre, Philippe II Auguste fait construire
un vaste château fort dans le quartier Bouvreuil, sur les
ruines d'un ancien amphithéâtre romain. Son but est
évidemment de surveiller la ville. Mais le donjon, autrement
dit la tour Jeanne d'Arc, est bâti à cheval sur l'enceinte
de la forteresse et l'extérieur de la ville. Ainsi le roi
peut aussi surveiller le château. Celui-ci sera d'ailleurs
occupé la plupart du temps par des officiers de la Couronne
chargés de gérer la ville. Le roi de France est en
effet représenté à Rouen par un bailli et un
vicomte, ce dernier étant responsable de la collecte des
impôts royaux.
À l'époque des guerres de Religion, le «château
Bouvreuil» tombe aux mains des adversaires de la Ligue. Le
chevalier d'Aumale entreprend son démantèlement en
1590. Tandis qu'on bâtit des hôtels particuliers sur
l'emplacement libéré, la tour devient une propriété
privée. Elle est rachetée par un couvent de Bénédictines
en 1683. À la Révolution, donjon et ruines sont vendus
comme biens nationaux. Au XIXe siècle, le donjon est utilisé
comme filature, puis comme buanderie. Il est classé «monument
historique» dès 1840, ce qui le sauve de la destruction.
Achille Deville, inspecteur des Monuments historiques et conservateur
du musée des Antiquités, lance une souscription nationale
en 1868 pour que l'État puisse le racheter. Il est alors
restauré par l'architecte Desmarets sur les indications de
Viollet-le-Duc. En 1884, le donjon est cédé au département
de Seine-Inférieure qui doit l'entretenir et l'ouvrir au
public.
À l'heure actuelle, le donjon abrite un petit musée
essentiellement dédié à Jeanne d'Arc. On peut
y voir des uvres d'art (bronzes et tableaux) sur ce personnage
très polémique de l'histoire de France. L'intérêt
archéologique ne doit néanmoins pas être oublié
: la tour Jeanne d'Arc, avec ses trente-cinq mètres de haut,
ses quinze mètres de diamètre et ses murs de quatre
mètres d'épaisseur, est considérée comme
un exemple type du donjon cylindrique du XIIIe siècle.
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La tour Jeanne d'Arc, dernier vestige du château de Philippe
Auguste
Le sommet a été entièrement reconstruit
au XIXe siècle. |
Archéologie
de la tour Jeanne d'Arc.
L'aspect extérieur des deux premiers étages
de la tour n'a guère changé depuis le
XIIIe siècle. En revanche, le sommet a subi d'importantes
modifications. À l'origine, la tour était
surmontée d'un comble conique (comme le comble
actuel), et sensiblement de la même hauteur. Dans
le premier quart du XVe siècle (est-ce, par exemple,
la volonté d'Henri V après la prise de
la ville?), le comble céda la place à
une plate-forme avec créneaux et mâchicoulis.
Plus tard (fin du XVIe siècle ?), la tour fut
découronnée pour recevoir une terrasse
d'artillerie avec embrasures. Le tout reposait sur la
voûte d'ogives du deuxième étage,
voûte qui subsista jusqu'au XIXe siècle.
La notice remise aux visiteurs de la tour nous apprend
que, sous l'Occupation, en guise de sol pour la plateforme,
les Allemands coulèrent une dalle d'éclatement
en béton de 2,50 mètres d'épaisseur.
Avec des murs de quatre mètres d'épaisseur,
la tour devenait un vrai bunker.
Sources : La Tour Jeanne d'Arc
à Rouen par
le commandant R. Quenedey, Congrès archéologique
de France, 89e session, Rouen, 1926 & Le guide
du visiteur.
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La (seule) fenêtre du premier étage avec
ses coussièges (bancs en pierre) du XIIIe siècle.
L'imposante épaisseur des murs est de 4 mètres
Cette fenêtre fut canonnée par les Anglais en 1432. |
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Plan de l'ancien château Bouvreuil.
Les bâtiments (dont on ne sait rien) étaient protégés
par
un mur d'enceinte renforcé de sept tours.
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L'escalier à vis de la tour date du XIIIe siècle.
Il est très étroit, comme dans bien
des châteaux médiévaux. |
Le donjon
dominait la forteresse et servait de réduit quand
l'assaillant avait pris le château. C'était
la pièce maîtresse de l'ensemble. En 1356,
c'est par le donjon que Jean le Bon pénétra
dans le château à l'improviste pour déjouer
une conspiration initiée par Charles le Mauvais.
De même, en 1432, le partisan français
Ricarville et ses hommes prirent la forteresse aux Anglais.
C'est depuis le donjon qu'ils leur opposèrent
la plus forte résistance.
Source : La Tour Jeanne d'Arc
à Rouen par
le commandant R. Quenedey, Congrès archéologique
de France, 89e session, Rouen, 1926.
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Maquette du château de Philippe Auguste au rez-de-chaussée
de la tour
Aucun bâtiment intérieur n'est représenté
parce qu'on ne sait rien sur eux. |
Jeanne
d'Arc n'a pas été emprisonnée
dans la tour qui porte son nom, mais dans la tour
de la Pucelle. Ses gardiens l'ont simplement conduite
au rez-de-chaussée du donjon pour lui montrer
les instruments de torture auxquels on envisageait
de la soumettre. Une plaque commémorative
rappelle sa fière réponse.
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La tour Jeanne d'Arc avec ses rares
fenêtres et meurtrières. |
Plaque commémorative de la réponse de Jeanne
d'Arc
quand on lui présenta les instruments de torture.
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En 1432, le partisan
français Ricarville s'empara de
la forteresse par surprise avec ses hommes. Du
donjon, il offrit une très sérieuse
résistance. Les Anglais canonnèrent
la fenêtre du premier étage, car
elle est orientée vers la cour. Lui et
sa petite troupe descellèrent alors plusieurs
marches avec lesquelles ils purent boucher la
baie.
Source : La Tour Jeanne d'Arc à Rouen par le cdt R. Quenedey, Congrés archéologique de France, 89e session, Rouen, 1926.
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La cheminée du premier étage a été refaite
au XIXe siècle. |
Buste de Jeanne d'Arc en cuivre patiné
uvre de A. Talma. |
Jeanne d'Arc à Domrémy.
Bronze d'après l'uvre en marbre d'Henri Chapu (1833-1891). |
Portrait de Jeanne d'Arc par Lucien-Léopold Lobin, vers 1880.
Vitrail au premier étage (le modèle est la propre fille
de l'artiste.) |
Jeanne d'Arc, prisonnière
d'après Louis-Ernest Barrias (1841-1905). |
Entrée triomphale de Jeanne d'Arc à Orléans par
Émile Hirsch.
Vitrail au premier étage réalisé vers 1860-1880. |
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Jeanne d'Arc brandissant son étendard
Statue au 2e étage. |
2.
---»» accueilli des milliers
de réfugiés venant de la basse Normandie,
mais qui étaient autant de bouches à nourrir.
La garnison de quatre mille hommes était commandée
par Guy le Bouteiller. Tous ces gens disposaient d'armes
à profusion, notamment d'arbalètes et
de nombreux canons et bouche à feux montés
sur les remparts.
De son côté, Henry V, une fois arrivé
devant la ville ---»»
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3.
---»» le 30 juillet 1418, fit
bâtir quatre camps fortifiés, reliés
par des tranchés. La Seine fut bloquée
en amont par une lourde chaîne ; en aval, par
un pont de bateaux. Avec
la politique de la terre brûlée
pratiquée par les Français, la campagne
environnante ne permettait pas d'assurer l'approvisionnement.
le roi fit donc venir la nourriture depuis l'Angleterre,
incluant le vin et la bière. Ses dispositions
prises, il attendit que la faim fît son uvre.
La ville, quant à elle, plaçait son salut
dans une armée de secours.
Bien en vue des défenses de la cité, le
roi avait fait dresser un gibet où les prisonniers
français étaient pendus. En rétorsion,
les Rouennais élevèrent le leur sur les
remparts, où ils pendirent un prisonnier anglais.
C'est sur les remparts aussi que le vicaire général
de Rouen, Robert de Linet, vint excommunier le roi anglais
et son armée, ce qui rendit Henry V furieux.
De multiples relations ont raconté le siège,
notamment celle de John Page, un soldat de l'armée
assiégeante. À la mi-octobre, la famine
s'annonçait : les habitants mangeaient les chevaux.
Pour ne pas gaspiller la nourriture, ils décidèrent
d'expulser les infirmes, ---»»
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Détail de la maquette de la ville de Rouen en 1418-1419.
On reconnaît la cathédrale Notre-Dame dans la partie
supérieure, et à droite le pont de pierre. |
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Détail de la maquette de la ville de Rouen en 1418-1419.
L'abbaye Saint-Ouen et son vaste domaine contrastent fortement
avec le resserrement des maisons alentour. |
4.
---»» les vieillards, les pauvres,
même les femmes qui allaitaient. Environ douze
mille personnes. Tous ces gens se retrouvèrent
bloqués dans les fossés car Henry refusa
de les laisser passer. John Page raconte que le roi
fut très en colère devant un comportement
aussi inhumain : le devenir de ces gens était
pour lui de la responsabilité de la garnison
assiégée et il ne pouvait les laisser
traverser les lignes anglaises. Il commanda donc à
ses soldats de les garder, comme un troupeau, dans le
fossé qu'il avait fait creuser tout autour de
la ville au mois de juillet. Il pleuvait sans cesse.
Page écrit que des soldats anglais prirent ces
pauvres gens en pitié et leur donnèrent
une part de leur propre pain.
Dans la ville, la situation n'était guère
plus rose. En décembre, les habitants mangeaient
les chats, les chiens, les rats et les souris, enfin
tout ce qui était encore comestible, même
pourri. Les gens commençaient à mourir.
Les secours espérés ne venaient pas :
le dauphin Charles n'en avait pas les moyens et l'armée
de Jean sans Peur, progressant depuis le sud, s'était
arrêtée à Pontoise. ---»»
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5.
---»» Le jour de Noël 1418,
Henry V fit un geste envers les malheureux, gardés
dans les fossés : deux prêtres y descendirent
pour distribuer de la nourriture et de l'eau. C'était
évidemment bien peu. La mort se répandit
rapidement dans des conditions atroces. «On pouvait
voir ici et là des enfants de deux ou trois ans,
dont les parents étaient morts, mendier leur
pain, écrit John Page. Ces pauvres gens
n'avaient qu'un sol détrempé au-dessous
d'eux et ils restaient là, pleurant après
la nourriture. Certains mouraient de faim, d'autres,
sans souffle de vie, étaient incapables d'ouvrir
les yeux ; d'autres encore gisaient recroquevillés
sur leurs genoux, aussi fins que des petites branches
d'arbre. Une femme pressait son enfant mort contre son
sein pour le réchauffer, et un enfant tétait
le sein de sa mère, morte. Pour un vivant, on
pouvait facilement compter dix ou douze morts. Ces gens
étaient morts tranquillement sans cris et sans
pleurs, comme s'ils avaient rendu l'âme dans leur
sommeil.»
Le 31 décembre 1418, les Rouennais demandèrent
à parlementer. Une délégation vit
le roi le 2 janvier. Elle reçut de vifs reproches
: Rouen faisait partie de l'«héritage»
d'Henry et il était inadmissible qu'on l'empêchât
d'entrer. Le roi refusa de laisser partir les survivants
du fossé, rejetant la responsabilité sur
la ville par un impitoyable «Qui les a envoyés
ici?» Les pourparlers traînèrent
pendant dix jours. Des chroniqueurs français
ont suggéré, après coup, que les
Rouennais menacèrent d'incendier leur ville pour
ne laisser aux Anglais qu'une cité en ruines.
Quoi qu'il en soit, on trouva un accord le 13 janvier
1419. Sans secours extérieur dans les huit jours,
Rouen se rendrait et paierait une indemnité de
cinquante mille livres anglaises. Le 19, la ville capitula.
Le roi victorieux passa les remparts avec toute sa suite.
Comme convenu dans les accords, la garnison put s'en
aller, mais sans armes et à la condition de ne
pas combattre les Anglais pendant un an. Les habitants
pouvaient garder leurs maisons et leurs biens s'ils
prêtaient allégeance au roi.
Henry V était impitoyable envers ceux qui se
dressaient contre lui et l'empêchaient de saisir
son «héritage», mais il lui arrivait
aussi d'afficher une grande miséricorde quand
on reconnaissait sa suzeraineté. Un chroniqueur
de l'époque Tito Livio, cité par
l'historien anglais ---»»
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Les environs de la cathédrale et ses nombreux clochers
(maquette de 1999). |
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«««---
À GAUCHE
La charpente du troisième étage est une uvre
du XIXe siècle. Elle a été restaurée
en 1984.
Au sol se trouve une dalle d'éclatement en béton,
de 2,5 m d'épaisseur, coulée par les Allemands
sous l'Occupation. |
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6. ---»»
Keith Dockray, a laissé une description de l'entrée
du roi dans la ville : sa première mesure, écrit
le chroniqueur, fut d'envoyer des officiers aux quatre coins
de la cité pour empêcher les vols et les pillages.
Ému par la grande détresse des habitants, il
donna aussi des ordres pour que l'on pourvût la population
en nourriture. De leur côté, les princes les
mieux attentionnés avaient donné, eux aussi,
leurs propres instructions pour, avant toute chose, approvisionner
la population en nourriture.
Le chroniqueur français Enguerrand de Monstrelet
raconte ce qui arriva aux défenseurs de la ville. Ils
furent conduits en dehors des murailles, vers la Seine, et
fouillés. Des officiers royaux s'emparèrent
de leur argent et de tous les objets de valeur qu'ils purent
trouver sur eux. Quant aux nobles, on les dépouilla
de leurs beaux vêtements, qu'ils durent remplacer par
des vieux habits sans valeur. Le vicaire général
de Rouen, Robert de Linet, qui avait excommunié le
roi et l'armée dans les premiers jours du siège,
fut mis aux fers et enchaîné pour le reste de
ses jours.
Un autre conteur de l'époque, John Strecche,
qui a construit son récit du siège d'après
la relation de John Page, rapporte qu'un complot se fomenta
au sein des Rouennais pour assassiner Henry V lors de la cérémonie
de la Chandeleur, le 2 février suivant. L'affaire fut
éventée. Les gens furent arrêtés
et cinquante des citoyens les plus puissants et les plus riches
de la ville furent envoyés en Angleterre et emprisonnés
dans différents châteaux.
Pour l'historien anglais Keith Dockray, auteur d'une
riche biographie sur Henry V, Rouen vit avec soulagement l'entrée
du roi dans la ville, parfois même en s'en réjouissant.
Il rapporte que Tito Livio apprit que le roi nomma
such worthy men as his prefects that the city was quickly
restored to the flourishing condition it had enjoyed in the
past [... aux postes clés des gens si compétents
que la cité recouvra bientôt sa splendeur passée].
Il est permis d'en douter fortement. Sans doute Tito Livio
fait preuve de partialité. La Normandie a été
mise à feu et à sang par les troupes d'Henry
V. Certes, Rouen n'a pas été bombardée
et les chroniques ne rapportent pas la destruction de bâtiments.
Cependant, le nombre de morts - et parmi eux vraisemblablement
des gens essentiels au commerce de la ville et à sa
richesse -, ajouté à une région
ravagée, ne permettaient guère un rétablissement
économique rapide. Les historiens français parlent
plutôt d'un retour à la normale vers 1470, soit
cinquante ans plus tard. Ajoutons enfin que, dans les chroniques
de l'époque, le récit est souvent, ou tout blanc,
ou tout noir, selon que l'auteur est pro-anglais ou pro-français.
Sources : The hundred years war
de Desmond Seward, Robinson Editions ; Henry V de Keith
Dockray, Tempus Publishing ; La guerre de Cent Ans
de Georges Minois, éditions Tempus.
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Documentation : Notice de la visite + «Histoire
de Rouen» de Henry Decaëns, éditions Gisserot
+ Congrès archéologique de France, 89e session, Rouen,
1926, article : «La tour Jeanne d'Arc» du commandant Quenedey
+«The hundred years war» de Desmond Seward, Robinson
Editions + «Henry V» de Keith Dockray, Tempus Publishing
+ «La guerre de Cent Ans» de Georges Minois, éditions
Tempus. |
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