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Le château de Josselin, dont l'aspect
est l'un des plus pittoresques de France, est une demeure toujours
habitée par la famille des Rohan. Cette forteresse tient
une part cruciale dans l'histoire des luttes entre les ducs de Bretagne
et les rois de France. Rasée une première fois par
Henri II Plantagenêt vers 1170, elle fut relevée dès
1173 par le vicomte de Porhoët, Eudes II, allié
du roi de France. En 1370, elle passe entre les mains d'Olivier
de Clisson, grand connétable de Charles V, et ferme soutien
de la dynastie capétienne. Celui-ci lance une campagne d'agrandissement
du château. Les ducs de Bretagne, Jean IV et Jean V, vont
s'acharner contre lui. Emprisonné, puis relâché,
Clisson est assiégé dans Josselin par Jean IV en 1393.
Avant sa mort en 1407, il s'était remarié avec Marguerite
de Rohan. Le château revint donc à son gendre,
Alain VIII de Rohan. La forteresse demeure dans la famille depuis
six siècles.
La lutte sourde entre les ducs de Bretagne et les rois de France
reprend en 1488. François II, duc de Bretagne, veut punir
Jean II de Rohan de son soutien au parti français.
Il fait démanteler la forteresse dont l'un de ses capitaines
vient de s'emparer. Peu après, Jean II, sans toucher aux
défenses qui viennent d'être abattues, fait reconstruire
le manoir d'habitation et sa belle façade sur la cour nord-est.
Viennent les guerres de Religion. Les Rohan sont à la tête
du parti réformé. Leur forteresse sera incluse dans
la liste des sites voués à la destruction sur ordre
de Richelieu. En 1629, la partie est, comprenant le gros donjon,
est rasée à l'explosif. Encore faut-il remercier le
prince de Condé, qui fit arrêter la démolition,
avec l'agrément du roi. Néanmoins, Richelieu pouvait
être satisfait : le château n'était plus défendable.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les Rohan vivent à Paris
et le château est laissé à l'abandon. Sous la
Révolution, la tour isolée sert de prison. Vers 1835,
Charles-Louis Josselin, duc de Rohan, décide d'engager
une restauration en bonne et due forme de sa demeure, très
largement délabrée et où le toit s'écroule
par endroits. L'extérieur est remis en état, l'intérieur
est presque totalement réaménagé.
À l'heure actuelle, la visite comprend les salles du rez-de-chaussée
du manoir, la façade Renaissance et les jardins aménagés
soit à la française sur la terrasse, soit à
l'anglaise au pied des remparts. Le château de Josselin est
une demeure privée. Le règlement interdit les photos
à l'intérieur de l'habitation.
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La célèbre façade du château de Josselin
devant la rivière Oust. La façade est orientée
au sud-ouest.
L'Oust est à l'heure actuelle un tronçon du canal de
Nantes à Brest. |
Plan du château de Josselin
Les lieux proposés à la visite peuvent se décomposer
en trois parties : |
L'Oust vue depuis le château, vers l'ouest. |
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1) Le rez-de-chaussée
du manoir d'habitation et la superbe façace Renaissance
;
2) Les jardins à la française de la terrasse ;
3) Le parc à l'anglaise au pied des remparts. |
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Le château de Josselin vu depuis le clocher de la basilique
Notre-Dame du Roncier. |
La façade nord, élevée de 1490 à 1510, est un
très beau témoignage de la Renaissance bretonne.
Au premier plan, le jardin à la française créé
au XIXe siècle. |
Sculptures et ornementation Renaissance
autour des fenêtres hautes de la façade. |
La façade
nord-est et sa décoration Renaissance.
La façade du château de Josselin est assurément
le «clou du spectacle». Les visiteurs qui aiment
le style Renaissance se doivent de l'observer de très
près. Les historiens considèrent que son homogénéité
est la preuve qu'elle a été construite d'un
seul tenant, sans ajout postérieur. Longue de soixante
mètres et datée des années 1490-1510
(quand Jean II Rohan décida de rebâtir le logis)
elle offre un magnifique exemple de l'art de la Renaissance
en Bretagne. L'uvre se présente comme un grand
appareil de granit, avec quatre portes et huit fenêtres
au rez-de-chaussée. La double série de grandes
lucarnes à meneaux est la source de son cachet artistique
si réputé.
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Les lucarnes du bas sont surmontées
d'arcs en accolade décorés de choux frisés.
Fait aussi partie de son cachet la dentelle de granit qui
surmonte la forte corniche à double encorbellement
(dont les sculptures sont très usées par le
temps). Deux exemples de cette splendide dentelle sont donnés
ci-dessous.
Même si les lettres sculptées dans la pierre
attirent le regard, on y décèle aussi des couronnes,
des hermines stylisées, des cordelières, des
arabesques, etc.
Sources : 1) Congrès
archéologique de France, Brest et Vannes, 1914
; 2) Le château de Josselin, éditions
Ouest-France.
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La façade au niveau de la septième lucarne. |
Description
de la partie de façade ci-dessus.
Les deux lucarnes du dessus sont encadrées par
l'inscription A PLUS (devise des Rohan), disposées
de bas en haut. La lucarne supérieure est surmontée
d'un gâble très aigu dont le tympan est
orné d'un A couronné. Ce gâble est
lui-même «surmonté d'un fleuron à
cinq rangs de choux frisés superposés
et bordé de rampants à crochets très
fouillés.» Source : Congrès
archéologique de France, Brest et Vannes, 1914.
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Balcon avec une gargouille figurative près d'une fenêtre. |
Fenêtres sur la façade nord |
Description
de la partie de façade ci-dessus.
On voit ici la séparation entre les fenêtres
des deuxième et troisième étages
: l'espace est occupé par un trumeau richement
sculpté d'éléments flamboyants.
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Portes et fenêtres sur la façade nord.
L'une des deux portes est en plein cintre. |
Gargouille figurative près d'un balcon.
L'écoulement des eaux se faisant via des tuyaux de pierre,
les gargouilles du château n'ont pas d'utilité. |
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La façade Renaissance et les jardins à la française
quand les touristes se pressent au mois d'août. |
L'écoulement des eaux se fait par des tuyaux en pierre
sculptée représentant
des dragons ou des crocodiles. |
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Galerie embellie de la devise A PLUS des Rohan. (A plus
signifie Sans plus, c'est-à-dire sans supérieur).
C'est une véritable dentelle de granit qui ceinture les lucarnes
de la façade
(lettres, hermines stylisées, cordelières, arabesques,
couronnes, choux frisés, etc.). |
Sur cette galerie, la lettre A se répète cinq fois.
Elle est toujours couronnée.
Au dessous de la galerie, on remarque la corniche à double
encorbellement embellie
d'entrelacs, de feuilles et de petits animaux, malheureusement très
usés par le temps. |
La polémique
sur l'initiale A. L'interprétation des faits
historiques et des créations artistiques a toujours
été un art difficile. On en trouve une nouvelle
preuve dans une petite polémique qui surgit là
où on ne l'attendait pas : dans les lettres en granit
garnissant la galerie de la façade Renaissance du château
de Josselin. La lettre A, d'ailleurs très souvent surmontée
d'une couronne, y apparaît en de multiples endroits.
(Voir la série des cinq lettres A consécutives
dans la photo ci-dessus à droite.)
Jusqu'au XIXe siècle, les historiens y ont vu l'initiale
de la devise des Rohan «A Plus», c'est-à-dire
«sans plus», donc «sans supérieur».
En prenant pour acquit le fait que la façade a bien
été reconstruite à l'initiative de Jean
II Rohan, l'historien Roger Grand, dans son article du Congrès
archéologique de France tenu à Brest et
à Vannes en 1914, avance une explication assez déroutante.
Il constate d'abord que cette lettre A est partout surmontée
d'une couronne, ce que personne ou presque n'avait remarqué.
Il signale ensuite que la couronne, faite de huit fleurons
égaux, n'est autre que la couronne ducale. Roger Grand
poursuit : «Or la seigneurie des Rohan était
alors une vicomté. En 1505, Jean II s'intitule lui-même
vicomte de Rohan. L'A surmonté d'une couronne ducale
ne désigne donc pas le seigneur de Josselin. Il faut
l'appliquer, sans doute possible, à Anne, duchesse
de Bretagne.»
De plus, l'historien rappelle que la décoration de
la façade est composée d'emblèmes rappelant
les Rohan (devise «A Plus»), la duchesse
de Bretagne (A couronné) et la reine de France (fleurs
de lys). Comme on le sait, à la fin du XVe siècle,
Anne de Bretagne, fille de François II, duc de Bretagne,
était l'enjeu de toutes les chancelleries d'Europe.
Épouser Anne, c'était hériter de la Bretagne.
Le roi de France Charles VIII, l'empereur allemand Maximilien
Ier,
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Louis d'Orléans (le futur
Louis XII) et le duc de Buckingham étaient sur les
rangs. Quant à Jean II Rohan, il aurait bien voulu
voir l'un de ses fils épouser la jeune fille, ce qui
aurait uni définitivement les maisons de Rohan et de
Bretagne et les aurait placé sur un pied d'égalité..
Le mariage d'Anne et de Charles VIII à Langeais, en
1491, mit fin au rêve du vicomte : il restait toujours
le premier vassal de la duchesse en Bretagne ! Pour Roger
Grand, Jean II prit en quelque sorte une revanche en traduisant
dans la pierre ce rêve de grandeur et d'ambition avortées.
Dans le livret sur le château de Josselin paru aux éditions
Ouest-France en 2000, Antoinette de Rohan remet en
question cette explication un peu forcée. «(...)
comment expliquer, écrit-elle, la présence de
l'initiale A, couronnée ou non, que l'on retrouve à
de nombreuses reprises dans la décoration de la façade?
On a longtemps cru qu'il s'agissait du A désignant
la duchesse-reine Anne de Bretagne, comme l'affirmait Roger
Grand.» Antoinette de Rohan avance une autre explication
: «On peut se demander s'il ne s'agit pas plutôt
du chiffre de Jean II. Olivier de Clisson, de son côté,
avait un chiffre du même type, l'initiale M, que l'on
retrouve à Blain, ainsi que dans son hôtel parisien.»
À la représentation du rêve avorté,
idéal bien romantique, proposé en 1914, par
Roger Grand, il semble qu'on ne puisse opposer que l'hypothèse
du chiffre du constructeur. Dans l'un et l'autre cas, ce ne
sont que des conjectures et il faut bien avouer que le mystère
reste entier.
Sources : 1) Congrès
archéologique de France, Brest et Vannes, 1914
; 2) Le château de Josselin, éditions
Ouest-France, 2000.
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La corniche à double encorbellement au-dessous de la galerie
est composée d'entrlacs, de feuilles, de fleurs et de petits
animaux. |
La façade Renaissance, côté est.
Au premier plan, les aménagements en jardin à la française. |
La terrasse avec la façade.
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La «tour isolée» avec le clocher
de la basilique Notre-Dame
du Roncier. |
Dans la tour
isolée furent enfermés des prisonniers
anglais dès 1758, ainsi que de nombreux royalistes
sous la Révolution. «À la fin avril 1794,
on en comptait jusqu'à 112 et on dut en mettre dans
le manoir lui-même», écrit Roger Grand
dans son article pour le Congrès archéologique
de Brest et Vannes en 1914.
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L'Oust vue depuis les jardins du château, vers l'est. |
Prosper
Mérimée à Josselin (1/2)
Nommé inspecteur général des Monuments
historiques en 1834, l'écrivain Prosper Mérimée
parcourt l'ouest de la France en 1835 (Bretagne et, plus succinctement
l'Anjou et le Poitou). Son objectif est de recenser les anciens
monuments dignes d'intérêt, en particulier ceux
du Moyen Âge. À son retour, il rédige
un long rapport pour son ministre de tutelle.
Son passage à Josselin n'est pas l'un de ses meilleurs
souvenirs. On en donne ici quelques extraits en respectant
l'orthographe du romancier qui écrit au début
du XIXe siècle.
«On m'avait vanté le château de Josselin
comme l'une des merveilles de la Bretagne. Il n'a pas répondu
à mon attente; peut-être est-ce seulement à
l'exagération des éloges dont il était
l'objet, que je dois attribuer la médiocre impression
qu'il a produite sur moi. Il fut bâti au onzième
siècle; mais je doute que des restes de cette construction
se soient conservés jusqu'à nous. Le connétable
de Clisson en augmenta les fortifications au quatorzième
siècle, et depuis cette époque, il paraît
avoir encore changé d'aspect. L'architecture militaire
a si peu de caractères distinctifs, et d'ailleurs le
château a été tellement modifié
et à tant de reprises, que, classer ses différentes
époques, serait aujourd'hui un problème presque
insoluble.»
Mérimée s'étend assez longuement sur
la façade du château côté jardin
et de ses curieuses lettres qui sont loin d'emporter son adhésion
: «La façade intérieure du château
est aujourd'hui ce qu'il offre de plus remarquable. En effet,
bien que
---»» Suite 2/2
à gauche.
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Prosper
Mérimée à Josselin (2/2)
---»» médiocrement composée, elle
a du moins le mérite d'une riche ornementation. À
la première vue, le spectateur est choqué du
manque absolu d'alignement, défaut qu'il eût
été facile d'éviter et dont on ne comprend
pas le motif. (...) On voit que le mot de façade ne
convient guère ici, et que l'architecte semble s'être
étudié à diviser les parties de son édifice
au lieu d'en composer un ensemble. (...) La devise A PLVS
s'y trouve répétée de vingt manières
différentes, découpée en lettres fantastiques,
avec une étonnante variété. Malgré
la diversité des détails, on ne peut s'empêcher
de remarquer la répétition constante et monotone
d'un motif aussi médiocre que les entrelacemens et
les formes bizarres des mêmes lettres. Dans l'architecture
arabe, les sentences du Coran sculptées en relief ou
en creux, et artistement alignées ou contournées
comme nos rinceaux, sont un des motifs d'ornementation les
plus fréquens, et souvent l'effet en est très
agréable. Mais nos caractères ne se prêtent
pas facilement à ses caprices, et je regrette ici les
jolis meneaux flamboyans du gothique du quinzième siècle.
Je ne vois sur cette façade aucun détail de
la Renaissance, cependant je ne puis la croire antérieure
au seizième siècle. (...) Les A entrelacés
avec un V, et surmontés d'une couronne de vicomte que
l'on voit au sommet des frontons, ont fait penser que ce bâtiment
avait été élevé par Alain VIII,
vicomte de Josselin. A l'exception des tours à double
enceinte, l'intérieur du château n'offre nul
intérêt, si ce n'est une grande cheminée
dans une salle basse, avec l'éternelle devise A PLVS,
ornée d'ailleurs comme celles de la façade.
Tous les appartements sont restaurés, c'est dire qu'ils
ressemblent à des chambres d'hôtel garni, et
pour que la ressemblance soit plus complète, on y voit
pour toutes tentures les papiers peints à paysages
et à batailles, qui tapissent toutes les auberges de
l'Europe et font une des richesses de la ville de Mulhouse.»
Source : Notes d'un voyage
dans l'ouest de la France par
Prosper Mérimée, 1836.
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Les jardins à l'anglaise sous les remparts. |
Aspects des jardins à la française.
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L'ancien emplacement du pont-levis.
L'animal en bas à droite est un lion sculpté. |
Vue intérieure de la tour isolée. |
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À DROITE ---»»»
Éléments de mobilier au rez-de-chaussée
de la Tour isolée
Buffet et détail de son ornementation entre les deux
serrures. |
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La façade nord-est et le jardin à la française. |
Documentation : «Congrès archéologique
de France, Brest et Vannes, 1914»
+ «Le château de Josselin», éditions Ouest-France
+ «Notes d'un voyage dans l'ouest de la France» par Prosper
Mérimée, 1836. |
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