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Les convultionnaires
de Saint-Médard
Les Grands Thèmes
Les convultionnaires
de Saint-Médard
Saint-Médard (Paris, 5e arr.)

Le jansénisme et les convulsionnaires de Saint-Médard
 

Église Notre-Dame-des-Victoires à Paris.
«Saint Augustin face aux Donatistes», détail.
Tableau de Carl van Loo dans le chœur de l'église.

Sources :
1) Bulletin de la Montagne Sainte-Geneviève, tome IV, 1904 ;
2)
Les Convulsionnaires de Saint-Médard, présenté par Catherine-Laurence Maire, Archives Gallimard/Julliard, 1985 ;
3) La Grande affaire d'Olivier Andurand, Presses Universitaires de Rennes, 2017.


Église Notre-Dame-des-Victoires à Paris.
«Saint Augustin face aux Donatistes», détail.
Tableau de Carl van Loo dans le chœur de l'église.

Église Notre-Dame-des-Victoires à Paris.
«Le Baptême de saint Augustin», détail.
Tableau de Carl van Loo dans le chœur de l'église.

Cent soixante ans après le tumulte de Saint-Médard (une rixe meurtrière qui opposa les catholiques aux protestants), l'église Saint-Médard revint dans l'actualité parisienne la plus brûlante. Cette fois, c'est la querelle janséniste qui servit de cadre.
Rappelons les faits principaux. Tout part de la théologie et remonte au XVIIe siècle : il s'agit de la grâce et de la prédestination. Pour le néerlandais Jansénius (1585-1638), l'homme n'est pas libre et hésite sans cesse sur la voie à suivre : le bien ou le mal. Dieu accorde sa grâce à certains ; ceux-ci seront sauvés ; les autres suivront le mal et seront damnés. À cela, l'espagnol Luis Molina et les jésuites répondent : l'homme est libre ; ce n'est pas parce que Dieu possède la préscience et sait toujours ce que chaque mortel va faire que l'homme n'a pas le choix entre le bien et le mal. Dieu offre à chacun la grâce suffisante. Libre à chacun de choisir le bon chemin et d'en faire une grâce efficace. Les XVIIe et XVIIIe siècles opposent ainsi les jansénistes aux «molinistes», gardiens de la tradition catholique. En 1653, le pape Innocent X, alerté par quarante-huit évêques français, condamne les thèses jansénistes dans la bulle Cum occasione.

Dès lors, l'Église de France va se couper en deux : les jansénistes contre l'Assemblée du clergé et la Cour. La querelle théologique ne tarde pas à tourner en joute politique. Puisque le roi s'élève contre le jansénisme, se dire janséniste signifiera désormais prendre parti contre l'absolutisme. Mais, dans les souvenirs du roi, la Fronde est encore vivace : Mazarin et le pouvoir royal avaient alors chancelé devant une opposition parfois liée à l'ennemi espagnol avec, au final, une guerre civile de quatre ans (1648-1652). Louis XIV ne peut tolérer un mouvement qui attire les opposants de toutes sortes, et des plus actifs. Car, sous couvert d'une doctrine religieuse, les livres, les publications et les libelles se multiplient.

La querelle rebondit en 1702 : faut-il donner l'absolution à un religieux janséniste ? Dans sa bulle Vineam Domini, le pape Clément XI répond par la négative. En 1711, Louis XIV frappe un grand coup en faisant expulser les religieuses de Port-Royal des Champs et raser les bâtiments. Survient le père Quesnel (1634-1719), janséniste, qui publie ses Réflexions morales, une suite de principes calqués sur la vie des prophètes. Excédé, Louis XIV en appelle au pape. En 1713, la bulle Unigenitus de Clément XI condamne les Réflexions morales. Le clergé français est sommé de se soumettre et d'accepter la Bulle, ce qui déclenche contre elle des publications en rafales appelant au rejet. D'où le nom d'appelants que l'époque leur a donné.
Mais c'est là faire aussi ressurgir la fierté du gallicanisme et la distance prise par l'Église de France envers Rome. D'où la question que pose Olivier Andurand dans sa thèse La Grande affaire parue en 2017 : où sont les vrais gallicans ? Du côté des jansénistes ou du côté du roi de France, un roi qui s'incline devant la bulle papale qu'il a lui-même sollicitée ?
Au-delà de l'idée vite oubliée de la grâce, le jansénisme, synonyme aujourd'hui de rigorisme, veut imposer une gestion rigoureuse dans les paroisses, installer le clergé dans une vie réellement pieuse, dépouiller le cadre cultuel, faire participer les laïcs, voire promouvoir la messe en langue vulgaire. Ces idées séduisent une bonne partie des fidèles. À Paris, les trois quarts des curés sont appelants.

Louis XIV s'éteint en 1715. La fragilité de l'Interrègne favorise les opposants qui multiplient les appels contre la Bulle. Parmi eux, l'archevêque de Paris écrit même en 1719 qu'il nie le dogme de l'infaillibilité pontificale. En fait, tout cela est le dernier feu. «Lorsque, à partir de 1726, avec le ministère Fleury, le pouvoir se décidera à des mesures sévères, écrit Catherine-Laurence Maire dans un document d'archives sur les convulsionnaires (éditions Gallimard/Julliard), la majorité des ecclésiastiques se soumettra sans trop de résistance à l'autorité pontificale. Dès les années 1720 s'amorce, en fait, le processus de défaite des appelants.»

Revenons à Saint-Médard, paroisse populeuse et pas vraiment janséniste. Un certain François de Pâris, diacre, officie parmi les clercs de l'église. Il est janséniste et sa foi est profonde. Donnant aux pauvres tout ce qu'il possède, se privant de tout, «François de Pâris, écrit Catherine-Laurence Maire, se considère comme un pénitent chargé d'apaiser la colère de Dieu allumée par la bulle Unigenitus.» Le 1er mai 1727, il meurt à l'âge de trente-sept ans d'excès de privations dans une misérable cabane, non loin de l'église. Il est enterré dans le charnier devant le chevet. Avant de mourir, Pâris a renouvelé, lors de sa confession, sa foi janséniste et son appel contre la Bulle.
Dès sa mort, des jansénistes vont prier sur sa tombe. Le rite se transforme bien vite en véritable culte car le diacre est regardé comme un bienheureux. On parle bientôt de miracles : les aveugles voient, les sourds entendent, les boiteux ne claudiquent plus. Cette renommée se répand ; la Cour, informée, s'inquiète, puis sévit : en 1730, le curé de l'église qui a appelé contre la Bulle, le très actif père Pommart, est exilé à Blois. Cette sanction ne réduit en rien la dévotion. Les miracles continuent et vont, dès lors, être partagés en deux : les «miracles» purs et simples et ceux obtenus à la suite de convulsions. Les jansénistes acceptent les premiers, mais se divisent sur les seconds : s'agit-il d'œuvres de Dieu, du diable ou de charlatans ?

Les convulsionnaires vont créer un beau charivari dans la capitale. Le premier d'entre eux, rapporte le Bulletin de la Montagne Sainte-Geneviève de 1904, est une domestique, impotente depuis six ans, qui «recouvra la santé le 3 août 1731, après de violentes convulsions qui lui durèrent plusieurs jours.» Évidemment, les jansénistes, même s'ils sont divisés, s'emparent de ces guérisons comme preuves de la justesse de leur cause et publient régulièrement le récit des faits dans leur journal clandestin, Les Nouvelles ecclésiastiques. Comme Louis XV et la Cour soutiennent les molinistes, c'est-à-dire le «parti constitutionnaire» bien sûr opposé aux miracles, l'affaire tombe à point nommé pour les Parisiens. Le Bulletin rapporte : «(...) l'occasion de faire de l'opposition au gouvernement était trop belle pour que les Parisiens, selon leur traditionnelle habitude, ne s'en emparassent point en affirmant leurs préférences pour le parti qui combattait le pouvoir.»

Loin des querelles théologiques et malgré les espions d'une Cour qui n'y voit que simulations, les convulsionnaires deviennent un véritable spectacle. Une certaine bourgeoisie s'y presse. Comme au théâtre, il est bon d'y être vu. Des petits malins y louent des chaises ; d'autres organisent leur commerce d'écrivains publics ou de vendeurs de baume guérisseur. Le mauvais temps de l'hiver 1731 qui approche n'y change rien. «Chaque jour les rues qui entouraient l'église et son charnier étaient encombrées par une multitude de croyants», écrit le Bulletin. La province s'en mêle : petits et grands de toute condition affluent. Des grands de la Cour, malades, s'y rendent en espérant un miracle. C'est le cas de la comtesse-douairière de Conti qui est aveugle depuis de longues années.

Que se passe-t-il exactement ? Lisons encore une fois le Bulletin : «Les fidèles, dirigés par des prêtres jansénistes, chantaient des cantiques et entonnaient des Te Deum. Puis, les prières achevées, chacun restait dans l'attente du miracle escompté. On voyait alors des hommes et des femmes courir, s'agiter, faire des bonds extraordinaires, se débattre à terre comme en proie à des crises d'épilepsie ; ici, certains marchaient sur les mains, la tête en bas et les jambes en l'air, en des attitudes d'acrobates, pendant que d'autres se contournaient en des poses où, pour certaines, la décence la plus élémentaire était oubliée.»
Le spectacle franchit un nouveau cap quand, selon le Bulletin, «des femmes demandaient en grâce à ceux qui les entouraient de les frapper sur tout le corps, et plus les coups qu'elles recevaient étaient meurtriers, plus elles exprimaient de satisfaction ; leur joie touchait à la béatitude.» D'ailleurs, on ne parle pas de coups, mais de «secours» et il s'agit toujours de guérir de quelque chose. Ces scènes de souffrance deviennent rapidement des symboles. Les poses à succès sont celles qui miment la Passion. L'interprétation en découle clairement : le convulsionnaire représente l'Église persécutée par les attaques contre la Vérité.

Le sexe ne tarde pas à s'en mêler car, parmi les convulsionnaires, les femmes et les jeunes filles sont de loin majoritaires. Catherine-Laurence Maire cite le rapport d'un espion de la Cour : «Ce qu'il y a de plus scandaleux, c'est de voir des jeunes filles assez jolies et bien faites entre les bras des hommes qui en les secourant peuvent contenter certaines passions, car elles sont des deux ou trois heures, la gorge et les seins découverts, les jupes basses, les jambes en l'air qui laisse aux spectateurs tout le loisir de les examiner quelques soins que prennent d'autres femmes d'empescher de voir ce qu'une fille ou femme doit cacher. Comme il m'est arrivé à moy meme lorsque je voulus faire un pareil office à la jeune fille qui me mit les deux pieds sur les épaules et dont les cuisses restèrent découvertes.»
Évidemment, beaucoup ne voient là que supercherie, que pantomimes étudiés ; bref un spectacle sacrilège et indigne, orchestré par les jansénistes. Et tout Paris prend parti : pour ou contre ; miracles ou charlatanisme. La capitale se divise en deux camps, noyée dans les pamphlets, les libelles et les épigrammes.

Louis XV doit réagir : le 27 janvier 1732, par ordre du roi, le cimetière et le charnier sont fermés. Convulsionnaires et spectateurs transfèrent alors les ébats dans la maison où était mort François de Pâris. La réaction ne tarde pas : le 7 mars, le lieutenant de police fait interdire l'entrée de la maison à toute personne qui n'y habite pas. Le mouvement se poursuit clandestinement, dans les logements, les caves et les greniers. En 1764, l'expulsion des jésuites, adversaires résolus des jansénistes, ne change rien. Si le mouvement s'étiole au fil des ans, il ne disparaît pas. Arrive 1789. La querelle religieuse d'où tout est parti et que le XVIIIe siècle n'a pas réussi à résoudre va être balayée par les idéaux de la Révolution.
Notons enfin qu'en 1807 le cimetière et le charnier de Saint-Médard seront désaffectés. Toutes les tombes seront relevées et les ossements jetés dans une tranchée. L'endroit deviendra d'abord une cour sablée garnie d'un gymnase. À la fin du XIXe siècle, on y construira une salle de catéchisme.