Cet événement
violent de 1561 revêt une grande importance. En
attisant la haine, en provoquant des meurtres, il fait
partie des «petits» déclencheurs
des guerres de Religion qui ont gangréné
la France au XVIe siècle. On en donne ici le
déroulement selon deux sources : le Bulletin
de la Montagne Sainte-Geneviève paru en
1904 et la relation - assez partisane - rédigée
par un huguenot dénommé Condé,
présent lors de l'événement. Condé
appelle les catholiques, les «mutins». Parmi
eux se trouvent les desservants de l'église (curé,
prêtres, moines, etc.), tous très remontés
contre les protestants.
Le contexte. Nous sommes en décembre 1561.
François II, fils aîné de Henri
II ( 1559) et de Catherine de Médicis,
est mort d'une mastoïdite à l'âge
de seize ans, l'année précédente.
Son frère cadet, Charles IX, lui a succédé
au mois de décembre. Il a dix ans et règne
sous la férule de sa mère. Neuf mois après
sa montée sur le trône, le colloque de
Poissy (septembre-octobre 1561), qui voulait étudier
les possibilités d'un rapprochement théologique
entre les catholiques et les protestants, s'est clos
sur un échec. Néanmoins, Catherine de
Médicis et son principal conseiller, le chancelier Michel
de L'Hospital, tiennent à la paix et à
la réconciliation. Édits de pacification
et amnisties se succèdent dans un climat général
qui reste cependant à la confrontation larvée.
En vertu du dernier édit, les protestants ont
le droit de se réunir dans quelques faubourgs
de Paris : à Popincourt ; près de la porte du
Temple ; au faubourg Saint-Jacques ; enfin, au faubourg
Saint-Marceau dans un hôtel appelé le Patriarche.
Le faubourg Saint-Marceau est inclus dans le périmètre
de la paroisse Saint-Médard.
Et le Patriarche se trouve... à une ruelle de
distance de l'église. Ce détail va mettre
le feu aux poudres.
Le tumulte commence par un événement
relaté par Condé. Le Bulletin de
1904 ne le rapporte qu'à titre d'hypothèse
et en soulignant bien qu'il vient d'un calviniste, en
l'occurrence Condé. Tout bien considéré,
cette hypothèse semble bien réelle et
conduit à penser que le tumulte est le
résultat d'une provocation délibérée
des catholiques.
Les faits. Trois ou quatre jours avant le tumulte,
écrit Condé, les calvinistes tiennent
leur office religieux au Patriarche, un office qui inclut
prières, psaumes chantés et «exhortation»,
c'est-à-dire explication par un prédicateur
d'un texte de la Bible. Pour troubler la réunion
(toujours selon Condé), les prêtres de
Saint-Médard
font sonner leurs cloches à toutes volées.
Les protestants vont alors trouver les clercs de l'église
et la discussion s'engage. Finalement, étant
les moins nombreux, les prêtres sont contraints
de faire cesser leur vacarme. Pour Condé, ces
derniers refusent toute solution amiable et ne cèdent
que devant la menace de la force.
Le clergé de la paroisse voit dans ce recul une
humiliation, un «crève-cur».
Et il décide de se venger.
La décision est arrêtée : à
la prochaine assemblée huguenote, les clercs
referont leur tintamarre, mais, cette fois, en étant
les plus forts ! À cette fin, ils anticipent
et accumulent les «munitions» : pierres
; arbalètes ; épées ; «rondelles
et long-bois». De plus, ils demandent aux gens
les plus séditieux de la paroisse de leur prêter
main-forte..
Ce n'est pas pas encore suffisant. Le clergé
de Saint-Médard
veut un appui «officiel». Les présidents
«messieurs le Premier et Saint-André»
et le procureur général Bourdin donnent
leur garantie. Ils font même passer la consigne
: «Ruez, frappez, tuez, n'espargnez personne ;
nous avons bons garans, et des plus grans de la ville.»
Rappelons qu'il s'agit pour tous ces gens d'empêcher
la tenue d'un culte autorisé par un édit
royal, donc de s'opposer au roi... Quoi qu'il en soit,
l'information se répand et les huguenots du quartier
finissent par comprendre qu'ils feraient bien de ne
pas se réunir au Patriarche le samedi suivant.
Pourtant ils ne cédent pas. Peut-être savent-ils
que les chefs du guet regardent les réformés
d'un très bon il, une sympathie qui va
d'ailleurs se révéler décisive...
À Saint-Médard
, prévoyant du grabuge, les prêtres ont
mis en lieu sûr la plupart des objets du culte
(reliques, ciboires, calices, chasubles, etc.), une
précaution qui convainc le huguenot Condé
que l'affaire était un coup monté par
les catholiques. Le Bulletin confirme d'ailleurs
cette étrange mise à l'abri : les commissaires
enquêteurs retrouveront tous ces objets dans les maisons
voisines quelques jours après le tumulte.
Condé relate encore un point intéressant
: les édits autorisaient les huguenots à
tenir leurs assemblées dans des endroits précis,
mais uniquement les jours ouvrables. Évidemment,
la plupart des fidèles étant au travail,
les salles n'étaient guère remplies. Aussi
les réformés présentèrent-ils
une requête pour avoir le droit de prêcher
les dimanches et les jours de fête. À Paris,
écrit Condé, ce droit, d'abord refusé
à cause de la menace de troubles, fut accordé
peu avant Noël 1561.
Poursuivons le récit de Condé. Les prêtres
de l'église sont décidés à
en découdre, mais ils savent - ce que le narrateur
ne rappelle pas vraiment - qu'ils agissent contre les
ordres du roi. Ils ont donc besoin d'un maximum de soutiens.
C'est pourquoi on sonnera le tocsin pour rameuter les
secours des paroisses de Notre-Dame-des-Champs, de Saint-Victor
et de Sainte-Geneviève. Condé n'explique
pas comment on peut entendre le tocsin dans un vacarme
de cloches... Il nous faut donc imaginer le tableau
: le vacarme fait affluer les protestants ; puis il
s'arrête pour laisser sonner le tocsin qui, à
son tour, fait affluer les gros bras catholiques ; et
il reprend... À moins qu'il soit vraiment possible,
en 1561, de percevoir le tocsin dans un vacarme de cloches...
Ici s'arrête le «préambule» de Condé.
Arrive le samedi 27 décembre. Dans la salle du
Patriarche, les fidèles se rassemblent en nombre
car le jour est chômé. Condé, qui
est présent dans la salle, parle d'une foule
de douze à treize mille personnes, ce qui n'est
guère crédible. Le Bulletin parle
de deux mille personnes, chiffre toujours élevé,
mais plausible vu le jour chômé et la rareté
des salles de prières ouvertes aux huguenots.
L'office se déroule : prières, psaumes
chantés, puis «exhortation» du prédicateur.
Celui-ci ne parle pas depuis un quart d'heure, écrit
Condé, que les cloches de Saint-Médard,
signalant la fin des vêpres, déclenchent
le tintamarre et couvrent sa voix. Il est aux alentours
de trois heures de l'après-midi.
Deux huguenots, accompagnés d'autres fidèles,
s'en vont trouver les prêtres pour leur demander
«humblement» [Condé] de cesser ce
bruit afin que «si bonne compagnie ne fust empeschée
d'ouir la parole de Dieu» [Condé]. La réponse
est : non ! Les cris fusent ; on sonnera quand
même ! Il faut dire que l'église est
pleine : en plus du jour chômé, les
fidèles sont réunis pour l'office de la
Confrérie de dévotion à saint Jean l'Évangéliste.
Les «mutins» [les catholiques] ne tardent
pas à fermer toutes les portes, prenant au piège
l'un des deux parlementaires qui est aussitôt
massacré à coups d'épée
et de gourdin.
Selon Condé, on jette des pierres et on tire
à l'arbalète ; le tocsin retentit [le
vacarme a donc cessé?]. Aussitôt les «mutins»
accourent des paroisses voisines. Mais, en apercevant
une petite troupe d'hommes à cheval qui s'approche de
l'église, ils préfèrent s'enfuir.
Il n'y aura donc pas de secours extérieur.
Au Patriarche, dans la foule, se trouve un dénommé
Rouge-Oreille, prévôt des maréchaux
et commis du gouverneur. Assisté de quelques
archers, il est là pour veiller à la quiétude
du culte, mais il va se montrer favorable aux réformés.
Il envoie l'un de ses hommes pour demander au curé,
de par le roi, de respecter l'édit et faire cesser
le vacarme. L'émissaire est accueilli par une
grêle de pierres. Condé relate que Rouge-Oreille
se déplace ensuite lui-même et qu'il reçoit
le même accueil. En fin de compte, les huguenots, qui
étaient prêts à jouer l'apaisement
[Condé], prennent le mors aux dents. «Mêlés
à une foule de gens sans aveu dont le quartier regorgeait»
[Bulletin], ils se dirigent vers l'église
et en défoncent la porte. La découverte
du cadavre de leur parlementaire, écrit Condé,
excite leur esprit de vengeance. S'ensuit une rixe générale
dans la nef et les chapelles à coups de gourdins et
d'épée (en 1651, le chœur
n'a pas encore été construit). Le Bulletin
de 1904 écrit que les protestants «saccagèrent
les autels, brisèrent les verrières, forçèrent
[sic] les tabernacles et firent main basse sur tout
ce qu'ils rencontrèrent.» Un boulanger
qui essayait de sauver un ciboire et les hosties consacrées
qu'il contenait est tué au pied du maître-autel.
De son côté, Condé est beaucoup
plus mesuré dans les exactions commises par les
réformés. Il insiste au contraire sur
la furie des prêtres qui montent sur les autels, brisent
les images pieuses et les jettent sur les assaillants.
Le narrateur, qui n'est pas huguenot pour rien, se demande
d'ailleurs ce qui est le plus scandaleux : briser une
image pieuse ou l'adorer comme le font les catholiques...
Pour le Bulletin, les catholiques, à force d'énergie,
auraient eu l'avantage sans l'arrivée d'un renfort
huguenot inattendu : les hommes du guet montés
sur leur chevaux et commandés par un dénommé
Gabaston, favorable aux réformés. (C'est
vraisemblablement la troupe qui a mis en fuite les renforts
des paroisses voisines dont parle Condé). Au
lieu de mettre un terme à ce carnage sanglant
comme c'était leur devoir, les gens du guet rentrent
dans l'église à cheval, l'épée
à la main, et assaillent les catholiques.
Condé ne rapporte rien de ces faits graves. Il
écrit, dans un style concis, que les huguenots,
plus nombreux, repoussent leurs adversaires et que le
guet, arrivé après la bataille, met en
état d'arrestation tous les gens qu'il peut.
Revenons au Bulletin. Avec les hommes du guet
contre eux, les catholiques sont débordés.
Certains s'enfuient, d'autres se réfugient dans
le clocher où sont stockés des projectiles.
De là, ils arrosent les huguenots de pierres,
tandis que d'autres continuent de sonner les cloches.
Depuis les combles, les jets se multiplient en direction
de la nef. Enfin, sous la menace de mettre le feu au
clocher, les derniers résistants catholiques
se rendent.
La rixe a duré une bonne demi-heure. Il y a environ
cinquante tués ou blessés. Entre-temps,
d'autres cavaliers et d'hommes à pied sont arrivés.
La sonnerie des cloches a fait descendre les gens dans
les rues. La foule est donc nombreuse à voir
passer les prisonniers. Catholiques et protestants sont
conduits au petit Châtelet, liés deux à
deux, tous tenus par une longue corde. Ils sont encadrés,
d'un côté, par une colonne du guet, de
l'autre, par la foule. En tête du cortège,
Gabaston et la moitié des chevaux ; en queue,
le prévôt Rouge-Oreille avec le reste des
montures.
Le tumulte, qui se solde par une victoire des
réformés, connaît un rebondissement
le lendemain dimanche 28 décembre 1561. Le matin,
les huguenots, armés pour répondre à
toute provocation, suivent l'office au Patriarche, puis
rentrent chez eux. Mais, du côté des catholiques,
quelques prêtres, encore excités par les
troubles de la veille et qui ont fui avant l'arrestation,
rameutent les séditieux du faubourg [Condé],
investissent le Patriarche, détruisent tout et
y mettent le feu. Tout cela, écrit le Bulletin,
«sous l'œil bienveillant des autorités».
Alertés, quelques gentilshommes arrivent à
cheval et mettent les catholiques en fuite. Arrivent
aussi le «procureur du roy en Chastelet»
et quelques sergents à qui l'on remet six ou
sept prisonniers. On réussira néanmoins
à éteindre le feu qui, selon le Bulletin,
était loin d'avoir tout consumé.
Les représailles appelant les représailles,
les protestants, quand ils apprennent l'incendie de
leur salle, reviennent à Saint-Médard
pour y détruire ce qui reste à détruire.
Un fait dont Condé ne dit mot.
Conclusion. Qui est responsable du tumulte ?
Y a-t-il eu préméditation et provocation
de la part des catholiques ? Bien sûr, chaque parti
se renvoie la balle. Néanmoins, deux faits troublants
sont à prendre en compte : 1) les instruments du culte
ont été soigneusement mis à l'abri avant
le 28 décembre ; 2) les pierres et les traits
d'arbalète ont été accumulés
dans le clocher et ses combles. Les deux faits sont
prouvés. Le premier anticipe une rixe sérieuse
et veut éviter la casse ; le second prépare
la bataille.
Le Bulletin, qui est plutôt pro-catholique,
rapporte que «les huguenots s'attaquaient de préférence
aux monuments religieux. Ce que l'art a perdu à leurs
barbares dévastations est incalculable.»
Rappelons ici qu'au XVIe siècle l'«art»
importe peu. Les fidèles ne s'intéressent
pas à la beauté des uvres. Seuls
les symboles comptent. Sur le fond, le commentaire du
Bulletin se rapporte en fait aux événements
tragiques des années qui vont suivre car, en
décembre 1561, rien de vraiment grave ne s'est
encore produit.
Les rédacteurs de ce même Bulletin
se demandent si ce tas de pierres n'était pas
une précaution contre la menace de destruction
de leur église. Pour se justifier, ils rappellent
en note qu'en 1560 les protestants avaient détruit
une statue du Christ au fronton de la porte principale
de l'hôpital de Lourcine, situé dans la
paroisse Saint-Médard.
Un scandale s'en était suivi, aboutissant à
une procession réparatrice. Après ce bris,
toujours selon la note, le clergé de Saint-Médard
avait de quoi se montrer méfiant. L'argument
n'est guère convaincant. On ne voit pas en quoi
le bris d'une statue à l'extérieur d'un bâtiment
non consacré annoncerait la destruction des églises
dans les mois suivants. En tout état de cause,
c'est insuffisant pour écarter la thèse
de la préméditation : les pierres ont
été accumulées en prévision
de la réaction huguenote au vacarme des cloches
dûment orchestré..
Les suites du tumulte seront tragiques. Passé
le temps de l'émotion, les curés de Paris
se mirent à craindre pour leur église. «Le
desservant de la paroisse Saint-Paul demanda de l'artillerie,
écrit le Bulletin, et l'archiprêtre de
Notre-Dame implora main-forte pour la défense
de sa cathédrale.» La victoire des réformés
fit monter la haine à un niveau encore jamais vu. De
Saint-Germain-en-Laye où ils se trouvaient, Charles
IX, la reine-mère, le roi de Navarre et sa femme
revinrent en hâte à Paris. Catherine de Médicis
ordonna une enquête et exigea qu'on punît les
coupables.
Selon les principes de l'époque, c'est la prévôté
qui devait gérer ce genre de rixe. Condé
écrit que les catholiques portèrent l'affaire
devant le Parlement «afin de leur estre faict
droict sur les meurdres, emprisonnement, vols de chapes,
calices et ornemens de l'église.» Pour
le Bulletin, c'est le Conseil du Roi, dans un
véritable déni de justice, qui écarta
la prévôté. Le Parlement nomma deux
commissaires, l'un catholique, l'autre protestant...
qui montrèrent autant de parti-pris l'un que
l'autre pour leur religion respective. Les coups se
neutralisaient ; les mois passaient sans aucun résultat.
Michel de l'Hospital espérait que le temps effacerait
tout. Mais pas les Guise qui voulaient venger l'honneur
de l'Église.
Le Parlement écarta la responsabilité
des catholiques qui furent tous relâchés.
Des témoins, protestants, furent jetés
en prison ; de nombreux autres, toujours protestants,
durent payer des amendes considérables (d'ailleurs
mises à profit pour agrandir le chœur
qui en était toujours à l'état
de plan).
Deux hommes furent condamnés à mort : un certain
Pierre Créon qui, selon des témoins, avait
tué le boulanger au pied du maître-autel,
et le dénommé Gabaston reconnu coupable
de n'avoir pu empêcher le sac de Saint-Médard.
Le premier fut pendu aux Halles en mai 1562. Le second,
chevalier du guet, fut décapité en place
de Grève au mois d'août suivant. Ce même
mois, quatre huguenots, dont un père et son fils,
furent pendus devant l'église.
Les calvinistes, excédés par ces sentences,
réagirent très mal. Certains essayèrent
de provoquer un soulèvement, mais y renoncèrent
: à Paris, les catholiques étaient beaucoup plus
nombreux qu'eux.
À la suite de ces événements, le
Patriarche fut fermé. L'église le fut
aussi à cause de la profanation. On la rouvrit
le 17 mars 1562 pour être purifiée. Le 12 juin
suivant, une somptueuse procession, qui comprenait la
fine fleur du clergé français, partit
de la cathédrale Notre-Dame
vers Saint-Médard
où fut célébrée une messe expiatoire.
Malheureusement pour les défenseurs de la paix,
la haine se déchaîna. La messe expiatoire
du 12 juin fut suivie d'une soixantaine d'assassinats
de huguenots, égorgés ou noyés.
Les appels au meurtre des calvinistes du haut des chaires
se multipliaient. Plus tôt dans l'année,
le 1er mars, le massacre de Wassy avait déclenché
la première des huit guerres de Religion. En
avril 1562, un ordre du roi commanda de brûler tous
les prêches des protestants dans les faubourgs de la
capitale. La violence ne faisait que commencer.
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