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Pour les chartreux, l'église Saint-Bruno
; pour les jésuites, l'église Saint-Paul ; pour les dominicains,
l'église Notre-Dame
: ainsi se présente au XVIIe siècle le trio des édifices religieux
bordelais rattachés à des ordres majeurs. Les églises étant érigées
à différentes époques, l'historien peut y suivre l'évolution de
l'architecture sacrée.
Les chartreux arrivent à Bordeaux
en 1383 et fondent un ermitage isolé. Rattrapés par l'extension
de la ville, ils déménagent au début du XVIIe siècle dans un endroit
plus calme, l'actuel quartier Meriadeck. Grâce à un don du cardinal
de Sourdis (1574-1628), grand artisan de la Contre-Réforme, ils
s'installent sur un vaste terrain marécageux qu'ils font assécher.
En juillet 1611, la première pierre de leur église est posée par
ce même cardinal en présence d'Henri II de Bourbon, prince
de Condé et gouverneur de la province d'Aquitaine. Peu à peu, le
monastère sort de terre. En 1619, la façade
est achevée. En mars 1620, l'église est consacrée sous le vocable
de Notre-Dame de la Miséricorde. L'année suivante, les premiers
pères chartreux viennent habiter les bâtiments conventuels,
quoiqu'encore inachevés.
En 1628, la mort du cardinal de Sourdis interrompt les travaux intérieurs
de l'église. Ils reprennent en 1668 ; le superbe décor baroque du
chœur est achevé
en 1672. La Révolution n'épargne pas les chartreux : le monastère
est partiellement détruit ; les biens des religieux sont confisqués
; les terres du monastère deviennent cimetière municipal.
Avec le Concordat, l'église n'est plus qu'une chapelle de secours
dépendant de Saint-André.
En 1820, cette chapelle devient paroisse sous le vocable de Saint-Vincent
et Saint-Bruno. À la fin du XIXe siècle, d'importants travaux aménagent
le quartier et donnent à l'environnement de l'église son aspect
actuel : ouverture d'une nouvelle rue ; restauration de l'église
; construction d'un nouveau presbytère ; élévation d'un nouveau
clocher ; aménagement du cimetière, etc.
Saint-Bruno est le seul édifice cultuel bordelais de style baroque
qui ait subi l'influence de l'architecture romaine des XVIe et XVIIe
siècles. Avec ses 38 mètres de long, l'église ne présente pas un
attrait extérieur remarquable. C'est la la décoration intérieure
qui importe et quelques-uns de ses éléments méritent une visite
: le magnifique chœur
baroque avec un Ange
de l'Annonciation sculpté par le Cavalier Bernin ; ses
stalles du XVIIe
siècle et la vaste peinture
en trompe-l'œil de Juan Antonio Berinzago datée de 1771-1772.
L'église a été classée au titre des Monuments historiques en 1862.
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La nef et le chœur de l'église Saint-Bruno vus depuis l'entrée.
Les peintures en trompe-l'œil recouvrent toute la voûte en berceau
et l'intérieur de
la façade occidentale. |
ASPECT EXÉRIEUR DE L'ÉGLISE SAINT-BRUNO |
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L'église Saint-Bruno et sa suite de contreforts sur le côté nord.
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Statue de la Vierge à l'Enfant dans sa niche.
La tête et les épaules de l'Enfant ont disparu. |

La façade de l'église Saint-Bruno et ses trois niveaux d'essence baroque. |
La
façade de l'église Saint-Bruno.
La façade a été bâtie en 1617 par les maîtres-maçons
Jean Dapril, Pierre Vilain et Marc Doucet. Ceux-ci apportèrent
en outre quelques remaniements au bâtiment construit
à partir de 1611 sous la direction d'Étienne Arnaud.
Dans l'ouvrage Bordeaux à l'âge classique, (éd.
Mollat, 1997), l'historien Christian Taillard mentionne,
à propos du style de cette façade, que les trois maîtres-maçons
«se sont souvenus des façades imaginées
à la fin du XVIe siècle par Della Porta et Fontana pour
les église romaines».
Derrière un dépouillement fidèle au refus du faste manifesté
par les Chartreux, la façade de Saint-Bruno illustre
très bien les grandes lignes des façades baroques. Ses
trois niveaux, de hauteur inégale, sont coiffés d'un
fronton terminé par un arc segmentaire.
De manière assez incompréhensible, dans sa présentation
de l'église rédigée en 1966 pour le Dictionnaire
des églises de France (éditions Laffont), Pierre
Dubourg-Noves, professeur et vice-président de la Société
Archéologique et Historique de la Charente, qualifie
le décor de la façade d'«assez chargé» !
Peut-être se met-il à la place d'un frère chartreux
épris de simplicité...
Le premier niveau est orné de six pilastres corinthiens.
Un large entablement le surmonte. Celui-ci reprend l'usage
romain de la frise
portant inscription : on y trouve le nom du commanditaire
(le cardinal François de Sourdis), la dédicace et la
date de l'achèvement de la façade (1619). Deux
trophées remplissent le nu de ce premier niveau.
Le deuxième niveau, qui comprend lui aussi six pilastres
alignés dans le prolongement de ceux du dessous, reçoit
une grande niche à coquillage et une statue
de la Vierge à l'Enfant. Son auteur est inconnu.
On notera que la niche déborde sur le niveau supérieur,
concrétisant ainsi la jonction, visuellement heureuse,
entre les deux derniers niveaux.
Enfin, au centre du troisième niveau, trônent dans un
cartouche les armes du cardinal François de Sourdis.
Ce dernier n'y est pas allé de mainmorte : l'ensemble
du cartouche est plus imposant que la statue de la Vierge
!
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Armoiries du cardinal de Sourdis au premier niveau de la façade. |
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Premier niveau de la façade : la frise de l'entablement rappelle le
nom du commanditaire, la dédicace et la date de l'achèvement de la
façade (1619). |
LA NEF DE L'ÉGLISE
SAINT-BRUNO |
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Le côté sud de la nef avec ses fresques en trompe-l'œil et sa série
de tableaux illustrant la vie de saint Bruno. |
La nef
de l'église Saint-Bruno.
Cette nef retient l'attention : la partie inférieure est entièrement
boisée et sombre ; la partie supérieure est couverte de fresques
et claire.
Dès l'origine, ce décor a été admiré. Il fait oublier au visiteur
que, contrairement à l'habitude, les chapelles latérales n'ont
pas d'ouvertures sur le vaisseau central. Elles ne sont accessibles
que par quelques rares portes qui restent fermées.
Les fresques ont été exécutées en 1771-1772 par le peintre
d'origine italienne Juan Antonio Berinzago. Elles représentent
un vaste décor architectural totalement imaginaire avec portiques,
pilastres, colonnes cylindriques, garde-corps, vases, guirlandes,
etc. Très éloigné de l'art de son temps, l'artiste «a
su donner à la nef plus d'ampleur et de luminosité»,
écrit Christian Taillard dans Bordeaux à l'âge classique
(éd. Mollat, 1997). Ces peintures ont fait l'objet de plusieurs
restaurations : en 1836 par le peintre décorateur Beauregard
; en 1896, par les artistes Lemeire et Lavigne ; en 2000,
par des spécialistes italiens.
Dans les boiseries, une série de tableaux (copies d'après
Eustache Lesueur) illustre des épisodes de la vie de saint
Bruno, fondateur de l'ordre des Chartreux. S'y ajoute un très
beau tableau, des années 1625-1630, du peintre Guy François
: Saint Bruno en extase, donné plus
bas.
Les stalles
constituent une autre beauté de la nef à ne pas manquer. Datées
de 1780 et, à l'origine, au nombre de cinquante, l'église
en a gardé quatorze à proximité du chœur
et huit autres dans l'avant-nef, de part et d'autre de la
porte. Le reliquat est maintenant à la cathédrale
Saint-André. Elles remplacent celles de 1619 créées par
le maître Élie Étier. Qui les a réalisées ? Les historiens
avancent les noms de Jean Thibaud et de Claude Gaullier, mais
sans certitude.
Chaque panneau des stalles est orné d'un beau cartouche présentant
le chef d'un saint ou d'une sainte. Les attributs qui les
accompagnent permettent de les identifier, avec difficultés
toutefois. Les panneaux sont séparés par des pilastres d'ordre
composite.
Enfin, il faut regarder dans l'avant-chœur les deux belles
portes et
leur couronnement baroque. Sur les portes nord et sud, deux
anges tiennent un blason portant armoiries.
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Le «Saint Bruno en extase» dans son environnement boisé. |
TROIS TABLEAUX (copies d'après Eustache
Lesueur) ILLUSTRANT LA VIE DE SAINT BRUNO, FONDATEUR DE L'ORDRE
DES CHARTREUX
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Saint Bruno donne l'habit monastique
à ses premiers compagnons.
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Saint Bruno sous la conduite de saint Hugues
se rend au monastère de la Grande Chartreuse. |

Saint Bruno reçoit l'habit monastique. |
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L'Évangéliste Marc et son lion
sur le panneau frontal
de la cuve de la chaire à prêcher. |
«««---
La chaire à prêcher
entourée de boiseries baroques (1862). |
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«Saint Bruno en extase»
par Guy François.
Vers 1625-1630. |

«Saint Jérôme»
Peinture attribuée à Jean François, frère de Guy François.
Vers 1625-1630. |

Le côté nord de l'église Saint-Bruno et la chaire à prêcher.
Sept stalles, datées de 1780, sont visibles près du chœur. |

Dans la voûte de la nef, la fresque en trompe-l'œil affiche, en son
centre, une très belle coupole. |

«Saint Bruno en extase», détail.
Guy François, vers 1625-1630. |

Côté sud : le décor en trompe-l'œil de Juan Antonio Berinzago
peint dans les années 1771-1772. |

Les sept stalles du côté nord (vers 1780).
Les panneaux, séparés par des pilastres d'ordre composite, sont chacun
riches d'un bas-relief avec la tête d'un saint ou d'une sainte.
On a ici de gauche à droite : saint André, saint Blaise, saint Hugues
de Lincoln, saint Paul ermite, Denys le chartreux, sainte Appoline
et sainte Thérèse d'Avila.
L'entablement qui surmonte ces panneaux est également digne d'intérêt. |

Sainte Apolline et sainte Thérèse d'Avila dans les stalles nord. |

La porte sud dans l'avant-chœur est surmontée des armoiries
du cardinal Ferdinand Donnet. |

Saint André et saint Blaise dans les stalles nord. |
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Le couronnement de la porte sud : deux anges tiennent un blason
portant armoiries.
Les anges et le blason datent de l'année 1885.
Le blason contient les armoiries du cardinal-archevêque de Bordeaux
Ferdinand Donnet (1795-1882). Elles sont surmontées de sa devise
:
Ad finem fortiter omnia suaviter
(Vers le but courageusement, en toutes choses doucement). |

Le couronnement de la porte nord : deux anges tiennent un blason
portant
les armoiries du cardinal François de Sourdis.
La date de 1672, visible dans les deux frontons, est celle de
l'achèvement des travaux du chœur. |
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Le chœur de l'église Saint-Bruno rappelle les plus beaux ensembles
religieux de la Rome du XVIIe siècle. |
Le
chœur de l'église Saint-Bruno (1/2).
Le chœur, chef d'œuvre de l'église Saint-Bruno, a été
exécuté de 1668 à 1672. Le millésime 1672 est
d'ailleurs visible dans les frontons des deux portes
de l'avant-chœur. (Ces portes étaient vraisemblablement
incluses dans les travaux du chœur.)
La beauté de ce chœur est un défi au refus du faste
professé par l'ordre des Chartreux. Dans Bordeaux
à l'âge classique (éd. Mollat, 1997), Christian
Taillard explique que l'ordre cartusien «n'a cependant
pu échapper en ce XVIIe siècle à l'influence décisive
de la pensée du saint évêque réformateur Charles
Borromée qui estimait que rien n'était trop beau pour
les pauvres et la maison de Dieu.» Et l'historien
ajoute : «Cette manière de voir explique la somptuosité
inaccoutumée de la décoration du chœur de cette chapelle
dont la structure architecturale est par ailleurs si
dépouillée.»
Début des travaux en 1668. Avec un bâti achevé
en 1619, il aura donc fallu attendre cinquante ans pour
entreprendre la réalisation de ce chef d'œuvre. Sa beauté
répond à l'un des objectifs de la Contre-Réforme : prendre
ouvertement le contre-pied des calvinistes qui s'opposaient
à toute ornementation dans leurs temples.
Les chartreux attribuèrent le marché aux deux maîtres
architectes bordelais Julien Foucré et Nicolas Mérisson.
Pour 6500 livres et douze tonneaux de vin, ces derniers
s'engagèrent à réaliser le chœur en deux ans à compter
de mars 1669, selon un plan et un dessin dûment
élaborés. Les chartreux, quant à eux, devaient fournir
tous les matériaux nécessaires. Au final, le cahier
des charges fut respecté et le «révérend père
dom prieur», satisfait. Un décor sculpté, dû
à Jean Girouard, vint compléter l'ensemble pour la somme
de 1089 livres et 10 sols.
Le chœur est une féérie de contrastes entre le blanc
ambré de la pierre de Taillebourg et les marbres polychromes.
En son centre : une belle Assomption du peintre
Philippe de Champaigne (1602-1674). De part et d'autre,
une Annonciation rassemble deux statues de marbre
blanc, sculptées à Rome entre 1620 et 1622 à la demande
du cardinal de Sourdis, présent dans la Ville éternelle
à cette époque. La Vierge est due au ciseau de Pietro
Bernini ; l'ange, à son fils Gian Lorenzo, dit le
Cavalier Bernin. Christian Taillard écrit : «La
Vierge doit être attribuée à Pietro dont on retrouve
ici le style encore très marqué par le maniérisme, avec
le drapé fin, anguleux, que l'on peut noter dans les
rares œuvres de cet artiste. L'Ange qui s'agenouille
est d'une tout autre facture ; souplesse du mouvement
et traitement de la draperie prouvent un talent supérieur
que confirme l'expression grave et suave à la fois du
visage.»
Dans les ailes en retour, alternant avec des tableaux,
quatre statues en ronde-bosse se dressent dans des niches
: saint
Charles Borromée et saint
Jean-Baptiste à gauche ; saint
Joseph et saint
Bruno à droite. Saint Charles et saint Bruno, datés
du début du XVIIe siècle, sont l'œuvre d'Otaviano Lazeri,
artiste d'origine florentine. Les deux autres ont été
créées en stuc par Jean Girouard vers 1675.
---»» Suite 2/2
plus bas.
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Niveau supérieur du retable du chœur. |
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«L'Assomption»
Philippe de Champaigne, 1673. |

Saint Charles Borromée
par Otaviano Lazeri
Début du XVIIe siècle. |

Saint Bruno
par Otaviano Lazeri
Début du XVIIe siècle. |
Le
chœur de l'église Saint-Bruno (2/2).
---»» Avec une Assomption et une
Annonciation, le programme iconographique du
chœur fait la part belle à la Vierge, «reconnue
[à cette époque] comme l'intercesseur privilégié pour
le salut des hommes», écrit Christian Taillard.
Si on y associe la statue du Baptiste, c'est clairement
la bonne nouvelle du salut que glorifie l'ensemble du
retable.
C'est vraisemblablement là le choix du cardinal de Sourdis
qui se voulait un disciple de Charles Borromée, lui-même
apôtre de la Contre-Réforme. De plus, le fait que la
statue de saint Charles, modèle des prélats, soit en
face de celle de saint Bruno, modèle des religieux,
est prompt à confirmer l'empreinte du cardinal.
Sources : 1) Bordeaux
à l'âge classique de Christian Taillard, éditions
Mollat, 1997 ; 2) Bordeaux, l'église Saint-Bruno,
brochure de l'Office de Tourisme.
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«L'Assomption» de Philippe de Champaigne, 1673.
Détail : les chérubins. |

L'archange Gabriel
Gian Lorenzo Bernini, dit le Cavalier Bernin
Entre 1620 et 1622. |

La Vierge
Pietro Bernini
Entre 1620 et 1622. |
L'ANNONCIATION DES BERNINI, PÈRE ET FILS
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Le buste d'un ange sous l'archange Gabriel.
Jean Girouard, vers 1675. |

Le Père céleste dans le retable du chœur.
Jean Girouard, vers 1675. |

L'aile sud du chœur fait resplendir toute la beauté de l'art baroque.
Statues du XVIIe siècle de gauche à droite : la Vierge de Pietro
Bernini, saint Joseph de Jean Girouard et saint Bruno
d'Otaviano Lazeri. |

Saint Jean-Baptiste
Statue en stuc par Jean Girouard, vers 1675. |

La Colombe de l'Esprit Saint accompagnée d'angelots.
Tableau supérieur du retable. |
La
statue de saint Jean-Baptiste en stuc.
Cette statue, donnée ci-contre à gauche, montre une
position des bras assez déroutante. On dirait qu'il
manque un élément à l'ensemble.
Dans Bordeaux à l'âge classique (éd. Mollat,
1997), Christian Taillard donne l'explication : la légère
torsion du corps du Baptiste et la position du bras
replié, qui en fait tient une croix, sont celles du
Christ de Michel Ange à Sainte-Marie-de-la-Minerve à
Rome, une célèbre statue dont Jean Girouard s'est inspiré.
En revanche, Christian Taillard qualifie le saint Joseph
(donné à droite), «d'assez médiocre et lourd».
Il ajoute : «Sa pose affectée et la draperie compliquée
de sa tunique en font l'œuvre la moins réussie de l'ensemble.»
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Saint Joseph.
Statue en stuc par Jean Girouard, vers 1675. |

La façade occidentale et ses huit stalles. |

La fresque en trompe l'œil de la façade occidentale, réalisée en 1771-1772,
est due à Juan Antonio Berinzago. |
Documentation : «Bordeaux, l'église Saint-Bruno»,
brochure de l'Office de Tourisme
+ «Bordeaux à l'âge classique» de Christian Taillard,
éditions Mollat, 1997
+ «Dictionnaire des églises de France», édition Robert
Laffont, 1966
+ dépliant sur l'église Saint-Bruno disponible dans la nef. |
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