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A la fin du XIXe siècle il y
avait à Suresnes (92) une vieille église, Saint-Leufroy.
Son état fortement délabré conduisit à
sa destruction en 1906. Une nouvelle église s'éleva
bientôt dans le quartier de la mairie. La paroisse fut consacrée
au Cur Immaculé de Marie le 31 mai 1907 ; la première
pierre de l'édifice fut posée le 1er décembre
de la même année.
L'église du Cur-Immaculé-de-Marie est l'exemple
de bâtiment cultuel de style néo-roman qu'on élevait
au début du XXe siècle dans les petites villes proches
de Paris.
Mise à part une très belle statue de la Vierge
à l'Enfant du sculpteur Jean-Pierre Cortot, l'ornementation
intérieure est riche de vingt verrières historiées
montrant des scènes de la Vie de la Vierge et des scènes
de la vie paroissiale à Suresnes au cours des siècles.
Elles sont l'uvre du cartonnier Henry Brémond
et du peintre verrier Henri Carot. Il y est notamment question
de saint Leufroy (IXe siècle), et d'une sainte locale, Marguerite
Nezot (ou Naseau) (1594-1633), paysanne de Suresnes qui se dévoua
aux malades et aux miséreux et qui mourut de la peste en
1633.
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La nef de l'église est l'exemple même de la sobriété.
Le style néo-roman transparaît dans les arcades en plein
cintre et les petites fenêtres. |
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La façade de l'église du Cur-Immaculé-de-Marie
est faite en briques rouge-ocre
comme les bâtiments alentour construits à
l'époque. |
Les
vitraux de l'église (1/2).
Ils ont été créés
par Henri Carot dans les années
1908 et 1909. Les cartons sont d'Henry Brémond.
Conformément à la dédicace
de l'église, ils sont consacrés
au cycle marial et l'on y trouve les thèmes
habituels de la Vie de la Vierge.
On remarque toutefois que la Naissance de Marie
ne s'y trouve pas, mais le cartonnier a rajouté
la Communion
de la Sainte Vierge, une scène
rarement représentée où Marie
reçoit l'Eucharistie de la main d'un ange
auréolé. Pour totaliser le nombre
de vingt vitraux correspondant aux vingt fenêtres,
la scène mythique de saint Antoine de
Padoue parlant aux poissons a été
rajoutée. --»» Suite 2/2
ci-dessous.
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«««---
«Présentation de Marie au Temple»
et «Leufroy dans la solitude»
Atelier Henri Carot, 1909. |
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Les
vitraux de l'église (2/2).
---»» Les verrières de l'église
sont constituées de deux parties. Le registre
supérieur, traité en tableau, est
consacré à la Vierge. Le soubassement
reçoit «un quadrilobe sur fond de
résille [qui] encadre une composition historiciste
liée à la vie paroissiale des siècles
passés», écrit Martine
Callias Bey dans Un patrimoine de Lumière,
1820-2000, paru aux éditions du Patrimoine
en 2003. L'historienne du vitrail précise
aussi que cette juxtaposition est un cas isolé
en Île-de-France.
Dans cette série de verrières, le
rôle du cartonnier doit être précisé.
Ce dernier est un peintre qui crée un modèle
appelé carton, souvent à
la taille d'exécution de la verrière
finale. On sait qu'au XVe siècle des artistes
de renom fournissaient des cartons aux maîtres
verriers et aux tapissiers. Il y avait des artistes
de génie qui cumulaient l'art du peintre
et celui du peintre verrier : ils réalisaient
alors toutes les étapes de la création
d'une verrière. On compte parmi eux, au
XVe siècle, Enguerrant Quarton et Fouquet
; au XVIe siècle, Valentin Bousch et Arnoult
de Nimègue. Mais la plupart du temps, le
dessin préparatoire était réalisé
par un artiste dont le nom est resté dans
l'ombre.
L'association cartonnier-verrier est une nécessité
artistique qui n'a aucune raison de s'être
modifiée au cours des âges. Martine
Callias Bey écrit que, dans la petite couronne
parisienne, entre 1830 et 1920, 115 signatures
de peintres verriers différents ont été
recensées. Et qu'elles sont associées
à une cinquantaine de noms de cartonniers.
Mais on peut avancer que ce dernier chiffre est
inférieur à la réalité
car, lorsque le cartonnier était membre
salarié de l'atelier de verrerie, son nom
était souvent occulté.
Au XIXe siècle, il y a eu des cartonniers
célèbres comme Ingres, Devéria,
Decaisne, ou encore Gsell, qui apposèrent
leur nom sur les vitraux. À Saint-Romain
de Sèvres,
le professeur de dessin R. Chatel apposa son nom
à côté de celui du maître
verrier François Fialex dans le vitrail
de la Vie
de la Vierge. Lorsque la collaboration entre
le cartonnier et l'atelier était occasionnelle
ou d'«importance locale» [Callias
Bey], on observe une double signature. Martine
Callias Bey ajoute : «Lorsque les deux noms
se côtoient, chacun peut être suivi
d'une mention latine expliquant le partage des
tâches. Les termes les plus récurrents
différenciant le cartonnier étant
"délineavit, invenit" souvent
écrit en abrégé (...).»
On voit ainsi dans l'église du Cur-Immaculé
de Marie, au bas du vitrail du Mariage de la Vierge,
la signature donnée ci-contre : «H.
Brémond del / H. Carot, exc.»
Pour le verrier, on trouve généralement
la mention pinxit. Neuf verrières
de l'église sont signées de la sorte.
Source : «Un
patrimoine de lumière, 1830-2000»,
éditions du Patrimoine, 2003 (article de
Martine Callias Bey sur le vitrail religieux).
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«Marie enfant au Temple»
et «saint Leufroi instruisant les enfants»
Atelier Henri Carot, 1909. |
La signature conjointe du cartonnier Henry Brémond
et du
peintre verrier Henri Carot figure sur neuf des vingt
verrières.
Ici, la signature dans la verrière du Mariage de
la Vierge. |
«Moines apportant la châsse de saint Leufroi
à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés»
Atelier Henri Carot, 1908. |
«««---
«La Fuite en Égypte»
et
«Marie rencontre Jésus»
dans la IVe station du Chemin de croix..
Atelier Henri Carot, 1908. |
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«Fondation de l'église de Suresnes, Xe siècle»
Atelier Henri Carot, 1908.
À l'arrière- plan, est-ce l'église Saint-Leufroy,
détruite en 1906? |
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Le chur et son abside semi-circulaire ornée de colonnes
corinthiennes.
La Vierge à l'Enfant est l'uvre de Jean-Pierre Cortot,
1829.
«««---
«L'église brûlée par les huguenots
au XVIIe siècle»
lors des guerres de Religion.
Atelier Henri Carot, 1908. |
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Le
culte de la Vierge au XIXe siècle (1/3).
L'église de Suresnes est consacrée
au Cur Immaculé de Marie, ce qui
nécessite un commentaire historique. Du
point de vue religieux, le XIXe siècle
français est marqué par une franche
opposition entre le gallicanisme et l'ultramontanisme.
Le premier courant, plutôt rigoureux, revendique
une certaine indépendance, notamment celle
du roi, vis-à-vis du Saint-Siège.
Le second, animé par la fougue de l'écrivain
Louis Veuillot (1813-1883), directeur du journal
L'Univers, se veut soumis au pape. Le gallicanisme
a été la règle en France
jusqu'en 1790, année où la Constitution
civile du clergé consacre l'autonomie de
l'Église de France face au Pontife romain.
Avec le Concordat de 1801 et les Articles organiques,
Napoléon Ier transforme le clergé
en un véritable instrument de gouvernement,
mais renforce aussi le pouvoir papal sur la doctrine.
Enfin, en 1905, la loi de Séparation de
l'Église et de l'État clôturera
définitivement la querelle en refondant
le statut de l'Église de France.
La France est fille aînée de l'Église.
Et les papes du XIXe siècle vont s'appliquer,
à coups de déclarations, de décrets
et de dogmes, à saper le terrain du gallicanisme
pour ramener les fidèles sous la loi romaine.
Le premier coup de boutoir est donné par
le pape Grégoire XVI (1834-1846) qui cherche
à imposer, dans les années 1840,
une liturgie romaine uniformisée. Exit
les liturgies gallicanes propres à chaque
diocèse. Bien sûr, ce changement
prendra du temps, mais il sera néanmoins
concrétisé au cours du pontificat
suivant, celui de Pie IX (1846-1878) qui sera
aussi le plus long de l'histoire de la papauté.
Rappelons que ce pape eut en plus à lutter
contre les républicains de Garibaldi et
leur volonté d'en finir avec les états
du Saint-Siège. Comme on le sait, Pie IX
perdit la partie et s'enferma dans la Cité
du Vatican en 1870.
L'usage de la liturgie romaine se répandit
dans les années 1850 pour devenir, en 1863,
la seule pratique officielle. En 1860, Pie IX
institue le Denier de saint Pierre : deux fois
l'an, le résultat de la quête, lors
des offices, est envoyé au Vatican en témoignage
de l'attachement de la France envers le Saint-Siège... ---»» Suite 2/3
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«La Communion de la Sainte Vierge»
Atelier Henri Carot, 1908. |
Le
culte de la Vierge au XIXe siècle (2/3).
---»» La proclamation
du dogme
de l'Immaculée Conception en 1854,
et plus encore celle de l'Infaillibilité
pontificale en 1870 font triompher l'ultramontanisme.
Ne cachons pas les faits : cette «soumission»
à Rome eut aussi de bons côtés.
Pie IX encouragea l'étude, dans les séminaires,
du droit canon et de l'histoire de l'Église
(à laquelle les évêques gallicans
s'opposaient) ; de plus, à une époque
marquée par le souci nouveau de la sauvegarde
du patrimoine, il approuva l'immixtion de l'art
et de la connaissance archéologique chez
les clercs. Tous les curés devaient être
capables de porter un jugement éclairé
lors des commandes d'uvre d'art par leur
paroisse.
L'ultramontanisme tournait aussi les fidèles
vers le culte des saints, notamment saint Antoine
de Padoue et saint Augustin. Quant au culte de
la Vierge, il a été encouragé
au XIXe siècle par les nombreuses apparitions
mariales : chapelle de la rue du Bac en 1830,
La Salette en 1846, Lourdes en 1858, Pontmain
en 1871 et Pellevoisin (Indre) en 1876. Il semble
que, de son côté, l'image de Bernadette
Soubirous récitant son chapelet au pied
de la grotte ait contribué à remettre
le saint Rosaire au goût du jour. La pratique
ultramontaine de la récitation du chapelet
fut fortement encouragée par le pape Léon
XIII dans les deux dernières décennies
du XIXe siècle.
---»» Suite 3/3
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«L'Assomption de Marie»
Soubassement : «Vive Christus est»
Atelier Henri Carot, 1908. |
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Saint Dominique reçoit le Rosaire
de la main de l'Enfant-Jésus.
Atelier Henri Carot, 1908. |
Saint Antoine de Padoue parle aux poissons.
Atelier Henri Carot, 1908.
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Le
culte de la Vierge au XIXe siècle (3/3).
---»» Revenons à 1836.
Cette année-là, un pèlerinage officiel
est créé à l'église parisienne
de Notre-Dame
des Victoires. En 1853, le pape vient en personne
couronner la Vierge et l'Enfant de la célèbre
statue
de l'église, uvre d'un artiste resté
anonyme. Sa visite provoque un regain de dévotion
envers Marie, une dévotion qui rebondira en intensité,
dès l'année suivante, avec la proclamation
du dogme de l'Immaculée Conception. «En
lui apportant sa caution, écrit l'historienne
Martine Callias Bey dans l'ouvrage Un patrimoine
de lumière, 1830-2000, le pape va transformer
une pratique populaire en un culte universel. Il s'opère
en quelque sorte un transfert de dévotion du
personnage du Christ vers celui de la Vierge, en tant
que médiatrice.» Livres dévots,
tableaux et vitraux sur Marie se multiplient. Le thème
de l'Assomption est particulièrement prisé.
En fait, dès les années 1850, la religion
catholique accorde de plus en plus de place aux figures
féminines : la Vierge bien sûr, mais aussi,
en France, les saintes Jeanne d'Arc et Geneviève,
patronne de Paris. Rome reconnaît officiellement
des nouvelles congrégations féminines
axées sur l'enseignement et la scolarisation
des filles. Cette «féminisation»
s'explique aisément par la disproportion de la
pratique du culte entre les hommes et les femmes. 70%
des femmes catholiques sont pratiquantes contre 30%
seulement chez les hommes.
Soucieux de s'attirer le soutien des catholiques, Napoléon
Ier, par un décret impérial de février
1806, avait déclaré la fête du 15
août comme étant celle de la protectrice
de la France et du chef de l'État. Ce qui fut
confirmé par un décret du Vatican en mars
1807. En 1852, l'empereur Napoléon III revigore
cette fête en rappelant son caractère national.
Il y a une dévotion au Sacré-Cur
de Jésus, il y en a une aussi au Sacré-Cur
de Marie. Martine Callias Bey rappelle que cette dévotion
remonte vraisemblablement à 1770, quand la fille
de Louis XV, Louise de France, entra au Carmel de Saint-Denis.
Chronologiquement, cette dévotion prend un caractère
quasi officiel avec la création de l'archiconfrérie
du Sacré-Cur de Marie, approuvée
en 1838. Le dogme de l'Immaculée Conception la
fit transformer en «Cur Immaculé
de Marie». L'église de Suresnes fut consacrée
à ce Cur Immaculé en 1908.
Sources : 1) «Un
patrimoine de lumière, 1830-2000», éditions
du Patrimoine, 2003 (article de Martine Callias Bey
sur le vitrail religieux) ; 2) «Les papes»,
Futura Edizioni, 1997.
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La nef et le bas-côté droit.
Cette image donne une idée assez précise de la taille
des fenêtres néo-romanes (1,60m sur 0,90m).
Certaines des verrières portent le nom de leur donateur.
«Le mariage de la Très Sainte Vierge», atelier
Henri Carot, 1908.---»»»
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La consécration de la paroisse au Cur-Immaculé
de Marie
le 31 mai 1907.
Atelier Henri Carot, 1908. |
La pose de la première pierre de
l'église du Cur- Immaculé-de-Marie
le 1er décembre 1907.
Atelier Henri Carot, 1908. |
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«L'Annonciation»
---»»»
Atelier Henri Carot, 1908. |
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Vierge à l'Enfant, pierre calcaire.
Jean-Pierre Cortot, 1829. |
La
Vierge à l'Enfant. À l'origine,
cette statue de Jean-Pierre Cortot, créée
en 1829, se trouvait dans la chapelle du couvent des
Pères des Missions du mont Valérien.
En 1832, elle fut transportée à l'église paroissiale
Saint-Leufroy, à Suresnes. Lors de la destruction
de Saint-Leufroy en 1906, la statue fut placée dans
le chur de l'église du Cur-Immaculé-de-Marie.
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«Les ermites du Mont-Valérien
recevant la visite d'Henri III, XVIe siècle»
Atelier Henri Carot, 1908. |
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Le
Couronnement de la Rosière est une
vieille tradition folklorique française. Voir
l'encadré qui lui est consacré à
l'exposition
de porcelaine de Sèvres au musée des
Beaux Arts de Troyes.
D'après ce qu'écrit Martine Callias
Bey dans Un patrimoine de Lumière, 1820-2000,
paru aux éditions du Patrimoine, la plus célèbre
des rosières, dans le diocèse de Paris,
était celle de Nanterre. Chaque année,
de 1818 à 1935, le conseil municipal et le curé
de la paroisse désignaient une jeune fille pour
sa vertu et sa conduite irréprochable. La caisse
municipale lui attribuait une dot. «L'heureuse
élue, accompagnée de sa devancière,
écrit Martine Callias Bey, recevait solennellement
à l'église une couronne de roses. Ses
principales attributions étaient le port de la
bannière de ses compagnes et la quête pour
les pauvres du bureau de bienfaisance.»
Les sources historiques indiquent que la rosière
était particulièrement fêtée
à Suresnes, Nanterre et Fontenay-aux-Roses. Au
XIXe siècle, cette conduite exemplaire servit
de modèle à l'idéal de la jeune
mariée. D'où son association fréquente
avec les Noces de Cana comme on peut le voir, dans l'église
: la même verrière illustre le premier
miracle du Christ et la procession de la première
rosière de Suresnes, élue en 1771. Dans
un cartouche, on lit qu'il a été «offert
par les anciennes rosières de Suresnes».
Source : «Un patrimoine
de lumière, 1830-2000», éditions
du Patrimoine, 2003 (article de Martine Callias Bey
sur le vitrail religieux).
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«La première rosière de Suresnes en 1771»
Atelier Henri Carot, 1908.
««--«««---
La rosière, modèle de la jeune mariée
idéale,
était souvent associée aux Noces de Cana.
Vitrail de l'atelier Henri Carot, 1908. |
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La Couronnement de la Rosière
«Dédié à madame la Comtesse de Maleissye»
Gravure anonyme du XIXe siècle. |
«Saint Médard couronnant la première rosière»
par Louis Dupré (1769-1837).
Église Saint-Médard à Paris, 5e arrondissement, chapelle de la Vierge. |
Documentation : base Palissy du Ministère
de la Culture, France
+ «Un patrimoine de lumière, 1830-2000», éditions
du Patrimoine, 2003. |
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