C'est un épisode peu
connu de l'Histoire de Paris, aussi peu que le «tumulte»
entre catholiques et huguenots dans l'église
Saint-Médard (5e arr.) en 1651. À cette
occasion, l'église Saint-Germain, le presbytère
du curé et l'archevêché ont été
mis à sac par la foule.
Le récit donné ci-après est un
résumé de l'article de l'historien Guillaume
de Bertier de Sauvigny, paru en 1946 dans la Revue
d'Histoire de l'Église de France. L'article
lui-même tire son information du rapport d'enquête
rédigé par le Parquet de la Seine peu
après l'événement.
Le contexte. En 1831, Mgr de Quélen est
l'archevêque de Paris. Il est bien connu pour
son attachement à la ligne aînée
des Bourbons, c'est-à-dire qu'il soutient le
jeune duc de Bordeaux (l'«enfant du miracle»),
fils du duc de Berry. Ce dernier a été
assassiné en 1820 par l'ouvrier fanatique Louvel
qui voulait éteindre la lignée des Bourbons.
Le duc de Berry était le fils de Charles X ;
l'enfant du miracle est son petit-fils. Nous
sommes là dans le camp des ultras : ces
hommes veulent revenir à une gestion de la France
dans le style de l'Ancien régime avec une grande
importance donnée à l'Église. Les
ultras représentent le parti dit légitimiste.
L'atmosphère parisienne. Depuis la Révolution
de fin juillet 1830 («les Trois Glorieuses»),
le peuple de la capitale est pris d'une furie anticléricale.
Charles X, le roi détrôné, second
frère de Louis XVI, voulait restreindre les libertés,
notamment celles de la presse, et se montrait très
proche du clergé. Pour le peuple parisien, combattre
Charles X et les Bourbons, c'est combattre le clergé.
Et inversement. Lors des Trois Glorieuses, l'archevêché
de Paris a été pillé le 29 juillet
(voir en
bas).
Le préambule. Le duc de Berry est assassiné
le lundi 14 février 1820 à Paris. Et depuis
1821, l'anniversaire de sa mort est toujours célébré
solennellement. Mais, en 1831, Louis-Philippe Ier, c'est-à-dire
un Orléans, est sur le trône et les légitimistes
comptent maintenant parmi les opposants au régime.
Célébrer la mort du duc de Berry est regardé
comme une bravade envers le gouvernement...
Les faits. Le 4 février 1831, un personnage,
resté inconnu, vient trouver le curé de
l'église Saint-Roch
et lui demande de célébrer, le lundi 14,
un service solennel pour le repos de l'âme du
duc de Berry. L'information remonte jusqu'au sommet
de l'État. Qui s'en trouve très embarrassé
: accepter, c'est risquer l'émeute anti-Bourbons
; refuser, c'est cautionner la haine du meurtier envers
le duc assassiné... On trouve une échappatoire
: le ministre des Cultes, Félix Barthe, est député
auprès de l'archevêque. À la suite
d'un empêchement, la rencontre n'a lieu que le
12.
Dans un premier temps, l'archevêque se récrit
: impossible d'interdire à des chrétiens
de prier pour la mémoire d'un homme mort avec
tous les sacrements de l'église ! Puis il se
ravise : si, en haut lieu, on craint vraiment des troubles
à l'ordre public, le prélat acceptera
d'interdire la cérémonie, mais il veut
que la requête du ministre soit couchée
sur le papier pour détenir un argument à
présenter au parti légitimiste. La lettre
ministérielle est envoyée et l'archevêque
fait interdire la cérémonie. Mais, entre-temps,
le ministre Barthe avait appelé le curé
de Saint-Roch
pour lui demander de ne rien célébrer.
Ce que le curé avait accepté. Celui-ci
annonça lui-même sa décision en
chaire le dimanche 13. Les légitimistes crièrent
à l'atteinte à la liberté de conscience.
Honte au gouvernement !
Loin de se calmer, l'affaire rebondit. Un dénommé
Valerius, bandagiste et caporal dans la Garde nationale,
était venu trouver le curé de Saint-Germain-l'Auxerrois,
avant le 13, pour lui demander de célébrer,
le 14, une messe des morts. Rien de bien méchant
puisque, pour ce prélat, la cérémonie
principale allait avoir lieu à Saint-Roch.
Sa messe étant «annexe», le curé
ne prévint pas l'archevêché.
Le 13 au matin, Valerius apprend la suppression de l'office
à Saint-Roch.
Il fait donc insérer dans la Gazette,
journal paraissant le soir, l'annonce que la cérémonie
est reportée à Saint-Germain-l'Auxerrois.
Le 14 au matin, le curé de Saint-Germain (qui
a dû lire la Gazette), s'effraie et veut
supprimer la cérémonie. Valerius, venu
avec deux autres gardes nationaux, le rassure : on a
supprimé l'office à Saint-Roch
pour des raisons de «pure convenance» ;
de plus, il y en aura d'autres dans Paris...
La cérémonie. Elle a lieu à
11 heures 30, le 14. Il y a là des Saint-Cyriens,
Valerius et ses amis, et un grand nombre de carlistes
(partisans de la lignée de Charles X), prévenus
on ne sait comment. «Une quête est faite
au profit des soldats de la garde royale, blessés
en juillet 1830 et laissés sans secours»,
écrit l'historien. Tout se passe bien ; la cérémonie
s'achève à 12 heures 30. Avant de sortir,
les assistants défilent devant le catafalque
dressé pour l'occasion et le bénissent.
Valerius a fixé une croix de Saint-Louis sur
le drap mortuaire, tandis qu'une couronne d'immortelles
jaunes et noires repose dessus.
Un épisode fâcheux survient quand un assistant
accroche au drap mortuaire le portrait du duc de Bordeaux
(qu'il a tiré d'une lithographie qu'il vient
tout juste d'acheter). Il reste encore une trentaine
de personnes dans l'église. Le curé accourt
et enlève lui-même cette image jugée
séditieuse.
Les troubles. La nouvelle se répand vite
dans les rues de Paris : le portrait du duc de Bordeaux
a été affiché lors d'une commémoration
officielle ! La nouvelle grossit, se déforme,
s'envenime. Devant l'église, une foule hostile
se rassemble déjà. Vers 15 heures, excitée
par des républicains, la populace rentre dans
le presbytère et le saccage de fond en comble.
Rendez-vous est donné par les agitateurs pour
le lendemain, mardi 15. À 8 heures du matin,
la foule se retrouve et envahit l'église Saint-Germain-l'Auxerrois,
brise et profane tout ce qui lui tombe sous la main.
Le saccage est complet. On sait que même les vitraux
du premier niveau ont été cassés.
La Préfecture de police s'en tirera par une pirouette : la garde nationale, dépassée par le
nombre, a «régularisé» le
mouvement qu'elle ne pouvait arrêter !
La foule se porte alors vers l'archevêché,
alors que la Garde nationale reste passive. «Le
palais épiscopal est forcé, écrit
de Bertier de Sauvigny, les meubles, les livres, les
ornements religieux, sont brisés, déchirés,
précipités dans la Seine.» Pis,
l'édifice est attaqué : tuiles arrachées,
charpente abattue, murs démolis. Mgr de Quélen
s'était réfugié dès le 14
dans la maison d'un ami.
Les suites. Le jour même, le gouvernement
prend des mesures... contre les victimes ! Les principaux
membres du parti carliste sont arrêtés.
Car, pour le préfet de police, la cérémonie
du 14 est le prélude à une insurrection
générale ! Accusation si grotesque que
tout le monde sera libéré assez rapidement.
En revanche, le préfet se lance dans les perquisitions...
et les mandats d'amener. Ordre est lancé d'arrêter
le curé de Saint-Germain-l'Auxerrois et l'archevêque
lui-même ! Mais ce dernier s'est caché
chez un ami. L'interrogatoire pressant auquel furent
soumises les religieuses du monastère Notre-Dame
de la Charité, asile habituel du prélat,
ne donna rien. Le lendemain, le mandat fut retiré,
mais le mal était fait : l'archevêque passait,
aux yeux du public, pour le grand responsable. Ce que
le ministre des Cultes, Félix Barthe, ne démentit
jamais. Hyacinthe de Quélen demeura archevêque
de Paris de 1821 à 1839. L'historien ne rapporte
aucune sanction prise par le Pouvoir contre les casseurs.
Le journal de Viennet. Jean-Pons-Guillaume Viennet
(1777-1868) est aujourd'hui un inconnu. Homme de lettres,
académicien, auteur de pièces de théâtre
et de poésies, il fut également homme
politique et député. Nostalgique de l'Ancien
Régime et de sa culture, il fut critique de tous
les régimes en place. Le roi Louis-Philippe,
qui fut son ami, le fit pair de France.
Le journal de Viennet décrit les événements
parisiens survenus lors des trois règnes de la
Restauration et de la Monarchie de Juillet. C'est un
texte digne d'intérêt parce que leur auteur,
d'esprit très diplomate, était bien en
cour et fréquentait les hommes du Pouvoir. Le
récit des émeutes de 1831, telles que
Viennet les décrit à la date du vendredi
18 février, n'est pas de première main
puisqu'il n'était pas sur place. En revanche,
les conversations qu'il a tenues avec les hommes au
Pouvoir sont très instructives.
Viennet rapporte qu'il est convoqué, avec «un
certain nombre de députés» chez
le Président du Conseil, le ministre Laffitte,
la veille de la messe de commémoration, le dimanche
13 février. En entrant, il voit le ministre jouer
aux cartes dans son salon, insouciant du tumulte qui
pourrait menacer. Passant dans la salle d'à côté,
il se joint aux autres députés convoqués.
Pour Viennet, le gouvernement est tout à fait
conscient du risque qu'il prend à autoriser une
manifestation légitimiste. À tel point
que le préfet de la Seine, Odilon Barrot, déclare
lui-même qu'il lui est «impossible de répondre
le lendemain de la sûreté de Paris.»
Ce à quoi le toujours bouillant Casimir Périer
rétorque qu'un préfet de la Seine impuissant
démissionne et laisse la place à un autre
(!) Mais le préfet de police Baude se range du
côté du préfet de la Seine.
Viennet commente : «je me retirai de ce cénacle
avec la certitude que les Baude et les Barrot, révolutionnaires
par essence, ne craignaient rien de cette manifestation
légitimiste, et qu'ils n'étaient pas fâchés
d'en profiter pour donner une leçon au parti
de la contre-révolution.»
Le lundi 14, la cérémonie a lieu à
Saint-Germain-l'Auxerrois. Viennet situe le sac de l'église
le même jour, ce qui est contraire au rapport
officiel du préfet de police, qui le place le
lendemain mardi. Viennet continue : La vue du portrait
du duc de Berry sur le catafalque provoque l'excitation
d'individus qui s'étaient introduits dans l'église.
«Indignés de ces actes téméraires,
écrit-il, ils sortent sur le champ pour les raconter
à la foule qui remplissait les abords de l'église.
Là se trouvaient des voleurs, des repris de justice,
des forçats libérés, avant-garde
ordinaire de toutes les émeutes et de toutes
les révolutions. Des agents du désordre
n'eurent pas de peine à les entraîner.
L'église fut envahie, le catafalque renversé,
les légitimistes se sauvèrent comme ils
purent ; et l'émeute, une fois déchaînée,
ne s'arrêta plus qu'après d'horribles excès.»
Un homme remarque les fleurs de lis sur la croix
qui surmonte le faîte de l'église. «Ce
signe de l'Ancien Régime, dit Viennet, est proscrit,
condamné par la sentence populaire.» Alors
la foule monte sur le toit, brise les fleurs de lis
; la croix est abattue.
L'excitation gagne toute la capitale. «"À
bas les fleurs de lis et les croix !", s'écrit
la populace, et en moins de deux heures, poursuit-il,
toutes les églises sont dépouillées
de cet ornement.»
Après l'église, c'est le tour du palais
épiscopal. «Il fut assiégé,
démoli, ce ne fut bientôt qu'un monceau
de pierres, lit-on sous la plume du narrateur. La bibliothèque
fut pillée, dévastée, les livres
furent déchirés, jetés à
la rivière, et la Seine les roula pêle-mêle
dans eaux.» Et il ajoute : «un témoin
oculaire, un homme recommandable, m'a positivement assuré
que M. Thiers, sous-secrétaire d'État,
et M. Baude, préfet de police, étaient
présents à ce spectacle, qu'ils étaient
restés debout sur le parapet du petit pont qui
est derrière l'Hôtel-Dieu, contemplant
avec indifférence cette vengeance populaire.»
Il est certain que la Garde nationale («fort divisée
d'opinions», dit Viennet) n'a rien fait contre
les émeutiers. Ceux qu'elle a arrêtés
ont été relâchés presque
immédiatement.
Les autorités complices. Viennet livre
ensuite une information de première main : «La
connivence de l'autorité était évidente,
écrit-il, et j'en acquis la preuve en arrivant
à la Chambre. Je rencontrai M. Laffitte [premier
ministre] dans le couloir ; et, avant même que
je lui eusse témoigné ma surprise de le
voir là, il me parla des événements,
et m'annonça en riant le sac de l'archevêché.
C'était plus qu'un sourire, je l'affirme sur
l'honneur ; et il se frottait les mains en signe de
contentement : "Quoi ! lui dis-je, c'est le premier
ministre qui me parle ainsi ? - Que voulez-vous que
j'y fasse ? me répondit M. Laffitte. Ils ont
provoqué le peuple, et ils en sont les victimes."
Tout me fut expliqué par ces sinistres paroles.
Je lui tournai le dos et j'allai prendre ma place.»
Plus loin, le narrateur conclut par ses mots : «Tous
les incidents de cette première journée
attestent que tout était connu d'avance et qu'une
partie du ministère était complice de
ces actes de vengeance. On a fait le lendemain de belles
proclamations, on a pris des mesures pour rétablir
l'ordre. C'était le jour même, la veille
même qu'on devait les prendre.»
Dans son Histoire du vandalisme, Louis Réau indique
que l'église dévastée servit de
mairie jusqu'en 1837.
La presse. Compte tenu de la petitesse de la
«provocation», il est intéressant
de voir comment la presse a rapporté l'événement.
De Bertier de Sauvigny cite un extrait du Journal
des Débats du 15 février 1831, c'est-à-dire
le lendemain de la cérémonie - en prenant
soin de préciser que cet organe était
«le mieux informé et le plus modéré
du temps.»
Le Journal rapporte que le catafalque était
orné d'un portrait du duc de Bordeaux, d'un buste
du duc de Berry, qu'il était orné de drapeaux
blancs (la couleur de la Monarchie) aux quatre coins,
que le curé a donné une bénédiction
spéciale, etc. !
L'historien cite un extrait du «modéré»
Journal des Débats qui vaut d'être
rappelé :
«Honte immortelle à ces artisans hypocrites
de complots, à ces gagistes d'Holyrood [la résidence
de Charles X en Écosse], à ces écrivains
sans conscience, façonnés de longue main
à la servitude, fauteurs et apologistes déhontés
de toutes les vieilles oppressions, prôneurs,
dans le bon temps, des lois de sacrilège, de
censure et de proscription, qui réclament aujourd'hui
la liberté de la presse pour se donner le droit
d'outrager avec impunité ce que la France couvre
de ses hommages,... la liberté d'enseignement
pour pouvoir inoculer à nos enfants le poison
de la tyrannie jésuitique, la liberté
des associations pour nous enfermer dans le réseau
de leurs fanatiques congrégations !... Changer
un anniversaire funèbre en sédition, faire
d'un catafalque un trône factieux, arborer des
drapeaux proscrits où il ne fallait que des linceuls,
ce n'est plus là de la douleur ni de la religion,
c'est un crime dont il faudra répondre devant
la justice !»
Le vandalisme continue. Il est à peu
près certain que tous les vitraux du premier
niveau de l'église, c'est-à-dire ceux
des chapelles de la nef
et du chur,
ont été détruits lors de cette
explosion anticléricale. Dans Le vitrail à
Paris au XIXe siècle (Corpus Vitrearum,
2010), l'historienne Élisabeth Pillet ajoute
un élément consternant rapporté,
au XIXe siècle, par l'historien Nicolas-Michel
Troche : le dimanche qui a suivi la mise à sac
de l'église, le vitrier de la Préfecture,
accompagné d'ouvriers, est venu démonter
les cinq grandes verrières de l'abside parce
que les bordures portaient des fleurs de lys ! Résultat
: ces verrières ont disparu.
Dans son journal, Viennet précise que le Pouvoir
ne trouvant pas l'archevêque, «on se vengea
sur les fleurs de lis. Un ordre du gouvernement les
fit abattre et gratter sur tous les édifices.
La résidence royale n'en fut pas exempte. On
les enleva du sceau de l'État. Les légitimistes
ne manquèrent pas d'en faire un crime à
Louis-Philippe. On cria dans tous les salons du faubourg
Saint-Germain qu'il avait répudié les
armes de sa Maison.»
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