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De par sa chapelle
Notre-Dame des Miracles et des Vertus dans le bas-côté
nord, la basilique Saint-Sauveur est un haut lieu de la piété
rennaise. Des gens y sont souvent en méditation ou en prière.
Le culte marial existe à Rennes
dès le début du XVe siècle. Il est renforcé,
aux XVIIe et XVIIIe, par la rivalité entre deux pèlerinages
: celui géré par les Jésuites à Saint-Sauveur
et celui du Vu de Bonne-Nouvelle géré par les
Dominicains. Dans le Dictionnaire du patrimoine rennais,
l'historien Georges Provost rappelle que cette rivalité va
créer la légende du Miracle
de Notre-Dame des Vertus survenu à Saint-Sauveur en 1357,
lors de la guerre de Succession de Bretagne.
Le lointain passé de la basilique reste opaque. Selon Émile
Bonnelière et Charles Grosset dans 600 ans de Dévotion
Mariale, le nom de Saint-Sauveur apparaît dans les documents
écrits dès le XIIe siècle. La plupart des textes
actuels, cependant, rapportent que c'est en 1310 qu'une chapelle
de quartier, rattachée à l'église Toussaints,
a été construite à l'emplacement de la basilique.
La population s'accroissant, cette chapelle fut agrandie, puis érigée
en paroisse en 1667.
La partie occidentale de l'édifice s'écroule en 1682.
La restauration est rapide et le culte reprend. En 1701, une reconstruction
complète est décidée. Elle démarre en
1703 par le chur
et le transept
sous la direction de l'architecte François Huguet. Une loterie
en assure le financement. Le chur,
achevé en 1719, est à présent dirigé
vers l'ouest : la nouvelle église sera ainsi insérée
dans la ville, au cur de Rennes,
avec une façade ouvrant à l'est, sur une place commerçante.
En décembre 1720 éclate le grand incendie
qui détruit une partie des quartiers nord de Rennes.
Selon Émile Bonnelière et Charles Grosset, les travaux
de Saint-Sauveur ne paraissent pas en avoir été retardés
car seule la partie ancienne a vraiment souffert. Chur
et transept sont
néanmoins restaurés. François Huguet, mort
en 1730, est remplacé par l'architecte Le Forestier à
qui l'on doit, vers 1755, la façade
de type italien. Auparavant, la tour du clocher avait été
érigée dès 1741.
Quand la Révolution éclate, les travaux de la cathédrale,
qui est en reconstruction, sont interrompus. Saint-Sauveur acquiert
le statut de cathédrale de Rennes
pour l'évêque constitutionnel Le Coz. En 1793, l'église
devient temple de la Raison, puis temple de l'Être suprême
en 1794. Après le Concordat, la cathédrale Saint-Pierre
reprend son statut et Saint-Sauveur redevient église paroissiale.
La dévotion à Notre-Dame des Miracles s'accroît
et l'église est érigée en basilique en août 1916 par le pape Benoît
XV.
En 1939, la paroisse Saint-Sauveur est rattachée à
la cathédrale,
l'église devient Basilique de dévotion réservée
au culte de Notre-Dame des Miracles. En 2002, elle redevient paroissiale.
Entre-temps, la guerre a détruit tous les vitraux.
Saint-Sauveur est une église plongée dans la pénombre.
Si des lumières artificielles n'étaient pas allumées
en permanence, les visiteurs seraient dans le noir. Il s'y produit
en fait le même phénomène qu'à l'église
Saint-Vincent
de Paul à Paris : les baies n'ont pas une surface importante
et les verrières
de l'atelier Barillet sont assez opaques.
Le chur de la basilique est à l'ouest. Dans cette page,
les directions indiquées sont prises au sens liturgique,
c'est-à-dire avec un chur considéré comme
faisant face à l'est. Dans le cas contraire, l'indication
«géographique» est ajoutée.
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Vue d'ensemble de la nef et du chur depuis l'entrée de
la basilique.
Les gens assis sur la droite font face à la chapelle
Notre-Dame des Miracles. Leur présence rappelle que l'église
est un haut lieu de la piété rennaise. |
La façade à l'italienne, vue depuis la rue Du Guesclin,
est dirigée vers l'Orient.
Elle est l'uvre de l'architecte Le Forestier
qui reprit la construction après la mort de Huguet en 1730. |
Vue de la basilique depuis la rue Montfort.
L'étroite rue
Saint-Sauveur longe l'église sur son côté
sud géographique (celui qui est visible sur la photo). |
Inscription au «Christ Sauveur» dans le tympan du
portail central. |
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Plaque avec les armes de la basilique sur le fronton du portail.
La présence du tintinnabulle et de l'ombrellino indique
que cette plaque a été gravée après
1916, année d'érection de l'église en basilique. |
Architecture
extérieure.
Contrairement à la règle liturgique habituelle,
le chur de l'église est orienté
vers l'ouest géographique ; sa façade,
vers l'est. Cette disposition permet à l'édifice
de s'intégrer pleinement dans la ville en s'ouvrant
sur l'actuelle place commerçante Saint-Sauveur.
La basilique n'est visible que sur deux côtés
: la façade et le côté sud (géographique)
le long de la rue
Saint-Sauveur.
Hormis l'original lanternon à la croisée
du transept
(ci-contre à droite), l'intérêt
extérieur de la basilique se réduit à
sa façade de style italien que l'on peut dater
des années 1730-1750. Celle-ci ressemble énormément
à la façade de Notre-Dame
des Victoires à Paris (2e arr.) commencée
en 1629, soit près d'un siècle plus tôt.
La façade de Saint-Sauveur, avec ses deux niveaux
séparés par une corniche saillante, est
très sobre. Le second niveau, qui ferme le vaisseau
central, ne comprend ni inscription ni sculpture. Le
fronton triangulaire qui le coiffe est nu.
Inscriptions et symboles se trouvent dans la partie
inférieure. Le nom de la basilique Christo
Salvatori est gravé dans le tympan qui surmonte
le portail d'entrée. Quant à la plaque
du fronton (donnée ci-dessus), elle porte, au-dessus
du blason central, la devise de l'église Ad
Jesum per Mariam (À Jésus par Marie).
On voit dans le blason une cloche qui rappelle le miracle
de 1357. De part et d'autre de ce blason figurent
les deux emblèmes distinctifs d'une basilique
: le tintinnabule (qui est une petite cloche suspendue
dans un support portatif) et l'ombrellino.
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Lanternon à deux étages sur la croisée de la
basilique. |
Le second niveau de la façade de la basilique est flanqué,
au nord et au sud, de deux ailerons.
Ce niveau ne comporte ni inscription, ni sculpture : le fronton et
le petit relief au-dessus de l'arcade centrale sont nus. |
La rue Saint-Sauveur longe le côté sud géographique
de l'église.
À l'intérieur de l'édifice, il correspond au
côté nord liturgique.
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Le côté sud géographique de la basilique dans
la rue Saint-Sauveur.
Comme le portail principal, la petite porte ci-dessus a été
enfoncée
sur ordre le 16 février 1906 lors des inventaires. |
Ancienne maison à pans de bois avec
un restaurant dans la rue Saint-Sauveur. |
LA NEF DE LA BASILIQUE
SAINT-SAUVEUR |
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Élévation sud (liturgique) de la nef.
Dans l'entablement, la frise de triglyphes et de métopes
ne présente que des reliefs plats et nus.
La zone lumineuse correspond à la chapelle Notre-Dame
des Miracles (ci-contre), toujours très éclairée. |
Architecture
intérieure. Elle se présente
comme celle de l'église Toussaints.
Les deux niveaux de l'élévation sont séparés
par un large entablement constitué lui-même
de deux éléments : une frise de triglyphes
et de métopes nus surmontée d'une corniche
saillante (photo ci-dessus). Comme à Toussaints,
cet entablement fait le tour complet de l'église.
Mais, à Saint-Sauveur, il n'y a aucun bas-relief
décoratif. Comme à Toussaints,
de massives piles carrées séparent les
travées et, dans le transept, soutiennent la
coupole.
La basilique Saint-Sauveur est un édifice plongé
dans la pénombre. Les vitraux
aux teintes opaques de l'atelier Barillet y contribuent
fortement. Et l'absence de fenêtres hautes dans
le transept, au nord et au sud, n'améliore pas
la luminosité. Le chur
doit être éclairé pour être
visible.
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Chapelle Notre-Dame des Miracles et des Vertus dans le bas-côté
sud.
Il est rare de ne pas voir de fidèles en prière devant
cette chapelle. |
Plan de la Basilique. |
Statue de Notre-Dame des Miracles et des Vertus, détail.
Statue réalisée par Goupil en 1876. La précédente
a disparu lors de la Révolution. |
Statue de Jean Eudes et mur d'ex-voto
à côté de la chapelle Notre-Dame des Miracles. |
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Grille du baptistère de Jean Guibert, détail.
«««---
Grille du baptistère de Jean Guibert (XVIIIe siècle).
Jean Guibert est également le réalisateur de la
chaire à prêcher
sur un dessin d'Alberic Graapensberger. |
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Voûte de la nef et de la croisée. |
Le
Miracle du 8 février 1357.
Le seul pèlerinage actuel de la ville de Rennes,
celui à Notre-Dame de la basilique Saint-Sauveur,
repose sur ce «miracle». Rappelons les faits.
Lors de la guerre de Succession de Bretagne (1341-1364),
les Anglais et le parti de Montfort mettent le siège
à la ville de Rennes
qui a pris le parti de Charles de Blois.
La légende raconte que les Anglais, aux prises
avec la résistance opiniâtre des habitants,
décident de creuser un souterrain pour s'introduire
dans la ville. Mais les cloches de la chapelle Saint-Sauveur
se mettent à sonner toutes seules. Dans l'édifice,
deux cierges s'allument sur l'autel de la Vierge, tandis
que la statue de la Vierge pointe du doigt l'endroit
précis par où doivent déboucher
les assaillants (ce que fait la Vierge dans le vitrail
de Jean Barillet ci-contre, alors que les Anglais s'entassent
dans la partie inférieure qui représente
le souterrain).
Dans le Dictionnaire du patrimoine rennais, Georges
Provost écrit que le culte marial existe à
Rennes
dès le début du XVe siècle et que
la légende du souterrain n'apparaît, dans
les documents écrits, qu'au XVIe. Sa date est
d'ailleurs incertaine : 1342, 1343, 1345 ou 1357.
La création et le renforcement de cette légende
reposent en fait dans la rivalité, aux XVIIe
et XVIIIe siècles, entre deux pèlerinages
: celui orchestré par les Jésuites à
Saint-Sauveur et celui du Vu de Bonne-Nouvelle
honoré par les moines dominicains.
Pourquoi le siège de Rennes
a-t-il été levé? Dans l'Histoire
des Villes de France, l'historien Aristide Guilbert
raconte le rôle majeur de Du Guesclin et de sa
troupe, harcelant les Anglais à l'extérieur
de la ville, alors que les assauts directs des assiégeants
pour prendre Rennes
échouent les uns après les autres. Aristide
Guilbert écrit : «L'intrépide aventurier
apprend (...) qu'une partie des troupes anglaises s'est
éloignée sur un faux avis pour aller à
la rencontre d'un renfort supposé ; il fond aussitôt
sur le camp des ennemis, renverse et incendie leurs
tentes, s'empare de leurs provisions, et, chargé
de ce précieux butin, s'ouvre un passage et entre
dans Rennes.»
Par la suite, grâce à ses faits d'armes
pour défendre la cité, Du Guesclin aura
l'occasion de faire savoir aux Anglais qu'il est rentré
dans la ville. Rappelant que «les assiégeants
ne souffraient pas moins que les assiégés
d'une lutte si obstinée», l'historien conclut
cette histoire de siège par ces mots : «Le
duc de Lancaster comprit enfin qu'il était impossible
de réduire une ville défendue par de tels
hommes. Moyennant la vaine parade d'un simulacre de
capitulation, que les Rennais concédèrent
volontiers à son amour-propre, il consentit à
se retirer avec son armée. Le siège, commencé
le 3 octobre 1356, fut levé le 3 juillet 1357.»
Sources : 1) Dictionnaire
du patrimoine rennais sous la direction de Jean-Yves
Veillard et Alain Croix, Éditions Apogée,
2004 ; 2) Histoire des Villes de France sous
la direction d'Aristide Guilbert, 1844.
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Vitrail : Marie, tour de David.
Chapelle Notre-Dame des Miracles. |
Tableau : L'Éducation de la Vierge.
Autel Saint-Louis et Sainte-Anne.
Absidiole sud. |
Vitrail : L'Incendie de 1720.
Atelier Jean Barillet, 1953.
Notre-Dame des Miracles et des Vertus suscita une dévotion
intense pendant l'incendie. Certains attribuent à son
intervention la forte pluie qui mit fin au sinistre. |
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«««---
La voûte. Dans le Dictionnaire
des églises de France (Robert
Laffont, 1966), l'historienne Denise Robert-Maynial
fait remarquer une disposition rarement
soulignée : la voûte d'arêtes
présente des clés en forme
de croix (flèches jaunes).
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Vitrail : Le Miracle du 8 février 1357.
Atelier Jean Barillet, 1953. |
Notre-Dame de Pontmain par Jean Barillet,
détail.
Le vitrail entier est donné plus
bas. |
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Les
vitraux de Jean Barillet à Saint-Sauveur.
Son père Louis Barillet (1880-1948)
créa son atelier de vitraux en 1919. Avec
Jacques Le Chevallier et Théodore
Hanssen, il sera un élément
majeur du renouveau du vitrail en France et prendra
sa part dans les reconstructions d'églises
de la région Nord-Est après les
destructions de la première guerre mondiale.
Louis Barillet décède en 1948. Son
fils Jean reprend les rênes de l'atelier,
secondé par son épouse Karin,
d'origine suédoise.
Créant son propre style, il participe à
la seconde reconstruction d'églises, notamment
en Normandie après les pertes de 1939-45.
Son atelier va suivre la tendance nouvelle du
vitrail en dalle de verre et s'élargir
à l'international.
Les vitraux créés par Jean Barillet
à Saint-Sauveur sont datés de l'année
1953.
Ceux du premier niveau sont de grand format et
relatent des événements rennais
en liaison avec Notre-Dame des Miracles : L'Incendie
de 1720 ; le
Miracle du 8 février 1357 ; le
Congrès marial national de 1950, etc.).
Les vitraux du second niveau sont plus petits
et illustrent des épisodes de la vie de
la Vierge.
Les vitraux de Jean Barillet sont contemporains
de ceux réalisés par Max Ingrand
dans deux autres églises rennaises : Saint-Germain
et Toussaints.
La différence de style saute aux yeux.
Les personnages de Max Ingrand, aux visages toujours
enfantins, sont logés dans un environnement
graphique très propre, un peu naïf.
À l'opposé, ceux de Jean Barillet
possèdent un graphisme nerveux, dynamique,
de coloris assez sombres, au sein d'une composition
parfois agressive à l'il. Ce choix
stylistique empêche la lumière du
jour de pénétrer suffisamment, plongeant
l'église Saint-Sauveur dans la pénombre.
Pour le dessin de ses personnages, Jean Barillet
use d'un style qui s'éloigne de celui de
son père. Dans l'ouvrage Atelier Louis
Barillet maître verrier (Éd.
15, square des Vergennes), Cécile
Nebout et Jean-François Archieri écrivent
: «Si les fonds géométriques
sont hérités des leçons de
son père, les personnages s'éloignent
de plus en plus du réalisme. Les mains
notamment ont une taille disproportionnée,
les yeux se cernent de noir et les drapés
des vêtements sont suggérés
par des aplats de grisailles. Le rôle des
plombs est également modifié puisque
leur placement devient aléatoire et ne
sert plus nécessairement à définir
les contours et les couleurs.»
Les vitraux de Saint-Sauveur illustrent bien ce
graphisme sombre. Le visage de Notre-Dame de Pontmain,
donné ci-contre, pourrait être pris
pour celui de Belphégor ! Quant à
la taille démesurée des mains et
des doigts, les verrières de cette page
en donnent d'abondants exemples.
Dans le Dictionnaire du patrimoine rennais,
Georges Provost déplore «l'ambiance
très particulière» de l'église
Saint-Sauveur. C'est pourtant, rappelle-t-il,
le point de départ d'un pèlerinage
qui a gagné en importance depuis la nouvelle
statue de Notre-Dame des Miracles en 1876, suivie
de son couronnement en 1908 et de l'érection
de l'église en basilique en 1916. Il écrit
: «(...) la pénombre, accentuée
par les vitraux de 1953, ne met guère en
valeur la qualité de l'architecture - conçue
pour une toute autre lumière - ni celle
du mobilier (baldaquin et chaire en ferronnerie
du 18e siècle).»
Sources : 1) Atelier
Louis Barillet maître verrier,
Éditions 15, square des Vergennes, 2005
; 2) Dictionnaire du patrimoine rennais
sous la direction de Jean-Yves Veillard et Alain
Croix, Éditions Apogée, 2004.
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Vitrail : Le Miracle du 8 février 1357,
détail.
Chapelle Saint-Sauveur, 1357 : les Anglais s'apprêtent
à sortir du souterrain qu'ils ont creusé pour
rentrer dans Rennes.
Atelier Jean Barillet, 1953. |
La chaire à prêcher a été créée
de 1779 à 1781 par Jean Guibert
sur un dessin d'Alberic Graapensberger, artiste allemand
établi à Rennes.
Cette chaire est présentée comme un chef
d'uvre de ferronnerie. |
La cuve de la chaire à prêcher (dessin d'Alberic
Graapensberger). |
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Vitrail : La Sainte Famille.
Atelier Jean Barillet, 1953. |
Vitrail : L'Entrée de Marie au temple.
Atelier Jean Barillet, 1953. |
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L'incendie
de Rennes de décembre 1720.
Au grand siècle, Rennes
présente un fort contraste entre le nord et le
sud. Le nord concentre les belles demeures. Là
vivent les nobles, les parlementaires, les vieilles
familles de négociants. On trouve aussi les groupes
sociaux économiquement rattachés à
la classe sociale précédente : une partie
des artisans, des libraires ; la plupart des orfèvres.
En revanche, au sud, dans des locaux souvent frustres,
souvent insalubres, logent les artisans pauvres, les
petits marchands ; bref, l'ensemble des métiers
qui ne portent aucun prestige.
Le 23 décembre 1720, un artisan de la zone nord,
peut-être ivre, met le feu à son logement.
Comme la majeure partie des maisons sont bâties
en bois et en torchis, le feu s'étend rapidement,
profitant des rues étroites et des maisons en
encorbellement. De plus, le bois pour le chauffage d'hiver
s'entasse dans les maisons... Dans son Histoire de
Rennes, Xavier Ferrieu attribue la responsabilité
du désastre en grande partie aux autorités
municipales : dans les quartiers nord, en raison du
pedigree des habitants, elles n'ont jamais voulu faire
abattre de maisons pour créer des coupe-feux
préventifs. À présent que l'incendie
ravage tout, c'est la seule solution pour le circonscrire...
Près de la cathédrale
et du palais du Parlement, des bâtiments sont
démolis à la hâte. Même chose
le long de la Vilaine que le feu ne pourra pas franchir,
épargnant ainsi la zone sud. Le 29 décembre,
grâce aux sauveteurs et à une forte pluie
providentielle (miraculeuse diront certains), l'incendie
s'éteint.
On dénombre moins de dix morts, mais les pertes
matérielles sont énormes : 945 bâtiments
de la zone nord sont sinistrés ; on compte huit
mille sans-abris. La cathédrale
n'est pas touchée, mais l'église Saint-Sauveur
est endommagée. L'autel, les confessionnaux,
les registres paroissiaux sont partis en fumée,
peut-être aussi la totalité de la toiture.
L'étendue des dégâts demeure incertaine.
La statue de Notre-Dame des Miracles s'en sort indemne.
Aussitôt, les paroisses organisent l'entraide.
Le Conseil royal ainsi que des grands du royaume, sitôt
informés, versent de quoi assurer les premiers
secours. L'intendant décide d'autoriser, sur
tous les terrains libres, la construction de baraques
provisoires où vont s'installer les artisans
et les petites gens.
La reconstruction va changer la face de Rennes.
Aux yeux des visiteurs contemporains, une partie de
la ville est moderne avec de belles avenues, de grandes
places et d'élégants bâtiments du
XVIIIe siècle. Le tout est quasiment encerclé
par un réseau de petites rues sinueuses où
se dressent parfois des maisons à pans de bois.
Ce sont les quartiers qui n'ont pas été
touchés par l'incendie. Si l'on excepte les conséquences
des bombardements des deux guerres mondiales, aucune
autre ville de France ne présente un pareil contraste.
Sources : 1) Histoire
de Rennes de Xavier Ferrieu, Éditions Gisserot,
2001 ; 2) Histoire de Rennes sous la direction
de Jean Meyer, Privat Éditeur, 1972.
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La nef, le bas-côté sud et le chur de la basilique
Saint-Sauveur.
Sur la droite, le vitrail du XIXe siècle est l'un des rares
qui n'aient pas été créés par l'atelier
Jean Barillet. |
Le pélican surmonte l'abat-son de la chaire à
prêcher. |
Vitrail : L'Incendie de 1720, détail. |
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Vitrail du XIXe siècle aux armes de la basilique
dans le bas-côté sud. |
Blason de la ville de Rennes
dans le vitrail de
Notre-Dame de la Cité. |
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Vitrail : Notre-Dame de la Cité.
Atelier Jean Barillet, 1953.
Saint Maximin, évêque de Rennes
au Ier siècle (?),
introduit le culte de la Vierge dans sa ville.
À propos du style de Jean Barillet, comment la lumière
extérieure
peut-elle passer à travers un vitrail aussi opaque ?...
Voir l'encadré sur les vitraux plus
haut. |
Tableau votif : En 1720, Notre-Dame de Bonne-Nouvelle arrête
l'incendie.
Copie de l'aquarelle de Jean-François Huguet qui se trouve
à l'église Saint-Aubin. |
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Chaire à prêcher et bras nord du transept.
«««---
Vitrail : L'Incendie de 1720, détail.
Les maisons sont cernées par le feu. |
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LE TRANSEPT DE
LA BASILIQUE SAINT-SAUVEUR |
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La croisée et le bras nord du transept de la basilique Saint-Sauveur.
Dans le fond à droite : la chapelle
du Sacré-Cur. |
Autel de Notre-Dame des Victoires dans le bras nord.
La statue est inspirée de celle de Notre-Dame
des Victoires à Paris. |
L'église
Saint-Sauveur et la loi de 1905 (1/5).
La Séparation de l'Église de l'État,
votée le 9 décembre 1905 par l'Assemblée,
a souvent créé des remous dans les paroisses
de l'Hexagone. L'État prenait possession de tous
les éléments cultuels de France, mais
surtout obligeait le clergé à soumettre
chacune de ses églises à un inventaire
du mobilier et de tous les objets utilisés pour
la liturgie. Prélats et fidèles en furent
scandalisés. Du jamais vu depuis deux mille ans
! Du jamais vu depuis que l'Église était
l'Église ! Soucieux de leurs prérogatives,
de l'honneur de la religion qui a fait la France, les
ecclésiastiques prirent ces incursions et ces
comptages pour une profanation inadmissible, une insulte
à Dieu. Et les paroissiens leur emboîtèrent
le pas : personne ne devait souiller le sol des églises
pour se livrer à cette mascarade impie.
À Rennes,
le préfet d'Ille-et-Vilaine, M. Rault, prévoyait
des barrages devant les portes des édifices religieux.
Il pensa d'abord mener les inventaires à une
date précise pour chacun d'entre eux, puis se
ravisa. C'était trop facile pour les paroissiens
: si tous les Rennais opposés à la loi
se regroupaient à chaque fois devant les portes
de l'édifice concerné, son labeur allait
se multiplier. Il décida donc de réaliser
tous les inventaires en même temps : le vendredi
16 février 1906.
---»» Suite 2/5
à droite.
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Vitrail : Notre-Dame de Lourdes.
Atelier Jean Barillet, 1953. |
Vitrail : Notre-Dame de Pontmain.
Atelier Jean Barillet, 1953. |
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«««---
Les grands retables du transept sont datés du
début du XVIIIe siècle.
Ils ne peuvent pas se rattacher à l'école
lavalloise : à cette époque, elle avait
quasiment disparu.
Voir des exemples de retables lavallois à l'église
Toussaints
de Rennes.
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Vitrail : Notre-Dame de la Salette.
Atelier Jean Barillet
Années 1953. |
Autel de Saint-Joseph dans le bras sud du transept |
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La voûte de la croisée et du chur. |
L'église
Saint-Sauveur et la loi de 1905 (2/5).
---»» La situation du Préfet était
compliquée. En effet, devant la politique anticléricale
du gouvernement, les villes avaient tendance à élire
des maires catholiques et souvent pratiquants. C'était
le cas à Rennes
où Eugène Pinault, un riche tanneur, par ailleurs
conseiller municipal et ancien député d'Ille-et-Vilaine,
avait été élu à la mairie en 1900.
Une responsabilité qu'il honorera jusqu'en 1908. L'historien
Xavier Ferrieu l'écrit dans son Histoire de Rennes
(Gisserot, 2001) : Pinault avait clairement annoncé
qu'il refusait d'assurer le maintien de l'ordre lors des inventaires...
Même si le cardinal Labouré, archevêque
de Rennes
avait recommandé aux curés de laisser les églises
ouvertes, le Préfet savait très bien que les
Rennais allaient s'opposer à la «profanation»
des églises par la fonction publique. Anticipant des
échauffourées et en l'absence de la police,
il lui fallait disposer d'une force armée suffisante.
Le témoin des événements décrit
ainsi la journée du jeudi 15 février : «De
tous les côtés, par tous les trains, arrivent
les gendarmes. Tous ceux du département, ceux même
des départements voisins, jusque de Lannion, ont été
appelés pour la grande journée. Habitués
à protéger l'ordre, et à poursuivre les
coquins et les voleurs, ils se sentent bien un peu déconcertés
de la triste besogne qu'on leur impose. Pauvres gens ! Ils
n'avaient pas rêvé de devenir gendarmes pour
assister au sac des églises, ou à la violation
des propriétés.»
---»» Suite 3/5
plus bas.
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Groupe sculpté de saint Joseph avec l'Enfant.
Autel Saint-Joseph dans le bras sud du transept. |
Statue de sainte Germaine.
Chapelle du Sacré-Cur. |
Vitrail : Le Mariage de la Vierge.
Atelier Jean Barillet, 1953. |
Chapelle absidiale nord du Sacré-Cur. |
La croisée et l'autel de messe, le bras nord du transept et
le chur avec le maître-autel et son baldaquin. |
LE CHUR
DE LA BASILIQUE SAINT-SAUVEUR |
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Le chur et le baldaquin de la basilique Saint-Sauveur.
Le maître-autel a été achevé en 1768.
De part et d'autre se dressent les statues de saint Pierre (cachée)
et saint Paul. |
Le
chur de la basilique. Entre les statues
de saint Pierre et de saint
Paul se trouve un maître-autel surmonté
d'un baldaquin. Ces deux éléments sont
datés de 1764-1768. Le baldaquin est porté
par quatre colonnes de marbre rouge issu de la carrière
de Saint-Berthevin. Une photo
plus bas montre que ces colonnes soutiennent une
corniche à modillons, reprenant ainsi le schéma
de l'entablement qui court tout au long de l'église.
Au centre de la Gloire, on peut lire le Tétragramme
du Dieu trinitaire en lettres hébraïques.
Le dépliant de présentation de l'église
écrit que «c'est le mieux conservé
des rares baldaquins d'ancien régime en Ille-et-Vilaine».
L'autel de messe et l'ambon datent de 2011. Leur conception
est due à Hervé Chouinard, à l'époque
architecte en chef honoraire des Monuments historiques.
Les symboles insérés au-devant de l'autel
indiquent qu'il est consacré au Christ Sauveur.
À l'arrière-plan, un tableau, daté
de 1824, du peintre Jean-Bruno Gassies (1786-1832) et
illustrant la Transfiguration est malheureusement
masqué en partie par les colonnes de marbre.
Le chur de l'église Saint-Germain
de Rennes
souffre du même problème. Le tableau de
La
Résurrection de Lazare d'Éloi
Firmin Féron, dans son arrière-plan, est lui
aussi masqué par les colonnes de marbre du baldaquin.
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Vitrail : Le Grand Retour.
Atelier Jean Barillet, 1953.
Le vitrail illustre la rencontre de Notre-Dame des Miracles
et de Notre-Dame de Boulogne
à l'occasion de la Fête-Dieu de 1946. |
Dessin extrait du récit À l'assaut de nos églises,
publié en 1906.
Les ouvriers de la 8e compagnie se fraient un chemin à
travers une foule hostile.
Une grille basse ferme le périmètre de l'église
devant le grand portail.
Aujourd'hui, cette grille n'existe plus. |
Partie haute du baldaquin dans le chur.
La Gloire est surmontée d'un beau dais imitant les
drapés.
Au sommet, deux angelots soutiennent la croix.
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Saint
Paul à Athènes (1/2).
Il n'est pas très courant de voir l'apôtre
Paul sculpté en habit de philosophe grec, dans
l'attitude de Socrate instruisant ses disciples. Jean-Baptiste
Barré, qui a réalisé cette statue,
a-t-il voulu rappeler le passage de saint Paul à
Athènes au milieu des érudits de cette
cité ?
Le discours que les Actes des Apôtres prêtent
à Paul à l'Aréopage d'Athènes
a provoqué les railleries de ses auditeurs, pourtant
curieux de l'entendre. Ses propos sur Jésus,
envoyé par le Ciel pour juger les hommes, ne
passaient pas. Même chose pour la Résurrection,
concept inaudible pour un Hellène. «On
a pris Jésus et Résurrection pour un couple
d'abstractions divinisés comme il y en avait
tant dans les religions de salut, écrit Marie-Françoise
Baslez dans son ouvrage Saint Paul (Pluriel,
2015). Les Athéniens virent en Paul un "picoreur",
un contestataire, un "étrange étranger"
qui professaient des idées bizarres.»
Il faut rappeler que, en face de saint Paul, prêts
à la critique, ne siégeaient pas des sots.
Certes, ces hommes, plus ou moins philosophes, partageaient
l'esprit de leur temps, mais ils pratiquaient la réflexion
et le raisonnement toute la journée. Les théologiens
ont supposé que l'auditoire de l'Aréopage
avait pris le mot anastasis (résurrection)
pour le nom d'une déesse associée à
Jésus... Le monothéisme d'un Christ-Juge
n'avait guère de chance d'être accepté.
Encore moins la résurrection. ---»»
Suite 2/2 ci-dessous.
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Statue de saint Paul dans le chur
uvre de Jean-Baptiste Barré. |
Saint
Paul à Athènes (2/2).
---»» Cette opposition de systèmes
de valeurs, ce choc de mentalités doivent conduire
tout individu qui partage la foi chrétienne à
se poser les questions historiquement fondamentales
sur la venue du Christ : pourquoi à cet endroit-là
du monde ? Pourquoi à cette époque-là ?
Plus précisément : pourquoi l'Empire romain ?
Pourquoi parmi le peuple juif ? Pourquoi pas avant
ou après ? Pourquoi pas ailleurs ?
Dans sa Somme théologique, Thomas d'Aquin
a répondu à ces questions en se plaçant
toutefois sur un plan exclusivement théologique,
donc assez abscons.
Une réflexion au sens historique paraît
plus enrichissante. L'échec de saint Paul à
Athènes ouvre d'ailleurs des pistes. Jésus
est né au milieu d'un peuple monothéiste
dont une partie (les pharisiens) croyait à la
résurrection. Jésus pouvait-il naître
dans une société polythéiste ?
Dans une société croyant à la réincarnation
? Dans une société étrangère
à toute idée de vie après la mort ?
Et pourquoi est-il né dans l'Empire romain à
l'époque d'Auguste ? Pourquoi pas chez les
Indiens ou chez les Chinois ? Le peuple juif était-il
donc, dans notre monde, le plus proche de la vérité,
celui dont les coutumes et la philosophie de la vie
s'adapteraient au schéma céleste avec
le moins de difficultés ?
Au-delà de la foi pure, la mission du Christ
n'était ni plus ni moins qu'un changement total
de mentalité. Et elle a réussi. Il faut
néanmoins se demander s'il n'y a pas eu auparavant
des tentatives christiques qui ont échoué,
forçant l'Au-delà à recommencer.
Malgré toute la connaissance que les historiens
ont acquise sur les civilisations passées (et
que Thomas d'Aquin ne pouvait pas avoir), il ne semble
pas qu'un clerc érudit se soit jamais penché
sur ces questions.
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L'orgue de tribune.
Le buffet, exécuté aux alentours de 1650, vient de l'abbaye
bénédictine Saint-Georges. |
L'église
Saint-Sauveur et la loi de 1905 (4/5).
---»» Détruire la porte principale
ne suffit pas. Les ouvriers s'attaquent aussi à
la petite entrée de la rue Saint-Sauveur (voir
photo
plus haut) qui est d'ailleurs rapidement forcée.
Mais, sans que l'on sache bien pourquoi, l'inspecteur
ne profite pas de cette ouverture. Qu'y avait-il donc
derrière ?
En revanche, la grande porte est beaucoup plus robuste.
Les haches rebondissent sur le chêne ! Il faut
appliquer leur tranchant sur le bois et taper à
coups de masse sur le dos des haches ! La porte finit
quand même par céder, tout comme les gonds.
Mais un autre obstacle surgit : une barricade de chaises
et de bancs entassés, liés par du gros
fil de fer, obstrue l'entrée ! Le labeur des
ouvriers continue : il faut maintenant retirer le fil
de fer ou le rompre, puis dégager un passage
pour les officiels. En tout, casser la porte et faire
place nette leur prennent deux heures.
La course d'obstacles n'est pourtant pas finie. Ce sont
à présent d'épaisses vapeurs de
soufre qui sortent de l'édifice, rendant l'entrée
impraticable ! Une fumée jaunâtre fait
même croire à un incendie. Il n'en est
rien : les défenseurs de l'église ont
seulement allumé des brasiers où ils ont
jeté du soufre imbibé de térébenthine
! La plupart se sont enfuis. Ceux qui sont restés
alimentent le feu... Pour les agents de l'État,
il n'y a rien à faire contre les fumées,
sinon attendre. Quelques téméraires essaient
de braver les émanations toxiques : ils ressortent
précipitamment, à moitié asphyxiés
! On les remet sur pied en leur faisant respirer de
l'éther.
Vers 12 heures 30, l'entrée devient possible...
avec un mouchoir sur la bouche. La sacristie est ouverte
; les portes des placards le sont aussi. L'inventaire
a lieu au pas de charge, sans la présence du
curé et des fabriciens évidemment.
---»» Suite 5/5
plus bas.
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Le bas-côté nord et la chaire à prêcher. |
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Tableau dans le chur : La Transfiguration (1824).
Jean-Bruno Gassies (1786-1832). |
L'église
Saint-Sauveur et la loi de 1905 (3/5).
--» À 18 heures ce même jour, le
calme règne dans Rennes.
Les agents de l'État sont entrés dans
les églises pour repérer les points faibles,
nous dit ce témoin qui ajoute non sans
malice : «Ils savent par où ils pourront
tenter l'effraction.»
À 23 heures, les portes des églises sont
gardées par des escouades. À minuit, la
ville est en état de siège. Pour rentrer
chez eux, les habitants dont les maisons sont proches
des édifices cultuels doivent établir
leur identité et se faire accompagner par un
agent de police.
Le témoin poursuit : «Toute la garnison
de Rennes
a été mobilisée : les 14 compagnies
du 41e de ligne, en tenue de campagne, avec deux paquets
de cartouche dans chaque giberne, les artilleurs des
7e et 10e d'artillerie, - les gendarmes, 500, dit-on
-, arrivés de partout. Tout cela pour enfoncer
les portes de six églises, et inspirer une salutaire
terreur à quiconque voudrait bouger.»
La dévotion à Notre-Dame des Miracles
et des Vertus fait de Saint-Sauveur (qui n'est
pas encore basilique) l'église la plus vénérée
et la plus visitée de la ville. Le soir du 15
février, des centaines de personnes veulent rester
dans l'édifice pour le défendre, mais
le curé réussit à les en dissuader.
Toutefois, une vingtaine de jeunes gens décident
de rester. La notoriété de l'église
pousse les paroissiens à résister à
l'inventaire par la force. Le préfet et les prélats
le savent. L'armée a donc mis les moyens : 240
hommes du 10e d'artillerie ; 120 hommes du 41e d'infanterie
; 15 gendarmes à pied, renforcés de gendarmes
à cheval. Précaution supplémentaire
: les fonctionnaires chargés de l'inventaire
sont étrangers à la ville. Le commissaire
de police vient de Saint-Malo ; l'agent des domaines,
M. Couallier, de Laval. Deux cantonniers sont choisis
comme témoins.
Le soir du 15, le bruit court que l'église est
pleine de monde, que les chaises, liées par du
fil de fer, sont entassées derrière les
portes. L'Administration s'attend à de la bagarre.
Inquiet pour sa vie, l'inspecteur Couallier s'est confié
au curé... qui s'est engagé à le
défendre (!)
Arrive le matin du vendredi 16 février 1906.
La foule se porte vers l'église, mais l'armée
barre le passage. À 7 heures, l'inspecteur arrive,
aussitôt salué par un tollé menaçant.
On crie : «Vive la liberté !» ; «À
bas les voleurs !». Des cantiques résonnent.
Couallier se présente devant la grille de l'église,
mais le curé Hévin et les membres du Conseil
de fabrique font obstruction.
Le curé lit une protestation officielle : Saint-Sauveur
abrite Notre-Dame des Miracles qui a sauvé la
ville de Rennes
d'un grand danger [l'incursion des Anglais lors du
siège de 1357] ; c'est un fait que l'État
a oublié ; lui-même et les fabriciens sont
responsables devant Dieu des biens que renferme l'édifice
; ces biens sont sacrés et seul le pape peut
les dégager de leurs responsabilités.
Comme à l'église Saint-Aubin,
le curé ajoute à ces lieux communs une
considération juridique : les associations cultuelles
qui doivent prendre possession des biens de l'Église
ne sont pas encore créées ; on ne sait
d'ailleurs pas si elles le seront un jour «puisque
le règlement public qui doit régler leur
administration n'est pas encore édicté.»
En conséquence, garant de l'église devant
Dieu, le curé ne peut en ouvrir les portes. Seule
la force publique peut le faire. Au mépris du
droit.
M. Marcille, président du Conseil de fabrique,
renchérit : les fabriciens ont reçu mandat
pour administrer les biens de cette église en
bons pères de famille et ils s'y tiennent ; à
la spoliation ils n'opposeront qu'une résistance
passive, mais résolue, et demandent que leur
protestation soit incluse dans le procès-verbal.
L'inspecteur Couallier prend note de cette opposition.
Comme pour les autres églises de Rennes,
la suite logique est d'aller en référé.
Il doit donc contacter le préfet pour obtenir
de sa part un mandat légal permettant d'utiliser
la force.
Pendant ce répit, la foule grossit, sa colère
augmente, tandis que les cloches sonnent le glas ! Les
gens ont les yeux rivés sur le portail de Saint-Sauveur.
Derrière, dit-on, se tiennent de nombreux gaillards
prêts à en découdre...
Lorsque le chargé d'inventaire et le commissaire
réapparaissent avec le fameux mandat, accompagnés
des cantonniers et des gendarmes, le tumulte redouble
: «Liberté ! A bas les voleurs !»,
mais aussi «Vive l'armée !». Les
gens plaignent les soldats de devoir se livrer à
cette basse besogne... Quelques fonctionnaires, quelques
«arrivistes» manifestent contre les curés.
Peu nombreux, leurs cris sont étouffés
par les protestations. Aux fenêtres, les habitants
du quartier ne sont pas en reste.
Il est aux alentours de 10 heures. Les ouvriers de la
8e compagnie arrivent avec les échelles, les
marteaux et les haches pour forcer les portes. Cependant,
rue Duguesclin, devant l'église, ils doivent
se frayer un chemin à travers une foule hostile.
(Voir dessin de l'époque à gauche.)
Aussitôt, on entoure les ouvriers ; des cris fusent
: «Enlevez les outils !» Des manifestants
passent à l'acte, bousculent les ouvriers, arrachent
marteaux et haches et les jettent, dit la rumeur, dans
un égout. On échange des coups. L'un des
manifestants, un certain de Montcuit, se défend
à coups de poings contre ceux qui l'attaquent.
Dans la rixe, il frappe l'un des ouvriers. Empoigné
par un gendarme, de Montcuit est conduit aussitôt
au Parquet sous bonne escorte.
Les premiers coups de marteau frappent la grande porte
de l'église. Des cantiques retentissent dans
la foule. Le Journal de Rennes, qui décrit
la scène et que le témoin, auteur
de l'ouvrage À l'assaut de nos églises,
cite abondamment, déplore que les ouvriers exécutent
leur besogne de bon cur, contrairement aux officiels
et à tous les soldats qui forment barrage.
---»» Suite 4/5
plus bas.
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Vitrail : Le Culte de Notre-Dame des Miracles.
Atelier Jean Barillet, 1953.
Dans la basilique, c'est le seul vitrail qui porte une signature
(visible en bas à droite). |
Le
Culte de Notre-Dame des Miracles.
Dans le vitrail ci-dessus, l'atelier Jean Barillet a
représenté saint Jean Eudes et
saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Tous
deux sont venus prier dans l'église Saint-Sauveur.
On y lit aussi les noms, en petits caractères,
de Marie Richelot et de Madeleine Morice. Après
leurs prières à Notre-Dame des Miracles,
ces deux personnes ont été «miraculeusement»
guéries.
Dans la partie basse, Mgr Dubourg couronne la statue.
En face de lui se trouve le cardinal Roques qui a présidé
les travaux de restauration de la basilique après
le second conflit mondial.
Source : 600 ans de
Dévotion Mariale,
brochure éditée par la paroisse.
Au niveau du style de l'atelier Barillet, on remarquera
la taille un peu forcée des mains des personnages,
notamment celles du cardinal Roques au premier plan.
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La signature de Jean Barillet au bas du vitrail du Culte
de Notre-Dame des Miracles. |
Deux angelots soutiennent la croix au sommet du baldaquin. |
Vitrail : Le Congrès marial national de 1950.
Atelir Jean Barillet, 1953.
À l'occasion du congrès, l'Église a organisé
un défilé des Madones à travers la ville.
Il s'est clos par la statue de Notre-Dame des Miracles de la
basilique Saint-Sauveur. |
Vitrail : La Médaille miraculeuse.
Atelier Jean Barillet, 1953. |
Vitrail : La Nativité.
Atelier Jean Barillet, 1953. |
LA VIERGE DES ANNONCIATIONS
DE JEAN BARILLET |
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Première Annonciation. |
Seconde Annonciation. |
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Vitrail : L'Annonciation.
Atelier Jean Barillet, 1953. |
L'église
Saint-Sauveur et la loi de 1905 (5/5).
---»» Pendant ce temps, dans la rue, au milieu
des cris et des sifflets, une autre rixe oppose les paroissiens...
aux anticléricaux qui les conspuent. Des bagarres éclatent.
«Les gendarmes à cheval chargent à plusieurs
reprises ; plusieurs personnes sont bousculées, et
plus ou moins contusionnées», lit-on dans le
récit du témoin. Un contre-manifestant
brandit un chiffon rouge ; il est aussitôt malmené
par la foule. Les gens maltraités huent les gendarmes.
Le sous-préfet de Redon, présent on ne sait
pourquoi, reste narquois devant toute cette scène.
Il est conspué. Sont également pris à
partie deux députés d'Ille-et-Vilaine. De son
côté, un lieutenant commandant la gendarmerie
est pris dans une bousculade. Il en sort fortement contusionné.
À son retour du référé, le commissaire
spécial a pris un parapluie sur la tête !
L'objet du scandale a-t-il été lâché
depuis la terrasse de l'hôtel Blossac, tout proche ?
On parle d'attentat ! Ulcéré, le commissaire
menace des manifestantes de leur faire tirer dessus !
Peu auparavant, à deux hommes retranchés derrière
la grille qui sépare la façade de la rue, il
avait déjà prévenu, très en colère,
que chaque coup de poing donné vaudrait deux ans de
prison ! «Il est impossible de perdre la tête
à ce point !», commente l'auteur du récit,
qui a pris depuis longtemps la défense des manifestants.
L'après-midi, les curieux se pressent dans l'église
pour «voir les ravages opérés par les
visiteurs du matin, écrit encore le narrateur, et prier
aux pieds de la Vierge du Miracle.» Ne voudrait-elle
sauver les paroissiens de Saint-Sauveur une fois de plus ?
Le dimanche suivant, au prône, le curé détaille
les réparations à effectuer d'urgence, notamment
celle de la grande porte. Chaque paroissien est invité
à verser un sou.
La veille, le samedi 17 février, M. de Montcuit a été
condamné par le tribunal correctionnel à cent
francs d'amende et à huit jours de prison avec sursis.
Il a fait appel. Malgré une belle plaidoirie de son
avocat, la condamnation sera confirmée par la troisième
chambre de la Cour d'appel dès le lundi suivant.
Source : À l'assaut
de nos églises, récit anonyme d'un témoin,
publié en 1906.
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Vitrail : La Seconde Annonciation.
Atelier Jean Barillet, 1953.
Seconde Annonciation : un ange vient
annoncer à Marie sa mort prochaine. |
Documentation : «Patrimoine religieux
de Bretagne», éditions Le Télégramme, 2006
+ «Bretagne, dictionnaire guide du patrimoine, éditions
du patrimoine, 2002
+ «Dictionnaire du patrimoine rennais» sous la direction
de Jean-Yves Veillard et Alain Croix, Éditions Apogée,
2004
+ base Mérimée, articles sur la basilique Saint-Sauveur
+ «Dictionnaire d'histoire de Bretagne», éditions
Skol Vreizh, 2008
+ «À l'assaut de nos églises», récit
anonyme d'un témoin, édité en 1906
+ «600 ans de dévotion mariale» d'Émile
Bonnelière et Charles Grosset, livret édité par
la paroisse Saint-Sauveur.
+ dépliant sur la basilique Saint-Sauveur disponible dans l'avant-nef. |
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