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L'église Notre-Dame de La Charité-sur-Loire
est une fille aînée de Cluny. À ce titre, elle
occupe une place importante dans l'histoire de cet ordre monastique,
ainsi que dans l'histoire de l'art roman. À l'origine, en
1056, l'ordre de Cluny reçut en donation une terre où
s'élevait une église ruinée par les attaques
sarrasines. En 1059, l'ordre y fonda une église dédiée
à Notre-Dame dont le premier prieur, Gérard, sera
le premier constructeur. Bâtie sur un plan bénédictin,
elle était composée d'un chur flanqué
de trois absidioles au nord et au sud, d'un transept et de deux
travées (voir plans).
L'église Notre-Dame fut consacrée par le pape Pascal
II en 1107. Un destin peu commun attendait l'édifice. En
effet, La Charité se situe sur l'une des principales routes
de pèlerinage vers Saint-Jacques de Compostelle en venant
de Vézelay. Rapidement, les pèlerins firent halte
dans le bourg, profitant de «la charité des bons pères».
Le nom restera à la ville.
Dans la 1ère moitié du XIIe siècle, l'édifice
fut considérablement agrandi : le chur s'étoffa
; la nef s'allongea ; l'ensemble atteignit la longueur impressionnante
de 122 mètres (voir plans).
La Charité était devenue la plus grande église
d'Europe après Cluny. Corrélativement, la prieurale
commença à créer des filiales en Bourgogne
(près d'une centaine), dans les régions françaises
voisines et certains pays étrangers (Angleterre, Italie,
Portugal). Dès les travaux du XIIe siècle, l'accent
fut mis sur la beauté artistique et la multiplication des
chapiteaux,
notamment dans le chur.
Notre-Dame de La
Charité est une véritable vitrine du style roman
et de son ornementation. Cette page développe abondamment
le thème des chapiteaux. On lira plus bas un commentaire
sur l'intéressant concept d'«art charitois» créé
lors du Congrès archéologique de France de
1967. En 1209, les bas-côtés nord furent transformés
en église paroissiale : l'église Sainte-Croix.
Éprouvée pendant la guerre de Cent Ans (voir les extraits
de l'ouvrage d'Heinrich Denifle), l'édifice faillit ne pas
survivre au grand incendie du 31 juillet 1559 qui détruisit
une partie des bâtiments monastiques et ravagea l'église.
En 1569, lors des guerres de Religion, les moines et une partie
de la population furent massacrés. La prieurale et les bâtiments
conventuels furent lentement restaurés au cours des deux
siècles suivants par les prieurs commendataires. Il faut
noter l'action, en 1695, de Jacques-Nicolas Colbert, évêque
d'Auxerre et fils du grand ministre : quatre des dix travées
de la nef sont reconstruites, ainsi que le grand cloître,
les locaux conventuels, l'hôtellerie. De plus, un nouvel hôpital
est créé.
En 1791, les trois églises paroissiales de La Charité
sont supprimées. Notre-Dame devient la seule église
paroissiale de la ville. L'ancienne église Sainte-Croix est
transformée en magasins et en locaux d'habitation, ce qu'elle
est toujours. La prieurale, objet du désintérêt
de la commune, fut sauvée de la ruine par Prosper
Mérimée qui passa à La Charité en
1834. Elle fut classée monument historique en 1840. Dès
lors, les projets de restauration se succédèrent,
rarement exécutés. Néanmoins, les bâtiments
étaient protégés par la loi. La dernière
restauration date des années 2000. Le visiteur a maintenant
accès aux bâtiments conventuels et aux ruines aménagées
de l'église Saint-Laurent,
découverte en 1975, juste au nord de la prieurale, lors de
terrassements.
Les vitraux romans, s'il y en a eu un jour, ont disparu depuis longtemps.
Au XIXe siècle, des vitraux historiés furent installés
dans les chapelles rayonnantes (plusieurs sont donnés dans
la dernière
partie de cette page). Les autres fenêtres ont reçu,
en 1957, des vitraux figuratifs de style géométrique
créés par Max
Ingrand.
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Vue d'ensemble de la nef et de l'abside quand on rentre dans l'église
Notre-Dame. |
Le clocher occidental et la Loire. |
Vue d'ensemble de la prieurale depuis le rempart
nord.
Après l'importante restauration de 2001 à 2011, les
services du Patrimoine ont réaménagé les toitures. |
Maquette de l'église vue depuis sa façade occidentale.
Aucun élément historique ne vient étayer l'hypothèse
d'une seconde tour, au sud, sur la façade. |
Maquette de l'église vue avant le XIVe siècle :
la chapelle axiale est encore de style roman.
Au XIVe siècle, elle sera détruite, puis
reconstruite en style gothique. |
L'Office du tourisme propose un plan 3D de la ville au Moyen Âge.
Il permet d'appréhender la superficie occupée par le
prieuré. |
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Le portail principal de la façade ouest
date du début du XVIe siècle.
Au XXIe siècle, les services du Patrimoine ont
commencé la restauration de ce portail gothique.
«««--- À GAUCHE
L'entrée occidentale du bâtiment donne sur la place des
Pêcheurs. Les contreforts massifs datent du XIVe. |
Les
phases de la construction.
1. 2e moitié du XIe siècle
: la construction commence en 1052 selon un plan bénédictin
classique : le chur roman, à deux niveaux,
est bordé, au nord et au sud, de trois chapelles
absidiales de profondeur décroissante ; la nef
ne comprend que deux travées (à trois
niveaux).
2. 1er quart du XIIe siècle
: la nef s'allonge de six travées supplémentaires
; l'arc brisé apparaît autorisant un accroissement
de l'élévation.
3. 2e quart du XIIe siècle
: c'est l'époque des grandes modifications.
La nef gagne deux travées ; on édifie
le clocher Sainte-Croix et une partie de l'autre clocher.
Le chur est agrandi : faux triforium, déambulatoire
avec cinq chapelles rayonnantes. Le transept est surélevé
d'un étage. La tour octogonale, dite clocher
de la Bertrange, est bâtie à la croisée
du transept.
4a. XIIIe siècle :
l'incendie de 1204 détruit une partie de l'église
et des bâtiments conventuels (sans grand dommage)
; le bas-côté nord est fermé sur
sept travées pour créer l'église
paroissiale Sainte-Croix.
4b. XIVe siècle : la
chapelle axiale est reconstruite en chapelle gothique
à plan cruciforme. L'église atteint 130
mètres de long ; après Cluny; La Charité
est la plus longue église monastique d'Europe.
4c. Début du XVIe siècle
: priorat de Jean de la Magdeleine de Ragny. Le grand
portail de la nef est refait ; un passage permettant
d'accéder à la ville est créé
dans le bras sud du transept.
5. 2e moitié du XVIe siècle, XVIIe et
XVIIIe siècles : terrible incendie
de 1559 qui détruit les trois-quarts de l'église.
Il faut attendre 1695 pour la reconstruction. En attendant,
la nef ne comprend plus que quatre travées, fermées
à l'ouest par un nouveau portail de style néo-classique.
L'espace laissé libre ---»»»
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Les différentes phases de la construction de la prieurale Notre-Dame. |
LE TYMPAN ROMAN
DU CLOCHER SAINTE-CROIX |
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Le tympan roman à la base du clocher Sainte-Croix. |
Les tympans
romans (1/2). L'église Notre-Dame offre
aux visiteurs deux très beaux tympans romans remontant
au second quart du XIIe siècle (c'est du moins à
cette époque que les dernières travées
de la grande église sont édifiées). Initialement
ces tympans ornaient la base du grand clocher Sainte-Croix.
L'un deux s'y trouve encore, le second a été
déplacé dans le croisillon sud du transept sur
instruction de Mérimée en 1834.
Signalons que lors du Congrès archéologique
de France tenu à Moulins et à Nevers en
1913, l'historien Louis Serbat rappelle, dans son article
sur la prieurale, que le tympan sur la tour Sainte-Croix «demeure
caché dans l'une des petites maisons qui se sont accolées
aux flancs de la tour.» Une photographie
du XIXe siècle, donnée plus bas, en donne un
bon aperçu. Ces petites maisons ont donc été
supprimées dans le courant du XXe siècle.
Malgré les flétrissures du temps, ces deux tympans
sont d'une très haute qualité artistique. Les
plissés des vêtements sont remarquables, les
expressions des visages très étudiées.
Le linteau du tympan extérieur (présenté
ci-contre) montre les scènes principales de la Nativité
(Annonciation, Visitation, Nativité, Annonce aux bergers).
Le linteau du tympan déplacé dans le transept
prend la suite de ces scènes. Il propose une Adoration
des mages et une Présentation
au temple. La scène de la Nativité
proprement dite est exceptionnelle : la Vierge est allongée
dans un lit (représentation très rare) tandis
que, «au-dessus», le buf et l'âne
réchauffent l'Enfant de leurs souffles. D'où
le sculpteur tenait-il l'idée de représenter
la Vierge et l'Enfant sur deux niveaux différents?
L'historiographie consultée n'en dit rien. Un document
dans l'église présente ce tympan comme celui
de l'Assomption. Ce qui fait que la Vierge allongée
sur son lit serait en fait la représentation d'une
Dormition. Le sculpteur aurait ainsi résumé
la vie de Marie dans un raccourci surprenant. Dans cet ordre
d'idée, le Christ bénissant, dans la mandorle
au-dessus, accueille sa mère lors de l'Assomption.
Marie se tient devant son fils, ses deux mains sur la mandorle
(photo ci-dessous). De l'autre côté, deux anges
bienveillants observent la scène des retrouvailles.
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Les tympans
romans (2/2).
---»»» Dans l'autre tympan,
le très beau Christ en gloire dans sa mandorle est
une Transfiguration. Jésus transfiguré
est entouré d'Élie et de Moïse, tandis
que les apôtres, à droite et à gauche,
sont représentés apeurés par la scène
ou en adoration. Notons que le tympan dans le transept est
en bien meilleur état que celui qui est à l'extérieur.
Lors de son voyage dans le Midi de la France, Prosper Mérimée
confia à son ministre de tutelle ses impressions très
enthousiastes sur ces deux tympans :
«Il est impossible de ne pas admirer la perfection avec
laquelle sont rendus certains détails, comme les étoffes
et les broderies, - l'ornementation en général.
En même temps, il y a lieu de s'étonner que des
artistes, en état d'exécuter si bien certaines
parties, soient tombés dans des fautes aussi grossières
; les mains, par exemple, sont hors de toute proportion avec
les corps, et il y a un tel personnage dont les doigts ont
la même longueur que la face. [Il s'agit de Moïse
dans le tympan de la Transfiguration] - On observe les plis
très fins et tourmentés des draperies, la profusion
des broderies et des bijoux, caractères assez constans
de la sculpture des XIe et XIIe siècles. - J'ai cherché
en vain sur la pierre des traces de peinture. Je n'en ai trouvé
que sur les nimbes, peints en bleu, entourés de perles
d'or, avec une croix grecque rouge, au milieu. La parfaite
conservation des couleurs dans cette seule place, l'absence
du moindre vestige de coloration dans le reste des bas-reliefs,
me font penser qu'ils n'ont jamais été peints.»
Source : Notes d'un voyage dans le
Midi de la France par Mérimée,
éditions Adam Biro.
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Détail du tympan de l'Assomption du clocher Sainte-Croix.
Le Christ bénissant est présenté de trois-quarts
dans une mandorle. Il accueille sa mère lors de son Assomption. |
Le linteau du tympan roman du clocher Sainte-Croix illustre quatre
scènes autour de la Nativité.
Au centre, la Vierge est présentée couchée dans
un lit (disposition très rare). Au-dessus, le buf et
l'âne réchauffent l'Enfant. La Vierge couchée
est-elle une Dormition ?
Le linteau est souligné par une remarquable «grecque»,
c'est-à-dire une longue frise à dessins géométriques. |
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Les deux clochers du prieuré vus depuis le pont sur la Loire. |
Les clochers
(1/3). L'église de La Charité-sur-Loire
possède deux clochers bien différents. Tous
deux datent de la phase des grands travaux entrepris au deuxième
quart du XIIe siècle (n°3 sur le plan).
C'est la période de l'art bourguignon à son
apogée.
Le clocher octogonal qui se dresse au-dessus de la coupole
est appelé clocher de la Bertrange. La toiture
constituée d'une flèche d'ardoise avec lanternons
date du début du XVIe siècle. L'octogone (du
XIIe siècle) est posé sur une souche rectangulaire
(photo à droite). Son ornementation romane est de toute
beauté, mais il faut une paire de jumelles pour vraiment
l'apprécier (photo ci-dessous). Une suite de semi-colonnes
engagées et de pilastres abrite une série de
grandes arcades en plein cintre ornées de chaînes
perlées. Ces arcades sont chacune subdivisées
en deux petits arcs brisés, bordés de perles
et garnis de redents. Dans chacun de ces arcs se niche une
petite statue, souvent difficile à identifier. Quoi
qu'il en soit, l'ensemble offre une très belle ornementation
romane sur le thème classique des «arcades dans
les arcades».
Le clocher sud de l'ancienne façade occidentale est
d'un style très différent. Il a été
bâti en même temps que l'on prolongeait la nef
de deux travées. Voir ci-dessous deux photographies
partielles du clocher. Une galerie d'arcatures, semblable
à celle du triforium de la nef, est située au
premier niveau. Les deux étages terminaux affichent
un triplet d'arcades en plein cintre abritant des baies géminées.
Chaque baie est surmontée d'un petit arc en plein cintre
garni de trois redents. Mais la partie la plus intéressante
est sans conteste le bandeau
carré qui relie la galerie d'arcatures à la
base des baies géminées. Ce bandeau est incrusté
de «toute une décoration de rosaces et de panneaux
rectangulaires qui sont ornés de motifs demi-circulaires
---»»» 2/3
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Le clocher octogonal sur le chevet, dit
clocher de la Bertrange. L'octogone est
orné d'une belle ornementation romane. |
Le clocher de la Bertrange.
Les statues de son octogone sont nichées dans un enchevêtrement
d'ornementations romanes. |
Le clocher nord et ses deux étages de baies géminées.
Sur le premier niveau de la photo se trouve une longue frise
de bas-reliefs
composés de rosaces et d'animaux. |
Une fenêtre romane dans le clocher nord.
Les baies sont surmontées d'arcs en plein
cintre garnis de trois redents. |
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Plan de l'église et des alentours. |
Plan.
Dans le plan ci-dessus, on voit nettement les quatre
contreforts construits sur la façade occidentale
après l'écroulement probable de la tour
sud à la fin du XIIIe siècle ou au début
du XIVe. Le contrefort le plus au nord a toutefois été
érigé au XVIe alors que les trois autres
sont du XIVe siècle.
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«««--- Frise
d'animaux et de rosaces sur le clocher sud.
Au-dessous : série d'arcatures en plein cintre
dont l'arc est à cinq redents. |
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Ces deux arcades sur la façade occidentale
correspondaient aux portails d'accès vers le bas-côté
nord.
Portails et baies ont été bouchés après
le probable écroulement de la tour sud
à la fin du XIIIe ou au tout début du XIVe siècle. |
Les
clochers (2/3).
---»»» avec rinceaux, palmettes et
entrelacs» [Louis Serbat, Congrès archéologique
de France, 1913]. Voir photo ci-dessus.
Aucun document médiéval ne relate l'existence
d'une tour sud qui fasse pendant à la tour nord.
De même, on ne possède nulle trace, dans
les archives, de l'«accident» qui entraîna
d'importants travaux de restauration datés du
XIVe siècle (c'est du moins à cette période
que leur style fait penser). On sait qu'ils furent commencés,
puis brutalement interrompus. Sur cette importante question,
Jean Vallery-Radot écrit dans son long
rapport sur l'église Notre-Dame à l'occasion
du Congrès archéologique de France
tenu en Nivernais en 1967 : «On considère
généralement comme acquis qu'il existait
du côté sud de la façade une tour
semblable à la tour septentrionale. Comme aucun
témoin visible n'en subsiste, on ne peut qu'émettre
des hypothèses à son sujet. On peut aussi
supposer qu'elle s'était écroulée
en ruinant, dans sa chute, la façade, les deux
premières travées de la nef et leurs voûtes.
C'est en effet cette partie de l'édifice qui
fit l'objet, au XIVe siècle, d'une importante
restauration commencée, puis interrompue brusquement.
En même temps, la tour nord fut considérablement
renforcée à sa base, comme si l'on avait
voulu prévenir le retour de semblable catastrophe,
et la reconstruction de la tour méridionale fut
amorcée.»
Il faut donc poser la question : l'architecte qui avait
conçu ces deux clochers s'était-il fourvoyé
en ouvrant beaucoup trop de fenêtres et d'arches
dans la moitié basse de son projet, compte tenu
du poids de la moitié haute? C'est vraisemblable
car, sur la tour nord, portails et baies furent partiellement
aveuglés (photo ci-contre). Sur la tour sud (ou
du moins ce qu'il en restait), on maçonna l'espace
entre les deux arcades qui ouvraient sur les bas-côtés.
Enfin, ce qui est encore bien visible, on renforça
la structure basse de la tour nord par un contrefort
massif, épais de 2 mètres et long de plus
de 2,50 mètres. L'autre contrefort, plus au nord,
a été édifié au XVIe siècle.
Sur le côté sud détruit, on construisit
d'emblée deux contreforts pour encadrer un portail
de style gothique, aux profondes voussures et peuplées
de statuettes. Une photo
de la façade occidentale donnée plus haut
donne un bon aperçu des contreforts centraux
qui datent ---»»» 3/3
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Portail en style gothique avec profondes voussures
et statuettes construit au XIVe siècle,
après le probable écroulement de la tour sud. |
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Les statuettes du portail gothique sud
ont été mutilées. Lors de quels événements
? Guerres
de Religion ? Révolution ?
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Les
clochers (3/3).
---»»» tous les deux du XIVe
siècle. La consolidation continua à l'intérieur
de la nef : les deux premières piles nord furent
renforcées. Mais cette campagne de restauration
fut interrompue. Pourquoi? L'explication ne figure pas
dans les documents à disposition des historiens,
mais tout le monde pense évidemment à
la guerre de Cent Ans.
À cet égard, le formidable travail d'érudition
accompli par le père dominicain Heinrich Denifle
donne quelques indications intéressantes. Rappelons
que ce clerc, à la fin du XIXe siècle,
a passé au crible des milliers de suppliques
adressées aux papes par les monastères
dans les premières décennies de la guerre
de Cent Ans. Ils y racontent leur malheur et demandent
des secours. Le gros ouvrage La Désolation
des églises, monastères & Hôpitaux
en France pendant la guerre de Cent Ans rapporte
ainsi que, en 1336, c'est-à-dire avant même
le déclenchement de la guerre, les comtés
de Bourgogne et de Franche-Comté furent ravagés.
Le comte de Bourgogne Eudes IV avait attiré la
haine contre lui. Une ligue de puissants seigneurs ravageaient
sa terre, aidés en secret par les subsides du
roi d'Angleterre, Édouard III. Heinrich Denifle
écrit : «Ces seigneurs renversèrent
les murs de l'abbaye cistercienne [en réalité
clunisienne] de La Charité, diocèse de
Besançon.» Trois décennies plus
tard, les grandes Compagnies se mirent à sévir
dans toute la France, chaque région y passant
tour à tour.
Notre clerc poursuit : «Dès 1363, la Compagnie
de Louis de Navarre ravageait le pays situé entre
la Loire et l'Allier, mais surtout les environs de Moulins,
de Saint-Pierre-le-Moutier et de Saint-Pourçain.
La manière dont cette compagnie exerça
ses ravages nous est conservée dans une supplique
dressée par le prieur du prieuré bénédictin
Lieu-Dieu, du diocèse de Bourges. Sur la fin
de 1363, cette bande envahit l'église et les
maisons du monastère, qu'elle détruisit
de fond en comble, après en avoir pris tous les
biens-meubles. Vers le même temps, en octobre
1363, Bernard de la Salle et son frère Hortigo,
avec quatre cents compagnons, s'emparèrent par
surprise de la ville de La Charité-sur-Loire,
du diocèse d'Auxerre et de son célèbre
prieuré de l'Ordre de Cluny, qu'ils occupèrent
pendant seize ou dix-sept mois, c'est-à-dire
jusque dans la première partie de l'année
1365. C'est seulement au prix d'une somme de 25.000
francs, versée à la Compagnie, que le
prieur put racheter le prieuré et la ville, après
que celle-ci avait été inutilement assiégée
par les royaux. Pendant l'occupation de La Charité-sur-Loire,
ce lieu était la grande place d'armes d'où
les Compagnies pillaient et ravageaient les deux rives
de la Loire.» Si la ville de La Charité
a bien été occupée en 1363, puis
rançonnée, on comprend que les travaux
de restauration se soient arrêtés, puis
que les fonds aient manqué pour les poursuivre,
une fois la Compagnie partie.
Sources : 1) Congrès
archéologiques de France tenus en 1913 et
1967 ; 2) La Désolation des églises
de France pendant la guerre de Cent Ans par Heinrich
Denifle, Alphonse Picard et Fils, éditeurs, 1899.
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Le premier niveau de la tour occidentale nord.
Là s'élevaient les deux premières travées
nord de la nef
construites vers le deuxième quart du XIIe siècle.
Les arcades brisées du premier niveau sont moins hautes que
dans les précédentes travées et le triforium
affiche des pilastres resserrés
ornés de petits arcs polylobés (voir commentaire
plus bas.) |
La Cour Sainte-Croix.
Élévation de l'ancienne nef et vestiges de l'église
Ste-Croix. |
Arcature du triforium de l'ancienne nef (1er quart du XIIe siècle).
La décoration est à deux niveaux.
Voir le commentaire
sur la nef de la prieurale. |
C'est dans la cour
Sainte-Croix que l'on voit l'élévation
des travées occidentales de la nef. Voir le commentaire
de la nef de la prieurale plus bas. En passant dans cette
cour avant d'entrer dans l'église, le visiteur doit
jeter un il attentif au triforium et aux tracés
des arcades brisées de l'ancienne élévation
nord de la nef.
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Prosper
Mérimée et l'église Sainte-Croix.
Après être passé à
La Charité en 1834, Prosper Mérimée
y revient en 1844 et dresse un constat sans appel des
particuliers qui ont investi l'ancienne église
Sainte-Croix. Il écrit à Ludovic Vitet,
président de la Commission des Monuments historiques
:
«Aujourd'hui, le chur de Sainte Croix est
entouré d'une quantité de baraques abominables,
qui non seulement en masquent l'admirable décoration,
mais qui portent le plus grand préjudice aux
gros murs. Toutes les eaux sont rejetées au pied
des apsides. Lorsque j'ai vu l'église, c'était
un jour de pluie, et le chevet avait l'air de sortir
d'un lac. Outre cela il y a des tuyaux de cheminée
et des fosses d'aisance qu'on a laissé établir
depuis des siècles et qui minent lentement les
vieilles constructions. L'acquisition de toutes ces
baraques et leur suppression aurait [sic] le meilleur
effet. La dépense ne peut être considérable,
mais je ne crois pas qu'il faille balancer à
y souscrire. (...) La grande tour, aujourd'hui séparée
de l'église, est également entourée
à son pied de masures qu'il faudra acheter et
démolir.»
Plus loin dans sa lettre, il parle des notables avec
qui il doit traiter : le curé et le maire. Le
curé a demandé à ses paroissiens
d'ouvrir leur porte-monnaie pour aider à financer
la restauration de leur église.
«J'ai trouvé là un curé homme
d'esprit qui a déjà promesses souscrites
de la part de ses paroissiens pour plus de 10 000 f.
On croit qu'on pourrait obtenir 40 000 f. si le gouvernement
accordait une allocation suffisante pour une restauration
complette [sic]. Quant au maire, il m'a paru bien mou,
et au seul mot d'expropriation que j'ai prononcé,
il s'est effrayé. Je lui demande de poursuivre
les gens qui compromettent les murs de l'église
par leurs fumiers et leurs cheminées. Il m'a
promis, mais si timidement, que je n'en attends rien
d'énergique.»
Source : La naissance
des Monuments historiques, la correspondance de Prosper
Mérimée avec Ludovic Vitet (1840-1848),
éditions du CTHS, 1998.
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Après la destruction du bas-côté sud, le
terre-plein devint un cimetière.
Aujourd'hui, c'est une place et un parking. |
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La cour du château (ou cour du Prieuré). |
Le chevet.
Le visiteur peut flâner auprès des absidioles,
chercher les modillons, les chapiteaux et admirer de
près la série de statues sur l'élévation
sud du chur (photo ci-dessous). Tout cela est
roman et date du début du XIIe siècle,
à part la chapelle axiale qui a été
reconstruite en style gothique au XIVe siècle.
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LE CHEVET
ET LES ABSIDIOLES |
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Ce magnifique chevet roman remonte au début du XIIe siècle.
La chapelle axiale (partie gauche de la photo) a été
détruite au XIVe siècle et reconstruite en style
gothique. |
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Ornementation romane (influencée par l'art arabe) de l'élévation
sud de l'abside
avec sa suite de statues (difficilement reconnaissables). |
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Bas-relief roman sur le pilier d'une absidiole sud. |
«««---
Cette série de personnages, incrustés
dans une arcature étroite, scandée de
pilastres sculptés, est très proche de
celle de la tour centrale.
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Une absidiole romane dans le chevet (début du XIIe siècle). |
Trois statues, vraisemblablement de prophètes, sur l'élévation
sud de l'abside (début du XIIe siècle).
Pour Émile Mâle, les arcs quintilobés qui ferment
les niches seraient
le résultat d'une influence artistique arabe, originaire de
Tolède.
Voir le commentaire
sur le chur et l'influence artistique arabe plus bas. |
Plan de l'église prieurale Notre-Dame telle qu'elle se présente
aujourd'hui. |
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Modillons sur une absidiole du chevet
Début du XIIe siècle. |
LA NEF DE L'ÉGLISE
PRIEURALE |
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Vitrail de la façade occidentale
Atelier Max Ingrand, 1957. |
La nef et l'élévation sud. Ici, les deux travées
de la première phase de construction (entre 1059 et 1087). |
L'architecture
de la nef. La nef a été élevée
en trois fois, de l'est vers l'ouest, et, à chaque
fois, dans un style différent. N'oublions pas que la
moitié occidentale de la nef est maintenant à
l'extérieur, dans la cour Sainte-Croix. Historiquement,
lors de la première phase de construction (entre 1059
et 1087), on amorça l'enveloppe des quatre premières
travées orientales, mais, seules, les deux travées
qui bordaient le transept furent élevées (voir
plan). Puis,
entre 1087 et 1110-1115, vint la construction des six autres
travées. Dans son étude pour le Congrès
archéologique de France tenu en Nivernais en 1967,
Jean Vallery-Radot écrit que ce vaste vaisseau
à huit travées, en dépit des deux phases
de construction, «n'en devait pas moins présenter
une unité de conception et de plan (...) : nef flanquée
de doubles collatéraux, piles du type de celles de
la croisée, massifs cruciformes flanqués de
quatre demi-colonnes engagées, élévation
à trois niveaux.» Les deux travées les
plus anciennes (celles qui bordent le transept) possèdent
une grande arcade en plein cintre et un triforium aveugle
de six petits arcs en plein cintre par travée. Ce qu'illustre
la photo ci-contre. Les six travées suivantes ont des
arcades brisés et un triforium aveugle à trois
arcs par travées (voir photo de la cour
Sainte-Croix).
Avant 1110, les travées de la nef étaient donc
à trois niveaux, celles du chur et du transept
n'en avaient que deux. Cette dissymétrie ne doit pas
étonner. Dans l'ouvrage sur le décor sculpté
de la prieurale, édité par les Amis de la
Charité, les auteurs rappellent que «La Charité-sur
Loire, tout comme Saint-Étienne
de Nevers et Saint-Benoît-sur-Loire, servait de champ
d'expérimentation, de laboratoire, à l'abbé
de Cluny, Hugues de Semur, qui avait déjà en
tête son grand projet de Cluny III, à trois niveaux.»
Enfin, troisième style de la nef : dans les deux travées
les plus récentes (voir photo de la tour
Sainte-Croix), les grandes arcades sont toujours en arc
brisés, mais moins hautes que les précédentes
et leur triforium est à petits arcs brisés polylobés.
Il est intéressant de se pencher sur le beau triforium
que l'on voit dans la cour Sainte-Croix. Il occupe le deuxième
niveau de l'ancienne élévation nord de la prieurale
(voir photo
plus haut à droite). Ce triforium, bien conservé,
montre «un double motif décoratif continu, l'un
encadrant l'autre» [Vallery-Radot]. Le bord extérieur
est orné de grandes feuilles découpées
qui s'alignent pour dessiner le motif ; le bord intérieur
est «une suite de petites crosses disposées obliquement
l'une à côté de l'autre, et dont l'extrémité
s'enroule sur elle-même [Vallery-Radot].
En 1107, l'église est consacrée par le pape
Pascal II, mais celui-ci a dû trouver l'édifice
en plein chantier car les travaux étaient interrompus.
Jean Vallery-Radot commente : «(...) à ce stade
de sa construction, l'édifice, avec sa nef à
trois niveaux, devait présenter un déséquilibre
choquant avec le chur et le transept demeurés
à deux niveaux. Il fallait harmoniser cet ensemble
disparate. C'est ce qui explique les travaux de la campagne
suivante dont le chur et le transept sortiront transformés,
le premier prolongé à l'est sur un nouveau plan
et reconstruit avec une élévation à trois
niveaux, le second, surhaussé d'un niveau et doté
de sa nouvelle tour centrale.»
Arriva donc la dernière période (entre 1110-1115
et 1135) qui ajouta les deux travées occidentales et
donna à la prieurale un nouveau chur. Aux deux
travées s'ajouta la tour Sainte-Croix sur laquelle
on voit encore l'ancienne élévation nord : trois
niveaux, grandes arcades brisées, triforium aveugle
et fenêtres hautes. Jean Vallery-Radot souligne que
cette élévation est semblable à celle
du chur et possède le même luxueux décor
: «le petit arc brisé polylobé étant
le "leitmotiv" de cet ensemble». Voir plus
bas le long commentaire à propos de cet arc brisé
polylobé. Ajoutons que Jean Vallery-Radot donne une
description du triforium qui est pleine de saveur (puisqu'il
ne parle pas de l'influence arabe dans l'art roman de la prieurale)
: «triforium aveugle constitué par de petits
arcs brisés, à l'intrados découpé
en cinq redans, qui retombent sur des pilastres surchargés
du plus riche décor : cannelures, rinceaux, entrelacs,
méandres, chevrons en relief enchâssés
les uns dans les autres, etc.» Photo ci-contre.
Sources : 1) Congrès
archéologique de France de 1967, article de Jean
Vallery-Radot ; 2) Notre-Dame de La Charité-sur-Loire,
le décor sculpté, édité par
les Amis de La Charité.
|
|
Élévations des deux travées proches du
transept
On aperçoit bien la trace du triforium à six petits
arcs (flèche). |
Vitrail de Max Ingrand dans la nef, 1957. |
Le triforium des deux travées occidentales de l'ancienne
nef
est maintenant, à l'extérieur, sur la tour Sainte-Croix.
La photo montre le motif décoratif des arcs polylobés
et des pilastres qui le parcourent. |
|
Chapiteau montrant deux hommes se tenant par
la barbe et illustrant la discorde et la colère. |
Chapiteau montrant deux hommes barbus
qui se défient avec leur hache. |
Les
chapiteaux de la nef. L'incendie de 1559
et la Révolution n'ont pas épargné
les décorations de la nef et ses chapiteaux.
Hormis les chapiteaux à feuillages ou illustrant
des animaux adossés, on trouve deux bas-reliefs
intéressants (situés vers le transept)
sur le thème de la discorde et de la colère.
Le premier (photo ci-dessus)
montre une pomme de pin, symbole de paix, sur chaque
face. Sur les deux arêtes, deux hommes s'empoignent
par la barbe. Expression de la discorde ou de la colère?
Sans doute les deux. Même si la colère
fait partie des sept péchés capitaux,
et non la discorde, ce bas-relief veut adresser une
leçon de sagesse aux fidèles. L'Église
les invite à laisser leurs conflits personnels
de côté avant de rentrer dans le lieu saint.
Le chapiteau au-dessous montre deux individus barbus
(signe négatif à l'époque médiévale),
brandissant leur hache l'un vers l'autre. Et celles-ci
se détachent sur un carré de pierre. Ce
sont vraisemblablement des tailleurs de pierre, pleins
de courroux l'un envers l'autre, qui se défient.
Sur la gauche (non représenté ici), un
troisième homme, les mains jointes, semble les
supplier d'arrêter leur dispute. On peut aussi
voir dans ce chapiteau l'illustration de la colère.
Dans la prieurale, il fait face au précédent
et renforce son sens moral.
Source : Notre-Dame
de La Charité-sur-Loire, le décor sculpté,
édité par les Amis de La Charité.
|
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Le bas-côté sud et sa voûte (près de l'entrée ouest).
Autrefois, les bas-côtés étaient doubles. Ils
furent réunis en un seul au XVIIe siècle. |
Le bas-côté nord et le retable de 1626.
Ce mur date de la seconde moitié du XIe siècle. |
Retable édifié dans l'église en 1626,
puis transporté dans l'église Sainte-Croix en 1695.
Il est revenu dans l'église en 1926. |
L'Éducation de la Vierge
dans le retable de 1626. |
Détail du vitrail de de Max Ingrand (1957)
sur la façade occidentale. |
|
Le
transept (1/2). Initialement, il a été
édifié, sous la direction du prieur Gérard,
en même temps que le chur, lors de la première
phase de construction (1059 à 1087). Chur
et transept, sur un plan typiquement bénédictin,
s'élevaient sur deux niveaux. Le second niveau
était largement ouvert grâce à une
série de grandes fenêtres romanes en plein
cintre (on le voit aisément dans la photo ci-contre).
Au nord et au sud, le transept servait d'entrée
à trois absidioles, de profondeur plus accentuée
dès lors qu'on se rapprochait du chur (voir
plan).
Les quatre absidioles extérieures subsistent
toujours. Au XIIe siècle, les deux absidioles
tangentes à l'ancien chur sont devenues
les bas-côtés du nouveau.
Il ne reste aucune trace archéologique de l'ancien
chur à deux niveaux. En revanche, on peut
encore imaginer l'aspect de l'ancien transept à
deux niveaux car les travaux du XIIe siècle n'ont
fait que l'exhausser d'un niveau supplémentaire,
après, bien sûr, consolidation de l'ex-second
niveau (aveuglement de toutes les fenêtres). Les
piles de la croisée ont été, elles
aussi, surhaussées. Notons que, sur la photo
ci-contre, on voit que la partie inférieure de
la pile sud-est du chur (en partie cachée
par le banc d'uvre) est devenue un puissant massif.
Cette consolidation magistrale date de la restauration
de 1695 et non pas des travaux du XIIe siècle.
Lors du Congrès archéologique de France
en Nivernais en 1967, l'historien Jean Vallerot-Radot
écrit dans son rapport sur l'église de
la Charité : «Les bras du transept (...)
présentaient dans leur premier état, c'est-à-dire
avec leur élévation à deux niveaux,
un remarquable spécimen d'ordre colossal, qui
subsiste encore intégralement, mais dont la majestueuse
ordonnance a été complètement faussée
par l'addition du troisième. --»»
2/2
|
|
Croisillon sud du transept, élévation est.
Au rez-de-chaussée : entrée sud du bas-côté
du chur, puis entrée des chapelles du transept
;
Au deuxième niveau : baies romanes rendues aveugles au
XIIe siècle ;
Au troisième niveau : petites baies ajoutées lors
de la transformation du XIIe siècle. |
Croisillon sud du transept : les baies romanes du troisième
niveau (2e quart du XIIe siècle).
Les pilastres ont été prolongés pour recevoir
la retombée des arcs doubleaux de la voûte. |
|
La façade du croisillon sud du transept.
Au XIIe siècle, elle a été rehaussée
d'un mur qui reçoit
une grande baie en plein cintre entourée de deux plus
petites.
Le tympan de la Transfiguration est en bas, à droite. |
Le
transept (2/2). --»»
niveau. Il suffit d'ailleurs de supprimer par la pensée
cette addition pour rendre parfaitement lisible le dessin
de cette belle composition architecturale, qui devait
être aussi celle du chur disparu.»
Dans son premier état, le transept à deux
niveaux était-il voûté? Jean Vallery-Radot
nous donne sa réponse : «Ce n'est pas sûr
en raison du nombre et des dimensions des baies du deuxième
niveau. En tout cas il ne subsiste aucun vestige de
voûte et si cette voûte avait existé
elle aurait été dépourvue de doubleaux,
faute de place dans les élévations latérales
pour les recevoir.»
Au 2e quart du XIIe siècle, l'église est
transformée : nouveau chur ; travées
supplémentaires dans la nef ; transept surhaussé.
Les fenêtres romanes de l'ex-second niveau sont
aveuglées. Au troisième niveau, une série
de petites baies romanes jumelées surmonte à
présent la série de grandes baies aveugles
(à l'exception de la première travée
du transept qui ne comprend qu'une baie afin de ne pas
mettre en péril le mur voisin de la croisée).
La photo ci-dessus à gauche donne un gros plan
sur ces baies du 3e niveau : les arcs doubleaux de la
voûte viennent reposer sur les chapiteaux des
pilastres engagés, eux-mêmes construits
dans le prolongement des tailloirs et des hautes demi-colonnes
édifiés au XIe siècle. Au nord
et au sud, les façades qui ferment le transept
(photo ci-contre) ont été rehaussées
d'un arc brisé qui reçoit une grande baie
en plein cintre et, de part et d'autre, deux plus petites.
La voûte en berceau brisé actuelle du transept
est-elle du XIIe siècle? Jean Vallery-Radot répond
non. Il fait état du tracé de l'arc brisé
de cette voûte, sur les murs nord et sud, qui
empiète sur les arcs des petites baies. «On
peut en déduire, écrit-il, que ces voûtes
en briques bloquées, dont le profil est médiocre,
et dont les doubleaux ne sont pas doublés, ne
sont pas d'origine et ont dû être reconstruites
après l'incendie de 1559, comme celle du chur
qui présente les mêmes caractères.»
Un document d'époque révèle en
effet que, à la suite de l'incendie, le chur
avait été «couvert de bois».
Source : Congrès
archéologique de France tenu en Nivernais
en 1967, article de Jean Vallery-Radot.
|
|
Vitrail dans le croisillon sud du transept,
Atelier Max Ingrand, 1957. |
|
La croisée avec vue sur le croisillon nord du transept.
Nef et banc d'uvre sont au 1er plan. Le chur est
sur la droite. |
Vitrail dans le croisillon nord du transept
Atelier Max Ingrand, 1957. |
Le croisillon sud du transept avec le tympan de la Transfiguration.
Ce tympan a été réinstallé à
l'intérieur de l'église sur instruction de Prosper
Mérimée en 1834. |
|
Croisillon sud du transept
À gauche : entrée dans le bas-côté
sud du chur ;
À droite, entrée des deux chapelles sud. Celle
proche de la façade est le baptistère. |
La voûte du transept avec la croisée.
D'après une analyse archéologique, la voûte
a été
reconstruite lors des travaux démarrés en 1695. |
Vitrail dans le croisillon sud
Atelier Max Ingrand, 1957. |
«««---
Les murs du transept remontent à la seconde moitié
du XIe siècle. |
|
|
LE TYMPAN ROMAN
DU PORTAIL OCCIDENTAL DÉPLACÉ DANS LA NEF SUR
INSTRUCTION DE MÉRIMÉE |
|
Tympan de la Transfiguration. |
Le
tympan de la Transfiguration. D'une très
haute qualité, il présente, dans le linteau,
deux scènes relatives à la Nativité
et à l'Enfance de Jésus. Dans la partie
supérieure, le Christ transfiguré est
entouré d'Élie et de Moïse. Se reporter
à la présentation des tympans plus haut
pour avoir plus de détails.
|
|
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Le Christ de la Transfiguration. |
Moïse
Tympan de la Transfiguration, début du XIIe siècle.
«les doigts ont la même longueur que la face»
(Mérimée, voir plus
haut) |
|
L'Adoration des mages
Tympan de la Transfiguration, début du XIIe siècle. |
La Présentation au temple
Tympan de la Transfiguration, début du XIIe siècle.
|
Présentation de Jésus au Temple, détail
Tympan de la Transfiguration.
Conformément aux règles de l'art roman, l'Enfant a la
tête d'un homme adulte.
Voir un autre de cette règle artistique à l'église
Saint-Pierre
de Douai. |
|
Mérimée
et la défense du patrimoine. Tous ceux qui
s'intéressent à l'histoire de la défense
du patrimoine depuis les années 1830 connaissent le
combat incessant de Prosper Mérimée contre
le mépris des particuliers et des municipalités
envers les vieilles pierres et les chefs-d'uvre du passé.
Ce site en donne deux exemples : à Saintes
avec l'Arc
de Germanicus et à Angers
avec l'abbaye
de tous les Saints.
La ville de La Charité-sur-Loire en fournit un autre
avec les tympans de la façade occidentale de l'ancienne
église prieurale. Mérimée, inspecteur
général des Monuments historiques, passe à
la Charité en 1834, s'alarme de l'état de ces
tympans et ordonne que l'un d'entre eux soit mis à
l'abri à l'intérieur de l'église. Précisons
que, à l'époque, des échoppes surmontées
de logements s'élevaient contre la façade occidentale.
Une photographie du XIXe siècle, visible dans la salle
d'exposition de l'ancien prieuré, en donne une bonne
idée (ci-dessous à gauche). Penchons-nous sur
la lettre de Mérimée adressée en 1834
au ministre de l'Intérieur, dont il relève,
et arrêtons-nous sur le passage relatif aux tympans
: «Toutes ces curieuses sculptures sont cachées
par deux misérables échoppes adossées
aux murs des tours. --»»
|
|
Les Apôtres apeurés
dans la tympan de la Transfiguration. |
|
La façade occidentale, dans sa partie nord, était
affublée d'échoppes et de logements.
Photo du XIXe siècle affichée dans la salle
d'exposition de l'ancien prieuré. |
--»»
Deux serruriers les occupent et se sont construit
des chambres le long de ces magnifiques tympans. L'un
des bas-reliefs est masqué presque entièrement
par un plancher qui le sépare en deux parties.
Plus loin, on a entaillé profondément
les moulures saillantes d'une archivolte pour élargir
le passage d'un escalier, ou plutôt d'une échelle,
qui conduit aux chambres supérieures de la baraque.
Là, des fagots sont entassés devant un
bas-relief... Ajoutez à cela des poules et des
enfants vivant pêle-mêle dans ces réduits
infects et les salissant à qui mieux mieux.»
Dans le tympan de la Transfiguration,
le bas-relief de l'Adoration
des mages montre une croix à la place de
la tête de l'Enfant. Dans la même lettre,
Mérimée nous en donne l'explication :
«Il y a un mois, un soldat, c'était je
crois un chasseur d'Afrique, fut logé chez un
des serruriers. On le coucha dans l'intérieur
de l'une des portes, en haut d'un cintre. Le fond de
cette étrange alcôve était un bas-relief
représentant le Père Éternel assis
sur les nuages, entouré de ses anges et de ses
saints. Peu sensible à cette décoration,
le soldat ne pensa qu'au mauvais grabat de son hôte
et aux punaises qui le tourmentèrent la nuit.
Le matin, faisant son bagage, il avise le bas-relief,
et s'adressant au Père Éternel : "C'est
toi", dit-il, "qui as inventé les punaises;
voilà pour te remercier!» Un coup de bâton
qui cassa la tête de la statue, termina la prosopopée.»
Un texte affiché dans l'église donne une
version approchée de cette destruction. Cette
fois, c'est Alexandre Dumas - bien connu pour son pillage
littéraire - qui rapporte l'anecdote dans son
ouvrage Le Midi de la France. On lit sur l'affiche
: «En 1834, ce tympan fut détérioré
par un cuirassier logé dans une habitation se
trouvant contre la tour sainte Croix. Au premier étage,
dans la chambre du maître où le bas-relief
décorait le mur du fond, le meilleur lit lui
avait été cédé. Mais les
"punaises" se révélèrent
si nombreuses que le pauvre soldat ne put dormir.
Au petit jour, alors que, résolu à se
venger de ses assaillants, il "poursuivait les
fuyards, il aperçut (...) au milieu du bas-relief,
la tête de Dieu le père". S'en prenant
à celui qui lui parut être le premier coupable,
il prit son sabre et, s'écriant "Ah bon
Dieu de bois (...) c'est toi qui as ordonné à
Noé de mettre une paire de punaises dans l'arche
! (...), il fit sauter la tête divine à
l'autre bout de l'appartement." Ce fut d'ailleurs
l'enfant Jésus qu'il décapita !»
Sous la plume de Dumas, les faits sont enrichis de détails
pour captiver le lecteur, mais ils n'en sont pas forcément
plus vrais.
Revenons à Mérimée et citons ici
une note qui accompagne son texte (en respectant l'orthographe)
: «Les habitans de la Charité montrent
une bien coupable indifférence pour ces restes
précieux. Il y a peu de temps que le propriétaire
d'une maison attenant à l'église a démoli,
sans obstacle de la part de l'administration, le portail
latéral de droite; le tympan qui le décorait,
du même style que ceux que je viens de décrire,
a été entièrement perdu.»
Puis notre écrivain ajoute : «D'après
mes réclamations, et au moyen d'une allocation
accordée par M. le ministre de l'intérieur,
les bas-reliefs existans vont être transportés
dans l'intérieur de l'église.»
Sources : 1)
Notes d'un voyage dans le Midi de la France
par Prosper Mérimée, éditions Adam
Biro ; 2) Affiche dans l'église Notre-Dame donnant
l'anecdote sur le tympan.
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LES CHAPELLES
DU TRANSEPT |
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Le baptistère est installé dans une chapelle
du croisillon sud du transept (XIe siècle). |
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Les
chapelles du transept.
Lors de la première campagne de construction
(1059-1087), ces chapelles étaient au nombre
de six. Disposées par trois au nord et au sud
du chur bénédictin, leur profondeur
s'accroissait en se reprochant de l'abside principale.
C'était une disposition typique de l'art bénédictin
(dessin n°1 du plan).
Au deuxième quart du XIIe siècle, lors
de la transformation de l'église, seules ont
subsisté les quatre absidioles extérieures.
Les deux autres, prolongées par un déambulatoire,
devinrent les bas-côtés du nouveau chur
(dessin n°3 du plan).
Les quatre chapelles qui nous restent accusent donc
près de mille ans. Leur architecture est typiquement
romane : voûtes en cul-de-four dans les hémicycles,
arcs doubleaux soutenant les voûtes en berceau,
ouvertures en plein cintre. N'étant ouvertes
que sur le transept, elles dégagent une atmosphère
d'intimité pleine de chaleur, propice au recueillement.
Leurs chapiteaux méritent d'être admirés
longuement (voir présentation plus
bas).
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LES CHAPITEAUX
DU TRANSEPT |
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Samson terrasse le lion (ci-dessus et à gauche), XIIe
siècle.
Un homme pointe le doigt vers lui pour montrer
la symbolique de cette action. |
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Chapelle dans le croisillon sud du transept.
avec son ornementation romane de la seconde moitié du
XIe siècle. |
Samson.
Un envoyé de Dieu, richement vêtu, désigne
Samson de sa main pour que chacun prenne acte de l'événement.
Samson, en terrassant le lion, est vu ici comme le précurseur
du Christ qui répondra à la force par
l'amour.
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LES CHAPITEAUX
DU TRANSEPT ET DE SES CHAPELLES |
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Chevaux affrontés dans le baptistère. |
Les
chapiteaux des chapelles du transept sont
plongés dans la pénombre et les visiteurs les
négligent. À base de feuilles ou d'animaux,
principalement de lions, ils sont tous riches d'un très
large tailloir, souvent finement ciselé. Au XIe siècle,
la sculpture animale des chapiteaux ne revêt pas encore
de message caché (contrairement au XIIe). Les animaux
sont représentés adossés ou affrontés.
Front contre front, il arrive que les têtes se rejoignent
pour n'en former qu'une seule. Certains dessins seraient marqués
par l'influence sassanide issue de tissus importés
d'Orient depuis le VIe siècle.
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Deux lions affrontés sous un large tailloir. |
Lions dans le baptistère. |
Chapiteau du XIe siècle à feuillages
dans le baptistère. |
Lions affrontés. |
Oiseaux s'abreuvant (baptistère). |
Un homme se bat contre deux serpents (XIe siècle). |
LE CHUR
DE L'ÉGLISE PRIEURALE NOTRE-DAME |
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Vue d'ensemble du chur et des stalles. Elles datent de 1579. |
Architecture
du chur (1/3). Lors de la première
phase de construction (1059-1087), le chur était
à deux niveaux. On ne possède aucune description
de son architecture, mais il est vraisemblable qu'elle
imitait celle du transept, lui aussi à deux niveaux
(voir commentaire
plus haut). Pourquoi l'avoir détruit, puis reconstruit
lors des grands travaux du deuxième quart du
XIIe siècle (phase
n°3) ? D'abord pour gagner en superficie et
permettre, via un déambulatoire, une circulation
plus fluide des pèlerins. Rappelons que La Charité
se trouvait sur l'une des grandes voies de circulation
vers Saint-Jacques de Compostelle en venant de Vézelay.
Il y avait donc beaucoup de pèlerins pour profiter
de l'accueil du prieuré. Deuxièmement,
détruire permet de rebâtir sur trois niveaux,
donc plus grand, plus prestigieux. Et pour la plus grande
gloire de Dieu : rebâtir sur trois niveaux, c'est
faire rejaillir la Sainte-Trinité dans la pierre.
Dans son nouvel aspect (photo ci-contre), l'arcature
du premier niveau, en arc brisé, ceinture le
sanctuaire. Les piliers, fort resserrés, soutiennent
un triforium aveugle. Au troisième niveau, une
série de petites fenêtres romanes, encadrées
de colonnettes, parcourt le chur et ses travées.
Les vitraux assez aérés de Max
Ingrand, posés en 1957, laissent passer beaucoup
de lumière.
La beauté de ce chur se rattache à
l'art bourguignon tant par l'architecture que
par la sculpture des chapiteaux. Lors du Congrès
archéologique de France tenu en Nivernais
en 1967, l'historien Jean Vallery-Radot commente
l'aspect du monument : «Les traditions régionales
l'emporteront dans le chur, l'un des chefs-d'uvre
de la création romane. On le place souvent dans
la descendance directe de Cluny III comme engagent à
le faire son élévation, son décor
et le beau développement de son plan, mais, à
y regarder de près, ce chur n'est pas,
comme celui de Paray-le-Monial, par exemple, une réplique
réduite de Cluny III, mais une interprétation
très libre de l'illustre modèle.»
S'il y a influence d'une église sur une autre,
Jean Vallery-Radot y voit plutôt la marque
de Saint-Étienne
de Nevers ou celle de Saint-Benoît-sur-Loire.
En effet, ces deux édifices possèdent
un chur et une abside qui «règnent
à la même hauteur». Comprenons par
là qu'il n'y a aucun décrochage entre
les différents niveaux quand on quitte l'élévation
des travées du chur pour passer à
celle de l'abside proprement dite. C'est bien ce que
l'on constate dans la photo ci-dessous.
Toujours en 1967, notre historien aborde alors un thème
crucial : l'aspect artistique de l'élévation.
Il écrit : «Structure architecturale de
tradition ligérine et décor bourguignon
: ainsi se définit cet admirable chur,
auquel les petits arcs brisés du triforium aveugle,
à l'intrados découpé en cinq redans,
donnent un accent si particulier. Ces arcs (...) sont
caractéristiques de l'art roman charitois, qui
a rayonné aux environs de La Charité jusqu'à
Auxerre.» Fort bien, mais qu'est-ce que l'art
charitois? Comment le définir? D'où
vient-il et quelle influence a-t-il subie? En outre,
pourquoi l'arcature à cinq redans du triforium
aveugle a-t-elle un «accent si particulier»
? L'adjectif est un peu vague. Et Jean Vallery-Radot
ne dit rien de plus. --»» 2/3.
|
|
Le chur de la prieurale et son ornementation d'influence
arabe.
Faut-il y voir la marque des souvenirs artistiques d'Ode Harpin,
parti à la première croisade,
fait prisonnier, puis libéré, et nommé
plus tard prieur de La Charité-sur-Loire ? |
|
L'élévation du chur vue depuis le sud.
Les deux arcades à gauche correspondent aux travées
du bas-côté. |
|
Vue partielle des stalles et de leurs pieds si particuliers.
Il n'y a pas de sculpture sur les miséricordes,
mais les accoudoirs sont ornés de feuillage. |
|
Architecture
du chur (2/3).
--»» Dans la collection Zodiaque,
l'ouvrage de Jean Dupont sur le Nivernais-Bourbonnais
roman édité en 1976, n'en touche pas
un mot non plus. Dans la description qu'il propose du
chur, l'auteur écrit simplement : «(...)
le faux triforium de la nef se poursuit par une série
d'arcatures polylobées sur pilastres cannelées,
ou ornés de chevrons, de rosaces, d'entrelacs,
de galons perlés.» Jean Dupont ne parle
pas d'«art charitois».
Pour obtenir des éléments de réponse
aux questions posées, il faut remonter quarante
ans en arrière. En 1923, vraisemblablement à
la suite d'un voyage en Espagne, le grand historien
Émile Mâle rédigea une étude
dans la Revue des Deux Mondes sur les influences
arabes dans l'art roman. Le vecteur de cette influence
est l'arc en plein cintre polylobé, ou
plus simplement «l'arc polylobé».
Dans la photo ci-dessus, l'arcature du triforium du
chur en donne une bonne illustration (c'est le
fameux «intrados à cinq redans» de
Jean Vallery-Radot). Émile Mâle suit à
la trace cette forme décorative dans les églises
qui parsèment les grandes routes françaises
du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle
(Auvergne, Bourgogne, Aquitaine, etc.). Engageant son
analyse sur quelques grands édifices religieux
français (notamment l'église du Puy),
il souligne la similarité entre les arcs polylobés
du triforium de La Charité et l'arcature des
monuments de Tolède et de Rabat.
Restons sur Tolède. Située au centre de
l'Espagne, cette ville était profondément
imprégnée d'architecture musulmane - ce
qu'elle est toujours quand Émile Mâle la
visite. Lors de la Reconquista, elle a été
reprise aux Arabes en 1085 par les troupes du roi de
Castille et de León, Alphonse VI. Émile
Mâle rappelle abondamment que Cluny, par le prêche
enflammé de ses moines, a été --»
3/3
|
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La Vierge dans le vitrail axial de l'abside
Atelier Max Ingrand, 1957. |
Le faux triforium du chur, scandé par l'«arc
polylobé arabe»,
et les vitraux de Max Ingrand (1957). |
|
|
Architecture
du chur (3/3).
--»» l'âme de cette Reconquista
; les armées espagnoles étaient d'ailleurs
renforcées par un très important contingent
français qui comptait nombre de chevaliers et de nobles.
Ce qu'Alphonse VI n'oublia pas une fois la victoire obtenue
: Cluny reçut des fonds importants pour l'extension
de son abbaye et un moine clunisien, venant d'Auch, devint
le premier evêque de Tolède. D'après Émile
Mâle, c'est à Tolède que l'arc polylobé
arabe se rencontrait le plus fréquemment.
L'historien rapporte ensuite un fait déterminant :
«Lorsqu'Alphonse VI se fut emparé de Tolède,
écrit-il, non seulement il n'expulsa pas les Maures,
mais il leur permit d'y pratiquer leur religion, d'y observer
leurs lois et d'y exercer tous leurs métiers. Ces Maures
soumis s'appelaient les mudejars. Les conquérants
avaient grand besoin de leurs nouveaux sujets, car longtemps
les purs Espagnols se contentèrent fièrement
d'être prêtres, soldats, laboureurs ; ils n'étaient
pas artistes, à peine consentaient-ils à être
artisans. Ils furent donc heureux d'y trouver des corporations
musulmanes parfaitement organisées, où les arts
s'enseignaient, où se pratiquaient les métiers.
Après la conquête, il n'y avait pas d'autres
maçons, d'autres décorateurs et d'autres architectes
à Tolède que les mudéjars. Ce sont les
infidèles qui y bâtirent les premières
églises chrétiennes et qui les décorèrent
comme des mosquées.» L'opposition féroce
qui existait entre Christianisme et Islam, sur le champ de
bataille et dans les joutes oratoires, disparaissait dès
qu'il s'agissait d'art. L'influence des styles opérait
sans entraves. L'abbaye de Cluny, favorisée par les
vainqueurs, reporta cette faveur sur La Charité qui
était sa fille-aînée : il ne faut pas
chercher ailleurs l'influence artistique de l'Espagne sur
l'église Notre-Dame lors des grands travaux qui la
transformèrent au début du XIIe siècle.
Émile Mâle écrit à ce propos :
«Il est certain que l'architecte de l'église
de La Charité avait franchi les Pyrénées,
et il est très probable qu'il avait vu Tolède.
L'église de La Charité, construite au XIe siècle,
fut profondément transformée dans la première
moitié du XIIe : c'est alors qu'elle reçut ses
arcatures arabes. Tolède, qui, aujourd'hui encore,
fait penser aux villes du Maghreb, devait conserver, vingt
ans après la conquête, une physionomie toute
musulmane.» Pour expliquer la facilité de ce
transfert stylistique, ajoutons que les Français vivaient
nombreux à Tolède ; un quartier entier leur
était réservé.
On a donc une définition de l'art charitois.
C'est un art roman profondément imprégné
de style arabo-musulman, originaire de Tolède. L'«intrados
à cinq redans» de Jean Vallery-Radot n'est en
fait que l'arc polylobé arabe très répandu
dans cette ville.
Il y a plus encore. Dans l'ouvrage consacré au décor
sculpté intérieur de l'église Notre-Dame,
l'Association des Amis de La Charité rappelle
l'histoire d'Ode Harpin. Vicomte de Bourges, ce noble
vend son domaine pour partir à la première croisade.
Il y est fait prisonnier. À son retour, il rentre à
Cluny comme moine. Plus tard, il obtiendra la charge du prieuré
de La Charité qu'il dirigera à l'époque
des grands travaux. Pourquoi n'aurait-il pas souhaité
revoir dans son église le style artistique qu'il avait
côtoyé en Orient, notamment en y influençant
le décor animal et végétal ? Les pèlerins
revenant de Saint-Jacques de Compostelle et les moines clunisiens
de retour d'Espagne, en racontant ce qu'ils avaient vu, ont
vraisemblablement aussi une part dans ce transfert artistique
du monde musulman vers le monde chrétien.
Sources : 1) Notre-Dame de
La Charité, le décor sculpté, édité
par les Amis de La Charité-sur-Loire, 2007; 2) Congrès
archéologique de France tenu en Nivernais en 1967
; 3) Les influences arabes dans l'art roman par Émile
Mâle, Revue des Deux Mondes, 1923.
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LE BESTIAIRE DU
CHUR, UNE PRÉSENCE POLÉMIQUE |
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L'hyène
Avec sa double tête, elle évoque la duplicité. |
L'éléphant
Représentation assez fantaisiste.
Le sculpteur n'avait jamais dû voir d'éléphant
! |
Vitrail du chur par Max Ingrand (1957). |
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Le dragon
C'est le symbole du Mal. |
La grue
Elle évoque la prudence et l'entraide. |
Le dromadaire
Sa bosse a donné lieu à de nombreuses allégories. |
Christ en croix de 1662. |
|
Le griffon.
Par sa double nature (lion et aigle), il évoque soit
les forces démoniaques, soit le Christ. |
Le basilic ou la vouivre. |
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Vue partielle des chapiteaux du chur et des bas-reliefs
du bestiaire. |
Le
bestiaire du chur. Parmi les chefs-d'uvre
de la sculpture présents dans la prieurale, on
peut observer une étrange couronne de huit bas-reliefs
au-dessus de la colonnade du rond-point du chur.
La photo ci-dessus en montre trois, dont l'agneau nimbé,
sur la gauche, qui incarne le Christ. (C'est le seul
qui n'est pas reproduit en gros plan sur la gauche).
La présence de ces bas-reliefs a créé
une petite polémique au sein de la communauté
des historiens médiévistes aux XIXe et
XXe siècles.
D'abord, quelle est leur origine? Certains ont vu une
ressemblance entre ces sculptures rectangulaires et
d'autres bas-reliefs, eux aussi rectangulaires, sur
le clocher nord de la façade occidentale. Ils
ont donc supposé qu'ils avaient été
conçus pour le clocher sud. D'autres historiens
ont objecté que le programme iconographique du
clocher nord correspond à une partie du zodiaque.
L'autre partie était-elle prévue pour
décorer le clocher sud ? D'autre part, les dimensions
du bestiaire et du zodiaque ne sont pas les mêmes.
Enfin, la griffe artistique diffère elle aussi.
Bref, il ne peut s'agir de bas-reliefs prévus
pour le clocher sud que l'on aurait, pour diverses raisons,
incrustés dans le chur.
Deuxièmement, le thème des animaux du
bestiaire a-t-il une signification cachée? À
la charnière entre les XIXe et XXe siècles,
l'abbé Crosnier, qui participait à cette
époque aux séances des Congrès
archéologiques de France, voyait dans l'agneau
nimbé, entouré d'animaux, «les fruits
de la prédication de l'évangile»
et de «la douceur de sa morale». L'évangile
a adouci les murs de nations barbares et belliqueuses.
Ce que les animaux - apparemment domptés - symbolisent
ici. L'interprétation est osée.
D'autres ont répliqué en évoquant
la recherche permanente de la beauté chez les
moines de l'ordre de Cluny. Ces bas-reliefs, dirent-ils,
n'avaient qu'un but décoratif. Leur style artistique
s'inspirait de celui des étoffes et des ivoires
orientaux que des marchands ramenaient en Europe. D'ailleurs,
ajoutaient-ils, si Bernard de Clairvaux, fondateur de
l'ordre de Cîteaux et grand pourfendeur du gaspillage
financier induit par ces décorations, n'y voyait
que ridicule et source de dissipation dans la prière,
c'est bien qu'il n'y avait rien à y trouver !
Argument bien fallacieux, on en conviendra. En réalité,
comme on peut le penser, les moines clunisiens concevaient
la décoration d'une église comme un ensemble
symbolique propre à l'enseignement et à
l'édification morale. Ces animaux doivent donc
être décrits à l'aide des bestiaires
médiévaux. Ils sont tous rattachés
à des symboles.
L'hyène (représentée avec
un corps tacheté). Elle a deux têtes liées
par un collier qui, croyait-on, symbolisent sa nature
hermaphrodite. C'est un charognard qui évoque
la duplicité.
Le dragon. C'est un peu l'agent du diable et
la quintessence de l'agressivité : gueule de
lion, queue de serpent, ailes et serres d'aigle. Le
dragon incarne les quatre éléments : l'eau,
la terre, l'air, auxquels on ajoute le feu qu'il crache
par sa bouche. Le dragon, c'est le Mal qui sera vaincu
par Dieu.
L'éléphant. Sa représentation
est très fantaisiste. Son corps est entouré
d'une large sangle qui évoque sans doute son
utilité première : transporter de lourdes
charges. Les artistes étaient souvent obligés
d'imaginer les traits de cet animal - qu'ils n'avaient
jamais vu. Ici, le sculpteur devait savoir que la bête
avait une trompe. L'animal est adossé à
un arbre car on croyait, comme l'indique le Physiologus
du moine Théobald écrit au XIIe siècle,
qu'il ne pouvait pas plier les pattes. Aussi, pour se
reposer et dormir, devait-il se tenir contre un arbre
sinon il tombait à terre et et ne pouvait plus
se relever !
Voir à l'abbaye
aux Dames à Caen,
un autre éléphant fantaisiste dans un
chapiteau. Voir aussi à l'église Saint-Martin-es-Vignes
à Troyes
le panneau d'un vitrail avec des animaux fabuleux (probablement
inventés par l'auteur du carton).
La grue. C'est un animal qui vit en groupe.
La nuit, l'une d'entre elle veille sur les autres, et
ainsi à tour de rôle. Elles offrent donc
un exemple de l'entraide que pratiquent les membres
de la communauté chrétienne. Par sa veille,
la grue symbolise aussi la prudence.
Le griffon possède un corps de lion avec
des ailes et des pattes d'aigle. Il recouvre un double
symbole : soit, évoquant le désordre,
il se rattache aux forces démoniaques ; soit,
par sa double nature, il évoque le Christ. L'artiste
a orné le bout de sa queue d'une petite tête
animale (photo ci-contre).
Le dromadaire. Avec sa bosse, cet animal s'est
offert à toutes les allégories, si chères
aux théologiens chrétiens. La bosse, c'est
le fardeau des péchés accepté par
le Christ pour sauver l'humanité. La soumission
du dromadaire à sa tâche de porteur de
charges, c'est aussi l'obéissance du Christ à
son destin terrestre. La bosse symbolise également
la communauté chrétienne et ses épreuves,
tout comme le dromadaire endure la traversée
du désert.
Le basilic (photo ci-contre) est un animal fantastique.
Il est conçu comme un reptile avec des pattes
et des ailes d'oiseau. D'autres médiévistes
voient plutôt dans ce bas-relief une vouivre,
c'est-à-dire une vipère. Ils justifient
leur choix par ce qu'écrit le moine Théobald
dans son Physiologus (XIIe siècle) : la
vipère donne le jour à ses petits par
le côté. N'est-ce pas justement un vipéreau
qui sort de l'extrémité de l'aile de sa
mère? Mais ceux qui penchent pour le basilic
ne voient là qu'un élément de décoration,
comme sur la queue du griffon représenté
juste au-dessus.
Source : Notre-Dame
de la Charité-sur-Loire, le décor sculpté,
édité par les Amis de la Charité-sur-Loire,
2007.
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Vue d'ensemble du chur de l'église prieurale de La Charité-sur-Loire. |
LES CHAPITEAUX
DU CHUR AU NIVEAU I |
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Un homme et une femme luttent contre
des serpents qui symbolisent leurs péchés.
Ils ont péché par la chair et par le verbe.
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Chapiteau à feuillages dans le chur. |
Tortue à la langue épanouie en volutes et, sur les arêtes,
des chauves-souris la tête en bas.
XIIe siècle. |
Ce chapiteau à tresses entrelacées
trahit un héritage artistique celte.
XIIe siècle. |
Griffons dévorant un porc et une chouette (XIIe siècle).
Les proies sont situées sur les arêtes du chapiteau. |
Griffons dévorant un porc par les pattes arrières.
Le porc est représenté la tête en bas, symbole
négatif. |
Les chapiteaux
du chur au niveau I (1/2).
Ce sont les chapiteaux qui font en grande partie la réputation
de la prieurale Notre-Dame de La Charité. Ceux du transept
et de ses chapelles, sont présentés plus
haut. Certains remontent aussi loin que le XIe siècle.
Ceux de la nef, de l'abside et du chur sont du XIIe
siècle. La plupart sont authentiques, quelques-uns
sont des moulages, les originaux se trouvant dans des musées
américains.
Ces chapiteaux portent la marque d'un homme : Pierre de Montboissier,
dit Pierre le Vénérable. Huitième
abbé de Cluny (de 1122 à 1156), ce moine fougueux
et déterminé donna à la pensée
clunisienne un aspect combattant. L'Église devait terrasser
ses ennemis : le diable, les Maures, les Juifs et les hérétiques.
La grande église abbatiale de Cluny était terminée,
mais la prieurale de La Charité, sa «Fille aînée»,
était en travaux d'agrandissement. Alors c'est à
La Charité qu'il imprima sa griffe : les scènes
des chapiteaux du XIIe siècle sont la traduction de
ses écrits et de la toute-puissance de sa foi. --»»
2/2
|
|
Les chapiteaux
du chur au niveau I (2/2) --»»
On donne ici plusieurs chapiteaux ornant le chur au
premier niveau. Ils présentent des scènes allégoriques,
fidèles à la pensée de Pierre le Vénérable
ou tirées de l'Ancien Testament.
Le premier, en haut à gauche, accumule les symboles.
Les exégètes y voient deux êtres humains
aux prises avec de monstrueux serpents. Une femme se fait
mordre les seins par deux d'entre eux, signe qu'elle a péché
par la chair. L'homme est mordu à la langue, signe
de ses mensonges répétés.
Passé le chapiteau à feuillages, le suivant
propose une succession de tortues, à la carapace semblable
à un bouclier, et de chauves-souris. C'est le type
de décoration qui s'offre à toutes les interprétations.
La tortue, qui a la tête vers le haut, c'est l'immortalité
de l'âme, le sacrifice du Christ ; la chauve-souris,
qui a la tête en bas, représente les ténèbres
et le peuple juif.
Le très beau chapiteau des griffons, représenté
par deux photographies ci-dessus, est lui aussi ouvert à
tous les symboles. Les griffons, réunis par couple,
dévorent goulûment des chouettes et des porcs,
sculptés la tête en bas). Au VIe siècle,
l'évêque Isidore de Séville, qui
restera célèbre pour ses Etymologiae,
voyait dans le griffon, association de l'aigle et du lion,
la représentation du Christ. Idée qui a toujours
été rejetée par les théologiens
: la violence (et le dépeçage des proies est
un acte violent)
|
ne peut être associée
au Christ qui n'est qu'amour. C'est pourquoi le griffon représente
plutôt l'Église militante en lutte contre ses
ennemis. La chouette, animal nocturne, fuit la lumière,
donc la vérité. Elle symbolise le peuple juif
qui refuse de voir que le Christ est le Messie attendu. Quant
au cochon, second mets des griffons, c'est un animal soumis
à l'opprobre. Pierre le Vénérable, à
la plume très alerte, traite de la sorte les ennemis
du Christianisme (Maures, hérétiques et Juifs).
Le cochon du chapiteau est-il l'un de ces trois ennemis en
particulier ou tous à la fois ? Nul ne le sait.
Le chapiteau ci-dessous, à droite, représente
Daniel dans la fosse aux lions. Jeté là
parce qu'il a adoré un autre dieu que le roi lui-même,
les lions, loin de le tuer, le laissent en paix et l'un est
accroupi à ses pieds. Daniel porte la main à
son oreille pour écouter la parole de Dieu.
Le dernier chapiteau figuré représente, sur
chaque face, deux lions dressés et adossés,
surmontés d'une tête humaine, parfois souffrante.
Les lions symbolisent l'immortalité du Christ., soutien
de la vie ici-bas. Ce chapiteau a été regardé
comme une allégorie de l'Église, protectrice
de l'humanité.
Source : Notre-Dame de la
Charité-sur-Loire, le décor sculpté,
édité par les Amis de la Charité-sur-Loire,
2007.
|
|
Vitrail du transept, Max Ingrand |
Daniel, dans la fosse aux lions, prête l'oreille vers
Dieu.
Un lion accroupi devant lui respecte sa foi. |
Lions dressés et surmontés d'une tête humaine. |
Vitrail du chœur
Atelier Max Ingrand, 1957. |
|
LES CHAPITEAUX
DU CHUR AU NIVEAU II |
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Deux pécheurs en sursis. Allégorie de l'avarice. |
Un pécheur en sursis repousse
sa part d'animalité. |
Saint Jérôme enseignant son lion. |
Un moine, soldat du Christ, combat le diable. |
Pilastre et bas-relief dans le faux triforium |
Le dragon poussé par le diable (---»»») |
|
Les chapiteaux
du chur au niveau II. On donne ici sept chapiteaux
ornant le faux triforium du chur. Rappelons que ce faux
triforium est scandé de pilastres ornés, reliés
par une arcature en arcs polylobés, typique de l'art
maure (voir plus
haut). Comme ceux du premier niveau vus plus
haut, ces chapiteaux présentent des scènes
allégoriques ou tirées de l'Ancien Testament.
Les scènes allégoriques ont reçu des
explications, parfois très poussées (trop?)
de certains exégètes. Ci-dessus, à gauche,
les deux sculptures montrent des «pécheurs en
sursis». Les deux hommes nus, penchés sur un
seau dans une position humiliante, ont été interprétés
comme une allégorie de l'avarice. Sont-ils des commerçants
qui auraient fraudé sur le poids des denrées
qu'ils vendaient? Ils devront en répondre après
leur mort. Dans le chapiteau d'à-côté,
l'être humain est tiraillé entre le Bien et le
Mal. Avec son bâton, il essaie de repousser la part
animale qui vit en lui. Tout à droite, une autre allégorie
illustre la tâche des moines : promouvoir la sainteté
en combattant le diable. Ici, le moine revêt les habits
du chevalier et en porte les armes (épée et
bouclier). Le chapiteau à gauche montre saint Jérôme,
la main sur l'arête du chapiteau, enseignant son lion.
C'est la victoire de la spiritualité sur l'animalité.
Le lion s'est redressé et écoute : il a gagné
en humanité.
Ci-dessous, le chapiteau de gauche est une autre allégorie
du combat des moines contre le Mal : un moine tranche la tête
d'un centaure, symbole des ennemis de l'Église. On
remarquera la magnifique ornementation du tailloir. À
côté, un homme nu lutte contre l'emprise d'un
serpent, c'est-à-dire du Mal, qui lui susurre la mauvaise
parole à l'oreille. Qui est-il? Les quelques éléments
de relief visibles sur son corps correspondent au costume
des grands prêtres juifs dans l'Exode, personnages
toujours vilipendés par le Christianisme et Pierre
le Vénérable en particulier, à cause
de leur refus de voir en Jésus le Messie. Le chapiteau
de droite illustre une scène montrant les ruses du
diable : il pousse un dragon mi-homme mi-oiseau, à
la face amène, à séduire un chevalier
qui tient son bouclier, comme un boxeur, en garde basse. Il
ne se méfie pas et risque de tomber dans le piège
du Malin. C'est une illustration des «menaces»
qui guettent le croyant et dont parle Pierre le Vénérable.
Source : Notre-Dame de la
Charité-sur-Loire, le décor sculpté,
édité par les Amis de la Charité-sur-Loire,
2007.
|
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Le centaure, persécuteur des moines. |
Un prêtre juif sous l'emprise du Mal. |
Le diable pousse un dragon tentateur contre un chevalier.
(Ce dernier se tient sur la face cachée du chapiteau.) |
LE DÉAMBULATOIRE
ET SES CHAPITEAUX |
|
Déambulatoire nord en sortant de la chapelle d'axe.
On reconnaît le chapiteau des griffons en haut à
gauche. |
Architecture romane à l'entrée
d'une chapelle rayonnante de l'abside. |
Pilastre avec grappes de raisins
à l'entrée d'une chapelle. |
L'entrée du déambulatoire sud. |
Chapiteau roman à feuillages. |
Chapiteau roman à feuillages. |
|
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Chapiteau roman avec des lions affrontés. |
Accumulation de chapiteaux, de colonnettes et de
tailloirs dans le déambulatoire nord, près
d'une fenêtre. |
Le singe, sculpté sur l'arête de ce chapiteau,
est le symbole de l'homme pécheur. |
Chapiteau roman avec des lions affrontés et adossés. |
|
Chapiteau roman avec des lions adossés. |
Le déambulatoire
de l'église Notre-Dame possède une
ornementation somptueuse. Chapiteaux, pilastres
sculptés, colonnettes se succèdent
dans une espèce de féerie romane
dont les images ci-contre donnent un bon aperçu.
C'est un endroit où règne toute
la beauté du style roman. Le visiteur doit
y circuler avec un il attentif en essayant
de repérer toutes les parties sculptées.
Une comparaison historique montre que ce déambulatoire
est un haut-lieu de l'ostentation liturgique telle
que la voulaient et la concevaient les moines
clunisiens. L'abbatiale de Cluny avait été
achevée au tout début du XIIe siècle,
sans grande décoration. Alors l'emphase
ornementale souhaitée par les moines pour
glorifier Dieu avec faste, imprégnée
d'un fort désir de beauté, se reporta
sur La Charité dont les travaux d'agrandissement
allaient commencer.
Par endroits, on assiste même à une
vraie surenchère dans l'ornementation :
les chapiteaux, les tailloirs, les colonnettes
et les pilastres s'accumulent. Les chapiteaux,
de très belle qualité artistique,
sont à feuillages ou à thème,
le plus répandu étant celui des
lions (voir les deux photographies ci-dessus).
Ces lions, auxquels la Bible attribue un rôle
protecteur, sont adossés ou affrontés.
Ils se multiplient d'ailleurs dans tout l'édifice
puisqu'on en compte plus de trente.
Un chapiteau soulève l'intérêt
: celui des singes (voir les photos ci-contre
et ci-dessous). Le singe, signe du diable, incarne
l'homme qui s'est rabaissé, par son péché,
au rang de l'animal. La bête se tient sur
l'arête, accroupie, immobile, les mains
étalées sur ses genoux : c'est l'homme
accablé par sa faute, qui attend la mort
et le Jugement. Mais il garde l'espoir d'atteindre
la sérénité de l'âme
et la paix.
Source : Notre-Dame
de la Charité-sur-Loire, le décor
sculpté,
édité par les Amis de la Charité-sur-Loire,
2007.
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Le singe accroupi en gros plan. |
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La voûte romane du déambulatoire sud avec
ses
arcs-doubleaux et ses chapiteaux figurés et à
feuillages. |
Chapiteau roman à grandes feuilles
dans le déambulatoire. |
Chapiteau roman à feuillages
dans le déambulatoire |
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LES CHAPELLES
RAYONNANTES, LEURS CHAPITEAUX ET LEURS VITRAUX DU XIXe SIÈCLE |
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La Sainte Famille
Vitrail dans la chapelle Saint-Joseph , XIXe siècle. |
«««---
À GAUCHE
Chapelle rayonnante Notre-Dame
Art roman du deuxième quart du XIIe siècle. |
|
|
Les
chapelles rayonnantes (1/2).
Ces chapelles s'intègrent dans le
vaste projet de modification du chur de la prieurale
au début du XIIe siècle. En effet, il
faut permettre aux pèlerins de circuler autour
des lieux qui abritent les reliques. D'où la
construction d'un déambulatoire et de cinq chapelles
rayonnantes. Les pèlerins rentrent par le portail
nord, parcourent le bas-côté nord, font
le tour du déambulatoire, vénèrent
les reliques dans les chapelles (où devaient
se trouver un certain nombre de troncs pour les aumônes),
puis ressortent en empruntant le bas-côté
sud. La foi des fidèles a ainsi l'occasion de
se fortifier lorsque ceux-ci déambulent dans
de nouveaux espaces, proches du sanctuaire et jusqu'alors
inaccessibles.
La construction du nouveau chur passa d'abord
par la transformation des deux chapelles absidiales
qui --»» 2/2
|
|
Un personnage en croix (Gilgamesh?) retient deux animaux par
l'oreille
dans la chapelle Saint-Étienne. Voir commentaire ci-dessous. |
|
Les chapelles
rayonnantes (2/2).
--»» longeaient l'ancien chur
(voir plan,
phase n°3). Selon les historiens, leurs chapiteaux du
XIe siècle (ou du moins une partie d'entre eux) ont
été déposés et réemployés
dans les nouvelles chapelles rayonnantes. Ce sont des chapiteaux
romans assez simples, sobres, dont le style ne se retrouve
pas dans les chapiteaux du siècle suivant. Les autres
chapiteaux des chapelles, créés au XIIe siècle,
offrent, pour certains, des thèmes singuliers dont
l'interprétation est difficile.
L'ouvrage Le décor sculpté de Notre-Dame
de La Charité édité par les Amis
de La Charité-sur-Loire en 2007, rapproche le chapiteau
donné ci-dessus de Gilgamesh, héros de
l'art perse à la recherche de l'immortalité.
Dans les décors orientaux, Gilgamesh dompte des lions
ou des buffles. L'art chrétien transpose cette image
:
|
Gilgamesh devient un pécheur
qui combat sa part d'animalité, une part qu'il veut
tenir éloignée de lui en tenant les animaux
par une oreille, les bras déployés.
Terminons en signalant un chapiteau amusant, donné
ci-dessous : deux personnages symétriques semblent
se flageller. Ils ne sont pas dos à dos, mais bien
«fesses à fesses», ce qui les rend grotesques.
Qui sont-ils? Des moines? Pourquoi se flagellent-ils? Pour
se punir de mauvaises actions? de mauvaises pensées?
Leur visage semble plutôt laid et honteux, pour quelle
raison? Est-ce le poids de leurs fautes qui leur donne cet
aspect? Quoi qu'il en soit, c'est un chapiteau rempli de symboles
et de leçons d'édification.
Source : Notre-Dame de la
Charité-sur-Loire, le décor sculpté,
édité par les Amis de la Charité-sur-Loire,
2007.
|
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Le Mariage de saint Joseph et de la Vierge
par Henri Chabin, Paris 1896
Vitrail dans une chapelle rayonnante. |
Un chien projette sa langue sur un lion
qui joue de la lyre (absent de la photo). |
|
Deux personnages se flagellant
Chapiteau du XIIe siècle dans une chapelle rayonnante. |
Chapelle rayonnante du Sacré-Cur (XIIe siècle). |
|
Gros plan sur l'un des personnages se flagellant. |
Deux coqs dans un chapiteau
d'une chapelle rayonnante. |
Ce chapiteau à feuillages, qui n'est plus vraiment
du XIe, illustre la lente
évolution du XIe vers le XIIe siècle. |
À DROITE
---»»»
Notre-Dame de Lourdes.
Vitrail du XIXe siècle dans une chapelle
rayonnante. |
|
|
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|
Un saint homme s'occupe des malades de la peste, vitrail d'une chapelle
rayonnante. |
L'Apparition du Sacré-Cur à Marie-Marguerite Alacoque
à Paray-le-Monial
par Gilbert, 1862. |
Lions affrontés dans un chapiteau
d'une chapelle rayonnante. |
Une sainte agenouillée au pied de la Vierge
Vitrail de la chapelle axiale, Charles Jurie, XIXe siècle. |
|
Saint Matthieu et saint Jean
Vitrail de la chapelle axiale.
|
LA CHAPELLE AXIALE
GOTHIQUE |
|
La chapelle axiale de style gothique, dite du Saint-Sacrement,
est en forme de croix latine et date du XIVe siècle.
Les petits croisillons (qui définissent les bras de la
croix) étaient des oratoires privés. |
«Stabat Mater Dolorosa», 1930, dans la chapelle axiale.
Carton de Marie Delorme, élève de Maurice Denis. |
Ange à l'entrée de la chapelle axiale, XIVe
siècle. |
Un homme dans un culot gothique
de la chapelle axiale (XIVe siècle). |
«««---
Marie au pied de la croix
offre la ville de La Charité à son
fils crucifié. |
|
|
|
La
chapelle axiale du Saint-Sacrement, telle
que nous la voyons aujourd'hui, date du XIVe siècle.
À l'origine, cette chapelle axiale du déambulatoire
était identique aux quatre autres, c'est-à-dire
avec une travée et une voûte en cul-de-four.
Elle avait été bâtie lors des grands
travaux du deuxième quart du XIIe siècle
(phase n°3)
qui vit s'élever un grand chur à
déambulatoire.
Au XIVe siècle, le style gothique s'était
imposé. On reconstruisit la chapelle axiale sous
la forme d'une croix latine et selon les normes du nouveau
style : trois voûtes à croisée d'ogives,
clés de voûte sculptées, baies à
remplages (refaits au XVe siècle) accueillant
des vitraux. On notera la présence d'anges et
de moines dans les culs-de-lampes recevant les retombées
d'ogives. Selon l'Association des Amis de La Charité,
on y trouve aussi les visages des donateurs.
Le vitrail axial reçoit un Stabat Mater Dolorosa
(voir ci-dessous
à gauche), réalisé en 1930
sur un carton de Marie Delorme, élève
de Maurice Denis. Les autres vitraux sont du XIXe siècle.
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Détail d'un vitrail de Charles Jurie dans la chapelle
du Saint-Sacrement
Ce vitrail du XIXe siècle illustre une scène non
reconnue. |
Les Prophètes Ézéchiel et Daniel.
Vitrail de la chapelle axiale, XIXe siècle. |
Le prophète Ézéchiel dans
le vitrail ci-contre, XIXe siècle. |
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L'imposant orgue de tribune de l'église Notre-Dame possède
un grand corps à cinq tourelles. Le positif en a trois.
L'instrument date de 1886. Il est dû au facteur Baldner et a
été restauré en 1991-1994.
Pour certains historiens, le positif et la partie centrale du grand
buffet seraient de la période Louis XIII. |
Le positif de l'orgue de tribune possède trois tourelles. |
Vue d'ensemble de la nef. |
Vue d'ensemble du chœur, de la nef et de l'orgue de tribune depuis
l'abside. |
Documentation : Congrès archéologique
de France tenu à Moulins et à Nevers en 1913, article
sur l'église Notre-Dame par Louis Serbat
+ Congrès archéologique de France tenu en Nivernais
en 1967, article sur l'église Notre-Dame par Jean Vallery-Radot
+ «La Charité-sur-Loire, cité monastique et place
forte» par le Dr Jean-Paul Guillon, éditions Eliott B.
+ «Notre-Dame de La Charité-sur-Loire, le Décor
sculpté intérieur», édité par l'Association
des Amis de la Charité-sur-Loire, 2007
+ «Notes d'un voyage dans le Midi de la France» par Prosper
Mérimée, éditions Adam Brio, 1989
+ «La Naissance des monuments historiques, la correspondance
de Prosper Mérimée avec Ludovic Vitet (1840-1848)»,
éditions du CTHS, 1998
+ «Nivernais-Bourbonnais Roman», éditions Zodiaque,
La Nuit des Temps, 1976. |
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