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Page créée en 2011
Refonte en mai 2022
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Ponce Pilate dans le tableau de Jacques Noury

Avant l'église Saint-Jean actuelle, il existait un édifice érigé au XIIe siècle et dont il ne reste rien. La tradition remonte même au VIIe siècle avec peut-être une église préromane.
Dans l'édifice que nous voyons aujourd'hui, les parties les plus anciennes sont du XIVe siècle, c'est-à-dire la souche de la tour de façade et une bonne partie de la nef. Très endommagé par l'artillerie anglaise pendant le siège de 1417, le bâtiment a été reconstruit au XVe siècle dans le style du gothique flamboyant. Au-dessus de la croisée, la construction de la tour-lanterne, en style Renaissance, a été définitivement interrompue au XVIe siècle à cause de l'instabilité du sous-sol.
Pendant la Révolution, l'église est devenue un dépôt de salpêtre, puis est rendue au culte en 1802.
En juin et juillet 1944, les bombes alliées, qui rasent la ville, endommagent fortement l'édifice, mais pas d'une manière irrémédiable. Le bras nord du transept est totalement détruit, tout comme la partie sud de la tour de façade. Le chœur a moins souffert, mais l'incendie qui l'a dégradé oblige à le reconstruire partiellement. Les photos de l'époque montrent une église qui se dresse au milieu d'un champ de ruines. Les travaux de consolidation et de restauration ne s'achèveront qu'à Noël 1964.
Dans le chœur, «presque toutes les parties sculptées, tous les remplages, les balustrades et les pinacles sont des reconstitutions postérieures à 1944», écrit Lucien Musset en 1966 dans son article pour le Dictionnaire des églises de France. Il s'agit visiblement des parties extérieures. Seul point positif : l'incendie a libéré l'église de la gangue de maisons et de jardins qui l'enserrait. Son chevet est maintenant bordé par un petit jardin public.
Point singulier : le bâtiment étant érigé sur un sol instable dû à un sous-sol marécageux, la tour de façade est penchée et la tour-lanterne n'a jamais été terminée.
Saint-Jean a été bâtie dans le plus riche quartier de Caen, celui où vivaient les familles aristocratiques de la ville. Décor et mobilier étaient en conséquence. Mais les destructions et l'incendie de 1944 l'ont réduit à néant, tout comme le buffet d'orgue disparu dans le brasier. Aujourd'hui, ce mobilier est des plus restreint. Un beau chemin de croix constitué de tableaux du peintre Jacques Noury dans les années 1820 vient s'ajouter à quelques statues du XVIIIe siècle. Les vitraux, tous soufflés par les explosions, ont été remplacés par des créations de Jacques Grüber, Jean-Henri Couturat, Max Ingrand, et du peintre Danièle Perré entre 1955 et 1974. Dans le chœur, ces vitraux sont historiés et illustrent des scènes classiques de la Bible. Une grande partie en est reproduite dans cette page. Voir l'encadré plus bas.
Le plus bel ornement de l'église est sans conteste le retable des Carmes qui vient du couvent des Carmes de Caen. On peut y voir une très belle Annonciation maniériste, datée du XVIIe siècle, d'un peintre inconnu.

La Vierge de l'Annonciation dans le tableau du retable des Carmes
Vue générale de l'église Saint-Jean depuis l'avant-nef
Vue générale de l'église Saint-Jean depuis l'avant-nef.
Au second plan, le chœur apparaît comme un puits de lumière dans l'obscurité.
L'ARCHITECTURE EXTÉRIEURE ET SES DEUX TOURS
L'église Saint-Jean et son côté sud
L'église Saint-Jean et son côté sud.

Architecture extérieure. Saint-Jean était l'église du quartier le plus riche de Caen. Les projets bâtis pour sa reconstruction aux XVe et XVIe siècles incluaient deux tours majestueuses, en partie imitées de celles de Saint-Pierre. Mais le sous-sol marécageux et l'insuffisance des fondations freinèrent l'élan des concepteurs et les tours n'ont pas été terminées. Au-dessus de la croisée du transept, la tour-lanterne s'achève par une série de colonnes massives coupées dans leur élévation ; la tour de façade se termine par une petite pyramide à peine visible du sol au lieu de la flèche prévue à l'origine.
Le portail occidental se trouve au bas d'une tour qui penche : c'est la singularité du bâtiment que tout passant peut constater s'il veut bien s'arrêter quelques secondes sur le trottoir d'en face...
Le style architectural est le gothique flamboyant avec quelques esquisses de style Renaissance. Le chevet avec ses trois chapelles rayonnantes dominées par un garde-corps flamboyant offre une vue assez classique de ces grandes églises construites après la guerre de Cent Ans. Le fait qu'un jardin fleuri ait maintenant remplacé les maisons qui l'enserraient offre aux Caennais un agréable espace de repos avec vue sur de jolies baies flamboyantes surmontées d'une originale toiture en pyramide.
La tour de façade s'inspire étroitement de celle de l'église Saint-Pierre. Au-dessus du portail occidental, la grande baie flamboyante se prolonge par une série d'arcatures aussi étroites que les lancettes de la baie, puis aboutit au troisième niveau. Malgré ses quatre arcatures gothiques, son aspect grisé le rend un peu terne. C'est au sommet de ce dernier niveau qu'on trouve la partie la plus intéressante. Il faut malheureusement une paire de jumelles pour en apprécier toute la beauté. Chacun des quatre côtés reçoit les statues de trois apôtres qui se dressent dans un impressionnant réseau d'arcades trilobées et de quadrilobes (voir photo).
Cette tour se termine par une modeste pyramide en ardoise qui remplace une flèche qui n'a jamais été construite à cause du manque de robustesse du sous-sol. On voit les amorces de clochetons et de pinacles dans le garde-corps (voir photo).
La tour-lanterne est le joyau extérieur de l'édifice. Certes, elle n'a jamais été terminée, mais son premier étage, daté du XVe siècle, frappe par sa richesse stylistique. Un observateur attentif y découvrira même des sculptures étonnantes. Les faces nord et sud, au-dessus des croisillons, reçoivent une grande baie à quatre lancettes. En revanche, là où se trouvent les combles de la nef et du chœur, seul un oculus orne l'étage. Une photo plus bas donne le détail de l'ornementation : la suite d'arcatures est scandée de deux hauts dais, le tout dans un foisonnement d'oiseaux et d'animaux fabuleux.
Sur cet étage, on avait commencé à monter une pièce octogonale dont on voit toujours d'imposantes prémices (clochetons, pilastres, etc.). Son style indique clairement l'époque Renaissance. L'historien Charles de Bras écrivait, à son époque, que cet étage avait été commencé «de mon temps». Il écrivait, déjà âgé, vers 1580. On peut donc tout à fait faire remonter ce début de construction vers les années 1540 ou 1550.
Source : Congrès archéologique de France tenu à Caen en 1908, article sur l'église Saint-Jean par Louis Serbat.

Le clocher-porche culmine à 46m

Consoles gothiques (restaurées) du portail
Consoles gothiques (restaurées) du portail.
Console gothique (restaurée) du portail Console gothique (restaurée) du portail
«««--- La tour de façade culmine à 46 mètres. Elle est réellement penchée.
Les deux premiers niveaux sont du XIVe siècle ; la partie supérieure est du XVe.
Le sommet de la tour de façade, sur ses quatre côtés, est orné de trois apôtres
Le sommet de la tour de façade, sur ses quatre côtés, est orné de trois apôtres
qui se dressent au milieu d'un treillis gothique d'arcades trilobées et de quadrilobes.
Vue du chevet au milieu d'un agréable jardin public
Vue du chevet depuis le jardin public «Jean Soreth».
On remarquera que les chapelles absidiales ont une forme en trapèze.
Le portail occidental de l'église
Le portail occidental de l'église Saint-Jean
ne cache rien de l'instabilité du sous-sol...
Le bras sud du transept
Le croisillon sud du transept.
On remarquera la jolie forme du réseau du tympan de la grande baie.

Le garde-corps gothique du chevet ---»»»
L'église Saint-Jean vue du chevet
L'église Saint-Jean vue du chevet.
Le garde-corps gothique du chevet
La tour-lanterne inachevée Sculpture sur la face est de la tour lanterne
Magnifiques et parfois stupéfiantes sculptures sur la face est de la tour-lanterne !
Sculpture sur la face est de la tour lanterne
Sculpture sur la face est de la tour lanterne
«««--- La tour-lanterne : premier étage de style gothique (XVe siècle) ;
second étage de style Renaissance, inachevé (XVIe siècle).
Ornementation gothique au premier étage de la tour-lanterne, XVe siècle
Ornementation gothique au premier étage de la tour-lanterne, XVe siècle.
Ici, la face sud.
Les couches géologiques
Couches géologiques au-dessous de l'église.
Maquette de l'église Saint-Jean et son sous-sol

Le sous-sol de l'église Saint-Jean.
L'instabilité du sous-sol a créé tellement de problèmes à l'église Saint-Jean qu'on a voulu, pendant un temps, informer le visiteur de la nature réelle des couches souterraines. Le tout est présenté avec une belle maquette de l'église.
Dès l'origine, ignorant la réelle nature des sols, les architectes du XVe siècle n'ont pas creusé de fondations suffisantes pour assurer la robustesse du bâtiment. Et l'édification de la tour-lanterne a été définitivement abandonnée au XVIe siècle.
Lors des durs bombardements de juin et juillet 1944, le croisillon nord du transept s'est totalement écroulé. Les ingénieurs ont alors craint de nouveaux désordres dans les maçonneries. C'est pourquoi il a été décidé en 1955 de consolider les fondations du transept et du chœur.
À cette fin, on a procédé en sous-œuvre et creusé des puits jusqu'à 16 mètres de profondeur pour y couler des «piliers» de béton. On en voit un exemple au premier plan de la maquette sous une colonne. Le pilier de béton repose sur la couche de calcaire.
Fin 1959, le transept était enfin consolidé. Le chœur le sera totalement en 1964.
Source : panneau et maquette dans l'église.


«««--- Maquette de l'église Saint-Jean
et son sous-sol.
LA NEF DE L'ÉGLISE SAINT-JEAN
Plan de l'église Saint-Jean
Plan de l'église Saint-Jean.
La nef : premier niveau de l'élévation sud
La nef : premier niveau de l'élévation sud.
Les piles de la nef sont construites sur un plan en losange.
Christ en croix dans une chapelle latérale
Christ en croix dans une chapelle latérale.

Architecture de la nef.
L'église fait 68 mètres de long pour 24 mètres de large.
La nef est plus courte que le chœur : trois travées contre quatre. De plus, Saint-Jean dispose d'une large avant-nef - en fait un narthex - qui correspond au premier niveau de la tour de façade.
La photographie du bas de cette page donne une idée de l'étrange pénombre où est plongée la nef. Et le visiteur y ressentira une impression de lourdeur architecturale. En fait, le gothique de Saint-Jean voulu par les architectes du XVe siècle a besoin de lumière pour être apprécié. Comme la nef et le chœur ont le même profil, on en déduit que cette obscurité est la conséquence des vitraux colorés des fenêtres, hautes et basses. On n'éclaire pas des centaines de mètres-cubes avec des bouts de chandelle...
Dans cette pénombre, les trois grands arcs brisés paraissent insérés dans des rectangles dont les côtés sont constitués, d'une part, des sobres colonnettes montantes et, d'autre part, de la frise inférieure du ruban sculpté horizontal. Ce que la photographie ci-dessus montre clairement. La multiplication des moulures concaves et ondulées des piles n'y change rien : la pénombre rétrécissant tout, on a l'impression qu'il y a trop d'ornementations pour un espace aussi réduit. Le large ruban sculpté semble trop pesant pour des arcades qui paraissent manquer de hauteur. Cette impression disparaît totalement une fois sorti de la nef. Comme si tout était fait pour que le visiteur (ou le fidèle) se précipite vers le chœur...
Au nord et au sud, les chapelles latérales, peu profondes, sont très sobres. Les bas-côtés sont voûtés d'ogives, comme le vaisseau central.

Vitrail moderne dans un bas-côté de la nef
Vitrail contemporain dans un bas-côté, atelier Jacques Grüber, 1954.
Ruban gothique séparant les deux niveaux d'élévation de la nef
Ruban gothique séparant les deux niveaux d'élévation de la nef.
Il sert de garde-corps au passage que l'on aperçoit derrière.

Le ruban sculpté. Donnons ici la description qu'en fait l'historien Louis Serbat en 1908 : «(...) en saillie très accentuée, un très riche bandeau de feuillage porte une galerie ajourée de mouchettes constituées par des cercles encadrant des croix à centre évidé : elle est surmontée elle-même d'un second bandeau de très délicats feuillages ; elle court au niveau des fenêtres, devant le passage pratiqué à la base de leur pieds-droits, très ébrasés à cause de l'épaisseur du mur.»
Source : Congrès archéologique de France tenu à Caen en 1908, article sur l'église Saint-Jean par Louis Serbat.

Christ recrucifié
La légende de ce Christ en croix (ou de ce qui en reste)
est humoristique et fait référence
aux bombardements de juin-juillet 1944.
On lit en effet sur la petite plaque à gauche :

CHRIST RECRUCIFIÉ
DANS LA SOUFFRANCE
DE LA CITÉ
6 JUIN - 9 JUILLET 1944
Statue de saint Norbert, XVIIIe siècle Vitrail moderne dans un bas-côté de la nef
Vitrail contemporain dans un bas-côté de la nef.
Atelier Jacques Grüber, 1954.

«««--- Statue de saint Norbert, XVIIIe siècle.
Provient d'un retable de l'abbaye d'Ardenne.
Statue de saint Augustin
Statue de saint Augustin
XVIIIe siècle.
Provient d'un retable de l'abbaye d'Ardenne.

Statue du bienheureux Jean Soreth
Statue du bienheureux Jean Soreth
(1394-1470).
Il fut le réformateur du Carmel.

Les deux niveaux de l'élévation nord
Les deux niveaux de l'élévation nord (la photo a été éclaircie) ---»»»
On remarquera les nervures prismatiques des voûtes d'ogives ainsi que
les vitraux de l'atelier Tournel (cartons de Jean-Henri Couturat) posés en 1954.
Bas-côté sud de la nef Tableau anonyme de Jean Soreth
Tableau anonyme de Jean Soreth.

«««--- Bas-côté sud de la nef.
Il donne accès à la chapelle de l'Annonciation
qui est en pleine lumière.
Vitrail moderne dans un bas-côté de la nef
Vitrail contemporain dans un bas-côté de la nef.
Atelier Danièle Perré, années 1970.
Chemin de croix, station I

Le Chemin de croix.
Le chemin de croix de l'église Saint-Jean est constitué d'une série d'huiles sur toile, de bonne dimension, illustrant les étapes de la Passion. Elle a été réalisée par le peintre Jacques Noury dans les années 1820.
Jacques Noury, né en 1747, a d'abord été formé par le peintre caennais Aubry de La Noé, puis a continué sa formation à Paris. Il s'est installé à Caen vers 1770.
Jacques Noury s'est spécialisé dans les portraits et la peinture religieuse, réalisant de «nombreuses œuvres pour les églises et les cabinets d'amateur de Caen et des environs», lit-on sur le panneau affiché dans l'église.
Trois autres peintures du chemin de croix sont proposées plus bas.
Source : panneau dans l'église.

Chemin de croix, station V
Le Chemin de croix peint par Jacques Noury
en 1820.

«««--- Station I
Jésus est condamné par Pilate

Station V ---»»»
Simon le Cyrénéen aide Jésus à porter sa croix.
LE TRANSEPT : CHAPELLE DE L'ANNONCIATION ET GRANDES ORGUES
La Vierge en prière écrasant le serpent
La Vierge en prière écrasant le serpent.
Sainte Catherine, détail
Sainte Catherine, XVIIe siècle, détail.
La chapelle de l'Annonciation
La chapelle de l'Annonciation
et le retable des Carmes.
Entrée dans le bras sud du transept
La frise gothique qui sépare les deux niveaux de
l'élévation de la nef se prolonge dans les bras du transept.
Au premier plan : statue de sainte Catherine, XVIIe siècle.
La Vierge en prière, détail
La Vierge en prière, détail.
Le retable des Carmes
Autel et retable des Carmes dans le bras sud du transept.
Statue de saint Joseph à gauche et de sainte Thérèse d'Avila à droite.
L'Ange de l'Annonciation dans le retable des Carmes
L'Ange de l'Annonciation dans le retable des Carmes.

Le retable des Carmes.
Ce retable, dressé dans le bras sud du transept, vient de l'église du couvent des Carmes à Caen, où il se trouvait avant la Révolution. Son donateur est inconnu. Cependant les armes de la famille Vauquelin, au bas du tableau central, donnent une indication précieuse.
Le tableau de l'Annonciation semble, d'après certaines sources, avoir été offert en 1660. Son auteur reste inconnu. La scène montre, d'une manière tout à fait banale, les deux intervenants l'un en face de l'autre. Le peintre ne fait preuve d'aucune imagination.
En fait, l'intérêt artistique du tableau repose dans l'expression des visages et dans «l'association de coloris acidulés», selon un commentaire proposé sur un panneau explicatif. Cette manière de traiter la scène rappelle le maniérisme. Si l'œuvre date bien des années 1660, il s'agit alors des derniers feux de ce style qui brilla dans la première moitié du XVIIe siècle.
Source : panneau dans l'église.

On pourra s'arrêter sur l'expression très travaillée du visage de Marie. Loin d'être surprise ou impressionnée par l'apparition angélique, la jeune fille semble un peu endormie et totalement blasée, comme si c'était la centième fois qu'un ange lui apparaissait ! Une façon très originale de peindre la Vierge de l'Annonciation...

La Vierge de l'Annonciation dans le retable des Carmes
La Vierge de l'Annonciation dans le retable des Carmes.
Sainte Catherine
Saint Joseph est représenté avec un livre
Saint Joseph est représenté avec un livre.

S'agit-il vraiment de Joseph de Nazareth ?
Ou de Joseph de Calasanz (1556-1648),
fondateur de l'ordre des Écoles Pies ?

«««--- Sainte Catherine
Statue du XVIIe siècle.

Ci-dessous : La Cène, tableau anonyme
dans la chapelle de l'Annonciation.
La Cène, tableau anonyme dans la chapelle de l'Annonciation

Saint Joseph Calasanz (1556-1648).
La statue à la gauche du tableau de l'Annonciation représente un saint lisant. Elle est intitulée dans le cartouche : Saint Joseph.
S'agit-il vraiment de Joseph de Nazareth, charpentier de son état, dont l'attribut traditionnel est un bâton de marche ou un outil de charpentier, ou que l'on voit aussi avec l'Enfant-Jésus sur son bras ? Tenir un livre en main et le lire font penser à l'art d'enseigner, donc au seul Joseph qui réponde à ce critère : Joseph Calasanz, prêtre espagnol qui vécut à l'époque de la Contre-Réforme et qui consacra plus de cinquante ans de sa longue vie à l'éducation des enfants pauvres de Rome.
À la droite du tableau, la statue est celle de Thérèse d'Avila (1515-1582), canonisée en 1622. Cette statue est accompagnée, dans la partie basse du retable, par un bas-relief en bois peint illustrant son extase. Dans la partie gauche, la statue de Joseph surmonte un autre bas-relief décrivant l'événement biblique bien connu du Songe de Joseph : un ange l'informe durant son sommeil qu'il doit partir avec femme et enfant pour l'Égypte. Ce bas-relief viendrait confirmer que la statue est bien celle de Joseph de Nazareth.
Quoi qu'il en soit, il n'est pas inutile de connaître Joseph Calasanz, bien oublié aujourd'hui, et son action.
Le Dictionnaire des saints paru aux éditions du CNRS en 2019 consacre huit colonnes à ce clerc.
De famille noble, Joseph Calasanz passe les trente-cinq premières années de sa vie en Espagne. Il apprend la grammaire, la rhétorique, la philosophie, le droit et la théologie. Prêtre en 1582, docteur en théologie, il se forme au côté de son évêque. Il est nommé plus tard vicaire général du diocèse d'Urgel.
En 1592, il part à Rome où il bénéfice de l'appui de la famille Colonna. Dévot, mystique, il s'inscrit dans des confréries et des congrégations. En 1596, lors de l'épidémie de peste qui frappe la Ville éternelle, il se dévoue aux malades.
L'éducation des enfants pauvres de Rome, qu'il a vu vivre dans des conditions misérables, reste la grande œuvre de sa vie. Il va créer une école populaire gratuite, la première en Europe, avec un objectif simple : apprendre à lire, écrire et compter. Dans un cadre pieux évidemment. À son instigation, le pape crée la congrégation des Écoles pies. Le succès est éclatant, des centaines d'enfants affluent. En 1621 sera créée la congrégation des Pauvres Clercs de la Mère de Dieu, avec vœux perpétuels. Joseph devient général de l'Ordre. En neuf ans, cent maisons Piaristes sont ouvertes en Italie et à l'étranger.
Bien sûr, oppositions et jalousies se déchaînent ; les Jésuites craignent la concurrence de ces écoles. En 1642, Joseph a 86 ans. Il est dénoncé au Saint-Office (parce que jugé inapte à l'enseignement), arrêté, libéré, puis déposé. Les Écoles pies en subissent le contrecoup : de cinq cents religieux, elles vont passer à moins de deux cents. En 1646, la congrégation à vœux perpétuels est supprimée.
Résigné, pris de toux et de fièvres, Joseph Calasanz meurt à Rome en 1648. Son enterrement est suivi par une grande foule. Il sera canonisé en 1767.
Ce prélat philanthrope était en fait en avance sur la société de son temps. Au XVIIe siècle, on partait du principe que les enfants pauvres étaient destinés aux métiers humbles où lecture et écriture étaient inutiles, pas à la philosophie ou à la théologie par le biais d'une instruction scolaire gratuite...

Le Songe de Joseph
Le Songe de Joseph.
XVIIe siècle ?
Bas-relief en bois doré dans le retable des Carmes.
L'extase de sainte Thérèse d'Avila
L'extase de sainte Thérèse d'Avila.
XVIIe siècle ?
Bas-relief en bois doré dans le retable des Carmes.
L'orgue de l'église Saint-Jean est installé dans le bras nord du transept
L'orgue de l'église Saint-Jean est installé dans le bras nord du transept.
Le bras nord du transept a été entièrement détruit en 1944.
Verrière contemporaine du bras nord du transept
Verrière contemporaine du bras nord du transept (atelier Max Ingrand, 1957-1960).

L'orgue Haepfer Herman de l'église Saint-Jean a été mis en place dans le bras nord du transept. Il y est resté depuis car la tribune qu'on lui destinait n'a jamais été construite. Auparavant il y avait un buffet d'orgue, bâti en 1770, mais il a été détruit dans l'incendie provoqué par le bombardement de 1944.
Rappelons que le bras nord du transept a été entièrement détruit en 1944 et reconstruit dans les années 1950.

LE TRANSEPT : LA CROISÉE ET LA TOUR-LANTERNE
La croisée du transept est constituée de grands arcs à lancettes multiples
La croisée du transept est constituée de grands arcs à lancettes multiples.
L'entrée des croisillons nord-sud se
fait par un arc plus bas que les arcs est-ouest.
Vue d'ensemble de la lanterne
Vue d'ensemble de la tour-lanterne.

La croisée du transept. C''est l'endroit de l'église où le visiteur pourra contempler le plus de beautés architecturales... à condition de disposer d'une paire de jumelles.
Depuis les quatre piles massives qui définissent le rectangle de la croisée s'élève une série de colonnettes qui n'ont quasiment pas d'interruption jusqu'au sommet des arcades. On ne note qu'un petit chapiteau sur la moulure la plus saillante de l'intrados (voir photo ci-contre). Ces arcades sont déformées par le tassement du terrain, mais il n'est pas évident d'observer cette déformation à l'œil nu... et elle est quasiment impossible à voir dans des photos prises en grand angle à cause de la déformation de l'image due aux lois de l'optique...
L'instabilité du sous-sol, qui avait déjà mis à mal la tour de façade au XVe siècle, a interdit la construction d'une haute lanterne, terminée par une flèche. L'unique étage est clos par une coupole en bois.
Néanmoins la qualité artistique de style Renaissance de cette lanterne, datée du XVIe siècle, mérite une observation attentive. Au nord et sud, les travées des croisillons ne s'élèvent pas beaucoup : on a donc pu ouvrir une grande fenêtre à quatre lancettes sur ces côtés de la lanterne (photo ci-dessous). En revanche, à l'est et à l'ouest, le couvrement de la nef et du chœur est plus élevé : on a dû se contenter d'un oculus haut perché dans une paroi nue.
Les quatre baies sont définies par un arc de feuillages ajourés enrichis de quelques petits personnages. Les deux grandes fenêtres sont elles-mêmes surlignées par un encadrement qui reprend le même type d'ornementation.
Enfin, le point d'orgue de cette lanterne est sans conteste la structure des pans coupés, c'est-à-dire le profil architectural du passage du rectangle à l'octogone. Ces pans coupés sont légèrement incurvés et couverts de dentelures. Quant à l'octogone, il est délimité par huit consoles de style Renaissance. Chaque console est accompagnée de deux niches avec dais et cul-de-lampe. Ces niches n'ont sans doute jamais reçu leur personnage.
Une photo plus bas donne une idée précise de cette transition géométrique, réalisée dans un impressionnant foisonnement artistique.

La tour-lanterne de la croisée et son ornementation foisonnante
La tour-lanterne de la croisée et son ornementation foisonnante.
L'arc à feuillage contient aussi quelques personnages
L'arc à feuillage contient aussi quelques personnages (visibles au centre).
Ou est-ce le résultat d'une dégradation partielle ?
Le gothique flamboyant se mêle au style Renaissance dans cette vue partielle de la lanterne
Le gothique flamboyant se mêle au style Renaissance dans cette vue partielle de la lanterne.
Les quatre pans coupés font place à un octogone défini par huit consoles de style Renaissance.
Lanterne : baie à quatre lancettes et son ornementation
Lanterne : baie à quatre lancettes et son ornementation.
Console définissant un des huit angles de l'octogone de la lanterne
Console définissant un des huit angles de l'octogone de la lanterne.
La console reçoit, à droite et à gauche, deux niches avec culs-de-lampes et dais.
Les statues prévues n'ont jamais été mises en place.
LE CHŒUR DE L'ÉGLISE SAINT-JEAN
Le chœur de l'église Saint-Jean reprend la structure architecturale de la nef
Le chœur de l'église Saint-Jean reprend la structure architecturale de la nef.
Le chœur et le déambulatoire ont peu souffert de l'incendie provoqué par les bombardements de 1944.

Le chœur et le déambulatoire de Saint-Jean.
L'atmosphère «gothique flamboyant» qui se dégage de cette partie de l'église lui donne un charme certain. La clarté y est importante car la majorité des baies reçoivent du verre blanc.
Malheureusement, les sources disponibles n'indiquent pas clairement ce qui a dû être reconstruit après l'incendie de 1944. Dans son article de 1966 pour le Dictionnaire des églises de France, l'historien Lucien Musset parle de reconstitutions qui ont concerné des parties sculptées, des remplages, des balustrades et des pinacles. Est-ce à l'extérieur ou à l'intérieur ? De son côté, un panneau d'information dans l'église écrit que l'incendie a détruit une partie de la toiture du chœur et que ce chœur, restauré, a été rendu au culte à Noël 1964.
On pourra donc admettre que les parties intérieures du chœur et du déambulatoire qui ont eu besoin d'une restauration dans les années 1950 et 1960 sont assez limitées - sans disposer de plus de précisions.
Le chœur et le déambulatoire reconduisent la structure architecturale de la nef, ce qui donne à l'église une homogénéité remarquable : suite de grandes arcades à multiples lancettes ; galerie, flanquée du même garde-corps gothique, qui court sans interruption à la base du second niveau ; même profil de retombée des voûtes à mi-hauteur des fenêtres hautes ; voûte quadratique.
En 1908, dans son article pour le Congrès archéologique de France tenu à Caen, l'historien Louis Serbat entrevoit, dans certaines différences de structures, que le chœur pourrait être postérieur à la nef. Ce qu'un panneau de l'église reprend à son compte en affichant sans ambages que la construction s'est faite par la nef, puis le chœur et le transept, pour finir par la tour centrale inachevée.
Les lancettes des piles sont ornées, à endroits fixes, de décorations à thème floral (photo ci-contre). Ces petites sculptures ne sont pas des chapiteaux puisque la montée des nervures n'est pas interrompue et qu'il n'y a aucun tailloir.
Un petit détail est à noter : l'ornementation florale de la nervure qui descend de la voûte du bas-côté du chœur est située plus haut que les ornementations des lancettes des piliers, ce qu'on observe bien sur la photo ci-dessous. Manifestement, l'architecte a voulu individualiser la retombée du bas-côté et ne pas englober l'ensemble de ces petits ornements dans un cercle régulier.
Les chapelles du déambulatoire sont peu profondes. On y voit encore des piscines, ce qui montre qu'il y avait jadis des autels pour y célébrer des messes privées. C'est le signe de la présence de confréries dans la paroisse ou de riches familles qui auraient participé à la construction de l'édifice aux XVe et XVIe siècles.
Au chevet, les trois chapelles présentent un profil original : elles n'ont pas de voûtes indépendantes, ni de parois murées ou ajourés qui les séparent (voir photo). La chapelle d'axe accueille le baptistère.

Ornementations à thème floral sur les colonnettes des piles du chœur
Ornementations à thème floral sur les colonnettes des piles du chœur.
Chapelles du déambulatoire sud
Chapelles du déambulatoire sud.
La chapelle du premier plan possède encore sa piscine.
Déambulatoire sud avec sa voûte en croisée d'ogives
Déambulatoire sud avec sa voûte en croisée d'ogives
et ses piliers à multiples colonnettes.
L'arche de Noé
L'arche de Noé.
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, années 1970.
La Visitation Chemin de croix, station XII
Chemin de croix, station XII
Jésus meurt sur la croix.
Jacques Noury, 1820.

Vitraux dans le chœur
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969-1974.

«««--- La Visitation

La Nativité (Adoration des bergers ?) ---»»»
La Nativité (Adoration des bergers ?)
Chemin de croix, station XIII
Chemin de croix, station XIII
Jésus est descendu de la croix.
Jacques Noury, 1820.
Vitrail du chœur
Vitrail du chœur
Atelier Gaudin, carton de Perré, 1969-1974.
Est-ce une représentation de la Résurrection ?
Chemin de croix, station XIV
Chemin de croix, station XIV : Jésus est mis dans le sépulcre.
Jacques Noury, 1820.
Vue générale du chœur et de l'abside
Vue générale du chœur et de l'abside.
Les vitraux historiés sont de l'artiste peintre Danièle Perré (atelier Gaudin pour la fabrication, années 1969-1974).
Statue de saint Jean-Baptiste
Statue en bois
de saint Jean-Baptiste
dans le chœur.

Les vitraux de Saint-Jean (1/2).
La littérature sur les vitraux de l'église Saint-Jean est assez maigre.
Rappelons d'abord le contexte historique. En 1415, le roi anglais Henry V écrase la chevalerie française à Azincourt, puis repart en Angleterre avec son armée. La France, de son côté, est secouée par le long conflit entre les Armagnacs et les Bourguignons. Et la folie du roi Charles VI, survenue dès 1392, complique tout. Rien ne s'oppose au débarquement de l'armée anglaise à Touques en 1417. L'objectif du roi Henry est simple, mais sanglant : entreprendre la conquête systématique de la Normandie.
Rouen, trop bien défendue, est délaissée dans un premier temps. Henry se tourne donc contre Caen. Les Anglais s'emparent rapidement, par trahison, de l'abbaye-aux-Hommes, puis occupent l'abbaye-aux-Dames. Renforcés de ces deux points d'appui, ils mettent le siège à la ville à partir du 18 août 1417. Leur artillerie détruit maisons et églises. Saint-Jean est très endommagée. Le 4 septembre, c'est l'assaut.
Henry V applique une loi terrible : soit la ville se rend avant tout siège et bénéfice de sa clémence, soit elle résiste. Dans ce cas, l'assaut, s'il se produit, est impitoyable. Une fois la place prise, un héraut d'armes crie Havoc ! de par les rues, informant les soldats qu'ils ont le droit de voler, piller, violer et tuer comme ils le veulent pendant trois jours (!) Tel fut le sort de Caen en 1417. Un chroniqueur de l'époque rapporte qu'Henry V décida de faire cesser massacres et pillages quand il vit, dans une rue, un nourrisson téter le sein de sa mère décapitée... Caen restera anglaise jusqu'en 1450.
Le Corpus Vitrearum indique que la reconstruction des verrières de Basse-Normandie détruites au cours du conflit commença peu après le début de l'occupation anglaise. On est alors sous le règne du jeune Henry VI, successeur de son père, mort de la dysenterie en 1422. À Caen, la fabrication de ces verrières concerna Saint-Étienne-le-Vieux et Saint-Jean. Cet élan fut renforcé à partir de 1450, une fois la paix revenue.

La Nativité (Adoration des anges)
La Nativité (Adoration des anges).
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1974.

Les vitraux de Saint-Jean (2/2).
---»» Comment se présentaient les nouveaux vitraux de l'église Saint-Jean ? Les historiens n'ont guère de sources. En 1908, Louis Serbat, dans son étude de l'église pour le Congrès archéologique de France, écrit cette phrase laconique : «Le haut des remplages des fenêtres du rez-de-chaussée, principalement dans la nef, a conservé des fragments de vitraux anciens.» La Révolution a-t-elle détruit ces «vitraux anciens» ? Si oui, par quoi les a-t-on remplacés au XIXe siècle ?
Quoi qu'il en soit, les bombes alliées de 1944 et leur effet de souffle vont tout faire voler en éclats. La vitrerie actuelle de Saint-Jean est donc totalement contemporaine. Dans la nef, les verrières sont à thème géométrique (atelier Max Ingrand et atelier Jacques Grüber). Dans le chœur, une partie est en verre blanc, l'autre reçoit des créations très stylisées de Danièle Perré (1924-2009), mises en vitrail par l'atelier Gaudin. D'après les signatures, les verrières Perré remontent aux années 1969-1974. Elles illustrent des thèmes tirés de l'Ancien Testament (l'Arche de Noé) ou tirés des scènes de la Vie de Jésus et de la Vie de la Vierge.
Sources : Histoire de Caen, Orep éditions ; 2) Corpus Vitrearum, les vitraux de Basse-Normandie ; 3) The hundred years war de Desmond Seward, Robinson Editions.

La Mise au tombeau
La Mise au tombeau.
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969-1974.
Le chœur vu depuis le déambulatoire nord
Le chœur vu depuis le déambulatoire nord.
On remarquera que l'ornementation sur la nervure qui descend de la voûte
est située plus haut que les ornementations des moulures des piles.
Vue du chœur et du déambulatoire depuis le baptistère de la chapelle axiale
Vue du chœur et du déambulatoire depuis le baptistère de la chapelle axiale.
Le Baptême du Christ
Le Baptême du Christ.
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969-1974.
Le Lac de Tibériade
Le Lac de Tibériade.
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969-1974.
La Pêche miraculeuse
La Pêche miraculeuse.
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969-1974.
Chapelle axiale et baptistère
Chapelle axiale et baptistère.
Invention de la Sainte Croix, XVIIIe siècle (copie ?)
«Invention de la Sainte Croix», XVIIIe siècle (copie ?)
Le Couronnement de la Vierge
Le Couronnement de la Vierge.
Vitrail de la baie d'axe dans le chevet.
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969.

La restauration des vitraux de Saint-Jean après 1944 et le désaccord des inspecteurs (1/2).
Lors des bombardements de juin et juillet 1944, toutes les verrières furent soufflées. On posa du verre blanc pour ne pas laisser l'édifice ouvert à tous les vents. La restauration de Saint-Jean, regardée comme secondaire par rapport à celle de Saint-Pierre, fut divisée en trois parties successives : la nef et le clocher ouest ; la croisée du transept ; enfin, le chœur. En 1954, les travaux dans la nef étaient achevés. On installa une cloison pour la séparer de la croisée : il fallait répondre à l'impatience du curé et permettre la célébration du culte.
C'est aussi en 1954 que la nef reçut ses nouveaux vitraux. Dans les bas-côtés, ils étaient réalisés par l'atelier Jacques Grüber ; dans les parties hautes, par la maison Tournel sur des cartons du peintre Jean-Henri Couturat. Ces vitraux n'étaient pas à thèmes historiés, mais ils répondaient au désir de l'époque qui voulait remplacer les verrières du XIXe siècle par des créations contemporaines.
En 1958, commande fut passée à l'atelier Max Ingrand pour les vitraux du transept. On envisageait en effet d'inclure la croisée dans la zone ouverte au culte. Les vitraux furent posés en 1960.
Restait donc le chœur qui allait demeurer longtemps en travaux : jusqu'en 1965 pour l'intérieur ; 1970 pour l'extérieur. Le Service des Monuments historiques avait donc plusieurs années devant lui pour faire réaliser les futurs vitraux du chœur et éventuellement changer ses choix... Ce qui fut le cas.
L'atelier parisien de Max Ingrand fut choisi. «En juillet de la même année [1960], écrit l'historien Patrice Gourbin, après plusieurs examens, la maquette à petite échelle de l'ensemble des vitraux du chœur fut agréée par les inspecteurs des Monuments historiques Jean Taralon et Jacques Dupont, chargés des objets mobiliers.» On ignore à quoi ressemblait cette maquette. Sans doute les dessins se rapprochaient-ils de ce que Max Ingrand conçut pour le chœur de l'église Saint-Pierre en 1959 et que l'on peut voir encore aujourd'hui. Le chœur de Saint-Jean étant en travaux, la concrétisation du projet ne fut pas lancée.
Mais, en 1967, le vent tourna. Jusque-là, l'administration des Monuments historiques choisissait des ateliers capables d'assurer à la fois la conception du dessin et la fabrication du vitrail. Vers le milieu des années 1950, sous l'impulsion de Robert Renard, architecte en chef des Monuments historiques, on décida de dissocier le côté artistique du côté technique. On s'adressa alors à des artistes reconnus en espérant obtenir d'eux des dessins innovants. En 1842, c'est ce qu'on fit, en quelque sorte, pour les vitraux de la chapelle Notre-Dame-de-la Compassion à Paris, sans toutefois viser à l'innovation : le peintre Dominique Ingres réalisa les cartons ; les vitraux de la chapelle furent créés par la Manufacture royale de Sèvres.
La dissociation conception-fabrication fut donc appliquée à Metz en 1955 quand on fit appel à Jacques Villon, et en 1958 avec Marc Chagall. Idem à Reims où le même Marc Chagall dessina les vitraux du chœur de la cathédrale. Selon ce principe, à l'église Saint-Jean, on évinça Max Ingrand au profit de Danièle Perré. Cette dernière, assez jeune à l'époque puisqu'elle était née en 1924, avait déjà collaboré avec Jacques Villon pour une église classée de l'Eure. Jean Taralon la recommanda sans mise en concurrence. Il voulait se débarrasser de ce «manque d'unité avec des tons bouchés qui désaccorde la lumière à l'intérieur de l'édifice» [Jean Taralon cité par Patrice Gourbin] et introduire une artiste incarnant un esprit nouveau.
---»» Suite 2/2 à gauche

La restauration des vitraux de Saint-Jean après 1944 (2/2).
---»» Qui finançait ces vitraux ? La règle était simple : le Service des Monuments historiques prenait en charge le coût d'une restitution minimale due au titre des dommages de guerre, c'est-à-dire un vitrail à losanges, mêlant éventuellement plusieurs couleurs, mais sans aucune prétention stylistique. Le surcoût entraîné par des vitraux historiés devait être couvert par les municipalités, les paroissiens ou le clergé local. Encore ne devaient-ils pas être trop regardants sur les verrières mises en place car ils n'avaient pas voix au chapitre. Ni pour le choix de l'atelier, ni pour l'auteur des cartons, ni pour les thèmes iconographiques ! L'Administration décidait de tout. Patrice Gourbin le souligne : les verriers étaient un petit monde étroit de spécialistes reconnus et systématiquement choisis par les restaurateurs désignés par l'État. On comprend ainsi la présence aux quatre coins de la France des œuvres de Max Ingrand, l'un des grands professionnels de l'époque.
Pour les vitraux du chœur de Saint-Jean, Jean Taralon précisa ses exigences dans une note d'octobre 1967 dont Patrice Gourbin donne un extrait. L'inspecteur voulait «une atmosphère colorée adaptée au caractère et au volume de l'édifice» et «des thèmes iconographiques et picturaux se rapportant à saint Jean-Baptiste patron de l'église». C'est-à-dire, si l'on replace dans leur contexte les descriptions apportées par Taralon : des paysages désertiques rappelant la vie des Esséniens du premier siècle, une secte juive vivant repliée sur les rivages du Jourdain et dont Jean faisait partie. Pour les «fonds aériens de ciels bleu-gris», Jean Taralon préconisait «un jeu mouvementé de variations colorées dans des bleus soutenus, rompus de verts et de rouges avec de grands repos blancs». De belles idées qui font regretter que l'auteur ne fût pas peintre. Sa description faite avec un pinceau aurait été plus précise.
Cependant, au niveau local, mairie et clergé n'étaient pas d'accord. Le curé avait fourni au maire de Caen tout un programme figuratif dont l'une des scènes représentait Jean au milieu des ruines de 1944... Il fallait donc tout revoir. On trouva un accord : la mairie finança le surcoût dû aux scènes historiées et Danièle Perré modifia ses créations dans le sens figuratif souhaité. Au final, il n'y avait que deux verrières abstraites sur les vingt-huit prévues. L'atelier de Jacques Grüber n'ayant pas de four assez grand pour en assurer la fabrication, c'est la maison Gaudin qui fut sollicitée. En 1974, la moitié des vitraux était posée.
Second revirement en 1979. Le nouvel inspecteur général, François Macé de Lespinay, fit savoir qu'il n'aimait pas les vitraux de Danièle Perré jugés «fort malheureux». Il en restait quatorze à installer et la créatrice était soutenue en haut lieu... Pour ne pas la vexer, on organiserait donc un concours où... un peintre talentueux ne manquerait de la supplanter ! En fait, rien ne se produisit car les monuments caennais, à cette époque, appelaient d'autres exigences. Les quatorze verrières ont aujourd'hui encore conservé leurs verres dépolis.
Patrice Gourbin souligne un point intéressant à la fin de son paragraphe sur les vitraux de Saint-Jean : quel objectif poursuivait Jean Taralon selon sa note d'octobre 1967 ? Rien moins que de faire revivre la tradition ancestrale du vitrail conçu comme l'une des plus hautes expressions de l'art «en s'intégrant à l'art vivant de son temps». Mais n'y a-t-il pas là une contradiction aboutissant à une impossibilité ? On a fait grief à Max Ingrand de ses créations pour l'église romane parisienne de Saint-Pierre-de-Monmartre : on n'y voyait aucune trace de roman (voir l'encadré à l'église Saint-Pierre d'Yvetot). Reproduire des vitraux d'art roman, c'est faire du pastiche, ce n'est plus créer. Logiquement, pour intégrer les créations contemporaines «à l'art vivant de son temps», il faut les placer dans les églises contemporaines...
Source : Le patrimoine de Caen à l'épreuve de la Seconde Guerre mondiale et de la Reconstruction par Patrice Gourbin, Société des antiquaires de Normandie, 2016.

La chapelle rayonnante sud dans le chevet avec ses vitraux modernes
Chapelle rayonnante sud (XVe siècle) dans le chevet
avec ses vitraux contemporains
(atelier Gaudin, cartons de Danièle Perré).
La Passion
La Passion
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969-1974.
Clé de voûte dans le chevet
Clé de voûte dans le chevet.
La Dormition
La Dormition
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969-1974.
Clé de voûte dans le déambulatoire
Clé de voûte dans le déambulatoire.
Vue de la nef depuis le maître-autel
Vue du chœur et de la nef depuis le maître-autel.
Il est rare d'observer, dans une église, une opposition aussi marquée entre la clarté du chœur et l'obscurité de sa nef.

Documentation : Congrès archéologique de France tenu à Caen en 1908, article sur l'église Saint-Jean par Louis Serbat
+ «Le patrimoine de Caen à l'épreuve de la Seconde Guerre mondiale et de la Reconstruction» par Patrice Gourbin, Société des antiquaires de Normandie, 2016
+ «Caen, Architecture & Histoire» par Philippe Lenglart, éditions Charles Corlet, 2008
+ «Statistique monumentale du Calvados», tome 1, Arcisse de Caumont, réédition de 2018
+ «Dictionnaire des églises de France», éditions Robert Laffont, 1968
+ Panneaux affichés dans l'église.
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