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Avant l'église Saint-Jean actuelle,
il existait un édifice érigé au XIIe siècle
et dont il ne reste rien. La tradition remonte même au VIIe
siècle avec peut-être une église préromane.
Dans l'édifice que nous voyons aujourd'hui, les parties les
plus anciennes sont du XIVe siècle, c'est-à-dire la
souche de la tour
de façade et une bonne partie de la nef.
Très endommagé par l'artillerie anglaise pendant le
siège de 1417, le bâtiment a été reconstruit
au XVe siècle dans le style du gothique flamboyant. Au-dessus
de la croisée, la construction de la tour-lanterne,
en style Renaissance, a été définitivement
interrompue au XVIe siècle à cause de l'instabilité
du sous-sol.
Pendant la Révolution, l'église est devenue un dépôt
de salpêtre, puis est rendue au culte en 1802.
En juin et juillet 1944, les bombes alliées, qui rasent la
ville, endommagent fortement l'édifice, mais pas d'une manière
irrémédiable. Le bras nord du transept est totalement
détruit, tout comme la partie sud de la tour
de façade. Le chur
a moins souffert, mais l'incendie qui l'a dégradé
oblige à le reconstruire partiellement. Les photos de l'époque
montrent une église qui se dresse au milieu d'un champ de
ruines. Les travaux de consolidation et de restauration ne s'achèveront
qu'à Noël 1964.
Dans le chur,
«presque toutes les parties sculptées, tous les remplages,
les balustrades et les pinacles sont des reconstitutions postérieures
à 1944», écrit Lucien Musset en 1966 dans son
article pour le Dictionnaire des églises de France.
Il s'agit visiblement des parties extérieures. Seul point
positif : l'incendie a libéré l'église de la
gangue de maisons et de jardins qui l'enserrait. Son chevet est
maintenant bordé par un petit jardin public.
Point singulier : le bâtiment étant érigé
sur un sol instable dû à un sous-sol marécageux,
la tour de façade
est penchée et la tour-lanterne
n'a jamais été terminée.
Saint-Jean a été bâtie dans le plus riche quartier
de Caen,
celui où vivaient les familles aristocratiques de la ville.
Décor et mobilier étaient en conséquence. Mais
les destructions et l'incendie de 1944 l'ont réduit à
néant, tout comme le buffet d'orgue disparu dans le brasier.
Aujourd'hui, ce mobilier est des plus restreint. Un beau chemin
de croix constitué de tableaux du peintre Jacques Noury
dans les années 1820 vient s'ajouter à quelques statues
du XVIIIe siècle. Les vitraux,
tous soufflés par les explosions, ont été remplacés
par des créations de Jacques Grüber, Jean-Henri Couturat,
Max
Ingrand, et du peintre Danièle Perré entre 1955
et 1974. Dans le chur,
ces vitraux sont historiés et illustrent des scènes
classiques de la Bible. Une grande partie en est reproduite dans
cette page. Voir l'encadré
plus bas.
Le plus bel ornement de l'église est sans conteste le retable
des Carmes qui vient du couvent des Carmes de Caen.
On peut y voir une très belle Annonciation
maniériste, datée du XVIIe siècle, d'un peintre
inconnu.
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Vue générale de l'église Saint-Jean depuis l'avant-nef.
Au second plan, le chur apparaît comme un puits de lumière
dans l'obscurité. |
L'ARCHITECTURE
EXTÉRIEURE ET SES DEUX TOURS |
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L'église Saint-Jean et son côté sud.
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Architecture
extérieure. Saint-Jean était
l'église du quartier le plus riche de Caen. Les
projets bâtis pour sa reconstruction aux XVe et
XVIe siècles incluaient deux tours majestueuses,
en partie imitées de celles de Saint-Pierre.
Mais le sous-sol marécageux et l'insuffisance
des fondations freinèrent l'élan des concepteurs
et les tours n'ont pas été terminées.
Au-dessus de la croisée du transept, la tour-lanterne
s'achève par une série de colonnes massives
coupées dans leur élévation ; la
tour de façade se termine par une petite pyramide
à peine visible du sol au lieu de la flèche
prévue à l'origine.
Le portail
occidental se trouve au bas d'une tour qui penche
: c'est la singularité du bâtiment que
tout passant peut constater s'il veut bien s'arrêter
quelques secondes sur le trottoir d'en face...
Le style architectural est le gothique flamboyant avec
quelques esquisses de style Renaissance. Le chevet avec
ses trois chapelles rayonnantes dominées par
un garde-corps flamboyant offre une vue assez classique
de ces grandes églises construites après
la guerre de Cent Ans. Le fait qu'un jardin fleuri ait
maintenant remplacé les maisons qui l'enserraient
offre aux Caennais un agréable espace de repos
avec vue sur de jolies baies flamboyantes surmontées
d'une originale toiture en pyramide.
La tour
de façade s'inspire étroitement de
celle de l'église Saint-Pierre.
Au-dessus du portail
occidental, la grande baie flamboyante se prolonge
par une série d'arcatures aussi étroites
que les lancettes de la baie, puis aboutit au troisième
niveau. Malgré ses quatre arcatures gothiques,
son aspect grisé le rend un peu terne. C'est
au sommet de ce dernier niveau qu'on trouve la partie
la plus intéressante. Il faut malheureusement
une paire de jumelles pour en apprécier toute
la beauté. Chacun des quatre côtés reçoit
les statues de trois apôtres qui se dressent dans un
impressionnant réseau d'arcades trilobées et de quadrilobes
(voir photo).
Cette tour se termine par une modeste pyramide en ardoise
qui remplace une flèche qui n'a jamais été
construite à cause du manque de robustesse du
sous-sol. On voit les amorces de clochetons et de pinacles
dans le garde-corps (voir photo).
La tour-lanterne est le joyau extérieur de l'édifice.
Certes, elle n'a jamais été terminée,
mais son premier étage, daté du XVe siècle,
frappe par sa richesse stylistique. Un observateur attentif
y découvrira même des sculptures
étonnantes. Les faces nord et sud, au-dessus
des croisillons, reçoivent une grande baie à
quatre lancettes. En revanche, là où se
trouvent les combles de la nef
et du chur,
seul un oculus orne l'étage. Une photo
plus bas donne le détail de l'ornementation :
la suite d'arcatures est scandée de deux hauts
dais, le tout dans un foisonnement d'oiseaux et d'animaux
fabuleux.
Sur cet étage, on avait commencé à
monter une pièce octogonale dont on voit toujours
d'imposantes prémices (clochetons, pilastres,
etc.). Son style indique clairement l'époque
Renaissance. L'historien Charles de Bras écrivait,
à son époque, que cet étage avait
été commencé «de mon temps».
Il écrivait, déjà âgé,
vers 1580. On peut donc tout à fait faire remonter
ce début de construction vers les années
1540 ou 1550.
Source : Congrès
archéologique de France tenu à Caen
en 1908, article sur l'église Saint-Jean par
Louis Serbat.
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Consoles gothiques (restaurées)
du portail. |
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«««---
La tour de façade culmine à 46 mètres.
Elle est réellement penchée.
Les deux premiers niveaux sont du XIVe siècle ;
la partie supérieure est du XVe. |
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Le sommet de la tour de façade, sur ses quatre côtés,
est orné de trois apôtres
qui se dressent au milieu d'un treillis gothique d'arcades trilobées
et de quadrilobes. |
Vue du chevet depuis le jardin public «Jean Soreth».
On remarquera que les chapelles absidiales ont une forme en trapèze.
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Le portail occidental de l'église Saint-Jean
ne cache rien de l'instabilité du sous-sol... |
Le croisillon sud du transept.
On remarquera la jolie forme du réseau du tympan de la
grande baie.
Le garde-corps gothique
du chevet ---»»» |
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L'église Saint-Jean vue du chevet. |
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Magnifiques et parfois
stupéfiantes sculptures sur la face est de la tour-lanterne
! |
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«««---
La tour-lanterne : premier étage de style gothique
(XVe siècle) ;
second étage de style Renaissance, inachevé
(XVIe siècle). |
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Ornementation gothique au premier étage de la tour-lanterne,
XVe siècle.
Ici, la face sud. |
Couches géologiques au-dessous
de l'église. |
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Le
sous-sol de l'église Saint-Jean.
L'instabilité du sous-sol a créé
tellement de problèmes à l'église
Saint-Jean qu'on a voulu, pendant un temps, informer
le visiteur de la nature réelle des couches souterraines.
Le tout est présenté avec une belle maquette
de l'église.
Dès l'origine, ignorant la réelle nature
des sols, les architectes du XVe siècle n'ont
pas creusé de fondations suffisantes pour assurer
la robustesse du bâtiment. Et l'édification
de la tour-lanterne a été définitivement
abandonnée au XVIe siècle.
Lors des durs bombardements de juin et juillet 1944,
le croisillon nord du transept s'est totalement écroulé.
Les ingénieurs ont alors craint de nouveaux désordres
dans les maçonneries. C'est pourquoi il a été
décidé en 1955 de consolider les fondations
du transept et du chur.
À cette fin, on a procédé en sous-uvre
et creusé des puits jusqu'à 16 mètres
de profondeur pour y couler des «piliers»
de béton. On en voit un exemple au premier plan
de la maquette sous une colonne. Le pilier de béton
repose sur la couche de calcaire.
Fin 1959, le transept était enfin consolidé.
Le chur le sera totalement en 1964.
Source : panneau et maquette
dans l'église.
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«««---
Maquette de l'église Saint-Jean
et son sous-sol. |
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LA NEF DE L'ÉGLISE
SAINT-JEAN |
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Plan de l'église Saint-Jean. |
La nef : premier niveau de l'élévation sud.
Les piles de la nef sont construites sur un plan en losange. |
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Christ en croix dans une chapelle latérale. |
Architecture
de la nef.
L'église fait 68 mètres de long pour 24 mètres
de large.
La nef est plus courte que le chur
: trois travées contre quatre. De plus, Saint-Jean
dispose d'une large avant-nef - en fait un narthex - qui correspond
au premier niveau de la tour de façade.
La photographie
du bas de cette page donne une idée de l'étrange
pénombre où est plongée la nef. Et le
visiteur y ressentira une impression de lourdeur architecturale.
En fait, le gothique de Saint-Jean voulu par les architectes
du XVe siècle a besoin de lumière pour être
apprécié. Comme la nef et le chur
ont le même profil, on en déduit que cette obscurité
est la conséquence des vitraux colorés des fenêtres,
hautes et basses. On n'éclaire pas des centaines de
mètres-cubes avec des bouts de chandelle...
Dans cette pénombre, les trois grands arcs brisés
paraissent insérés dans des rectangles dont
les côtés sont constitués, d'une part,
des sobres colonnettes montantes et, d'autre part, de la frise
inférieure du ruban sculpté horizontal. Ce que
la photographie ci-dessus montre clairement. La multiplication
des moulures concaves et ondulées des piles n'y change
rien : la pénombre rétrécissant tout,
on a l'impression qu'il y a trop d'ornementations pour un
espace aussi réduit. Le large ruban sculpté
semble trop pesant pour des arcades qui paraissent manquer
de hauteur. Cette impression disparaît totalement une
fois sorti de la nef. Comme si tout était fait pour
que le visiteur (ou le fidèle) se précipite
vers le chur...
Au nord et au sud, les chapelles latérales, peu profondes,
sont très sobres. Les bas-côtés
sont voûtés d'ogives, comme le vaisseau central.
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Vitrail contemporain dans un bas-côté, atelier Jacques
Grüber, 1954. |
Ruban gothique séparant les deux niveaux d'élévation
de la nef.
Il sert de garde-corps au passage que l'on aperçoit derrière. |
Le ruban
sculpté. Donnons ici la description qu'en
fait l'historien Louis Serbat en 1908 : «(...) en saillie
très accentuée, un très riche bandeau
de feuillage porte une galerie ajourée de mouchettes
constituées par des cercles encadrant des croix à
centre évidé : elle est surmontée elle-même
d'un second bandeau de très délicats feuillages
; elle court au niveau des fenêtres, devant le passage
pratiqué à la base de leur pieds-droits, très
ébrasés à cause de l'épaisseur
du mur.»
Source : Congrès archéologique
de France tenu à Caen en 1908, article sur l'église
Saint-Jean par Louis Serbat.
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La légende de ce Christ en croix (ou de ce qui en reste)
est humoristique et fait référence
aux bombardements de juin-juillet 1944.
On lit en effet sur la petite plaque à gauche :
CHRIST RECRUCIFIÉ
DANS LA SOUFFRANCE
DE LA CITÉ
6 JUIN - 9 JUILLET 1944 |
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Vitrail contemporain dans un bas-côté de la nef.
Atelier Jacques Grüber, 1954.
«««---
Statue de saint Norbert, XVIIIe siècle.
Provient d'un retable de l'abbaye d'Ardenne. |
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Statue de saint Augustin
XVIIIe siècle.
Provient d'un retable de l'abbaye d'Ardenne. |
Statue du bienheureux Jean Soreth
(1394-1470).
Il fut le réformateur du Carmel.
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Les deux niveaux de l'élévation
nord (la photo a été éclaircie) ---»»»
On remarquera les nervures prismatiques des voûtes d'ogives
ainsi que
les vitraux de l'atelier Tournel (cartons de Jean-Henri Couturat)
posés en 1954. |
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Tableau anonyme de Jean Soreth.
«««---
Bas-côté sud de la nef.
Il donne accès à la chapelle de l'Annonciation
qui est en pleine lumière. |
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Vitrail contemporain dans un bas-côté de la nef.
Atelier Danièle Perré, années 1970. |
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LE TRANSEPT :
CHAPELLE DE L'ANNONCIATION ET GRANDES ORGUES |
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La Vierge en prière écrasant le serpent. |
Sainte Catherine, XVIIe siècle, détail. |
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La chapelle de l'Annonciation
et le retable des Carmes.
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La frise gothique qui sépare les deux niveaux de
l'élévation de la nef se prolonge dans les
bras du transept.
Au premier plan : statue de sainte Catherine, XVIIe siècle. |
La Vierge en prière, détail. |
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Autel et retable des Carmes dans le bras sud du transept.
Statue de saint Joseph à gauche et de sainte Thérèse
d'Avila à droite. |
L'Ange de l'Annonciation dans le retable des Carmes. |
Le
retable des Carmes.
Ce retable, dressé dans le bras sud du transept,
vient de l'église du couvent des Carmes à
Caen,
où il se trouvait avant la Révolution.
Son donateur est inconnu. Cependant les armes de la
famille Vauquelin, au bas du tableau central, donnent
une indication précieuse.
Le tableau de l'Annonciation semble, d'après
certaines sources, avoir été offert en
1660. Son auteur reste inconnu. La scène montre,
d'une manière tout à fait banale, les
deux intervenants l'un en face de l'autre. Le peintre
ne fait preuve d'aucune imagination.
En fait, l'intérêt artistique du tableau
repose dans l'expression des visages et dans «l'association
de coloris acidulés», selon un commentaire
proposé sur un panneau explicatif. Cette manière
de traiter la scène rappelle le maniérisme.
Si l'uvre date bien des années 1660, il
s'agit alors des derniers feux de ce style qui brilla
dans la première moitié du XVIIe siècle.
Source : panneau dans l'église.
On pourra s'arrêter sur l'expression très
travaillée du visage de Marie. Loin d'être
surprise ou impressionnée par l'apparition angélique,
la jeune fille semble un peu endormie et totalement
blasée, comme si c'était la centième
fois qu'un ange lui apparaissait ! Une façon
très originale de peindre la Vierge de l'Annonciation...
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La Vierge de l'Annonciation dans le retable des Carmes. |
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Saint Joseph est représenté avec un livre.
S'agit-il vraiment de Joseph de Nazareth ?
Ou de Joseph de Calasanz (1556-1648),
fondateur de l'ordre des Écoles Pies ?
«««---
Sainte Catherine
Statue du XVIIe siècle.
Ci-dessous : La Cène, tableau anonyme
dans la chapelle de l'Annonciation. |
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Saint
Joseph Calasanz (1556-1648).
La statue à la gauche du tableau de l'Annonciation
représente un saint lisant. Elle est intitulée
dans le cartouche : Saint Joseph.
S'agit-il vraiment de Joseph de Nazareth, charpentier de son
état, dont l'attribut traditionnel est un bâton
de marche ou un outil de charpentier, ou que l'on voit aussi
avec l'Enfant-Jésus sur son bras ? Tenir un livre
en main et le lire font penser à l'art d'enseigner,
donc au seul Joseph qui réponde à ce critère
: Joseph Calasanz, prêtre espagnol qui vécut
à l'époque de la Contre-Réforme et qui
consacra plus de cinquante ans de sa longue vie à l'éducation
des enfants pauvres de Rome.
À la droite du tableau, la statue est celle de Thérèse
d'Avila (1515-1582), canonisée en 1622. Cette statue
est accompagnée, dans la partie basse du retable, par
un bas-relief en bois peint illustrant son extase. Dans la
partie gauche, la statue de Joseph surmonte un autre bas-relief
décrivant l'événement biblique bien connu
du Songe de Joseph : un ange l'informe durant son sommeil
qu'il doit partir avec femme et enfant pour l'Égypte.
Ce bas-relief viendrait confirmer que la statue est bien celle
de Joseph de Nazareth.
Quoi qu'il en soit, il n'est pas inutile de connaître
Joseph Calasanz, bien oublié aujourd'hui, et son action.
Le Dictionnaire des saints paru aux éditions
du CNRS en 2019 consacre huit colonnes à ce clerc.
De famille noble, Joseph Calasanz passe les trente-cinq premières
années de sa vie en Espagne. Il apprend la grammaire,
la rhétorique, la philosophie, le droit et la théologie.
Prêtre en 1582, docteur en théologie, il se forme
au côté de son évêque. Il est nommé
plus tard vicaire général du diocèse
d'Urgel.
En 1592, il part à Rome où il bénéfice
de l'appui de la famille Colonna. Dévot, mystique,
il s'inscrit dans des confréries et des congrégations.
En 1596, lors de l'épidémie de peste qui frappe
la Ville éternelle, il se dévoue aux malades.
L'éducation des enfants pauvres de Rome, qu'il a vu
vivre dans des conditions misérables, reste la grande
uvre de sa vie. Il va créer une école
populaire gratuite, la première en Europe, avec un
objectif simple : apprendre à lire, écrire et
compter. Dans un cadre pieux évidemment. À son
instigation, le pape crée la congrégation des
Écoles pies. Le succès est éclatant,
des centaines d'enfants affluent. En 1621 sera créée
la congrégation des Pauvres Clercs de la Mère
de Dieu, avec vux perpétuels. Joseph devient
général de l'Ordre. En neuf ans, cent maisons
Piaristes sont ouvertes en Italie et à l'étranger.
Bien sûr, oppositions et jalousies se déchaînent
; les Jésuites craignent la concurrence de ces écoles.
En 1642, Joseph a 86 ans. Il est dénoncé au
Saint-Office (parce que jugé inapte à l'enseignement),
arrêté, libéré, puis déposé.
Les Écoles pies en subissent le contrecoup : de cinq
cents religieux, elles vont passer à moins de deux
cents. En 1646, la congrégation à vux
perpétuels est supprimée.
Résigné, pris de toux et de fièvres,
Joseph Calasanz meurt à Rome en 1648. Son enterrement
est suivi par une grande foule. Il sera canonisé en
1767.
Ce prélat philanthrope était en fait en avance
sur la société de son temps. Au XVIIe siècle,
on partait du principe que les enfants pauvres étaient
destinés aux métiers humbles où lecture
et écriture étaient inutiles, pas à la
philosophie ou à la théologie par le biais d'une
instruction scolaire gratuite...
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LE TRANSEPT :
LA CROISÉE ET LA TOUR-LANTERNE |
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La croisée du transept est constituée de grands
arcs à lancettes multiples.
L'entrée des croisillons nord-sud se
fait par un arc plus bas que les arcs est-ouest. |
Vue d'ensemble de la tour-lanterne. |
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La
croisée du transept. C''est l'endroit
de l'église où le visiteur pourra contempler
le plus de beautés architecturales... à
condition de disposer d'une paire de jumelles.
Depuis les quatre piles massives qui définissent
le rectangle de la croisée s'élève
une série de colonnettes qui n'ont quasiment
pas d'interruption jusqu'au sommet des arcades. On ne
note qu'un petit chapiteau sur la moulure la plus saillante
de l'intrados (voir photo ci-contre). Ces arcades sont
déformées par le tassement du terrain,
mais il n'est pas évident d'observer cette déformation
à l'il nu... et elle est quasiment impossible
à voir dans des photos prises en grand angle
à cause de la déformation de l'image due
aux lois de l'optique...
L'instabilité du sous-sol, qui avait déjà
mis à mal la tour de façade au XVe siècle,
a interdit la construction d'une haute lanterne, terminée
par une flèche. L'unique étage est clos
par une coupole en bois.
Néanmoins la qualité artistique de style
Renaissance de cette lanterne, datée du XVIe
siècle, mérite une observation attentive.
Au nord et sud, les travées des croisillons ne
s'élèvent pas beaucoup : on a donc pu
ouvrir une grande fenêtre à quatre lancettes
sur ces côtés de la lanterne (photo ci-dessous).
En revanche, à l'est et à l'ouest, le
couvrement de la nef et du chur est plus élevé
: on a dû se contenter d'un oculus haut perché
dans une paroi nue.
Les quatre baies sont définies par un arc de
feuillages ajourés enrichis de quelques petits
personnages. Les deux grandes fenêtres sont
elles-mêmes surlignées par un encadrement
qui reprend le même type d'ornementation.
Enfin, le point d'orgue de cette lanterne est sans conteste
la structure des pans coupés, c'est-à-dire
le profil architectural du passage du rectangle à
l'octogone. Ces pans coupés sont légèrement
incurvés et couverts de dentelures. Quant à
l'octogone, il est délimité par huit consoles
de style Renaissance. Chaque console est accompagnée
de deux niches avec dais et cul-de-lampe. Ces niches
n'ont sans doute jamais reçu leur personnage.
Une photo
plus bas donne une idée précise de cette
transition géométrique, réalisée
dans un impressionnant foisonnement artistique.
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La tour-lanterne de la croisée et son ornementation foisonnante. |
L'arc à feuillage contient aussi quelques personnages
(visibles au centre).
Ou est-ce le résultat d'une dégradation partielle
? |
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Le gothique flamboyant se mêle au style Renaissance dans cette
vue partielle de la lanterne.
Les quatre pans coupés font place à un octogone défini
par huit consoles de style Renaissance. |
Lanterne : baie à quatre lancettes et son ornementation. |
Console définissant un des huit angles de l'octogone de la
lanterne.
La console reçoit, à droite et à gauche, deux
niches avec culs-de-lampes et dais.
Les statues prévues n'ont jamais été mises en
place. |
LE CHUR
DE L'ÉGLISE SAINT-JEAN |
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Le chur de l'église Saint-Jean reprend la structure architecturale
de la nef.
Le chur et le déambulatoire ont peu souffert de l'incendie
provoqué par les bombardements de 1944. |
Le chur
et le déambulatoire de Saint-Jean.
L'atmosphère «gothique flamboyant» qui
se dégage de cette partie de l'église lui donne
un charme certain. La clarté y est importante car la
majorité des baies reçoivent du verre blanc.
Malheureusement, les sources disponibles n'indiquent pas clairement
ce qui a dû être reconstruit après l'incendie
de 1944. Dans son article de 1966 pour le Dictionnaire
des églises de France, l'historien Lucien Musset
parle de reconstitutions qui ont concerné des parties
sculptées, des remplages, des balustrades et des pinacles.
Est-ce à l'extérieur ou à l'intérieur
? De son côté, un panneau d'information dans
l'église écrit que l'incendie a détruit
une partie de la toiture du chur et que ce chur,
restauré, a été rendu au culte à
Noël 1964.
On pourra donc admettre que les parties intérieures
du chur et du déambulatoire qui ont eu besoin
d'une restauration dans les années 1950 et 1960 sont
assez limitées - sans disposer de plus de précisions.
Le chur et le déambulatoire reconduisent la structure
architecturale de la nef, ce qui donne à l'église
une homogénéité remarquable : suite de
grandes arcades à multiples lancettes ; galerie, flanquée
du même garde-corps gothique, qui court sans interruption
à la base du second niveau ; même profil de retombée
des voûtes à mi-hauteur des fenêtres hautes
; voûte quadratique.
En 1908, dans son article pour le Congrès archéologique
de France tenu à Caen,
l'historien Louis Serbat entrevoit, dans certaines différences
de structures, que le chur pourrait être postérieur
à la nef. Ce qu'un panneau de l'église reprend
à son compte en affichant sans ambages que la construction
s'est faite par la nef, puis le chur et le transept,
pour finir par la tour centrale inachevée.
Les lancettes des piles sont ornées, à endroits
fixes, de décorations à thème floral
(photo ci-contre). Ces petites sculptures ne sont pas des
chapiteaux puisque la montée des nervures n'est pas
interrompue et qu'il n'y a aucun tailloir.
Un petit détail est à noter : l'ornementation
florale de la nervure qui descend de la voûte du bas-côté
du chur est située plus haut que les ornementations
des lancettes des piliers, ce qu'on observe bien sur la photo
ci-dessous. Manifestement, l'architecte a voulu individualiser
la retombée du bas-côté et ne pas englober
l'ensemble de ces petits ornements dans un cercle régulier.
Les chapelles du déambulatoire sont peu profondes.
On y voit encore des piscines, ce qui montre qu'il y avait
jadis des autels pour y célébrer des messes
privées. C'est le signe de la présence de confréries
dans la paroisse ou de riches familles qui auraient participé
à la construction de l'édifice aux XVe et XVIe
siècles.
Au chevet, les trois chapelles présentent un profil
original : elles n'ont pas de voûtes indépendantes,
ni de parois murées ou ajourés qui les séparent
(voir photo).
La chapelle d'axe accueille le baptistère.
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Ornementations à thème floral sur les colonnettes
des piles du chur. |
Chapelles du déambulatoire sud.
La chapelle du premier plan possède encore sa piscine.
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Déambulatoire sud avec sa voûte en croisée
d'ogives
et ses piliers à multiples colonnettes. |
L'arche de Noé.
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, années 1970. |
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Chemin de croix, station XII
Jésus meurt sur la croix.
Jacques Noury, 1820.
Vitraux dans le chur
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969-1974.
«««--- La Visitation
La Nativité (Adoration des bergers ?) ---»»» |
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Chemin de croix, station XIII
Jésus est descendu de la croix.
Jacques Noury, 1820. |
Vitrail du chur
Atelier Gaudin, carton de Perré, 1969-1974.
Est-ce une représentation de la Résurrection ? |
Chemin de croix, station XIV : Jésus est mis dans le
sépulcre.
Jacques Noury, 1820. |
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Vue générale du chur et de l'abside.
Les vitraux historiés sont de l'artiste peintre Danièle
Perré (atelier Gaudin pour la fabrication, années 1969-1974). |
Statue en bois
de saint Jean-Baptiste
dans le chur. |
Les
vitraux de Saint-Jean (1/2).
La littérature sur les vitraux de l'église
Saint-Jean est assez maigre.
Rappelons d'abord le contexte historique. En 1415, le
roi anglais Henry V écrase la chevalerie française
à Azincourt, puis repart en Angleterre avec son
armée. La France, de son côté, est
secouée par le long conflit entre les Armagnacs
et les Bourguignons. Et la folie du roi Charles VI,
survenue dès 1392, complique tout. Rien ne s'oppose
au débarquement de l'armée anglaise à
Touques en 1417. L'objectif du roi Henry est simple,
mais sanglant : entreprendre la conquête systématique
de la Normandie.
Rouen,
trop bien défendue, est délaissée
dans un premier temps. Henry se tourne donc contre Caen.
Les Anglais s'emparent rapidement, par trahison, de
l'abbaye-aux-Hommes,
puis occupent l'abbaye-aux-Dames.
Renforcés de ces deux points d'appui, ils mettent
le siège à la ville à partir du
18 août 1417. Leur artillerie détruit maisons
et églises. Saint-Jean est très endommagée.
Le 4 septembre, c'est l'assaut.
Henry V applique une loi terrible : soit la ville se
rend avant tout siège et bénéfice
de sa clémence, soit elle résiste. Dans
ce cas, l'assaut, s'il se produit, est impitoyable.
Une fois la place prise, un héraut d'armes crie
Havoc ! de par les rues, informant les soldats
qu'ils ont le droit de voler, piller, violer et tuer
comme ils le veulent pendant trois jours (!) Tel fut
le sort de Caen
en 1417. Un chroniqueur de l'époque rapporte
qu'Henry V décida de faire cesser massacres et
pillages quand il vit, dans une rue, un nourrisson téter
le sein de sa mère décapitée...
Caen
restera anglaise jusqu'en 1450.
Le Corpus Vitrearum indique que la reconstruction
des verrières de Basse-Normandie détruites
au cours du conflit commença peu après
le début de l'occupation anglaise. On est alors
sous le règne du jeune Henry VI, successeur de
son père, mort de la dysenterie en 1422. À
Caen,
la fabrication de ces verrières concerna Saint-Étienne-le-Vieux
et Saint-Jean. Cet élan fut renforcé à
partir de 1450, une fois la paix revenue.
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La Nativité (Adoration des anges).
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1974. |
Les
vitraux de Saint-Jean (2/2).
---»» Comment se présentaient
les nouveaux vitraux de l'église Saint-Jean ?
Les historiens n'ont guère de sources. En 1908,
Louis Serbat, dans son étude de l'église
pour le Congrès archéologique de France,
écrit cette phrase laconique : «Le haut
des remplages des fenêtres du rez-de-chaussée,
principalement dans la nef, a conservé des fragments
de vitraux anciens.» La Révolution a-t-elle
détruit ces «vitraux anciens» ? Si
oui, par quoi les a-t-on remplacés au XIXe siècle ?
Quoi qu'il en soit, les bombes alliées de 1944
et leur effet de souffle vont tout faire voler en éclats.
La vitrerie actuelle de Saint-Jean est donc totalement
contemporaine. Dans la nef, les verrières sont
à thème géométrique (atelier
Max Ingrand et atelier Jacques Grüber). Dans le
chur, une partie est en verre blanc, l'autre reçoit
des créations très stylisées de Danièle Perré (1924-2009),
mises en vitrail par l'atelier Gaudin. D'après les signatures,
les verrières Perré remontent aux années 1969-1974.
Elles illustrent des thèmes tirés de l'Ancien
Testament (l'Arche
de Noé) ou tirés des scènes
de la Vie de Jésus et de la Vie de la Vierge.
Sources : Histoire de
Caen, Orep éditions ; 2) Corpus Vitrearum,
les vitraux de Basse-Normandie ; 3) The
hundred years war de Desmond Seward, Robinson Editions.
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La Mise au tombeau.
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969-1974. |
Le chur vu depuis le déambulatoire nord.
On remarquera que l'ornementation sur la nervure qui descend
de la voûte
est située plus haut que les ornementations des moulures
des piles. |
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Vue du chur et du déambulatoire depuis le baptistère
de la chapelle axiale. |
Le Baptême du Christ.
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969-1974. |
Le Lac de Tibériade.
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969-1974. |
La Pêche miraculeuse.
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969-1974. |
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Chapelle axiale et baptistère. |
«Invention de la Sainte Croix», XVIIIe siècle (copie
?) |
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Le Couronnement de la Vierge.
Vitrail de la baie d'axe dans le chevet.
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969. |
La
restauration des vitraux de Saint-Jean après
1944 et le désaccord des inspecteurs (1/2).
Lors des bombardements de juin et juillet
1944, toutes les verrières furent soufflées.
On posa du verre blanc pour ne pas laisser l'édifice
ouvert à tous les vents. La restauration de Saint-Jean,
regardée comme secondaire par rapport à
celle de Saint-Pierre,
fut divisée en trois parties successives : la
nef et
le clocher ouest ; la croisée
du transept ; enfin, le chur.
En 1954, les travaux dans la nef étaient achevés.
On installa une cloison pour la séparer de la
croisée : il fallait répondre à
l'impatience du curé et permettre la célébration
du culte.
C'est aussi en 1954 que la nef reçut ses nouveaux
vitraux. Dans les bas-côtés, ils étaient
réalisés par l'atelier Jacques Grüber
; dans les parties hautes, par la maison Tournel sur
des cartons du peintre Jean-Henri Couturat. Ces vitraux
n'étaient pas à thèmes historiés,
mais ils répondaient au désir de l'époque
qui voulait remplacer les verrières du XIXe siècle
par des créations contemporaines.
En 1958, commande fut passée à l'atelier
Max
Ingrand pour les vitraux du transept. On envisageait
en effet d'inclure la croisée dans la zone ouverte
au culte. Les vitraux furent posés en 1960.
Restait donc le chur
qui allait demeurer longtemps en travaux : jusqu'en
1965 pour l'intérieur ; 1970 pour l'extérieur.
Le Service des Monuments historiques avait donc plusieurs
années devant lui pour faire réaliser
les futurs vitraux du chur
et éventuellement changer ses choix... Ce qui
fut le cas.
L'atelier parisien de
Max Ingrand fut choisi. «En juillet de la
même année [1960], écrit l'historien
Patrice Gourbin, après plusieurs examens, la
maquette à petite échelle de l'ensemble
des vitraux du chur fut agréée par
les inspecteurs des Monuments historiques Jean Taralon
et Jacques Dupont, chargés des objets mobiliers.»
On ignore à quoi ressemblait cette maquette.
Sans doute les dessins se rapprochaient-ils de ce que
Max
Ingrand conçut pour le chur de l'église
Saint-Pierre
en 1959 et que l'on peut voir encore aujourd'hui. Le
chur de Saint-Jean étant en travaux, la
concrétisation du projet ne fut pas lancée.
Mais, en 1967, le vent tourna. Jusque-là, l'administration
des Monuments historiques choisissait des ateliers capables
d'assurer à la fois la conception du dessin et
la fabrication du vitrail. Vers le milieu des années
1950, sous l'impulsion de Robert Renard, architecte
en chef des Monuments historiques, on décida
de dissocier le côté artistique du côté
technique. On s'adressa alors à des artistes
reconnus en espérant obtenir d'eux des dessins
innovants. En 1842, c'est ce qu'on fit, en quelque sorte,
pour les vitraux de la chapelle Notre-Dame-de-la
Compassion à Paris, sans toutefois viser
à l'innovation : le peintre Dominique Ingres
réalisa les cartons ; les vitraux de la chapelle
furent créés par la Manufacture
royale de Sèvres.
La dissociation conception-fabrication fut donc appliquée
à Metz en 1955 quand on fit appel à Jacques
Villon, et en 1958 avec Marc Chagall. Idem à
Reims où le même Marc Chagall dessina les
vitraux du chur de la cathédrale.
Selon ce principe, à l'église Saint-Jean,
on évinça Max
Ingrand au profit de Danièle Perré.
Cette dernière, assez jeune à l'époque
puisqu'elle était née en 1924, avait déjà
collaboré avec Jacques Villon pour une église
classée de l'Eure. Jean Taralon la recommanda
sans mise en concurrence. Il voulait se débarrasser
de ce «manque d'unité avec des tons bouchés
qui désaccorde la lumière à l'intérieur
de l'édifice» [Jean Taralon cité
par Patrice Gourbin] et introduire une artiste incarnant
un esprit nouveau.
---»» Suite 2/2
à gauche
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La
restauration des vitraux de Saint-Jean après
1944 (2/2).
---»» Qui finançait ces
vitraux ? La règle était simple :
le Service des Monuments historiques prenait en charge
le coût d'une restitution minimale due au titre
des dommages de guerre, c'est-à-dire un vitrail
à losanges, mêlant éventuellement
plusieurs couleurs, mais sans aucune prétention
stylistique. Le surcoût entraîné
par des vitraux historiés devait être couvert
par les municipalités, les paroissiens ou le
clergé local. Encore ne devaient-ils pas être
trop regardants sur les verrières mises en place
car ils n'avaient pas voix au chapitre. Ni pour le choix
de l'atelier, ni pour l'auteur des cartons, ni pour
les thèmes iconographiques ! L'Administration
décidait de tout. Patrice Gourbin le souligne
: les verriers étaient un petit monde étroit
de spécialistes reconnus et systématiquement
choisis par les restaurateurs désignés
par l'État. On comprend ainsi la présence
aux quatre coins de la France des uvres de Max
Ingrand, l'un des grands professionnels de l'époque.
Pour les vitraux du chur de Saint-Jean, Jean Taralon
précisa ses exigences dans une note d'octobre
1967 dont Patrice Gourbin donne un extrait. L'inspecteur
voulait «une atmosphère colorée
adaptée au caractère et au volume de l'édifice»
et «des thèmes iconographiques et picturaux
se rapportant à saint Jean-Baptiste patron de
l'église». C'est-à-dire, si l'on
replace dans leur contexte les descriptions apportées
par Taralon : des paysages désertiques rappelant
la vie des Esséniens du premier siècle,
une secte juive vivant repliée sur les rivages
du Jourdain et dont Jean faisait partie. Pour les «fonds
aériens de ciels bleu-gris», Jean Taralon
préconisait «un jeu mouvementé de
variations colorées dans des bleus soutenus,
rompus de verts et de rouges avec de grands repos blancs».
De belles idées qui font regretter que l'auteur
ne fût pas peintre. Sa description faite avec
un pinceau aurait été plus précise.
Cependant, au niveau local, mairie et clergé
n'étaient pas d'accord. Le curé avait
fourni au maire de Caen
tout un programme figuratif dont l'une des scènes
représentait Jean au milieu des ruines de 1944...
Il fallait donc tout revoir. On trouva un accord : la
mairie finança le surcoût dû aux
scènes historiées et Danièle Perré
modifia ses créations dans le sens figuratif
souhaité. Au final, il n'y avait que deux verrières
abstraites sur les vingt-huit prévues. L'atelier
de Jacques Grüber n'ayant pas de four assez grand
pour en assurer la fabrication, c'est la maison Gaudin
qui fut sollicitée. En 1974, la moitié
des vitraux était posée.
Second revirement en 1979. Le nouvel inspecteur général,
François Macé de Lespinay, fit savoir
qu'il n'aimait pas les vitraux de Danièle Perré
jugés «fort malheureux». Il en restait
quatorze à installer et la créatrice était
soutenue en haut lieu... Pour ne pas la vexer, on organiserait
donc un concours où... un peintre talentueux
ne manquerait de la supplanter ! En fait, rien ne se
produisit car les monuments caennais, à cette
époque, appelaient d'autres exigences. Les quatorze
verrières ont aujourd'hui encore conservé
leurs verres dépolis.
Patrice Gourbin souligne un point intéressant
à la fin de son paragraphe sur les vitraux de
Saint-Jean : quel objectif poursuivait Jean Taralon
selon sa note d'octobre 1967 ? Rien moins que de
faire revivre la tradition ancestrale du vitrail conçu
comme l'une des plus hautes expressions de l'art «en
s'intégrant à l'art vivant de son temps».
Mais n'y a-t-il pas là une contradiction aboutissant
à une impossibilité ? On a fait grief
à Max
Ingrand de ses créations pour l'église
romane parisienne de Saint-Pierre-de-Monmartre
: on n'y voyait aucune trace de roman (voir l'encadré
à l'église
Saint-Pierre d'Yvetot). Reproduire des vitraux d'art
roman, c'est faire du pastiche, ce n'est plus créer.
Logiquement, pour intégrer les créations
contemporaines «à l'art vivant de son temps»,
il faut les placer dans les églises contemporaines...
Source : Le patrimoine
de Caen à l'épreuve de la Seconde Guerre mondiale et
de la Reconstruction par Patrice Gourbin, Société
des antiquaires de Normandie, 2016.
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Chapelle rayonnante sud (XVe siècle) dans le chevet
avec ses vitraux contemporains
(atelier Gaudin, cartons de Danièle Perré). |
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La Passion
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969-1974.
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Clé de voûte dans le chevet. |
La Dormition
Atelier Gaudin, carton de Danièle Perré, 1969-1974. |
Clé de voûte dans le déambulatoire. |
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Vue du chur et de la nef depuis le maître-autel.
Il est rare d'observer, dans une église, une opposition aussi
marquée entre la clarté du chur et l'obscurité
de sa nef. |
Documentation : Congrès archéologique
de France tenu à Caen en 1908, article sur l'église
Saint-Jean par Louis Serbat
+ «Le patrimoine de Caen à l'épreuve de la Seconde Guerre mondiale
et de la Reconstruction» par Patrice Gourbin, Société des antiquaires
de Normandie, 2016
+ «Caen, Architecture & Histoire» par Philippe Lenglart,
éditions Charles Corlet, 2008
+ «Statistique monumentale du Calvados», tome 1, Arcisse
de Caumont, réédition de 2018
+ «Dictionnaire des églises de France», éditions
Robert Laffont, 1968
+ Panneaux affichés dans l'église. |
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