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Les
Grands Thèmes
La beauté |
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La
beauté des churs d'église et la prière
des Quarante-Heures
1 - Commentaire sur la beauté des churs |
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Chur de l'église Saint-Germain
à Rennes. |
La beauté
du chur de Saint-Germain de Rennes.
La photo ci-contre montre un chur d'église. Peut-on
dire qu'il est beau ? La réponse est évidemment
oui. L'harmonie des formes et des couleurs qui se marient
dans un encadrement de vieilles pierres rend ce genre de lieu
idéal pour la prière, la méditation ou,
plus basiquement, pour réfléchir. Devant ce
décor, on se sent bien et on a envie de rester. Pour
simplement penser.
La beauté fait partie intégrante des valeurs
du catholicisme. L'intérieur d'une église doit
être beau, et tout spécialement son chur.
N'en déplaise à Martin Luther, la beauté
visuelle, loin de tromper et d'abuser, guide les hommes sur
le chemin du mieux-être - à tous les points de
vue. Par ce biais, le croyant est conduit indiscutablement
à une foi plus ferme.
Les moines chargés de convertir les âmes ont
souvent utilisé la beauté comme une arme pacifique.
Les processions religieuses nocturnes avec flambeaux, étendards
et chants étaient mises à profit pour ébranler
les curs. Ce fut le cas de la prière des Quarante-Heures
organisée par les pères capucins au XVIIe siècle.
La beauté qui s'en dégageait impressionnait
les protestants et pouvait les pousser à se convertir.
D'autant plus que certains d'entre eux devaient professer
la religion réformée de par leur naissance et
non par conviction. Pour empêcher ces conversions, les
pasteurs durent bien souvent interdire à leurs ouailles
de s'approcher des processions catholiques...
Le gothique flamboyant de l'église
Saint-Pierre de Dreux
offre un autre style de beauté. Là, c'est le
déambulatoire et ses chapelles rayonnantes avec leurs
vieilles pierres qui dégagent toute une atmosphère
médiévale enchanteresse. Là s'accumulent
autels, statues, peintures, vitraux anciens, le tout baigné
dans la patine de la pierre et les nervures des arcades. À
Bourges,
le double déambulatoire de la cathédrale
Saint-Étienne, avec sa suite de hautes baies vitrées,
offre, de son côté, une beauté qui devient
féérie.
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Le déambulatoire de l'église Saint-Pierre
à Dreux. |
Le déambulatoire de la cathédrale Saint-Étienne
à Bourges. |
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Chur de l'église Notre-Dame-de-Grâce-de-Passy
à Paris. |
Comment définir la beauté
?
Le grand dessinateur allemand Albrecht Dürer a cherché
toute sa vie à répondre à cette question.
En vain. Plus près de nous, Umberto Ecco a écrit
une Histoire de la beauté (Flammarion, 2010).
Un ouvrage qui déçoit. L'écrivain passe
en revue les créations des artistes depuis l'origine
comme s'il décrétait qu'elles incarnent toutes
la beauté. Ce qui paraît un peu court. Cette
méthode fâcheuse l'amène à ajouter
à sa liste des uvres contemporaines abstraites,
tel ce tableau fait de deux carrés colorés sur
un fond jaune... À quel titre est-ce beau ? Selon quels
principes ? Aucune réponse n'est donnée. À
trop rester collé aux galeries d'«art»,
Umberto Ecco s'est fourvoyé.
Il est impossible de définir la beauté selon
des critères objectifs, valables pour toutes les époques
et tous les individus. Ce concept, totalement subjectif, interdit
une description directe. Il faut donc procéder de manière
indirecte, aller au-delà des goûts individuels
et s'intéresser plutôt à ce que l'on ressent.
On définira ainsi la beauté comme la caractéristique
d'une uvre qui, pour un instant, crée le vide
dans la tête de l'observateur ou de l'auditeur, faisant
disparaître tous ses soucis. Projeté hors du
monde, saisi par le plaisir de la contemplation, l'observateur
atteint la sérénité parfaite. Inversement,
l'observation prolongée de choses que l'on trouve laides
provoque souvent une sensation de malaise.
Chacun a ses critères de beauté. Si l'on en
croit Rose-Marie et Rainer Hagen dans leur volumineux ouvrage
Les dessous des chefs-d'uvre (Taschen, 2014),
Goethe trouvait que l'arc ogival, si fréquent dans
l'architecture religieuse, manquait de beauté. Le peintre
Karl Friedrich Schinkel (1781-1841), qui a côtoyé
le poète à Weimar, préférait parler
de «calme» plutôt que de «beauté».
Pour Schinkel - rejoignant la définition donnée
-, c'est bien l'impression de sérénité
qui est l'objectif architectural suprême. La décoration
est inutile ; la clarté et l'harmonie doivent suffire
pour l'atteindre.
Dans la course à la beauté, Schinkel rejette
l'arc brisé parce qu'il rend trop visible l'opposition
entre les deux forces qui assurent la stabilité de
la pierre. Ce n'est pas le «calme» que l'on ressent,
mais un «conflit». Pour cet artiste, le «calme»
en architecture est obtenu simplement par l'union de la colonne
et de l'architrave. Autrement dit, Schinkel privilégie
le style gréco-romain : un entablement horizontal posé
sur des colonnes verticales.
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2 - La prière des Quarante-Heures |
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Chur de l'église Saint-Austremoine
à Issoire. |
Issoire
et la prière des Quarante-Heures.
Au début du XVIe siècle, avant même
la Contre-Réforme, le culte de l'hostie se répand
en Italie. L'idée première est d'exalter l'Eucharistie
par des prières expiatoires adressées à
Dieu devant le Saint-Sacrement. Quarante est un nombre symbolique
: il y a quarante heures entre la mort du Christ et sa Résurrection
; quarante jours entre la Résurrection et l'Ascension
; le Christ a passé quarante jours dans le désert ;
les Israélites ont eux-mêmes erré quarante
ans dans le désert, etc.
Tout part de Milan, dans la décennie 1527-1537. À
cette époque, l'armée du roi de France François
Ier guerroie en Italie ; de plus, les troupes de Charles Quint
mettent Rome à sac en 1527. Pour obtenir la fin des
calamités qui ravagent la péninsule, une nouvelle
forme de piété est introduite dans les églises :
une supplication de quarante heures devant le Saint-Sacrement.
Rapidement, les moines Capucins répandent cette dévotion
dans le pays. Dans la décennie 1550, pour contrer les
réjouissances profanes du carnaval, les disciples de
saint Ignace (et futurs Jésuites) récupèrent
le mouvement et l'associent à une pratique cultuelle
tournée vers la beauté (pour ce qui est de la
forme) et l'expiation des fautes commises pendant le carnaval
(pour ce qui est du fond).
À cette époque, l'art baroque triomphe ; le
culte s'épanouit dans les couleurs et les décors
; les églises sont illuminées et richement décorées.
À Rome, les Quarante-Heures, introduites par Philippe
de Néri en 1550, deviennent mensuelles. En 1592, Clément
VIII en codifie la pratique et les organise de manière
continue : quand les prières s'arrêtent dans
une église, elles commencent dans une autre. Un principe
qui conduira plus tard à l'Adoration perpétuelle.
Pendant le dernier quart du XVIe siècle, par le biais
des Capucins, la pratique des Quarante-Heures passe en France.
Elle s'implante d'abord dans la province de Lyon. C'est à
Annemasse, en territoire de coexistence confessionnelle, que
l'Église prit conscience de l'impact que pouvaient
avoir sur les réformés la ferveur et la pompe
solennelle de ces manifestations. Exalter l'eucharistie lors
de processions spectaculaires (souvent à la tombée
de la nuit) et mettre en scène la beauté sous
toutes ses formes devinrent les impératifs de la nouvelle
dévotion. Il fallait impressionner les réformés
pour les amener à se convertir. Les Quarante-Heures
s'imposèrent comme un élément essentiel
du dispositif de la Contre-Réforme. Le pape Grégoire
XV (1621-1623) les encouragea officiellement en France. Portée
par ce besoin de grandeur et de faste, les Quarante-Heures
expiatoires se transformèrent en Quarante-Heures triomphalistes.
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Chur de l'église Saint-Pantaléon
à Troyes. |
Sources
:
1) Un aspect de la dévotion
eucharistique dans la France du XVIIe siècle
: les prières des Quarante-Heures de
Bernard Dompnier, Revue d'histoire de l'Église
de France, tome 67, n°178, 1981 ;
2) Produire et vendre des livres religieux,
Presses Universitaires de Lyon, 2022, article
de Patrice Veit sur le Gesangbuch.
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Chur de l'église Saint-Austremoine
à Issoire. |
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Revenons à Issoire en 1607.
Cette localité avait été un bastion du
protestantisme auvergnat au XVIe siècle. En 1598, l'Édit
de Nantes établit une liste de villes où le
culte réformé est autorisé et une autre
où il est interdit. D'après les sources, à
Issoire, le droit d'exercice, «âprement discuté»,
est finalement interdit en 1604 par le Conseil du Roi. Les
catholiques fêtent leur victoire. Un moine capucin,
le père Barthelemy, établit la confrérie
du Saint-Sacrement dans la ville. Désormais, le premier
dimanche du mois, une procession parcourra les rues en l'honneur
du Saint-Sacrement. La dévotion allant croissante,
cette procession se transforma en prière des Quarante-Heures.
Dans son article pour la Revue d'histoire de l'Église
de France, l'historien Bernard Dompnier écrit (en
citant Julien Blauf, bourgeois d'Issoire qui rédigea
une chronique à cette époque) : «Pour
la circonstance, l'église d'Issoire fut richement décorée.
Dans le chur fut édifié un "magnifique
théâtre" entouré de cierges et surmonté
d'un arc triomphal "peint de diverses couleurs, avec
des fleurs artificielles sy bien peintes qu'on les jugeoit
naturelles". Au-dessus de cette construction couronnée
d'arcades garnies de taffetas rouge et d'étoffe blanche,
furent suspendus un soleil d'or et une colombe blanche. Par
ailleurs, des lampes placées derrière des "fioles
de verre pleines d'eaux, mixtionnées de diverses couleurs"
illuminaient la voûte.»
Par manque de moyens financiers, Issoire ne peut rivaliser
avec la pompe d'Annemasse. Néanmoins, le but est atteint
: théâtraliser les Quarante-Heures en Auvergne
en exaltant l'Eucharistie et, au-delà, l'Église
catholique. Le chroniqueur de l'époque, Julien Blauf,
compare d'ailleurs les années 1577 et 1607 - avec un
esprit très partisan : «... ce qu'on a remarqué
en ces quarante heures digne de mémoire, est que l'année
1577, en feste de Pentecôte, la guerre, le tonnerre,
le blaspheme, le mépris de Dieu, le Diable avec ses
foudres étoient dans Yssoire, et en l'année
1607, en même feste de Pentecôte, la paix, les
louanges à Dieu y habitoient, auquel on crioit Misericorde»
(extrait de la chronique citée par Bernard Dompnier).
Notre historien poursuit son analyse du récit de Blauf
: «Quant à la dévotion suscitée
par ce décor, la prédication, le chant des motets,
les processions des bourgs avoisinant, elle lui semble tout
à fait extraordinaire : les fidèles affluèrent,
criaient "Misericorde à Dieu... avec telle ardeur
et dévotion, larmes et battements de poitrines, qu'il
n'y avoit rien sy endurcy qui ne larmoyât" ;
le peuple, au total, "prenoit tel plaisir qu'yl ne vouloit
sortir de l'église"».
Les Capucins utilisèrent les Quarante-Heures comme
une machine de guerre contre les protestants. Ils prirent
un malin plaisir à les organiser dans les villes où
se tenaient les synodes (provinciaux ou nationaux) des réformés.
En 1651, ils envoyèrent même une supplique à
Rome pour que cette pratique se généralise dans
toutes les localités qui abritaient un temple protestant.
Il faut croire que de la splendeur du décor jaillissait
la vérité de la foi car, si l'on suit les sources,
les conversions n'étaient pas rares. À tel point
que les pasteurs interdisaient souvent à leurs fidèles
de s'approcher des missions et des Quarante-Heures ! Ces rassemblements
de pieux catholiques finirent par provoquer une certaine crainte
chez les protestants. Ainsi, à Grenoble en 1614, la
peur s'empara des réformés de la ville devant
l'affluence aux processions. Ainsi encore à La Rochelle
en 1641, les processions «en aussi bel ordre que les
armées du Dieu vivant, épouvantaient l'hérétique
et le forçaient à confesser la force et la grandeur
de l'Église romaine.» (Julien Blauf cité
par Bernard Dompnier).
De la sorte, au XVIIe siècle, avec les Quarante-Heures,
l'Église de Rome inaugura une guerre psychologique
au moyen d'une arme pacifique et indestructible : la conversion
des âmes par le spectacle de la beauté. ---»»
Suite plus bas.
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---»» Les réformés
ont-ils eux aussi disposé d'une arme pacifique
pour amener les catholiques vers la Réforme ?
La réponse est positive, mais elle semble peu
traitée par les historiens. À l'époque
où les Capucins prônaient les spectacles
visuels, Luther avait depuis longtemps mis en avant
la musique religieuse. Les offices luthériens
étaient inséparables du chant. Et tout
le monde devait pouvoir chanter. D'où la nécessité
de mélodies entraînantes, simples, faciles
à entonner pour le commun des mortels.
Le catholicisme a créé les messes de Mozart
et de Cherubini (qu'il est difficile de reprendre en
chur) ; le protestantisme a créé
des messes solennelles, aux accents parfois somptueux
(comme la célèbre messe de Noël de
Michael Praetorius (1571-1621)), mais aux mélodies
faciles à chanter et à retenir. Murées
dans leur complexité, les messes catholiques
privilégient le latin ; les messes luthériennes,
au contraire, utilisent la langue du peuple : l'allemand.
Le Gesangbuch, ouvrage conçu par Martin
Luther, était un livre de chants que tout réformé
se devait de posséder. En faisant la promotion
du chant religieux dans la langue vernaculaire, le but
de Luther fut double : «en faire un instrument
de propagation du message réformateur, ainsi
qu'un moyen de participation active des communautés
de fidèles à l'acte liturgique»,
écrit Patrice Veit dans son article sur le Gesangbuch
dans l'ouvrage collectif Produire et vendre des livres
religieux (PUL, 2022).
C'est à partir de 1523 que Martin Luther va se
lancer dans la composition de cantiques en langue allemande.
Avant tout dans un but de propagande. Ces cantiques
se diffuseront sous forme de feuilles volantes vendues
à bas coût. Patrice Veit précise
le phénomène : «Propagés
notamment grâce à un ensemble de personnes
itinérantes, investissant les différents
espaces publics (marchés, places, auberges),
ils contribuent même par leur chant à enclencher
dans certaines villes le processus de passage à
la Réformation.»
Si l'on met de côté ces chants exécutés
en public, on constate quand même une différence
de taille dans les outils de propagande entre les deux
religions : les Quarante-Heures des catholiques se déroulaient
dans les rues ; la musique religieuse des réformés
s'entendait dans les temples. D'où l'avantage
des premiers sur les seconds...
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Autel de la Sainte-Chapelle de l'église Notre-Dame
à Dole. |
Basilique Sainte-Thérèse à
Lisieux. |
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