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L'Arbre de Jessé de l'église Sainte-Madeleine à Troyes et deux «Vierge à l'Enfant»
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La loi de 1905
à Rennes
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La loi de 1905
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La loi 1905 et les inventaires dans les églises de Rennes
 

La tour sud de de la cathédrale Saint-Pierre de Rennes.

Sources : 1) À l'assaut de nos églises, récit anonyme d'un témoin, publié en 1906 ; 2) La cathédrale Saint-Pierre de Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2021.


Cathédrale Saint-Pierre : le chœur et son élévation sud.

Basilique Saint-Aubin : le chœur.

Église Toussaints : la façade.

Église Toussaints : le chœur et son retable.

Église Toussaints : le retable de l'Annonciation.

Basilique Saint-Sauveur : la façade.

Basilique Saint-Sauveur : la nef et le chœur.

Église Saint-Germain : détail de la façade sud.

Église Saint-Germain : le chœur.

Église Notre-Dame en Saint-Melaine : la tour-porche.

Église Notre-Dame en Saint-Melaine : le chœur roman.

L'église Saint-Hélier à Rennes.

La Séparation de l'Église de l'État, votée le 9 décembre 1905 par l'Assemblée, a souvent créé des remous dans les paroisses de l'Hexagone. L'État prenait possession de tous les éléments cultuels de France, mais surtout obligeait le clergé à soumettre chacune de ses églises à un inventaire du mobilier et de tous les objets utilisés pour la liturgie. Prélats et fidèles en furent scandalisés. Du jamais vu depuis deux mille ans ! Du jamais vu depuis que l'Église était l'Église ! Soucieux de leurs prérogatives, de l'honneur de la religion qui a fait la France, les ecclésiastiques prirent ces incursions et ces comptages pour une profanation inadmissible, une insulte à Dieu. Et les paroissiens leur emboîtèrent le pas : personne ne devait souiller le sol des églises pour se livrer à cette mascarade impie.
À Rennes, le préfet d'Ille-et-Vilaine, M. Rault, prévoyait des barrages devant les portes des édifices religieux. Il pensa d'abord mener les inventaires à une date précise pour chacun d'entre eux, puis se ravisa. C'était trop facile pour les paroissiens : si tous les Rennais opposés à la loi se regroupaient à chaque fois devant les portes de l'édifice concerné, son labeur allait se multiplier. Il décida donc de réaliser tous les inventaires en même temps : le vendredi 16 février 1906.
La situation du Préfet était compliquée. En effet, devant la politique anticléricale du gouvernement, les villes avaient tendance à élire des maires catholiques et souvent pratiquants. C'était le cas à Rennes où Eugène Pinault, un riche tanneur, par ailleurs conseiller municipal et ancien député d'Ille-et-Vilaine, avait été élu à la mairie en 1900. Une responsabilité qu'il honorera jusqu'en 1908. L'historien Xavier Ferrieu l'écrit dans son Histoire de Rennes (Gisserot, 2001) : Pinault avait clairement annoncé qu'il refusait d'assurer le maintien de l'ordre lors des inventaires...
Même si le cardinal Labouré, archevêque de Rennes avait recommandé aux curés de laisser les églises ouvertes, le Préfet savait très bien que les Rennais allaient s'opposer à la «profanation» des églises par la fonction publique. Anticipant des échauffourées et en l'absence de la police, il lui fallait disposer d'une force armée suffisante.
Le témoin des événements décrit ainsi la journée du jeudi 15 février : «De tous les côtés, par tous les trains, arrivent les gendarmes. Tous ceux du département, ceux même des départements voisins, jusque de Lannion, ont été appelés pour la grande journée. Habitués à protéger l'ordre, et à poursuivre les coquins et les voleurs, ils se sentent bien un peu déconcertés de la triste besogne qu'on leur impose. Pauvres gens ! Ils n'avaient pas rêvé de devenir gendarmes pour assister au sac des églises, ou à la violation des propriétés.»
À 18 heures ce même jour, le calme règne dans Rennes. Les agents de l'État sont entrés dans les églises pour repérer les points faibles, nous dit ce témoin qui ajoute non sans malice : «Ils savent par où ils pourront tenter l'effraction.»
À 23 heures, les portes des églises sont gardées par des escouades. À minuit, la ville est en état de siège. Pour rentrer chez eux, les habitants dont les maisons sont proches des édifices cultuels doivent établir leur identité et se faire accompagner par un agent de police.
Le témoin poursuit : «Toute la garnison de Rennes a été mobilisée : les 14 compagnies du 41e de ligne, en tenue de campagne, avec deux paquets de cartouche dans chaque giberne, les artilleurs des 7e et 10e d'artillerie, - les gendarmes, 500, dit-on -, arrivés de partout. Tout cela pour enfoncer les portes de six églises, et inspirer une salutaire terreur à quiconque voudrait bouger.»
Arrive le matin du vendredi 16 février 1906.

----------------------------------------- Suite église par église -----------------------------------------
1 - La cathédrale Saint-Pierre

La cathédrale Saint-Pierre ne suscite guère d'inquiétude auprès des autorités car elle n'est pas paroisse. Là, peu de baptêmes, pas de première communion ni de cérémonie marquant les étapes de la vie chrétienne. La cathédrale n'est pas une «patrie d'âmes», écrit le témoin. Les habitants du quartier sont rattachés à Saint-Étienne ou à Saint-Sauveur. Dans le maître-ouvrage La cathédrale Saint-Pierre de Rennes (PUR, 2021), l'historien Georges Provost précise : «Ses fonts baptismaux servent surtout lors du baptême d'enfants de naissance prestigieuse, tel le futur président de Crucé en 1590, ou de convertis à sensation comme ces trois musulmans venus de Tunisie et du Maroc en 1654 et 1656.»
Conclusion : en ce matin pluvieux du 16 février 1906, la troupe barre toutes les rues d'accès à la cathédrale, mais... il n'y a personne aux barrages.
L'inspecteur des Domaines, M. Raison, se présente à une petite porte donnant sur la rue de la Psallette. Là se tient le cardinal-archevêque Labouré, désireux de faire part en personne de son opposition à l'inventaire. Il est accompagné du chanoine Durusselle, vicaire général, et du chanoine Henry, secrétaire général de l'archevêché.
Comme les curés de toutes les églises de Rennes, le cardinal lit une protestation officielle. Il commence élégamment par mettre hors de cause le chargé d'inventaire dont chacun connaît l'honorabilité, puis rappelle que sa mission, reçue du pape, est de garder et de gérer les biens de l'Église, puis de les transmettre à son successeur. C'est-à-dire : les biens de la mense archiépiscopale, les biens du chapitre, ceux des séminaires et de la caisse de secours aux prêtres âgés ou infirmes. Seul le pape peut le relever de cette obligation. Comme il ne l'a pas fait, cet acte d'autorité est «irrégulier, prématuré et vexatoire».
Puis, le cardinal Labouré rentre à l'archevêché, refusant d'assister à l'inventaire. Le témoin écrit néanmoins que cette protestation officielle a produit la plus heureuse impression à Rennes. L'inventaire, conservé dans les archives, est rondement mené. On sait ainsi que le grand tableau de la Délivrance de saint Pierre était déjà à sa place actuelle dans le bras sud du transept. La grande sacristie est aussi libre d'accès. «Le commissaire nota dix portraits d'évêques et la croix de procession en argent doré et émaillé du XVIIe siècle», écrit Jean-Yves Andrieux dans La cathédrale Saint-Pierre de Rennes (PUR., 2021). Cette croix figurait sur la liste des objets mobiliers d'intérêt artistique, mais elle n'était pas encore classée.



2 - La basilique Saint-Aubin

L'église Saint-Aubin, qui n'est pas achevée, est un peu la propriété de tous les Rennais. Le témoin ne décolère pas sur l'abus de pouvoir commis par la loi. Il écrit : «L'État a dit : Ce temple que vous venez de bâtir au prix de tant de sacrifices et de peines, ce temple est à moi !» Et il ajoute : «Tout un bataillon du 41e, plus 300 artilleurs, depuis 4 heures du matin, sous la pluie fine et froide, sont là pour le prouver.»
La place Sainte-Anne devient un véritable camp retranché. Toutes les rues qui y mènent sont barrées par une double haie de soldats. À 7 heures 30, le chanoine de la Villecomte, curé de l'église, ses vicaires et les fabriciens se présentent à un barrage. Le Préfet ayant interdit aux vicaires d'accompagner leur curé, ceux-ci font demi-tour. Comme font demi-tour des paysans venus en ville pour vendre leur lait et qui passaient par-là.
Arrive alors M. Emou, receveur des successions et responsable de l'inventaire, qui demande à entrer dans l'église. Il se heurte à un refus net.
Le curé donne alors lecture d'une longue protestation. En tant que «ministre de paix», opposé à toute violence et en l'absence d'instructions du Vatican, il ne peut que se soumettre à la loi, tout comme ses paroissiens. Mais il souligne que les «catholiques français de Rennes» jouissent d'une «absolue propriété relative à tous les biens ici renfermés.» Le curé rappelle ensuite le rôle de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle dans l'Histoire. Elle a reçu les prières des Rennais contre la peste, les flammes, l'invasion allemande, contre tous les fléaux destructeurs et a toujours intercédé pour eux. Pour terminer, il en appelle au tribunal des hommes et exige que son texte soit inclus dans le procès-verbal.
M. Desbois, représentant du Conseil de fabrique, prend à son tour la parole pour émettre une seconde protestation qui, elle, se révèle riche d'enseignements. En effet, l'inventaire, dit-il, n'est pas une simple formalité qui transférerait les biens des Fabriques aux associations cultuelles [dont la création a été proposée par Aristide Briand dans la loi de 1905]. Car que fera le pape ? Acceptera-t-il ces associations ? S'il les refuse, l'inventaire s'empare tout simplement des biens des fabriciens au bénéfice d'associations qui ne verront jamais le jour ! [On sait que le pape Pie X a refusé...] L'inventaire peut donc n'être qu'une confiscation sacrilège déguisée à laquelle les fabriciens n'apporteront aucune aide. M. Desbois invite donc le receveur des successions à se retirer car les portes de l'église Saint-Aubin resteront fermées et «ne s'ouvriront que par ruse ou par violence.»
M. Emou, qui voit son inventaire remis en question, se retire pour en référer au Préfet. Il est 7 heures 45. Vers 9 heures surgit le commissaire central Queutier avec un «ukase» signé : c'est l'ordre d'employer la force ! Sans attendre, les coups de hache tombent sur la porte principale, celle qui est au sud. Comme elle résiste, on s'attaque aux portes latérales. Enfin, une porte cède ; M. Emou pénètre dans l'église et gagne la sacristie. Là, en confondant bien des objets, il note tout ce qu'il trouve, sous les yeux passifs du curé et des fabriciens. Il attend ensuite que le commissaire Queutier le rejoigne. Puis, les deux sortent ensemble de l'édifice.
Le témoin anonyme qui a rédigé le récit ajoute : «Des fenêtres qui dominent la place Sainte-Anne, et des rues avoisinantes s'élevèrent des cris nourris de "Vive la liberté ! À bas les voleurs !"»
Et il termine sur une imprécation vengeresse : «Le peuple de Rennes, à la générosité duquel est dû le sanctuaire de Bonne-Nouvelle, contemplera longtemps la hideuse trace du cambriolage légal, et il saura se souvenir.»
Le témoin accompagne son récit de la protestation du général de Saint-Germain, sénateur d'Ille-et-Vilaine, datée du 16 février 1906, c'est-à-dire du jour exact des inventaires à Rennes. Le général, qui s'adresse au préfet, met l'accent sur un point de la loi de 1905 que violent apparemment les inventaires.
«Comme sénateur représentant la population catholique d'Ille-et-Vilaine, écrit-il, il est de mon devoir de protester avec la plus grande énergie contre l'acte que vous avez la triste mission d'accomplir.
L'inventaire que vous devez dresser est la première opération de la spoliation projetée des biens de l'Église. Elle est contraire à l'esprit de la loi du 9 décembre 1905.
Il n'a été, en effet, ordonné qu'en vue de la dévolution de ces biens aux associations cultuelles qui doivent remplacer les fabriques. Or ces associations n'existent pas et rien, actuellement, ne peut indiquer quand et comment elles seront constituées, ni même s'il sera possible de les constituer, puisque le règlement d'administration publique qui doit régler leur fonctionnement, n'est pas encore décrété.
La mesure que vous avez l'ordre de prendre est donc arbitraire : elle blesse les consciences catholiques, elle est offensante pour nos prêtres et pour les membres du Conseil de fabrique, qu'elle suppose capables de détourner les objets du culte, qui sont dus, en grande partie, à la généreuse piété des fidèles.
Nous protestons contre cet outrage, et contre l'acte lui-même par lequel le Gouvernement veut s'assurer de la valeur des biens de l'Église, pour le jour prochain où il trouvera un prétexte soi-disant légal pour s'emparer de ces biens.»
Dans le cours du siècle, il a établi par de nombreux historiens qu'Aristide Briand, rapporteur de la loi, n'a jamais eu à l'esprit de priver les églises de leurs biens, encore moins de les leur voler. Que ferait un État républicain d'une collection de calices et de patènes ? C'est justement pour qu'elles conservent leurs biens que Briand a proposé de créer des associations cultuelles. La position du général de Saint-Germain peut être vue comme un procès d'intention, d'ailleurs bien dans l'air du temps. Les fabriques ont attendu la décision du pape... qui a tout refusé avec dédain. Ce rejet a privé l'Église de France d'innombrables propriétés foncières et immobilières...



3 - L'église Toussaints

Avec 20 000 habitants, Toussaints est la paroisse la plus importante de Rennes, soit presque le tiers de la ville. Craignant des débordements, le préfet Rault a pris des mesures exceptionnelles. À 23 heures la veille, un cordon de soldats entourait déjà l'église. Le 16, à 4 heures du matin, le commissaire du 3e arrondissement, M. Jacquinot, arrive avec de nombreuses troupes : une compagnie du 41e d'infanterie ; une batterie du 7e d'artillerie ; six brigades de gendarmerie à cheval et à pied. Sur le seuil de l'église, une section de soldats et une brigade de gendarmerie montent la garde.
À 6 heures, des ouvriers veulent passer, mais tout est bloqué. Des protestations fusent.
Vers 7 heures, le jour se lève. La foule s'est amassée derrière les barrages. M. Gillard, agent du fisc, c'est-à-dire celui qui doit réaliser l'inventaire, arrive avec le commissaire Jacquinot. Tous deux sont accompagnés de gendarmes et d'agents de police.
À 7 heures 30, le chanoine Girard, curé de l'église; gravit les cinq marches du perron. D'une voix forte et devant le commissaire Jacquinot et l'agent du fisc, il lit une protestation officielle dont on devine la teneur : la loi foule aux pieds les droits de Dieu et des consciences ; vous ne voulez pas déchristianiser la France, mais l'athéiser ; l'inventaire, c'est la mainmise de l'État sur les biens de l'Église ; nous sommes gardiens de ce que Dieu et nos pères nous ont légué ; seul le Souverain Pontife peut nous dicter notre conduite ; nous serons obligés de céder à la force, mais nous vous rappelons que la peine d'excommunication frappe tous ceux qui s'emparent des biens de l'Église.
À sa suite, M. Rabillon, pour le Conseil de fabrique, lit une autre protestation : la fabrique rappelle que l'utilisation de la force est illégale tant qu'un arrêté préfectoral ne contraint pas les fabriciens à ouvrir l'église ; si ceux-ci refusent à nouveau, alors l'usage de la force sera légal ; d'autre part, la Fabrique a le droit de frapper l'arrêté d'un recours devant le Conseil d'État «pour obtenir sursis jusqu'à la décision papale», comme Aristide Briand, rapporteur de la loi, le reconnaît lui-même ; si le pape ordonne de subir l'inventaire, les fabriciens obéiront.
M. Gillard, inspecteur de l'Enregistrement, et le commissaire Jacquinot rentrent alors dans le Petit Lycée et referment la porte. À 8 heures 30, le commissaire réapparaît, porteur de l'arrêté du préfet. Les choses se précisent : à 9 heures 15, les portes de l'église devront être ouvertes et l'accès à tous les meubles qu'elle contient autorisé, sinon l'emploi de la force suivra.
M. le Curé et M. Rabillon s'insurgent et en appellent à la sentence du Préfet au Conseil d'État. Cet appel a pour eux un effet suspensif jusqu'à l'avis du pape qui a seul le droit de disposer des biens de l'Église. Le commissaire de police promet de porter cet appel au Préfet. Mais, comme le relate le témoin de la scène, si la troupe a été mobilisée, ce n'est pas pour rester passive devant un appel...
Un peu avant 9 heures arrive une escouade d'ouvriers de la 8e section d'artillerie. «Ils portent sur leurs épaules, écrit le témoin, les instruments de cambriolage : marteaux, haches, leviers, crics...» On entend des cris : «Vive la liberté !» tandis que des cantiques s'élèvent dans la foule massée derrière les barrages.
À 9 heures 15, le curé et le représentant de la Fabrique se retrouvent devant l'église face à M. Gillard et au commissaire de police. Tous deux paraissent très ennuyés, précise le témoin. Le commissaire procède à une première sommation : «Obéissance à la loi !», suivie d'un roulement de tambour. Deuxième sommation : «Obéissance à la loi ! Obéissez comme de bons citoyens !» Le curé rappelle au commissaire que c'est lui qui viole à la loi s'il n'attend pas que le Conseil d'État ait statué. S'ensuit un dialogue de sourds : chacun campe sur ses positions. Troisième sommation ! Le recours à la force est décidé.
Ce recours sera indirect car les hommes de la 8e section passent par le Petit Lycée. Du haut d'une échelle, ils cassent un vitrail de l'église en deux endroits, puis descendent dans l'édifice en brisant «horriblement l'autel très vénéré de Notre-Dame du Perpétuel Secours». Une fois dans la place, ils font sauter les serrures et les barres de fer de la grande porte qui s'ouvre enfin. Les responsables de l'inventaire peuvent entrer.
L'église Toussaints possède un narthex, autrement dit une petite salle où l'on débouche après avoir franchi la grande porte. Là, une autre porte donne accès à la nef. Comme une sorte de vengeance morale, le témoin ne se prive pas de rappeler que, au-dessus de cette porte intérieure, s'étale une grande banderole où il est écrit : «Dieu vous voit et vous juge !» et que tout le monde la lit... Une banderole similaire est accrochée à la chaire à prêcher ; une troisième s'étend dans la sacristie.
La sacristie étant fermée, des «crocheteurs» font sauter la serrure de la porte. À l'intérieur, tous les meubles sont ouverts et l'on peut procéder à l'inventaire. Une demi-heure plus tard, les officiels s'en vont.
La Fabrique fait aussitôt appeler un huissier pour constater les dégâts. L'acte sera adressé au Préfet et au directeur des Domaines car, répète le témoin, l'appel au Conseil d'État était légal. Pendant ce temps, les fidèles envahissent l'église. De tout l'après-midi, la foule ne tarit pas ; certains ramassent un éclat de bois ou de verre et l'emportent en souvenir.
Un Salut solennel est alors célébré devant l'assemblée des paroissiens avec chants et cantiques. Même scène le dimanche suivant. La déclaration du curé - lue par un vicaire car le curé est souffrant - est d'abord un mea culpa : ces événements sont d'abord «le châtiment trop juste de nos péchés». Puis elle dresse un état de la France : «Toutes les idées antisociales et antipatriotiques, s'étalent au grand jour : patrie, famille, propriété, tout est attaqué. Pour arrêter le mal, il faudrait un repentir sincère, et un changement de vie...»
Pour le clergé de Toussaints, le point de scandale est que le Petit Lycée, qui se doit de rester neutre, a servi de passage pour pénétrer dans l'église. «A-t-on le droit de se servir de la propriété d'un tiers pour attaquer le voisin ? demande le témoin. Qui donc avait indiqué le passage ? Qui donc a ouvert la porte ?» Le curé Girard adresse donc au proviseur du lycée une lettre de protestation. Il y rappelle les faits, l'accuse de «manifeste complicité pour cet attentat» qui le fait «tomber sous le coup de l'excommunication.»
Si le proviseur est innocent, qu'il le dise afin d'échapper à «l'une des peines les plus redoutables de l'Église». Le silence sera un aveu et les faits seront portés au tribunal de l'opinion publique car «il faut que la France sache à quels éducateurs sont confiés ses enfants.»
La lettre se termine par une étonnante formule de politesse : «Agréez, Monsieur, l'assurance de mon entier dévouement au salut de votre âme» !
Le narrateur ne dit pas quelle suite a été donnée à cette lettre.



4 - La basilique Saint-Sauveur

La dévotion à Notre-Dame des Miracles et des Vertus fait de Saint-Sauveur (qui n'est pas encore basilique) l'église la plus vénérée et la plus visitée de la ville. Le soir du 15 février, des centaines de personnes veulent rester dans l'édifice pour le défendre, mais le curé réussit à les en dissuader. Toutefois, une vingtaine de jeunes gens décident de rester. La notoriété de l'église pousse les paroissiens à résister à l'inventaire par la force. Le préfet et les prélats le savent. L'armée a donc mis les moyens : 240 hommes du 10e d'artillerie ; 120 hommes du 41e d'infanterie ; 15 gendarmes à pied, renforcés de gendarmes à cheval. Précaution supplémentaire : les fonctionnaires chargés de l'inventaire sont étrangers à la ville. Le commissaire de police vient de Saint-Malo ; l'agent des domaines, M. Couallier, de Laval. Deux cantonniers sont choisis comme témoins.
Le soir du 15, le bruit court que l'église est pleine de monde, que les chaises, liées par du fil de fer, sont entassées derrière les portes. L'Administration s'attend à de la bagarre. Inquiet pour sa vie, l'inspecteur Couallier s'est confié au curé... qui s'est engagé à le défendre (!)
Arrive le matin du vendredi 16 février 1906. La foule se porte vers l'église, mais l'armée barre le passage. À 7 heures, l'inspecteur arrive, aussitôt salué par un tollé menaçant. On crie : «Vive la liberté !» ; «À bas les voleurs !». Des cantiques résonnent. Couallier se présente devant la grille de l'église, mais le curé Hévin et les membres du Conseil de fabrique font obstruction.
Le curé lit une protestation officielle : Saint-Sauveur abrite Notre-Dame des Miracles qui a sauvé la ville de Rennes d'un grand danger [l'incursion des Anglais lors du siège de 1357] ; c'est un fait que l'État a oublié ; lui-même et les fabriciens sont responsables devant Dieu des biens que renferme l'édifice ; ces biens sont sacrés et seul le pape peut les dégager de leurs responsabilités.
Comme à l'église Saint-Aubin, le curé ajoute à ces lieux communs une considération juridique : les associations cultuelles qui doivent prendre possession des biens de l'Église ne sont pas encore créées ; on ne sait d'ailleurs pas si elles le seront un jour «puisque le règlement public qui doit régler leur administration n'est pas encore édicté.»
En conséquence, garant de l'église devant Dieu, le curé ne peut en ouvrir les portes. Seule la force publique peut le faire. Au mépris du droit.
M. Marcille, président du Conseil de fabrique, renchérit : les fabriciens ont reçu mandat pour administrer les biens de cette église en bons pères de famille et ils s'y tiennent ; à la spoliation ils n'opposeront qu'une résistance passive, mais résolue, et demandent que leur protestation soit incluse dans le procès-verbal.
L'inspecteur Couallier prend note de cette opposition. Comme pour les autres églises de Rennes, la suite logique est d'aller en référé. Il doit donc contacter le préfet pour obtenir de sa part un mandat légal permettant d'utiliser la force.
Pendant ce répit, la foule grossit, sa colère augmente, tandis que les cloches sonnent le glas ! Les gens ont les yeux rivés sur le portail de Saint-Sauveur. Derrière, dit-on, se tiennent de nombreux gaillards prêts à en découdre...
Lorsque le chargé d'inventaire et le commissaire réapparaissent avec le fameux mandat, accompagnés des cantonniers et des gendarmes, le tumulte redouble : «Liberté ! A bas les voleurs !», mais aussi «Vive l'armée !». Les gens plaignent les soldats de devoir se livrer à cette basse besogne... Quelques fonctionnaires, quelques «arrivistes» manifestent contre les curés. Peu nombreux, leurs cris sont étouffés par les protestations. Aux fenêtres, les habitants du quartier ne sont pas en reste.
Il est aux alentours de 10 heures. Les ouvriers de la 8e compagnie arrivent avec les échelles, les marteaux et les haches pour forcer les portes. Cependant, rue Duguesclin, devant l'église, ils doivent se frayer un chemin à travers une foule hostile. (Voir dessin de l'époque à gauche.) Aussitôt, on entoure les ouvriers ; des cris fusent : «Enlevez les outils !» Des manifestants passent à l'acte, bousculent les ouvriers, arrachent marteaux et haches et les jettent, dit la rumeur, dans un égout. On échange des coups. L'un des manifestants, un certain de Montcuit, se défend à coups de poings contre ceux qui l'attaquent. Dans la rixe, il frappe l'un des ouvriers. Empoigné par un gendarme, de Montcuit est conduit aussitôt au Parquet sous bonne escorte.
Les premiers coups de marteau frappent la grande porte de l'église. Des cantiques retentissent dans la foule. Le Journal de Rennes, qui décrit la scène et que le témoin, auteur de l'ouvrage À l'assaut de nos églises, cite abondamment, déplore que les ouvriers exécutent leur besogne de bon cœur, contrairement aux officiels et à tous les soldats qui forment barrage.
Détruire la porte principale ne suffit pas. Les ouvriers s'attaquent aussi à la petite entrée de la rue Saint-Sauveur qui est d'ailleurs rapidement forcée. Mais, sans que l'on sache bien pourquoi, l'inspecteur ne profite pas de cette ouverture. Qu'y avait-il donc derrière ?
En revanche, la grande porte est beaucoup plus robuste. Les haches rebondissent sur le chêne ! Il faut appliquer leur tranchant sur le bois et taper à coups de masse sur le dos des haches ! La porte finit quand même par céder, tout comme les gonds. Mais un autre obstacle surgit : une barricade de chaises et de bancs entassés, liés par du gros fil de fer, obstrue l'entrée ! Le labeur des ouvriers continue : il faut maintenant retirer le fil de fer ou le rompre, puis dégager un passage pour les officiels. En tout, casser la porte et faire place nette leur prennent deux heures.
La course d'obstacles n'est pourtant pas finie. Ce sont à présent d'épaisses vapeurs de soufre qui sortent de l'édifice, rendant l'entrée impraticable ! Une fumée jaunâtre fait même croire à un incendie. Il n'en est rien : les défenseurs de l'église ont seulement allumé des brasiers où ils ont jeté du soufre imbibé de térébenthine ! La plupart se sont enfuis. Ceux qui sont restés alimentent le feu... Pour les agents de l'État, il n'y a rien à faire contre les fumées, sinon attendre. Quelques téméraires essaient de braver les émanations toxiques : ils ressortent précipitamment, à moitié asphyxiés ! On les remet sur pied en leur faisant respirer de l'éther.
Vers 12 heures 30, l'entrée devient possible... avec un mouchoir sur la bouche. La sacristie est ouverte ; les portes des placards le sont aussi. L'inventaire a lieu au pas de charge, sans la présence du curé et des fabriciens évidemment.
Pendant ce temps, dans la rue, au milieu des cris et des sifflets, une autre rixe oppose les paroissiens... aux anticléricaux qui les conspuent. Des bagarres éclatent. «Les gendarmes à cheval chargent à plusieurs reprises ; plusieurs personnes sont bousculées, et plus ou moins contusionnées», lit-on dans le récit du témoin. Un contre-manifestant brandit un chiffon rouge ; il est aussitôt malmené par la foule. Les gens maltraités huent les gendarmes. Le sous-préfet de Redon, présent on ne sait pourquoi, reste narquois devant toute cette scène. Il est conspué. Sont également pris à partie deux députés d'Ille-et-Vilaine. De son côté, un lieutenant commandant la gendarmerie est pris dans une bousculade. Il en sort fortement contusionné.
À son retour du référé, le commissaire spécial a pris un parapluie sur la tête ! L'objet du scandale a-t-il été lâché depuis la terrasse de l'hôtel Blossac, tout proche ? On parle d'attentat ! Ulcéré, le commissaire menace des manifestantes de leur faire tirer dessus ! Peu auparavant, à deux hommes retranchés derrière la grille qui sépare la façade de la rue, il avait déjà prévenu, très en colère, que chaque coup de poing donné vaudrait deux ans de prison ! «Il est impossible de perdre la tête à ce point !», commente l'auteur du récit, qui a pris depuis longtemps la défense des manifestants.
L'après-midi, les curieux se pressent dans l'église pour «voir les ravages opérés par les visiteurs du matin, écrit encore le narrateur, et prier aux pieds de la Vierge du Miracle.» Ne voudrait-elle sauver les paroissiens de Saint-Sauveur une fois de plus ?
Le dimanche suivant, au prône, le curé détaille les réparations à effectuer d'urgence, notamment celle de la grande porte. Chaque paroissien est invité à verser un sou.
La veille, le samedi 17 février, M. de Montcuit a été condamné par le tribunal correctionnel à cent francs d'amende et à huit jours de prison avec sursis. Il a fait appel. Malgré une belle plaidoirie de son avocat, la condamnation sera confirmée par la troisième chambre de la Cour d'appel dès le lundi suivant.



5 - L'église Saint-Germain

Devant Saint-Germain, M. Gagneux, inspecteur de police en faction, voit arriver la troupe... qui prend «les dispositions de combat». Le pas des soldats s'accélère ; les chevaux galopent ; on entend le cliquetis des armes. Le narrateur continue : «En cinq minutes, les barrages s'effectuent d'après un plan arrêté d'avance : rue du Vau-Saint-Germain se postent deux escouades d'artilleurs ; sur la place débouchant sur le quai un escadron, renforcé de gendarmes à cheval, et dans les rues Derval et de Corbin, une compagnie du 41e d'infanterie. Les hommes, au commandement, forment les faisceaux et on attend.» Le barrage est total : personne ne passe plus, à l'exception des bidons de lait. Au petit jour, la foule grossit. À 7 heures 30 précises, un receveur du fisc, M. Forêt, se présente à la porte sud de l'église. Elle est close, mais les fabriciens sont là, entourant le curé de la paroisse.
Le chanoine Duver, curé de Saint-Germain, lit une protestation solennelle dont on devine la teneur : l'Église catholique a la garde de tout ce qui lui a été donné et confié au cours des âges ; ces biens, nous devons les transmettre à nos successeurs ; par son action le Pouvoir civil la spolie ; «s'il est la force, il n'est pas le droit, et si nous subissons l'une, nous protestons au nom de l'autre.» En conséquence, les fabriciens se refusent de participer «à l'acte qui va être accompli».
À son tour, M. Regnault, président du Conseil de fabrique, donne lecture d'une seconde protestation : les agents de l'État sont les gardiens de l'État, les fabriciens sont les gardiens de leur église à laquelle on ne doit pas porter atteinte ; la loi nous dépouille ; «tant que Notre Saint-Père le Pape n'aura pas parlé, nous estimerons que nous sommes ici chez nous, et que nul autre n'a le droit d'y faire inventaire». En conséquence, les fabriciens ne céderont qu'à la violence.
Après ces deux incantations, le receveur du fisc choisit de se retirer. Quelques cris hostiles l'accompagnent, tandis que, devant la porte sud, la foule ovationne le curé.
À 9 heures 45, le receveur revient, cette fois pour le dernier acte. Aussitôt la troupe se met en garde. Mais les fabriciens, qui circulent autour de l'église, refusent d'ouvrir les portes au fonctionnaire. Quand celui-ci se présente officiellement, accompagné du commissaire de police, «les sommations d'usage sont faites en vain». Alors huit hommes de la «compagnie d'ouvriers», huit volontaires, constate avec regret le narrateur, se présentent armés de piques et de haches. On choisit d'enfoncer la porte de la rue Derval, celle qui est au nord, visiblement moins robuste que les autres. Les huit soldats se mettent au travail. Au bout de dix minutes, les battants de la porte sont disjoints. Dans leur chute, ils entraînent une colonne de chaises amoncelées à l'intérieur.
Le narrateur poursuit : «Entré dans l'église, M. Forêt a rapidement compté les autels, les statues, les confessionnaux. Pendant ce temps, les ouvriers de la 8e enfonçaient les portes de la sacristie. Après eux, M. l'inspecteur put y pénétrer, prit note - rapidement - du mobilier et se retira».
Et le témoin anonyme de cette journée, clairement opposé aux inventaires, conclut son récit du 16 février à Saint-Germain par une ironie un peu étonnante : «Là aussi, victoire était restée à la Loi !»
Dans tout cela, on constate - non sans surprise - que les vitraux de l'église, quelle que soit leur époque, sont regardés comme sans valeur.



6 - L'église Notre-Dame en Saint-Melaine

La paroisse Notre-Dame en Saint-Mélaine est la plus aristocratique de la ville. Le Préfet s'attend donc à «de nombreuses et énergiques protestations», écrit le témoin, des protestations doublées d'une protection de l'église par les paroissiens. Deux rues seulement mènent à l'édifice ; elles sont fortement barrées par la troupe. Les trois autres abords (Préfecture, Archevêché et Jardin des Plantes) ne présentent aucun risque. Le témoin résume l'inventaire en deux phrases courtes : «M. le Préfet en a été pour ses frais de représentation. Il n'y a pas eu la moindre résistance, ni le moindre incident.»
À 7 heures 30, la foule est massée près des barrages. Le témoin ne mentionne ni cantique, ni cri. Le curé de l'église, deux vicaires et trois membres du Conseil de fabrique, sortent du presbytère, vont à l'église, gravissent les marches devant l'entrée et attendent. Arrive M. Chapron, sous-inspecteur de l'Enregistrement, qui se présente seul.
Comme dans les autres églises de Rennes, le curé lit une protestation formelle : lui-même est responsable de la conservation des biens de Notre-Dame transmis par les siècles et la piété des fidèles ; seul le pape peut le relever de cette obligation, mais il n'a pas encore parlé ; le curé et ceux qui l'accompagnent ne pourront être que les spectateurs attristés de l'exécution du mandat administratif ; enfin, les paroissiens sont priés de s'abstenir de toute manifestation violente car «on ne doit franchir le seuil d'une église que pour prier Dieu et le remercier de ses bienfaits.»
Le sous-inspecteur demande alors à rentrer. Comme le curé s'y oppose, le fonctionnaire se retire pour en référer au Préfet. À 9 heures, il est de retour, accompagné de quelques soldats d'artillerie munis de haches, de pics et de leviers. Dédaignant la grande porte, le petit groupe (auquel s'est joint un commissaire de police) passe par la grille du parc du Thabor et se dirige vers la petite porte du côté sud. Le commissaire fait exécuter les trois sommations réglementaires, puis demande aux soldats de forcer la porte. Ce qui est fait rapidement : le bois qui entoure la serrure est démoli sans difficulté. À 9 heures 15, le sous-inspecteur rentre dans l'édifice, «fait un simulacre d'inventaire dans l'église», écrit le témoin, puis gagne la sacristie. L'inventaire y dure plus d'une heure car il est mené en détail, non compris le coffre-fort qui n'a pas été inventorié.
Dans les rues avoisinantes, des cantiques retentissent, on récite le chapelet. À 10 heures 30, tout est terminé. Les officiels s'en vont et la grande porte est ouverte aux fidèles.



7 - L'église Saint-Hélier

Saint-Hélier est une paroisse ouvrière au sud de la ville. Le Préfet n'est pas inquiet : les gens seront à leur travail ; de plus, l'église n'est abordable que d'un seul côté, celui de la rue, et le cimetière l'en sépare. La protestation est presque impossible.
Néanmoins, le préfet ne veut prendre aucun risque : une compagnie du 41e et une batterie du 7e d'artillerie gardent les abords de l'église depuis 3 heures du matin. L'actuelle rue Saint-Hélier, principale voie de passage vers la ville à cette époque, est barrée : les ouvriers qui se rendent à leur travail ou les voitures qui viennent de la campagne apporter des denrées en ville doivent faire un long détour... ou se faire accompagner sous bonne escorte.
M. Hubert, receveur de l'Enregistrement, est chargé de l'inventaire. À 7 heures 15, il arrive au bureau de l'Octroi et en sort un quart d'heure plus tard en compagnie d'un lieutenant de gendarmerie, d'un agent de la sûreté et d'un gendarme. Tous quatre se rendent à l'église. Là, le chanoine Ruellan, curé de la paroisse, se tient devant la porte avec ses vicaires et les membres du Conseil de fabrique.
Le curé lit alors une courte protestation solennelle :
« Malgré une indisposition que je veux croire passagère, dit-il, je tiens à protester moi-même devant vous, au nom de tous les membres de la Fabrique de la paroisse. Nous protestons de toute notre énergie contre l'acte que vous allez accomplir. Il constitue, en effet, la première des mesures qui doivent aboutir à spolier l'Église catholique. Nous avons été choisi pour administrer en bon père de famille les biens de cette Église.
Nous les avons reçus en dépôt sacré de notre prédécesseur, avec l'obligation de les transmettre à ceux qui viendraient après nous.
Aussi ne céderons-nous qu'à la force, en laissant à qui de droit la responsabilité de la violation de notre sanctuaire.
Maintenant, Monsieur, accomplissez votre œuvre, pratiquez la trouée dans la maison de Dieu.»
Toutes les portes étant fermées, M. Hubert revient à l'Octroi et envoie vers le Préfecture le lieutenant de gendarmerie de son escorte. Celui-ci revient vers 9 heures 15, mais rien ne se passe. Le curé, résigné, rentre au presbytère. Peu avant 10 heures, M. Deblais, commissaire de police, va le trouver pour l'informer que l'autorité va procéder aux sommations légales («Obéissance à la loi !») et utiliser la force. Le curé signe la notification et le commissaire sort du presbytère.
Huit soldats de la 8e compagnie d'ouvriers arrivent avec des haches, des crics et des massues, prêts au «crochetage». À 10 heures précises, M. Hubert sort de l'Octroi, passe devant les soldats (qui ont mis baïonnette au canon) et se dirige vers l'église où le commissaire de police le rejoint. Ce dernier fait les trois sommations. Pas de réponse. Les soldats s'attaquent alors à coups de hache à la porte du midi. Une petite ouverture est pratiquée. On peut ainsi y glisser des leviers pour faire sauter les barres de fer qui bloquent la porte à l'intérieur.
L'église est ouverte. M. Hubert entre et trouve devant lui le clergé de l'église et les fabriciens. «Il fait à la hâte un simulacre d'inventaire, écrit le témoin. Vingt minutes après tout est terminé. Il est 11 heures. En un instant, avec une satisfaction non dissimulée, la troupe rejoint les casernements.»
Les cloches sonnent aussitôt pour appeler les fidèles à une messe de réparation. Il faut en effet «demander pardon au divin Maître de l'outrage qui vient de lui être fait, et prier pour le salut de la France.»