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La Séparation de l'Église
de l'État, votée le 9 décembre
1905 par l'Assemblée, a souvent créé
des remous dans les paroisses de l'Hexagone. L'État
prenait possession de tous les éléments
cultuels de France, mais surtout obligeait le clergé
à soumettre chacune de ses églises à
un inventaire du mobilier et de tous les objets utilisés
pour la liturgie. Prélats et fidèles en
furent scandalisés. Du jamais vu depuis deux
mille ans ! Du jamais vu depuis que l'Église
était l'Église ! Soucieux de leurs prérogatives,
de l'honneur de la religion qui a fait la France, les
ecclésiastiques prirent ces incursions et ces
comptages pour une profanation inadmissible, une insulte
à Dieu. Et les paroissiens leur emboîtèrent
le pas : personne ne devait souiller le sol des églises
pour se livrer à cette mascarade impie.
À Rennes,
le préfet d'Ille-et-Vilaine, M. Rault, prévoyait
des barrages devant les portes des édifices religieux.
Il pensa d'abord mener les inventaires à une
date précise pour chacun d'entre eux, puis se
ravisa. C'était trop facile pour les paroissiens
: si tous les Rennais opposés à la loi
se regroupaient à chaque fois devant les portes
de l'édifice concerné, son labeur allait
se multiplier. Il décida donc de réaliser
tous les inventaires en même temps : le vendredi
16 février 1906.
La situation du Préfet était compliquée.
En effet, devant la politique anticléricale du
gouvernement, les villes avaient tendance à élire
des maires catholiques et souvent pratiquants. C'était
le cas à Rennes
où Eugène Pinault, un riche tanneur, par
ailleurs conseiller municipal et ancien député
d'Ille-et-Vilaine, avait été élu
à la mairie en 1900. Une responsabilité
qu'il honorera jusqu'en 1908. L'historien Xavier Ferrieu
l'écrit dans son Histoire de Rennes (Gisserot,
2001) : Pinault avait clairement annoncé
qu'il refusait d'assurer le maintien de l'ordre lors
des inventaires...
Même si le cardinal Labouré, archevêque
de Rennes
avait recommandé aux curés de laisser
les églises ouvertes, le Préfet savait
très bien que les Rennais allaient s'opposer
à la «profanation» des églises
par la fonction publique. Anticipant des échauffourées
et en l'absence de la police, il lui fallait disposer
d'une force armée suffisante.
Le témoin des événements
décrit ainsi la journée du jeudi 15 février
: «De tous les côtés, par tous les
trains, arrivent les gendarmes. Tous ceux du département,
ceux même des départements voisins, jusque
de Lannion, ont été appelés pour
la grande journée. Habitués à protéger
l'ordre, et à poursuivre les coquins et les voleurs,
ils se sentent bien un peu déconcertés
de la triste besogne qu'on leur impose. Pauvres gens
! Ils n'avaient pas rêvé de devenir gendarmes
pour assister au sac des églises, ou à
la violation des propriétés.»
À 18 heures ce même jour, le calme règne
dans Rennes.
Les agents de l'État sont entrés dans
les églises pour repérer les points faibles,
nous dit ce témoin qui ajoute non sans malice
: «Ils savent par où ils pourront tenter
l'effraction.»
À 23 heures, les portes des églises sont
gardées par des escouades. À minuit, la
ville est en état de siège. Pour rentrer
chez eux, les habitants dont les maisons sont proches
des édifices cultuels doivent établir
leur identité et se faire accompagner par un
agent de police.
Le témoin poursuit : «Toute la garnison
de Rennes
a été mobilisée : les 14 compagnies
du 41e de ligne, en tenue de campagne, avec deux paquets
de cartouche dans chaque giberne, les artilleurs des
7e et 10e d'artillerie, - les gendarmes, 500, dit-on
-, arrivés de partout. Tout cela pour enfoncer
les portes de six églises, et inspirer une salutaire
terreur à quiconque voudrait bouger.»
Arrive le matin du vendredi 16 février 1906.
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Suite église par église
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1 - La cathédrale Saint-Pierre
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La cathédrale
Saint-Pierre ne suscite guère d'inquiétude
auprès des autorités car elle n'est pas
paroisse. Là, peu de baptêmes, pas de première
communion ni de cérémonie marquant les
étapes de la vie chrétienne. La cathédrale
n'est pas une «patrie d'âmes», écrit
le témoin. Les habitants du quartier sont
rattachés à Saint-Étienne ou à
Saint-Sauveur.
Dans le maître-ouvrage La cathédrale
Saint-Pierre de Rennes (PUR, 2021), l'historien
Georges Provost précise : «Ses fonts baptismaux
servent surtout lors du baptême d'enfants de naissance
prestigieuse, tel le futur président de Crucé
en 1590, ou de convertis à sensation comme ces
trois musulmans venus de Tunisie et du Maroc en 1654
et 1656.»
Conclusion : en ce matin pluvieux du 16 février
1906, la troupe barre toutes les rues d'accès
à la cathédrale, mais... il n'y a personne
aux barrages.
L'inspecteur des Domaines, M. Raison, se présente
à une petite porte donnant sur la rue de la Psallette.
Là se tient le cardinal-archevêque Labouré,
désireux de faire part en personne de son opposition
à l'inventaire. Il est accompagné du chanoine
Durusselle, vicaire général, et du chanoine
Henry, secrétaire général de l'archevêché.
Comme les curés de toutes les églises
de Rennes,
le cardinal lit une protestation officielle. Il commence
élégamment par mettre hors de cause le
chargé d'inventaire dont chacun connaît
l'honorabilité, puis rappelle que sa mission,
reçue du pape, est de garder et de gérer
les biens de l'Église, puis de les transmettre
à son successeur. C'est-à-dire : les biens
de la mense archiépiscopale, les biens du chapitre,
ceux des séminaires et de la caisse de secours
aux prêtres âgés ou infirmes. Seul
le pape peut le relever de cette obligation. Comme il
ne l'a pas fait, cet acte d'autorité est «irrégulier,
prématuré et vexatoire».
Puis, le cardinal Labouré rentre à l'archevêché,
refusant d'assister à l'inventaire. Le témoin
écrit néanmoins que cette protestation
officielle a produit la plus heureuse impression à
Rennes.
L'inventaire, conservé dans les archives, est
rondement mené. On sait ainsi que le grand tableau
de la Délivrance
de saint Pierre était déjà à sa place actuelle
dans le bras sud du transept. La grande sacristie est
aussi libre d'accès. «Le commissaire nota
dix portraits d'évêques et la croix
de procession en argent doré et émaillé
du XVIIe siècle», écrit Jean-Yves
Andrieux dans La cathédrale Saint-Pierre de Rennes
(PUR., 2021). Cette croix figurait sur la liste des
objets mobiliers d'intérêt artistique, mais elle n'était
pas encore classée.
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2 - La basilique Saint-Aubin
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L'église Saint-Aubin,
qui n'est pas achevée, est un peu la propriété
de tous les Rennais. Le témoin ne décolère
pas sur l'abus de pouvoir commis par la loi. Il écrit
: «L'État a dit : Ce temple que vous venez
de bâtir au prix de tant de sacrifices et de peines,
ce temple est à moi !» Et il ajoute : «Tout
un bataillon du 41e, plus 300 artilleurs, depuis 4 heures
du matin, sous la pluie fine et froide, sont là
pour le prouver.»
La place Sainte-Anne devient un véritable camp
retranché. Toutes les rues qui y mènent
sont barrées par une double haie de soldats.
À 7 heures 30, le chanoine de la Villecomte,
curé de l'église, ses vicaires et les
fabriciens se présentent à un barrage.
Le Préfet ayant interdit aux vicaires d'accompagner
leur curé, ceux-ci font demi-tour. Comme font
demi-tour des paysans venus en ville pour vendre leur
lait et qui passaient par-là.
Arrive alors M. Emou, receveur des successions et responsable
de l'inventaire, qui demande à entrer dans l'église.
Il se heurte à un refus net.
Le curé donne alors lecture d'une longue protestation.
En tant que «ministre de paix», opposé
à toute violence et en l'absence d'instructions
du Vatican, il ne peut que se soumettre à la
loi, tout comme ses paroissiens. Mais il souligne que
les «catholiques français de Rennes»
jouissent d'une «absolue propriété
relative à tous les biens ici renfermés.»
Le curé rappelle ensuite le rôle de Notre-Dame
de Bonne-Nouvelle dans l'Histoire. Elle a reçu
les prières des Rennais contre la peste, les
flammes, l'invasion allemande, contre tous les fléaux
destructeurs et a toujours intercédé pour
eux. Pour terminer, il en appelle au tribunal des hommes
et exige que son texte soit inclus dans le procès-verbal.
M. Desbois, représentant du Conseil de fabrique,
prend à son tour la parole pour émettre
une seconde protestation qui, elle, se révèle
riche d'enseignements. En effet, l'inventaire, dit-il,
n'est pas une simple formalité qui transférerait
les biens des Fabriques aux associations cultuelles
[dont la création a été proposée
par Aristide Briand dans la loi de 1905]. Car que fera
le pape ? Acceptera-t-il ces associations ? S'il les
refuse, l'inventaire s'empare tout simplement des biens
des fabriciens au bénéfice d'associations
qui ne verront jamais le jour ! [On sait que le pape
Pie X a refusé...] L'inventaire peut donc n'être
qu'une confiscation sacrilège déguisée
à laquelle les fabriciens n'apporteront aucune
aide. M. Desbois invite donc le receveur des successions
à se retirer car les portes de l'église
Saint-Aubin resteront fermées et «ne s'ouvriront
que par ruse ou par violence.»
M. Emou, qui voit son inventaire remis en question,
se retire pour en référer au Préfet.
Il est 7 heures 45. Vers 9 heures surgit le commissaire
central Queutier avec un «ukase» signé
: c'est l'ordre d'employer la force ! Sans attendre,
les coups de hache tombent sur la porte principale,
celle qui est au sud. Comme elle résiste, on
s'attaque aux portes latérales. Enfin, une porte
cède ; M. Emou pénètre dans l'église
et gagne la sacristie. Là, en confondant bien
des objets, il note tout ce qu'il trouve, sous les yeux
passifs du curé et des fabriciens. Il attend
ensuite que le commissaire Queutier le rejoigne. Puis,
les deux sortent ensemble de l'édifice.
Le témoin anonyme qui a rédigé
le récit ajoute : «Des fenêtres qui
dominent la place Sainte-Anne, et des rues avoisinantes
s'élevèrent des cris nourris de "Vive
la liberté ! À bas les voleurs !"»
Et il termine sur une imprécation vengeresse
: «Le peuple de Rennes,
à la générosité duquel est
dû le sanctuaire de Bonne-Nouvelle, contemplera
longtemps la hideuse trace du cambriolage légal,
et il saura se souvenir.»
Le témoin accompagne son récit
de la protestation du général de Saint-Germain,
sénateur d'Ille-et-Vilaine, datée du 16
février 1906, c'est-à-dire du jour exact
des inventaires à Rennes.
Le général, qui s'adresse au préfet,
met l'accent sur un point de la loi de 1905 que violent
apparemment les inventaires.
«Comme sénateur représentant la
population catholique d'Ille-et-Vilaine, écrit-il,
il est de mon devoir de protester avec la plus grande
énergie contre l'acte que vous avez la triste
mission d'accomplir.
L'inventaire que vous devez dresser est la première
opération de la spoliation projetée des
biens de l'Église. Elle est contraire à
l'esprit de la loi du 9 décembre 1905.
Il n'a été, en effet, ordonné qu'en
vue de la dévolution de ces biens aux associations
cultuelles qui doivent remplacer les fabriques. Or ces
associations n'existent pas et rien, actuellement, ne
peut indiquer quand et comment elles seront constituées,
ni même s'il sera possible de les constituer,
puisque le règlement d'administration publique
qui doit régler leur fonctionnement, n'est pas
encore décrété.
La mesure que vous avez l'ordre de prendre est donc
arbitraire : elle blesse les consciences catholiques,
elle est offensante pour nos prêtres et pour les
membres du Conseil de fabrique, qu'elle suppose capables
de détourner les objets du culte, qui sont dus,
en grande partie, à la généreuse
piété des fidèles.
Nous protestons contre cet outrage, et contre l'acte
lui-même par lequel le Gouvernement veut s'assurer
de la valeur des biens de l'Église, pour le jour
prochain où il trouvera un prétexte soi-disant
légal pour s'emparer de ces biens.»
Dans le cours du siècle, il a établi par
de nombreux historiens qu'Aristide Briand, rapporteur
de la loi, n'a jamais eu à l'esprit de priver
les églises de leurs biens, encore moins de les
leur voler. Que ferait un État républicain
d'une collection de calices et de patènes ?
C'est justement pour qu'elles conservent leurs biens
que Briand a proposé de créer des associations
cultuelles. La position du général de
Saint-Germain peut être vue comme un procès
d'intention, d'ailleurs bien dans l'air du temps. Les
fabriques ont attendu la décision du pape...
qui a tout refusé avec dédain. Ce rejet
a privé l'Église de France d'innombrables
propriétés foncières et immobilières...
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3 - L'église Toussaints
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Avec 20 000 habitants, Toussaints
est la paroisse la plus importante de Rennes,
soit presque le tiers de la ville. Craignant des débordements,
le préfet Rault a pris des mesures exceptionnelles.
À 23 heures la veille, un cordon de soldats entourait
déjà l'église. Le 16, à
4 heures du matin, le commissaire du 3e arrondissement,
M. Jacquinot, arrive avec de nombreuses troupes : une
compagnie du 41e d'infanterie ; une batterie du 7e d'artillerie
; six brigades de gendarmerie à cheval et à
pied. Sur le seuil de l'église, une section de
soldats et une brigade de gendarmerie montent la garde.
À 6 heures, des ouvriers veulent passer, mais
tout est bloqué. Des protestations fusent.
Vers 7 heures, le jour se lève. La foule s'est
amassée derrière les barrages. M. Gillard,
agent du fisc, c'est-à-dire celui qui doit réaliser
l'inventaire, arrive avec le commissaire Jacquinot.
Tous deux sont accompagnés de gendarmes et d'agents
de police.
À 7 heures 30, le chanoine Girard, curé
de l'église; gravit les cinq marches du perron.
D'une voix forte et devant le commissaire Jacquinot
et l'agent du fisc, il lit une protestation officielle
dont on devine la teneur : la loi foule aux pieds les
droits de Dieu et des consciences ; vous ne voulez pas
déchristianiser la France, mais l'athéiser
; l'inventaire, c'est la mainmise de l'État sur
les biens de l'Église ; nous sommes gardiens
de ce que Dieu et nos pères nous ont légué
; seul le Souverain Pontife peut nous dicter notre conduite
; nous serons obligés de céder à
la force, mais nous vous rappelons que la peine d'excommunication
frappe tous ceux qui s'emparent des biens de l'Église.
À sa suite, M. Rabillon, pour le Conseil de fabrique,
lit une autre protestation : la fabrique rappelle que
l'utilisation de la force est illégale tant qu'un
arrêté préfectoral ne contraint
pas les fabriciens à ouvrir l'église ;
si ceux-ci refusent à nouveau, alors l'usage
de la force sera légal ; d'autre part, la Fabrique
a le droit de frapper l'arrêté d'un recours
devant le Conseil d'État «pour obtenir
sursis jusqu'à la décision papale»,
comme Aristide Briand, rapporteur de la loi, le reconnaît
lui-même ; si le pape ordonne de subir l'inventaire,
les fabriciens obéiront.
M. Gillard, inspecteur de l'Enregistrement, et le commissaire
Jacquinot rentrent alors dans le Petit Lycée
et referment la porte. À 8 heures 30, le commissaire
réapparaît, porteur de l'arrêté
du préfet. Les choses se précisent : à
9 heures 15, les portes de l'église devront être
ouvertes et l'accès à tous les meubles
qu'elle contient autorisé, sinon l'emploi de
la force suivra.
M. le Curé et M. Rabillon s'insurgent et en appellent
à la sentence du Préfet au Conseil d'État.
Cet appel a pour eux un effet suspensif jusqu'à
l'avis du pape qui a seul le droit de disposer des biens
de l'Église. Le commissaire de police promet
de porter cet appel au Préfet. Mais, comme le
relate le témoin de la scène, si la troupe
a été mobilisée, ce n'est pas pour
rester passive devant un appel...
Un peu avant 9 heures arrive une escouade d'ouvriers
de la 8e section d'artillerie. «Ils portent sur
leurs épaules, écrit le témoin,
les instruments de cambriolage : marteaux, haches, leviers,
crics...» On entend des cris : «Vive la
liberté !» tandis que des cantiques s'élèvent
dans la foule massée derrière les barrages.
À 9 heures 15, le curé et le représentant
de la Fabrique se retrouvent devant l'église
face à M. Gillard et au commissaire de police.
Tous deux paraissent très ennuyés, précise
le témoin. Le commissaire procède à
une première sommation : «Obéissance
à la loi !», suivie d'un roulement de tambour.
Deuxième sommation : «Obéissance
à la loi ! Obéissez comme de bons citoyens
!» Le curé rappelle au commissaire que
c'est lui qui viole à la loi s'il n'attend pas
que le Conseil d'État ait statué. S'ensuit
un dialogue de sourds : chacun campe sur ses positions.
Troisième sommation ! Le recours à la
force est décidé.
Ce recours sera indirect car les hommes de la 8e section
passent par le Petit Lycée. Du haut d'une échelle,
ils cassent un vitrail de l'église en deux endroits,
puis descendent dans l'édifice en brisant «horriblement
l'autel très vénéré de Notre-Dame
du Perpétuel Secours». Une fois dans la
place, ils font sauter les serrures et les barres de
fer de la grande porte qui s'ouvre enfin. Les responsables
de l'inventaire peuvent entrer.
L'église Toussaints possède un narthex,
autrement dit une petite salle où l'on débouche
après avoir franchi la grande porte. Là,
une autre porte donne accès à la nef.
Comme une sorte de vengeance morale, le témoin
ne se prive pas de rappeler que, au-dessus de cette
porte intérieure, s'étale une grande banderole
où il est écrit : «Dieu
vous voit et vous juge !» et que tout le monde
la lit... Une banderole similaire est accrochée
à la chaire à prêcher ; une troisième
s'étend dans la sacristie.
La sacristie étant fermée, des «crocheteurs»
font sauter la serrure de la porte. À l'intérieur,
tous les meubles sont ouverts et l'on peut procéder
à l'inventaire. Une demi-heure plus tard, les
officiels s'en vont.
La Fabrique fait aussitôt appeler un huissier
pour constater les dégâts. L'acte sera
adressé au Préfet et au directeur des
Domaines car, répète le témoin,
l'appel au Conseil d'État était légal.
Pendant ce temps, les fidèles envahissent l'église.
De tout l'après-midi, la foule ne tarit pas ;
certains ramassent un éclat de bois ou de verre
et l'emportent en souvenir.
Un Salut solennel est alors célébré
devant l'assemblée des paroissiens avec chants
et cantiques. Même scène le dimanche suivant.
La déclaration du curé - lue par un vicaire
car le curé est souffrant - est d'abord un mea
culpa : ces événements sont d'abord
«le châtiment trop juste de nos péchés».
Puis elle dresse un état de la France : «Toutes
les idées antisociales et antipatriotiques, s'étalent
au grand jour : patrie, famille, propriété,
tout est attaqué. Pour arrêter le mal,
il faudrait un repentir sincère, et un changement
de vie...»
Pour le clergé de Toussaints, le point de scandale
est que le Petit Lycée, qui se doit de rester
neutre, a servi de passage pour pénétrer
dans l'église. «A-t-on le droit de se servir
de la propriété d'un tiers pour attaquer
le voisin ? demande le témoin. Qui donc
avait indiqué le passage ? Qui donc a ouvert
la porte ?» Le curé Girard adresse
donc au proviseur du lycée une lettre de protestation.
Il y rappelle les faits, l'accuse de «manifeste
complicité pour cet attentat» qui le fait
«tomber sous le coup de l'excommunication.»
Si le proviseur est innocent, qu'il le dise afin d'échapper
à «l'une des peines les plus redoutables
de l'Église». Le silence sera un aveu et
les faits seront portés au tribunal de l'opinion
publique car «il faut que la France sache à
quels éducateurs sont confiés ses enfants.»
La lettre se termine par une étonnante formule
de politesse : «Agréez, Monsieur, l'assurance
de mon entier dévouement au salut de votre âme» !
Le narrateur ne dit pas quelle suite a été
donnée à cette lettre.
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4 - La basilique Saint-Sauveur
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La dévotion à Notre-Dame
des Miracles et des Vertus fait de Saint-Sauveur
(qui n'est pas encore basilique) l'église la
plus vénérée et la plus visitée
de la ville. Le soir du 15 février, des centaines
de personnes veulent rester dans l'édifice pour
le défendre, mais le curé réussit
à les en dissuader. Toutefois, une vingtaine
de jeunes gens décident de rester. La notoriété
de l'église pousse les paroissiens à résister
à l'inventaire par la force. Le préfet
et les prélats le savent. L'armée a donc
mis les moyens : 240 hommes du 10e d'artillerie ; 120
hommes du 41e d'infanterie ; 15 gendarmes à pied,
renforcés de gendarmes à cheval. Précaution
supplémentaire : les fonctionnaires chargés
de l'inventaire sont étrangers à la ville.
Le commissaire de police vient de Saint-Malo ; l'agent
des domaines, M. Couallier, de Laval. Deux cantonniers
sont choisis comme témoins.
Le soir du 15, le bruit court que l'église est
pleine de monde, que les chaises, liées par du
fil de fer, sont entassées derrière les
portes. L'Administration s'attend à de la bagarre.
Inquiet pour sa vie, l'inspecteur Couallier s'est confié
au curé... qui s'est engagé à le
défendre (!)
Arrive le matin du vendredi 16 février 1906.
La foule se porte vers l'église, mais l'armée
barre le passage. À 7 heures, l'inspecteur arrive,
aussitôt salué par un tollé menaçant.
On crie : «Vive la liberté !» ; «À
bas les voleurs !». Des cantiques résonnent.
Couallier se présente devant la grille de l'église,
mais le curé Hévin et les membres du Conseil
de fabrique font obstruction.
Le curé lit une protestation officielle : Saint-Sauveur
abrite Notre-Dame des Miracles qui a sauvé la
ville de Rennes
d'un grand danger [l'incursion des Anglais lors du
siège de 1357] ; c'est un fait que l'État
a oublié ; lui-même et les fabriciens sont
responsables devant Dieu des biens que renferme l'édifice
; ces biens sont sacrés et seul le pape peut
les dégager de leurs responsabilités.
Comme à l'église Saint-Aubin,
le curé ajoute à ces lieux communs une
considération juridique : les associations cultuelles
qui doivent prendre possession des biens de l'Église
ne sont pas encore créées ; on ne sait
d'ailleurs pas si elles le seront un jour «puisque
le règlement public qui doit régler leur
administration n'est pas encore édicté.»
En conséquence, garant de l'église devant
Dieu, le curé ne peut en ouvrir les portes. Seule
la force publique peut le faire. Au mépris du
droit.
M. Marcille, président du Conseil de fabrique,
renchérit : les fabriciens ont reçu mandat
pour administrer les biens de cette église en
bons pères de famille et ils s'y tiennent ; à
la spoliation ils n'opposeront qu'une résistance
passive, mais résolue, et demandent que leur
protestation soit incluse dans le procès-verbal.
L'inspecteur Couallier prend note de cette opposition.
Comme pour les autres églises de Rennes,
la suite logique est d'aller en référé.
Il doit donc contacter le préfet pour obtenir
de sa part un mandat légal permettant d'utiliser
la force.
Pendant ce répit, la foule grossit, sa colère
augmente, tandis que les cloches sonnent le glas ! Les
gens ont les yeux rivés sur le portail de Saint-Sauveur.
Derrière, dit-on, se tiennent de nombreux gaillards
prêts à en découdre...
Lorsque le chargé d'inventaire et le commissaire
réapparaissent avec le fameux mandat, accompagnés
des cantonniers et des gendarmes, le tumulte redouble
: «Liberté ! A bas les voleurs !»,
mais aussi «Vive l'armée !». Les
gens plaignent les soldats de devoir se livrer à
cette basse besogne... Quelques fonctionnaires, quelques
«arrivistes» manifestent contre les curés.
Peu nombreux, leurs cris sont étouffés
par les protestations. Aux fenêtres, les habitants
du quartier ne sont pas en reste.
Il est aux alentours de 10 heures. Les ouvriers de la
8e compagnie arrivent avec les échelles, les
marteaux et les haches pour forcer les portes. Cependant,
rue Duguesclin, devant l'église, ils doivent
se frayer un chemin à travers une foule hostile.
(Voir dessin de l'époque à gauche.)
Aussitôt, on entoure les ouvriers ; des cris fusent
: «Enlevez les outils !» Des manifestants
passent à l'acte, bousculent les ouvriers, arrachent
marteaux et haches et les jettent, dit la rumeur, dans
un égout. On échange des coups. L'un des
manifestants, un certain de Montcuit, se défend
à coups de poings contre ceux qui l'attaquent.
Dans la rixe, il frappe l'un des ouvriers. Empoigné
par un gendarme, de Montcuit est conduit aussitôt
au Parquet sous bonne escorte.
Les premiers coups de marteau frappent la grande porte
de l'église. Des cantiques retentissent dans
la foule. Le Journal de Rennes, qui décrit
la scène et que le témoin, auteur
de l'ouvrage À l'assaut de nos églises,
cite abondamment, déplore que les ouvriers exécutent
leur besogne de bon cur, contrairement aux officiels
et à tous les soldats qui forment barrage.
Détruire la porte principale ne suffit pas. Les
ouvriers s'attaquent aussi à la petite entrée
de la rue Saint-Sauveur qui est d'ailleurs rapidement
forcée. Mais, sans que l'on sache bien pourquoi,
l'inspecteur ne profite pas de cette ouverture. Qu'y
avait-il donc derrière ?
En revanche, la grande porte est beaucoup plus robuste.
Les haches rebondissent sur le chêne ! Il faut
appliquer leur tranchant sur le bois et taper à
coups de masse sur le dos des haches ! La porte finit
quand même par céder, tout comme les gonds.
Mais un autre obstacle surgit : une barricade de chaises
et de bancs entassés, liés par du gros
fil de fer, obstrue l'entrée ! Le labeur des
ouvriers continue : il faut maintenant retirer le fil
de fer ou le rompre, puis dégager un passage
pour les officiels. En tout, casser la porte et faire
place nette leur prennent deux heures.
La course d'obstacles n'est pourtant pas finie. Ce sont
à présent d'épaisses vapeurs de
soufre qui sortent de l'édifice, rendant l'entrée
impraticable ! Une fumée jaunâtre fait
même croire à un incendie. Il n'en est
rien : les défenseurs de l'église ont
seulement allumé des brasiers où ils ont
jeté du soufre imbibé de térébenthine
! La plupart se sont enfuis. Ceux qui sont restés
alimentent le feu... Pour les agents de l'État,
il n'y a rien à faire contre les fumées,
sinon attendre. Quelques téméraires essaient
de braver les émanations toxiques : ils ressortent
précipitamment, à moitié asphyxiés
! On les remet sur pied en leur faisant respirer de
l'éther.
Vers 12 heures 30, l'entrée devient possible...
avec un mouchoir sur la bouche. La sacristie est ouverte
; les portes des placards le sont aussi. L'inventaire
a lieu au pas de charge, sans la présence du
curé et des fabriciens évidemment.
Pendant ce temps, dans la rue, au milieu des cris et
des sifflets, une autre rixe oppose les paroissiens...
aux anticléricaux qui les conspuent. Des bagarres
éclatent. «Les gendarmes à cheval
chargent à plusieurs reprises ; plusieurs personnes
sont bousculées, et plus ou moins contusionnées»,
lit-on dans le récit du témoin.
Un contre-manifestant brandit un chiffon rouge ; il
est aussitôt malmené par la foule. Les
gens maltraités huent les gendarmes. Le sous-préfet
de Redon, présent on ne sait pourquoi, reste
narquois devant toute cette scène. Il est conspué.
Sont également pris à partie deux députés
d'Ille-et-Vilaine. De son côté, un lieutenant
commandant la gendarmerie est pris dans une bousculade.
Il en sort fortement contusionné.
À son retour du référé,
le commissaire spécial a pris un parapluie sur
la tête ! L'objet du scandale a-t-il été
lâché depuis la terrasse de l'hôtel
Blossac, tout proche ? On parle d'attentat !
Ulcéré, le commissaire menace des manifestantes
de leur faire tirer dessus ! Peu auparavant, à
deux hommes retranchés derrière la grille
qui sépare la façade de la rue, il avait
déjà prévenu, très en colère,
que chaque coup de poing donné vaudrait deux
ans de prison ! «Il est impossible de perdre
la tête à ce point !», commente l'auteur
du récit, qui a pris depuis longtemps la défense
des manifestants.
L'après-midi, les curieux se pressent dans l'église
pour «voir les ravages opérés par
les visiteurs du matin, écrit encore le narrateur,
et prier aux pieds de la Vierge du Miracle.» Ne
voudrait-elle sauver les paroissiens de Saint-Sauveur
une fois de plus ?
Le dimanche suivant, au prône, le curé
détaille les réparations à effectuer
d'urgence, notamment celle de la grande porte. Chaque
paroissien est invité à verser un sou.
La veille, le samedi 17 février, M. de Montcuit
a été condamné par le tribunal
correctionnel à cent francs d'amende et à
huit jours de prison avec sursis. Il a fait appel. Malgré
une belle plaidoirie de son avocat, la condamnation
sera confirmée par la troisième chambre
de la Cour d'appel dès le lundi suivant.
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5 - L'église Saint-Germain
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Devant Saint-Germain,
M. Gagneux, inspecteur de police en faction, voit arriver
la troupe... qui prend «les dispositions de combat».
Le pas des soldats s'accélère ; les chevaux
galopent ; on entend le cliquetis des armes. Le narrateur
continue : «En cinq minutes, les barrages s'effectuent
d'après un plan arrêté d'avance
: rue du Vau-Saint-Germain se postent deux escouades
d'artilleurs ; sur la place débouchant sur le
quai un escadron, renforcé de gendarmes à
cheval, et dans les rues Derval et de Corbin, une compagnie
du 41e d'infanterie. Les hommes, au commandement, forment
les faisceaux et on attend.» Le barrage est total
: personne ne passe plus, à l'exception des bidons
de lait. Au petit jour, la foule grossit. À 7
heures 30 précises, un receveur du fisc, M. Forêt,
se présente à la porte sud de l'église.
Elle est close, mais les fabriciens sont là,
entourant le curé de la paroisse.
Le chanoine Duver, curé de Saint-Germain, lit
une protestation solennelle dont on devine la teneur
: l'Église catholique a la garde de tout ce qui
lui a été donné et confié
au cours des âges ; ces biens, nous devons les
transmettre à nos successeurs ; par son action
le Pouvoir civil la spolie ; «s'il est la force,
il n'est pas le droit, et si nous subissons l'une, nous
protestons au nom de l'autre.» En conséquence,
les fabriciens se refusent de participer «à
l'acte qui va être accompli».
À son tour, M. Regnault, président du
Conseil de fabrique, donne lecture d'une seconde protestation
: les agents de l'État sont les gardiens de l'État,
les fabriciens sont les gardiens de leur église
à laquelle on ne doit pas porter atteinte ;
la loi nous dépouille ; «tant que Notre
Saint-Père le Pape n'aura pas parlé, nous
estimerons que nous sommes ici chez nous, et que nul
autre n'a le droit d'y faire inventaire». En conséquence,
les fabriciens ne céderont qu'à la violence.
Après ces deux incantations, le receveur du fisc
choisit de se retirer. Quelques cris hostiles l'accompagnent,
tandis que, devant la porte sud, la foule ovationne
le curé.
À 9 heures 45, le receveur revient, cette fois
pour le dernier acte. Aussitôt la troupe se met
en garde. Mais les fabriciens, qui circulent autour
de l'église, refusent d'ouvrir les portes au
fonctionnaire. Quand celui-ci se présente officiellement,
accompagné du commissaire de police, «les
sommations d'usage sont faites en vain». Alors
huit hommes de la «compagnie d'ouvriers»,
huit volontaires, constate avec regret le narrateur,
se présentent armés de piques et de haches.
On choisit d'enfoncer la porte de la rue Derval, celle
qui est au nord, visiblement moins robuste que les autres.
Les huit soldats se mettent au travail. Au bout de dix
minutes, les battants de la porte sont disjoints. Dans
leur chute, ils entraînent une colonne de chaises
amoncelées à l'intérieur.
Le narrateur poursuit : «Entré dans l'église,
M. Forêt a rapidement compté les autels,
les statues, les confessionnaux. Pendant ce temps, les
ouvriers de la 8e enfonçaient les portes de la
sacristie. Après eux, M. l'inspecteur put y pénétrer,
prit note - rapidement - du mobilier et se retira».
Et le témoin anonyme de cette journée,
clairement opposé aux inventaires, conclut son
récit du 16 février à Saint-Germain
par une ironie un peu étonnante : «Là
aussi, victoire était restée à
la Loi !»
Dans tout cela, on constate - non sans surprise - que
les vitraux de l'église, quelle que soit leur
époque, sont regardés comme sans valeur.
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6 - L'église Notre-Dame en Saint-Melaine
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La paroisse Notre-Dame
en Saint-Mélaine est la plus aristocratique
de la ville. Le Préfet s'attend donc à
«de nombreuses et énergiques protestations»,
écrit le témoin, des protestations
doublées d'une protection de l'église
par les paroissiens. Deux rues seulement mènent
à l'édifice ; elles sont fortement barrées
par la troupe. Les trois autres abords (Préfecture,
Archevêché et Jardin des Plantes) ne présentent
aucun risque. Le témoin résume l'inventaire
en deux phrases courtes : «M. le Préfet
en a été pour ses frais de représentation.
Il n'y a pas eu la moindre résistance, ni le
moindre incident.»
À 7 heures 30, la foule est massée près
des barrages. Le témoin ne mentionne ni
cantique, ni cri. Le curé de l'église,
deux vicaires et trois membres du Conseil de fabrique,
sortent du presbytère, vont à l'église,
gravissent les marches devant l'entrée et attendent.
Arrive M. Chapron, sous-inspecteur de l'Enregistrement,
qui se présente seul.
Comme dans les autres églises de Rennes,
le curé lit une protestation formelle : lui-même
est responsable de la conservation des biens de Notre-Dame
transmis par les siècles et la piété
des fidèles ; seul le pape peut le relever de
cette obligation, mais il n'a pas encore parlé
; le curé et ceux qui l'accompagnent ne pourront
être que les spectateurs attristés de l'exécution
du mandat administratif ; enfin, les paroissiens sont
priés de s'abstenir de toute manifestation violente
car «on ne doit franchir le seuil d'une église
que pour prier Dieu et le remercier de ses bienfaits.»
Le sous-inspecteur demande alors à rentrer. Comme
le curé s'y oppose, le fonctionnaire se retire
pour en référer au Préfet. À
9 heures, il est de retour, accompagné de quelques
soldats d'artillerie munis de haches, de pics et de
leviers. Dédaignant la grande porte, le petit
groupe (auquel s'est joint un commissaire de police)
passe par la grille du parc du Thabor et se dirige vers
la petite porte du côté sud. Le commissaire
fait exécuter les trois sommations réglementaires,
puis demande aux soldats de forcer la porte. Ce qui
est fait rapidement : le bois qui entoure la serrure
est démoli sans difficulté. À 9
heures 15, le sous-inspecteur rentre dans l'édifice,
«fait un simulacre d'inventaire dans l'église»,
écrit le témoin, puis gagne la
sacristie. L'inventaire y dure plus d'une heure car
il est mené en détail, non compris le
coffre-fort qui n'a pas été inventorié.
Dans les rues avoisinantes, des cantiques retentissent,
on récite le chapelet. À 10 heures 30,
tout est terminé. Les officiels s'en vont et
la grande porte est ouverte aux fidèles.
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7 - L'église Saint-Hélier
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Saint-Hélier
est une paroisse ouvrière au sud de la ville.
Le Préfet n'est pas inquiet : les gens seront
à leur travail ; de plus, l'église n'est
abordable que d'un seul côté, celui de
la rue, et le cimetière l'en sépare. La
protestation est presque impossible.
Néanmoins, le préfet ne veut prendre aucun
risque : une compagnie du 41e et une batterie du 7e
d'artillerie gardent les abords de l'église depuis
3 heures du matin. L'actuelle rue Saint-Hélier,
principale voie de passage vers la ville à cette
époque, est barrée : les ouvriers qui
se rendent à leur travail ou les voitures qui
viennent de la campagne apporter des denrées
en ville doivent faire un long détour... ou se
faire accompagner sous bonne escorte.
M. Hubert, receveur de l'Enregistrement, est chargé
de l'inventaire. À 7 heures 15, il arrive au
bureau de l'Octroi et en sort un quart d'heure plus
tard en compagnie d'un lieutenant de gendarmerie, d'un
agent de la sûreté et d'un gendarme. Tous
quatre se rendent à l'église. Là,
le chanoine Ruellan, curé de la paroisse, se
tient devant la porte avec ses vicaires et les membres
du Conseil de fabrique.
Le curé lit alors une courte protestation solennelle
:
« Malgré une indisposition que je veux
croire passagère, dit-il, je tiens à protester
moi-même devant vous, au nom de tous les membres
de la Fabrique de la paroisse. Nous protestons de toute
notre énergie contre l'acte que vous allez accomplir.
Il constitue, en effet, la première des mesures
qui doivent aboutir à spolier l'Église
catholique. Nous avons été choisi pour
administrer en bon père de famille les biens
de cette Église.
Nous les avons reçus en dépôt sacré
de notre prédécesseur, avec l'obligation
de les transmettre à ceux qui viendraient après
nous.
Aussi ne céderons-nous qu'à la force,
en laissant à qui de droit la responsabilité
de la violation de notre sanctuaire.
Maintenant, Monsieur, accomplissez votre uvre,
pratiquez la trouée dans la maison de Dieu.»
Toutes les portes étant fermées, M. Hubert
revient à l'Octroi et envoie vers le Préfecture
le lieutenant de gendarmerie de son escorte. Celui-ci
revient vers 9 heures 15, mais rien ne se passe. Le
curé, résigné, rentre au presbytère.
Peu avant 10 heures, M. Deblais, commissaire de police,
va le trouver pour l'informer que l'autorité
va procéder aux sommations légales («Obéissance
à la loi !») et utiliser la force. Le curé
signe la notification et le commissaire sort du presbytère.
Huit soldats de la 8e compagnie d'ouvriers arrivent
avec des haches, des crics et des massues, prêts
au «crochetage». À 10 heures précises,
M. Hubert sort de l'Octroi, passe devant les soldats
(qui ont mis baïonnette au canon) et se dirige
vers l'église où le commissaire de police
le rejoint. Ce dernier fait les trois sommations. Pas
de réponse. Les soldats s'attaquent alors à
coups de hache à la porte du midi. Une petite
ouverture est pratiquée. On peut ainsi y glisser
des leviers pour faire sauter les barres de fer qui
bloquent la porte à l'intérieur.
L'église est ouverte. M. Hubert entre et trouve
devant lui le clergé de l'église et les
fabriciens. «Il fait à la hâte un
simulacre d'inventaire, écrit le témoin.
Vingt minutes après tout est terminé.
Il est 11 heures. En un instant, avec une satisfaction
non dissimulée, la troupe rejoint les casernements.»
Les cloches sonnent aussitôt pour appeler les
fidèles à une messe de réparation.
Il faut en effet «demander pardon au divin Maître
de l'outrage qui vient de lui être fait, et prier
pour le salut de la France.»
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