|
|
|
Cette page traite du transept,
de la croisée avec les sculptures des quatre
Vivants, et enfin du chur.
Elle propose en outre un long encadré sur Monseigneur Brossays
Saint-Marc, évêque de Rennes
de 1841 à 1878, à qui l'on doit l'aspect basilique
romaine de la cathédrale. Un autre encadré traite
des célèbres cortèges du déambulatoire
peints par Alphonse
Le Hénaff, et un dernier enfin sur Alphonse
Le Hénaff lui-même et son renvoi en 1876 par Brossays
Saint-Marc pour une raison qui n'a jamais été
élucidée.
|
|
|
LA CROISÉE
DU TRANSEPT ET LES QUATRE VIVANTS DE LA CATHÉDRALE SAINT-PIERRE |
|
Vue générale du chœur et du bras sud du transept.
Au centre, dans le pendentif : l'aigle de l'apôtre Jean des
quatre Vivants. |
La coupole de la croisée est entourée des quatre
Vivants. de Laurent Esquerré. |
L'Évangile selon saint Matthieu : Jésus et les
oiseaux, détail.
Sculpture en argile rose de Laurent Esquerré, né
en 1967. |
La
coupole et les quatre vivants (2/2).
---»» Les quatre Vivants sont des sculptures
réalisées en argile rose, de 3,50 mètres
de haut et pesant chacune entre 400 et 600 kg. Laurent
Esquerré a travaillé dans la région
de Naples «dans l'atelier d'un artisan spécialisé
dans le modelage de la terre et qu'il connaissait bien»,
écrit René Heudré.
Source : La cathédrale
Saint-Pierre de Rennes
(sous la direction de Jean-Yves Andrieux), P.U.R., 2021.
|
|
|
La
coupole et les quatre Vivants (1/2).
De style classique, la structure en caissons
de la coupole est assez commune. En revanche, les sculptures
dites des quatre Vivants dans les pendentifs
sont récentes (début du XXIe siècle).
Dans les années 1870, le projet était
de loger sur ces pendentifs quatre sculptures d'anges
aux ailes déployées. Pris dans la masse,
les crochets attendaient les uvres d'art.
Mais, à la fin de 1878, Monseigneur Placé
fut nommé archevêque de Rennes,
Dol
et Saint-Malo. Voulant en finir avec les échafaudages
qui encombraient la croisée, il fit activer les
travaux et abandonna les projets les plus dispendieux.
Exit les anges. Les crochets attendirent des jours meilleurs.
Au début des années 1990, à la
suite d'un rapprochement entre l'archevêque, Mgr
d'Ornellas, et la direction régionale des Affaires
culturelles, un concours fut ouvert pour meubler enfin
les pendentifs. Le sculpteur Laurent Esquerré,
né en 1967, fut retenu.
L'archevêque avait imposé une idée
forte : les quatre Vivants, c'est-à-dire les
quatre Évangélistes, outre leurs attributs
traditionnels, devraient exprimer un aspect de l'Évangile.
Laurent Esquerré dut se plonger dans le Nouveau
Testament.
Résultat : pour Matthieu, Jésus est entouré
d'oiseaux en référence au passage (VI,
26) de l'évangile de Matthieu : pour Marc et
son lion, Jésus touche de sa main le visage de
l'aveugle de Bethsaïde (Mc, 8, 22-26) ; quant à
Luc, il tient une brebis serrée contre son cur
; enfin, pour Jean et son aigle, Jésus se tient
agenouillé devant l'apôtre Pierre qui tend
son pied droit.
Laurent Esquerré explique ainsi son dernier choix
: «Cet épisode proche de l'eucharistie
est l'expression du don total et de l'amour fraternel
que Jésus, serviteur, fait de lui-même
et de sa vie pour le salut du monde» (cité
par René Heudré dans son article sur les
quatre Vivants dans l'ouvrage La cathédrale
Saint-Pierre de Rennes (PUR, 2021). ---»»
Suite 2/2
plus bas à gauche.
|
|
L'Évangile selon saint Jean :
L'apôtre Pierre lève le pied droit vers Jésus
qui donne sa vie pour le salut du monde.
Luc et son taureau ---»»»
L'apôtre enserre une brebis dans ses bras.
Sculptures de Laurent Esquéré, né en 1967. |
|
Matthieu et l'Homme. |
Marc et le lion. |
|
|
La voûte de la croisée et le transept nord.
|
Le lion de saint Marc. |
Des
sculptures étonnantes.
Saint Luc (à droite) est censé tenir une
brebis dans ses bras...
Ce que le passé regardait comme une première
épreuve d'atelier est aujourd'hui exposé
comme un objet d'art... La décadence de la sculpture
fait-elle partie intégrante de la décadence
d'une civilisation ou bien les génies du passé
étaient-ils des perfectionnistes ignorants ?
|
|
|
Saint Luc tient une brebis dans ses bras. |
LE BRAS NORD DU
TRANSEPT ET LA CHAPELLE DE BONNE-NOUVELLE |
|
Le bras nord du transept et la chapelle de la Bonne-Nouvelle. |
Cénotaphe du cardinal-archevêque Grégory Brossay Saint-Marc.
Il fut évêque, puis archevêque de Rennes
de 1841 à 1878.
Marbre de Carrare de Jean-Marie Valentin. |
Vitrail dans le transept.
En haut : Armoiries de Mgr L.G. Guérapin de Vauréal
( 1758)
En bas : Armoiries de Mgr J.-A. de Touchebuf-Beaumont
des Junies ( 1761) . |
Le
vu du 5 février 1871.
Si l'invasion prussienne épargnait
le diocèse et la ville de Rennes,
Mgr Brossay Saint-Marc (auteur du vu) et ses successeurs
offriront chaque année à Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle
un cierge de dix kilogrammes, semé d'hermines
et portant les armoiries de la ville de Rennes
ainsi que celles de l'archevêque du temps. Source
: La cathédrale Saint-Pierre
de Rennes, PUR, 2021, article de Roger Blot.
|
|
Cénotaphe de l'archevêque Grégory Brossays Saint-Marc,
détail.
Marbre de Carrare de Jean-Marie Valentin.
|
Monseigneur
Grégory Brossays Saint-Marc (2/3).
---»» Conscients de l'importance
du prélat dans la gestion de la ville, les préfets
s'appliquent à choisir des maires qui s'entendent
bien avec lui. Mais Brossays Saint-Marc, place haut
son appui politique et veut plus : que l'évêché
de Rennes
devienne archevêché... en accroissant son
domaine ! Ses services valent bien cette récompense.
Lors de la bénédiction du chemin de fer
de Rennes
en avril 1857, il étale sans frein son allégeance
au régime et présente ensuite la note
: créer l'archevêché de Rennes
en récupérant une partie du vaste archevêché
voisin de Tours
! Voilà de quoi convaincre les indécis.
Mais l'archevêque tourangeau fait savoir qu'il
refuse de «renouveler le geste de saint Martin»
: il ne coupera pas son manteau en deux ! Sa protestation
est inutile : le Pouvoir, qui trouve l'évêque
de Rennes
trop envahissant, rejette l'idée d'un archevêché.
Pas question d'accroître encore une autorité
morale déjà grande. L'ouvrage Rennes,
histoire des diocèses de France relate ainsi
que, pour les affaires administratives et politiques,
l'évêché reçoit autant de
pétitions que la préfecture !
Mais Brossays Saint-Marc sort un atout : l'Empereur
doit faire un voyage officiel en Bretagne en août
1858 et l'évêque menace de boycotter sa
venue s'il n'obtient pas gain de cause. Gêné,
le gouvernement change le préfet d'Ille-et-Vilaine.
Le nouveau fonctionnaire se montre conciliant et le
fait savoir. Tout s'arrange. Le 19 août, sous
la voûte de la cathédrale de Rennes
et devant douze cents prêtres de l'évêché,
Napoléon III annoncera lui-même à
Brossays Saint-Marc son élévation au rang
d'archevêque.
Notons que dans l'ouvrage La cathédrale Saint-Pierre
de Rennes (PUR, 2021), Bernard Heudré relate
l'événement d'une manière différente.
Il écrit : «Au discours d'accueil de l'évêque,
l'empereur répondit en lui promettant qu'il allait
s'occuper de l'érection du siège de Rennes
en archevêché, ce qui sera chose faite
dès le début de 1859.»
Quoi qu'il en soit, le régime impérial
a les idées bien arrêtées. Paul
Féart, le nouveau préfet, n'a pas été
nommé dans l'unique but d'arrondir les angles
avec le prélat, bien au contraire ! Il est là
pour affaiblir son influence politique et revigorer
celle du régime. Le préfet «a surtout
le grand mérite de comprendre qu'au temps du
suffrage universel, lit-on dans Histoire de Rennes,
c'est le peuple qui dirige par ses bulletins de vote;
en conséquence, l'administration ne triomphera
à Rennes
de Brossay Saint-Marc qu'en lui arrachant la classe
ouvrière.» Une analyse sans doute un peu
rapide qui prête aux élections de l'époque
un pouvoir qu'elles n'ont pas. Sous le Second Empire,
en effet, les campagnes électorales se déroulaient
toujours sous la férule des préfets. Et
ceux-ci connaissaient bien leur mission : avantager
le candidat officiel et saper les candidatures adverses...
Le vote était donc biaisé.
Élections ou pas, le préfet Féart
veut gagner à lui les ouvriers du département...
et il va réussir. Il affiche sa sollicitude partout,
visite les communes, soigne son image dans la presse,
distribue des secours aux ouvriers malades ou victimes
d'accident en détournant les fonds annuels votés
par le Conseil général, des fonds qui
sont en théorie destinés aux nécessiteux.
Il parade lors des comices agricoles, véritables
fêtes économiques du Second Empire, en
distribuant de l'argent, des médailles, des livres,
etc.
On va même voir le préfet prendre le parti
des ouvriers contre les patrons ! Féart appuie
les revendications de salaires... et les fait aboutir.
Action efficace pour gagner la confiance ouvrière
! Le parti de l'archevêque et les légitimistes
comprennent la manuvre et s'alarment : ils répandent
le bruit que le préfet, en poussant les demandes
d'augmentation de salaires, est un fomenteur de grèves
! La chambre de commerce est alertée.
---»» Suite 3/3
plus bas.
|
|
Le bras nord du transept,
détail. ---»»» |
|
|
Gisant de l'archevêque Jean-Natalis-François Gonindard.
Sculpture en marbre de Jean-Marie Valentin. |
Gisant de Jean-Natalis-François Gonindard, détail.
Il fut archevêque de Rennes en 1893
et décéda dix semaines après sa nomination. |
Les
bras du transept de la cathédrale Saint-Pierre.
Dans un environnement scandé de parois
et de colonnes ioniques en stuc-marbre d'un ton ocre-rose
très apaisant, les bras du transept regorgent
d'uvres d'art sur les murs et les plafonds : peintures
murales d'Alphonse le Hénaff et du nazaréen
Simon
Langlois ; tableau
caravagesque d'Henri-Joseph de Forestier ; priant
du cardinal-archevêque Brossay Saint-Marc (1841-1878)
par le sculpteur Jean-Marie Valentin ; gisant de l'archevêque
Gonindard (1893-1897) par le même Valentin ; statue
de l'évêque
Alexis-Armand Charost (1921-1930). Ce décor,
couvert de la voûte à caissons de l'atelier
Jobbé-Duval, offre à l'il
une harmonie grandiose.
|
|
Notre-Dame de Bonne Nouvelle
ou Le culte des Bretons à Marie.
Peinture murale d'Alphonse Le Hénaff, 1874. |
Notre-Dame de Bonne Nouvelle, détail : Du Guesclin. |
Notre-Dame
de Bonne Nouvelle d'Alphonse Le Hénaff.
À genoux devant la Vierge,
le duc Jean IV offre une maquette simplifiée
de la future église de la Bonne-Nouvelle.
À droite, Anne de Bretagne, agenouillée
elle aussi, offre sa couronne ducale.
Au côté de la duchesse-reine se tient
Arthur de Richemont, duc de Bretagne et connétable
de France ; il tend son épée à
la Vierge.
Devant lui se tient Mgr Brossays Saint-Marc, coiffé
de la mitre, qui inaugure le vu solennel
du 5 février 1871 (voir à
gauche).
Sur la gauche, un peu à l'écart
des autres personnages, Du Guesclin ne fait que
tenir un blason anachronique de la ville de Rennes.
Il n'offre rien à la Vierge : c'est, avec
Charles de Blois, le vaincu de la bataille d'Auray.
Source : La cathédrale
Saint-Pierre de Rennes, PUR, 2021, article
de Roger Blot.
|
|
|
Monseigneur
Grégory Brossays Saint-Marc (1/3).
Ce prélat, né en 1803, qui
a imprégné la ville de Rennes
de sa personnalité, domine l'histoire contemporaine
du diocèse. C'est à Brossays Saint-Marc
que l'on doit l'aspect «basilique romaine»
de la cathédrale.
Nommé évêque à l'âge
de 38 ans, «il est très instruit, très
moderne par l'étendue de ses connaissances scientifiques
qui l'ont amené à créer un cours
où les élèves du grand séminaire
apprennent les notions élémentaires des
sciences physiques et naturelles», lit-on dans
l'ouvrage Histoire de Rennes paru aux éditions
Privat en 1972. Doué d'un vrai talent d'orateur,
son affabilité, ses réparties spirituelles
le rendent populaire, tout comme les nombreuses aumônes
que lui permet sa fortune.
Avant d'être évêque, il est passé
par le séminaire Saint-Sulpice
de Paris où est formée l'élite
du clergé français. Ordonné prêtre
en avril 1831, il regagne Rennes
en tant que vicaire de sa paroisse d'origine, l'église
Saint-Germain.
Il est sacré évêque de Rennes
le 10 août 1841 dans la nouvelle cathédrale
qui n'est pas encore achevée. Le matin de la
cérémonie, le prélat passe par
la porte
Mordelaise, puis se présente devant la cathédrale.
La foule est nombreuse : c'est la première fois
depuis le XVe siècle que Rennes
voit sacrer un évêque dans ses murs.
Brossays Saint-Marc se montre fidèle à
la Monarchie de Juillet et proche du peuple. Il acquiert
une réputation de libéral. Lors de l'émeute
des galettes en janvier 1847 (les boulangers rennais,
violant la tradition, n'ont pas distribué de
galettes le jour des Rois), il gagne en popularité
en refusant les gâteaux que les boulangers apportent
à l'évêché.
Lorsqu'éclate la révolution de 1848, il
bénit l'arbre de la Liberté au parc
du Thabor, mais accueille néanmoins l'événement
avec froideur. Partisan du maintien de l'ordre établi,
il «va travailler à maintenir entre les
classes sociales la hiérarchie et les profondes
inégalités qui rappellent à bien
des égards l'avant 1789», lit-on dans l'histoire
du diocèse de Rennes (éditions Beauchesne,
1979). L'ouvrage décrit le panorama rennais :
«une noblesse souvent très riche (...),
une bourgeoisie surtout terrienne, omniprésente
(...), une paysannerie parcellaire, une masse de journaliers,
domestiques, ouvriers, vivant dans la misère
(...).» Ce que confirme Hippolyte Taine dans son
triste tableau de Rennes
au début des années 1860 : «(...)
saleté, puanteur, pauvreté de tous les
quartiers extérieurs ; c'est depuis six ans seulement
qu'on y bâtit des maisons propres. Plusieurs endroits
m'ont rappelé la juiverie de Francfort. Tout
est sale ici, même l'hôtel qui est le premier
de la ville et fort cher.»
Étrangement, cette pauvreté n'a pas d'incidence
politique. «Les éligibles de gauche sont
souvent de riches bourgeois, et bien des électeurs
légitimistes sont misérables», lit-on
dans l'histoire du diocèse de Rennes.
Autrement dit, la pauvreté est acceptée
par une classe ouvrière qui, loin de se révolter,
situe visiblement dans l'Au-delà son espoir d'une
vie meilleure. Et Brossays Saint-Marc est là
pour ça...
L'évêque reste neutre aux élections
municipales du mois d'août 1848. Même attitude
à l'élection présidentielle de
décembre où Rennes
donne la majorité à Louis-Napoléon.
En revanche, il se montre hostile au coup d'État
du 2 décembre 1851 et le dit clairement, mais
prudemment, dans un sermon politique tenu à la
cathédrale.
La promesse d'une subvention pour la construction du
grand séminaire va le faire changer d'avis. À
l'occasion du plébiscite de 1852 sur le rétablissement
de l'Empire, il se rallie ouvertement au régime
et recommande le oui. L'évêché
fait dire des prières lors de la guerre de Crimée
et patronne un journal catholique bonapartiste. En conséquence,
dès 1856, l'argent arrive pour la construction
du fameux séminaire. Le bâtiment sera à
charpente métallique, l'une des premières
de l'époque avec celle de l'église Saint-Eugène
à Paris. ---»» Suite 2/3
à gauche.
|
|
Vitrail dans le transept.
En haut : Armoiries de Mgr H.-L. R. des Nos ( 1770)
En bas : Armoiries de Mgr F. Barreau de Girac (
1790) |
Le Mariage de la Vierge
Peinture murale de Simon Langlois, 1877.
Voir L'Annonciation de Simon Langlois plus
bas. |
|
Simon
Langlois est un artiste nazaréen du
XIXe siècle qui peut, par son style, être
qualifié d'artiste du XVe siècle.
Après des études aux Beaux-Arts de Paris
et affilié à l'Ordre des dominicains,
il passe huit ans à Rome auprès d'Overbeck.
Il reçoit des commandes du pape Pie IX et de
la Curie. Sa mauvaise santé le contraint à
rentrer en France où il vit de commandes modestes
(illustrations d'ouvrages, décors d'église).
Source : La cathédrale
Saint-Pierre de Rennes, PUR, 2021.
|
|
|
|
Bras nord du transept : vue en gros plan de la voûte peinte
par l'atelier Jobbé-Duval.
Au centre : «SM» pour Sainte Marie ; de chaque côté
«SJ» pour saint Joseph. |
L'Annonciation
Peinture murale de Simon Langlois, 1877.
|
Monseigneur
Grégory Brossays Saint-Marc (3/3).
---»» Rapidement, Féart lance
des enquêtes chez plusieurs patrons et parvient à
démontrer la calomnie. De plus, il obtient un soutien
massif des ouvriers : le 1er janvier 1861, des milliers, groupés
par corporations, viennent lui manifester leur reconnaissance
à la préfecture. Le ministre de l'Intérieur,
qui n'a pas été prévenu, reçoit
une protestation, mais approuvera l'action de son préfet.
La manifestation va se renouveler les trois années
suivantes.
Brossays Saint-Marc a conscience d'avoir perdu la partie :
les ouvriers sont passés du côté du gouvernement.
Il décide alors de s'opposer ouvertement à l'Empire
et de rejoindre le camp ultramontain de soutien total au pape
Pie IX. Ce changement de cap intervient à la suite
de la défaite des troupes pontificales à Castelfidardo,
le 18 septembre 1860, face à l'armée piémontaise.
L'Italie de Cavour, c'est le parti de Napoléon III
; la Rome de Pie IX, c'est le parti des légitimistes,
opposants convaincus au régime impérial. Brossays
Saint-Marc ne se cache pas : il célèbre une
messe solennelle à la cathédrale en mémoire
des morts de la bataille et, lors du prêche, il affiche
clairement son soutien au pape et son hostilité au
régime.
En 1861 et 1862, l'archevêque va commettre une bévue
: au titre du denier de saint Pierre, il adresse au Vatican
210 000 francs tirés des fonds de son archevêché.
Les pauvres crient au scandale : l'archevêque détourne
les aumônes ! Un peu comme Martin Luther qui s'était
dressé contre le pape en déclarant que l'argent
des Indulgences, récolté auprès des Allemands,
servait à construire les églises de Rome. La
cote de popularité de l'archevêque, dirait-on
aujourd'hui, baissa encore.
Cependant, l'opposition de Brossays Saint-Marc au régime
ne faiblit pas. Aux élections législatives de
1863, il soutient l'ancien maire (que Féart avait chassé)
contre le candidat officiel. Ce dernier sera finalement élu.
Cette défaite marque la fin de l'influence politique
de l'archevêque. «Rennes
est devenue en majorité anticléricale, et elle
va le rester, à part de brèves périodes,
jusqu'en 1947», lit-on dans Histoire de Rennes.
En septembre 1875, l'archevêque, âgé de
soixante-douze ans, est nommé cardinal par le pape
Pie IX. En raison de son mauvais état de santé,
ce n'est qu'en avril suivant qu'il se rendra à Rome
pour recevoir les insignes de sa dignité. Six ans auparavant,
il avait pleinement approuvé le dogme de l'infaillibilité
pontificale.
L'ultramontanisme affiché du prélat et son soutien
appuyé au pape trouveront une étrange conclusion
: l'un et l'autre décéderont en février
1878. Pie IX, le 7 février ; Brossays Saint-Marc, le
26. De la sorte, le cardinal-archevêque ne participera
pas au conclave qui élira Léon XIII en mars
suivant.
Sources : 1) Histoire de Rennes,
éditions Privat, 1972 ; Histoire des diocèses
de France, Rennes, éditions Beauchesne, 1979 3)
La cathédrale Saint-Pierre de Rennes (PUR, 2021),
article de Bernard Heudré.
|
|
Détail de la voûte peinte par l'atelier Jobbé-Duval. |
Le Mariage de la Vierge, détail.
Peinture murale de Simon Langlois, 1877. |
L'Assomption de la Vierge.
Copie par Alexandre Juliard, en 1844,
du tableau de Nicolas Poussin exposé au Louvre.
. |
Vitrail dans le transept.
En haut : armoiries de Mgr Christophe-Louis Turpin
de Crissé de Sanzay ( 1723)
En bas : armoiries de Mgr Charles-Louis-Auguste
Le Tonnelier de Breteuil ( 1432) |
La
disgrâce d'Alphonse Le Hénaff ? (1/2)
Soucieux d'honorer la mémoire bretonne, l'archevêque
Brossays
Saint-Marc fit appel au peintre guingampais Alphonse
le Hénaff pour la décoration du chur.
L'artiste commença son travail en 1867. Le 1er
juin 1869, la peinture du cul-de-four, la
Primauté de saint Pierre, était
terminée. Fin 1872, les cortèges des saints
bretons dans le déambulatoire étaient
achevés à leur tour.
Le Hénaff se tourna alors vers les tympans des
bras du transept : Les
Bretons devant Marie, au nord, et les
Bretons devant sainte Anne, au sud. Ces peintures
murales sont achevées à leur tour en juin
1874. L'artiste s'emploie ensuite à la création,
dans le bras sud, des quatre peintures murales illustrant
la vie de sainte Anne : l'Apparition
à Joachim ; la
Rencontre à la Porte dorée ; la
Présentation de la Vierge au Temple ; l'Éducation
de la Vierge. Le transept devait accueillir seize
peintures d'Alphonse Le Hénaff, mais, bizarrement,
on s'arrêta là.
Les archives montrent en effet la signature de l'artiste
dans un document du 1er juillet 1876 indiquant : «solde
de tout compte après la résiliation du
marché souscrit [...] pour les travaux de peinture
historique de la Métropole de Rennes» (cité
par Philippe Bonnet dans son article pour La cathédrale
Saint-Pierre de Rennes (PUR, 2021).
Pourquoi cette rupture brutale ? Les historiens n'ont
aucune explication.
Philippe Bonnet avance quelques pistes : l'artiste travaillait-il
trop lentement ? était-il jugé trop cher
? les peintures du transept donnaient-elles moins satisfaction
? Toujours est-il qu'Alphonse Le Hénaff vécut
cette fin de collaboration comme une disgrâce.
De son côté, Roger Blot, qui traite des
décors muraux dans le même ouvrage, est
plus affirmatif. Il analyse les deux premières
peintures faites par le peintre dans le transept. Elles
portent sur la vie de saint Joachim, époux de
sainte Anne. Il écrit : «La sécheresse
des deux scènes est frappante. L'offrande refusée
[par le grand-prêtre] n'apparaît pas. Il
n'y a nul témoin. On éprouve un malaise
à la vue de ces personnages trop grands pour
le cadre où ils évoluent. En a-t-on fait
le reproche au peintre ?» Les deux
suivants (sur la vie de la Vierge) sont mieux conçus,
«mais indisposent l'archevêque qui doit
les attendre pendant presque deux ans», poursuit
Roger Blot. Il termine par ces mots : «Le peintre
est-il vraiment épuisé ou découragé
devant l'ampleur du travail qui reste à faire
? A-t-il heurté l'archevêque, malade lui-même,
de plus en plus excédé par ce chantier
qui envahit sa cathédrale depuis tant d'années
?»
Autre hypothèse plausible : Mgr Brossays Saint-Marc
pensait-il, à soixante-treize ans, qu'il fallait
changer de peintre pour accélérer la cadence
s'il voulait voir sa cathédrale achevée
avant de mourir ? C'est un peu ce que laisse entendre
Jean-Yves Andrieux dans son article sur l'architecte
Charles Langlois dans La cathédrale Saint-Pierre
de Rennes (PUR, 2021). Ce dernier doit réaliser
un projet de coupole (qui sera finalement concrétisé
par son successeur, Alfred Coisel), mais l'affaire traîne
pendant dix ans. J.-Y. Andrieux écrit : «Langlois
est, en même temps que les fresquistes, pressé
par l'archevêque qui s'affaiblit et veut voir
sa cathédrale en gloire avant de mourir.»
Alphonse Le Hénaff acceptait-il d'être
«pressé» ou s'est-il rebellé,
provoquant par là son renvoi ?
Après Le Hénaff, le clergé fit
appel au peintre Simon
Langlois. Celui-ci devait exécuter les peintures
murales illustrant la vie de la Vierge dans le bras
nord du transept, mais il n'eut le temps que d'en réaliser
deux : le
Mariage de la Vierge et l'Annonciation
car Mgr Brossays
Saint-Marc s'éteignit en février 1878.
Son successeur, Clément Place, tira un trait
sur ces histoires de décoration et Simon Langlois
quitta le chantier dès le mois de juin 1878.
---»» Suite 2/2
plus bas.
|
|
|
La
cathédrale de Rennes au XVe siècle et
les Tudors.
Une fois la guerre de Cent Ans terminée (1453),
la guerre des Deux Roses, que les Anglais appellent
plus proprement les guerres des Roses, opposa, pour
le trône d'Angleterre, les Lancastres aux Yorks.
Ces deux familles, issues de deux fils d'Édouard
III, se déchiraient après l'éviction
du roi lancastre Henri VI au profit du York Édouard
IV. Cette éviction fut en grande partie l'uvre
du comte de Warwick, resté dans l'Histoire sous
le nom singulier de kingsmaker («le faiseur
de roi»).
Pendant trente ans, les Yorks vont gérer l'Angleterre,
mais en guerroyant sans cesse contre la famille adverse.
Remontons dans la généalogie. Le duc de
Lancastre (et deuxième fils d'Édouard
III) se maria deux fois. Le roi Henri VI, reconnu fou,
chassé du trône, puis assassiné
en 1471, fut le dernier représentant de la branche
issue de son premier mariage. La branche issue du second
resta dans l'attente de jours meilleurs pendant le long
règne des Yorks. Finalement, elle reporta ses
espoirs sur Henri Tudor, fils d'Edmund Tudor et de Margaret
Beaufort, descendante directe du duc de Lancastre.
Pendant ces trente ans, la France de Louis XI servit
de base de repli à l'opposition lancastre, tandis
que les Tudors utiliseront la Bretagne pour la leur.
En 1483, le duc de Buckingham lança une attaque
depuis le pays de Galles, tandis qu'Henri Tudor, venant
de Bretagne, débarquait à Plymouth et
à Poole, sur la côte sud de l'Angleterre.
Il était prévu que Buckingham soit appuyé
par des soulèvements locaux. Mal coordonnée,
l'attaque échoua complètement face à
la contre-offensive de Richard III. Buckingham fut capturé
et exécuté en novembre.
Néanmoins, les principaux chefs de la rébellion
(parmi lesquels se trouvaient d'anciens partisans d'Édouard
IV York, décédé en avril 1483)
purent s'échapper et rejoindre le parti Tudor
en Bretagne. C'est là que le jour de Noël
1483, dans la cathédrale de Rennes,
ils reconnurent Henri Tudor comme leur roi. De son
côté, celui-ci promettait d'épouser
Élisabeth d'York, fille d'Édouard IV.
De ce double fait, les deux branches lancastre fusionnaient
pour la succession sur le trône et obtenaient
le ralliement de ceux des Yorks qui s'opposaient à
Richard III, monté sur le trône d'Angleterre
à la mort de son frère Édouard
IV.
La «rébellion» suivante fut la bonne.
En 1485, l'armée des Tudors, débarquée
au Pays de Galles et renforcée de Français
et d'Écossais, affronta celle de Richard III
à la bataille de Bosworth, le 22 août.
Grâce à l'intervention de la troupe de
Thomas, Lord Stanley, second mari de Margaret Beaufort,
Henri Tudor remporta la victoire et monta sur le trône
d'Angleterre sous le nom d'Henri VII. La dynastie Tudor,
inaugurée sur le champ de bataille, s'éteignit
en 1603 à la mort de la reine Élisabeth
Ière.
Sources : 1) The Wars
of the Roses de Michael Hicks, Osprey Publishing,
2003 ; 2) Henry VII de S.B. Chrimes, Yale University
Presse, 1999.
|
|
Armoiries de Mgr Brossays Saint-Marc :
le pélican nourrit ses petits de sa propre chair (vitrail
de la cathédrale). |
|
Le transept vu depuis le bras sud. |
LE BRAS SUD DU
TRANSEPT ET LA CHAPELLE SAINTE-ANNE |
|
Le bras sud du transept et la voûte de l'atelier Jobbé-Duval. |
La
disgrâce d'Alphonse Le Hénaff ? (2/2)
---»» C'en était fini du décor
«à la romaine» de la cathédrale.
Celui du transept n'était pas achevé.
Quant à celui de la nef, il ne verrait jamais
le jour. Le cahier des charges avait prévu d'illustrer
les épisodes marquants de la vie des premiers
évêques bretons et des fondateurs de monastères.
Roger Blot nous apprend qu'Alphonse Le Hénaff
mourut en 1884, à soixante-trois ans, «d'un
cancer du larynx lié aux produits qu'il respirait
sur ses échafaudages (comme Delacroix).»
À la fin du XIXe siècle, avec Alexis
Douillard, le clergé dénicha un excellent
peintre capable d'achever le cycle des peintures d'histoire.
Pour la chapelle latérale Sainte-Anne, il réalisa
une magnifique toile marouflée de l'Éducation
de la Vierge qui portait l'espoir d'en voir d'autres.
Roger Blot termine son article par ces mots : «Mais
le chantier de Rennes
était commencé depuis si longtemps qu'il
n'y avait plus personne pour le défendre. On
en resta là.»
Source : La cathédrale
Saint-Pierre de Rennes, PUR, 2021, articles de Philippe
Bonnet, de Roger Blot et de Jean-Yves Andrieux.
|
|
|
Le
bras sud du transept.
L'autel du bras sud, dédié à sainte
Anne, est orné d'une belle toile au style caravagesque
d'Henri-Joseph de Forestier illustrant la
délivrance de l'apôtre Pierre de
sa prison par un ange (on dirait aujourd'hui l'exfiltration...).
Rappelons que, une fois la construction des bras du
transept terminée, les gouvernements de la Restauration
et de la monarchie de Juillet ont fait envoyer des tableaux
à la cathédrale pour la décorer.
Selon l'ouvrage La cathédrale Saint-Pierre
de Rennes (PUR, 2021), la délivrance de
Pierre fut le premier d'entre eux. Vingt ans plus
tard, c'est le Baptême
de Jésus-Christ d'un élève
d'Ingres, Joseph-Nicolas Jouy, qui suivit. On y ajouta
ensuite quelques tableaux dans les chapelles
latérales de la nef
: Vocation
de saint Melaine (1847) et Anges
adorant le Sacré-Cur de Jésus
(1862). Auparavant, en 1858, une peinture murale à
la cire La Vierge tenant l'Enfant-Jésus protectrice
de la ville de Rennes était venue décorer
la chapelle
latérale Notre-Dame-de-la-Cité.
Il faut s'arrêter sur cette dernière uvre.
Le fait qu'elle soit une peinture murale et non un tableau
traduit une modification des règles de la décoration
des églises vers le milieu du XIXe siècle.
À partir de cette époque, on considéra
en effet que les tableaux de chevalet n'avaient plus
leur place dans les édifices religieux et qu'il
fallait les réserver aux musées, aux galeries
d'art et aux domiciles des particuliers. L'art chrétien
véritable devait revenir à la source :
celle des uvres étroitement liées
à l'architecture telles que les montraient les
traditions paléochrétienne, byzantine
et médiévale. La décoration historiée
devait donc apparaître sous forme de peintures
murales.
C'est ce principe qui amena le clergé de la cathédrale
à faire appel à Alphonse le Hénaff,
connu comme spécialiste de peinture monumentale
dans les églises, pour réaliser le programme
prévu pour le chur.
Source : La cathédrale
Saint-Pierre de Rennes, PUR, 2021.
|
|
La chapelle Sainte-Anne dans le bras sud du transept.
|
|
Le culte des Bretons à sainte Anne, patronne de la Bretagne.
Peinture murale d'Alphonse Le Hénaff, 1873.
Le culte
des Bretons à sainte Anne. Le flambeau tendu
au paysan Yves Nicolazic évoque les visions de 1624.
En face de lui, en noir : le libertin Pierre de Kériolet,
devenu prêtre. Derrière lui, le matelot qui offre
une maquette en ex-voto, rappelle que les 708 marins de la
circonscription de Vannes sont tous revenus vivants de la
guerre de 1870 (ce qui n'était pas un exploit : il
n'y a pratiquement pas eu de guerre navale contre la Prusse
en 1870...).
|
|
Mgr
Alexis-Armand Charost,
évêque de Rennes de 1921 à 1930,
sculpté par Jean Magrou, 1933. |
La Délivrance de saint Pierre.
Henri-Joseph de Forestier
Huile sur toile, 1828. |
L'apparition à Joachim.
Peinture murale d'Alphonse Le Hénaff, 1874. |
Rencontre à la Porte dorée.
Peinture murale d'Alphonse Le Hénaff, 1874. |
|
Présentation de la Vierge au Temple.
Peinture murale d'Alphonse Le Hénaff, 1876. |
L'Éducation de la Vierge.
Peinture murale d'Alphonse Le Hénaff, 1876.
Ici, c'est Joachim qui assure la transmission de la Foi à
sa fille. |
Le côté oriental du bras sud
avec la statue de Mgr Alexis-Amand Charost et les peintures
murales d'Alphonse Le Hénaff. |
La Délivrance de saint Pierre, détail.
Henri-Joseph de Forestier
Huile sur toile, 1828. |
|
Vue générale du transept depuis le bras nord. |
Le culte des Bretons à sainte Anne, détail.
Peinture murale d'Alphonse Le Hénaff, 1873.
Un marin offre une maquette de bateau en ex-voto. |
Bras sud : vue en gros plan de la voûte peinte par l'atelier
Jobbé-Duval.
Au centre : «SA» pour Sainte Anne ; de chaque côté
«SJ» pour saint Joachim. |
LE CHUR
ET LE DÉAMBULATOIRE DE LA CATHÉDRALE SAINT-PIERRE |
|
Le chur de la cathédrale Saint-Pierre.
Cathèdre, autel de messe et ambon sont modernes. |
Vierge à l'Enfant dans le chur, détail.
Copie d'une statue du XVIe siècle. |
Ange adorateur du maître-autel.
Sculpture réalisée par Jean-Baptiste Barré
en 1847
sur un dessin de Charles Langlois. |
La
Clipeata.
Une proposition d'Arcabas au clergé de la cathédrale
visait à rehausser les sièges de la présidence
épiscopale avec la sculpture du visage du Christ
ressuscité. C'est Arcabas qui a donné
le nom de Clipeata à son uvre, mot
qui signifie bouclier. Yahvé est qualifié
ainsi dans la Bible et saint Paul l'utilise pour parler
du bouclier de la Foi apte aux résister aux tentations.
Source : La cathédrale
Saint-Pierre de Rennes (PUR, 2021), article de Bernard
Heudré.
|
|
|
«Clipeata» (visage du Christ ressuscité)
créée par Arcabas en 1995.
Les sept boucles de la chevelure rappellent les sept dons
de l'Esprit-Saint promis par Jésus. |
La colombe de l'Esprit Saint (Arcabas, 1995)
sur le devant de l'autel de messe. |
|
L'entrée du chur, au monogramme de saint
Pierre,
vient interrompre la balustrade de la table de communion. |
Arcabas
et Étienne.
Le chur de la cathédrale
est rehaussé depuis 1955 par quatre uvres
d'un peintre et d'un sculpteur (père et
fils) : l'autel, l'ambon, la cathèdre et
la clipeata.
Ses deux artistes avaient déjà réalisé
le mobilier du chur de la cathédrale
de Saint-Malo, à la grande satisfaction
du clergé. À ce titre, ils furent
sollicités pour imaginer celui de la cathédrale
Saint-Pierre.
Il faut reconnaître que le duo a parfaitement
intégré la dominante ocre-rose que
l'on voit dans les colonnes du chur, les
chapiteaux ioniques et l'entablement, une dominante
encore appuyée par la prépondérance
orange-ocre des peintures d'Alphonse Le Hénaff.
Travaillant le bronze, ils ont obtenu le même
aspect que le stuc des colonnes, mais choisi un
vert qui se marie fort bien avec l'environnement
de la fin du XIXe siècle. L'idée
du vert est venue à Arcabas en remarquant
la place de cette couleur dans les peintures de
la voûte du chur. Les photos de cette
page montrent plutôt un bleu-vert avec une
goutte de gris pâle...
Quoi qu'il en soit, cette teinte claire, un peu
neutre, donne la prépondérance visuelle
au mobilier moderne. Ce qui n'a rien d'anormal
puisqu'en lui repose toute la symbolique de la
liturgie. Une belle réussite. Source
: La cathédrale
Saint-Pierre de Rennes (PUR, 2021), article
de Bernard Heudré.
|
|
|
Vitrail dans le chur, détail.
En haut : armoiries de Mgr Arnaud d'Ossat
( 1599).
En bas : armoiries non reconnues.
Les
auteurs :
Arcabas : pseudonyme de
Jean-Marie Pirot (1926-2018)
Étienne : son fils Jean-Étienne,
né en 1952.
|
|
|
Vue d'ensemble du chur.
Au premier plan : le mobilier conçu par Arcabas et Étienne
en 1995 : cathèdre, autel de messe et ambon.
On remarquera les colonnes dorées sur ce mobilier en bronze.
Au nombre de douze dans le mobilier moderne, ces colonnes symbolisent
les douze apôtres.
À gauche : la cathèdre, qui est entourée de deux
fauteuils, est surmontée de la Clipeata. |
|
Les caissons de la voûte peints par l'atelier Jobbé-Duval.
«««---
Le maître-autel date de 1871.
Il a été réalisé avec des marbres
antiques offerts par le pape Pie IX. |
|
L'habit
ne fait pas le moine.
L'archevêque Charles-Philippe Place a succédé
à monseigneur Grégory
Brossays Saint-Marc en 1878. Peu désireux de voir
le chantier se prolonger dans le transept, il s'est empressé
de faire arrêter les travaux de décoration que
menait le peintre Simon
Langlois.
Ce n'était visiblement que la première passe
d'armes d'un caractère bien trempé car ce prélat
a laissé une très vilaine image. On lit ainsi
dans Histoire de Rennes (Privat, 1972) un commentaire
sans concession : «Place était communément
détesté : ses procès contre l'Oratoire
de Rennes,
les brochures polémiques et les commentaires de presse
qui en ont résulté, sa dureté pour ses
prêtres, pour le père Lepailleur, aumônier
des Petites Surs des pauvres, pour son coadjuteur Gonindard
lui-même, ont dressé contre lui la masse des
«catholiques avant tout» et des royalistes; d'abord
apparemment en bons termes avec les républicains à
qui il doit son siège, il rompt avec eux en 1886 après
sa promotion au cardinalat, les irrite par la publication
de son catéchisme électoral. Enfin, sa dernière
volonté de se faire enlever le cur pour le déposer
dans la tombe de sa mère est sévèrement
commentée.»
En 1893, l'archevêque Jean-Natalis-François Gonindard
lui succédera et donnera un autre visage : aimable,
libéral, proche de son clergé et du peuple.
Malheureusement, il n'assurera ses responsabilités
que dix semaines, emporté par une mort subite.
Source : Histoire de Rennes,
éditions Édouard Privat, 1972.
|
|
Les stalles ont été réalisées d'après
les dessins de l'architecte Louis Richelot.
Année 1825 et après. |
La Primauté de saint Pierre.
Peinture murale d'Alphonse Le Hénaff, 1859.
Voûte en cul-de-four du chur de la cathédrale Saint-Pierre. |
Brossays
Saint-Marc et l'architecture religieuse bretonne.
Sous l'épiscopat de Mgr Brossays
Saint-Marc (qui s'étala de 1841 à 1878),
l'architecture religieuse bretonne connut un vif développement.
Dans l'ouvrage La cathédrale Saint-Pierre
de Rennes, Bernard Heudré relate que les
historiens ont souvent comparé ce développement
à celui que l'on observait au Moyen Âge
dans l'ensemble de la France et plus particulièrement
en Bretagne. Il écrit : «Dans le seul diocèse
de Rennes,
cent soixante-huit églises paroissiales furent
édifiées au cours du XIXe siècle
grâce à la détermination des prêtres
et des fidèles, mais aussi grâce à
la collaboration gouvernementale pour le financement.»
À partir de 1863, pour la transformation de la
cathédrale néoclassique en basilique romaine
(ce qui revenait essentiellement à créer
un décor qui n'existait pas), l'aide gouvernementale
fut renforcée par une souscription auprès
des fidèles. Les souscripteurs purent bénéficier
à cette occasion de nombreuses indulgences accordées
par le pape Pie IX.
Les uvres peintes de la cathédrale, toutes
réalisées entre les années 1830
et 1890, reflètent une grande cohérence
artistique et stylistique. Elles traduisent le passage
«du néo-classicisme à l'éclectisme»,
écrit Cécile Oulhen et expriment les goûts
artistiques du XIXe siècle dans le domaine religieux.
Une partie de ces uvres concerne l'Histoire de
l'Église et la Bible ; l'autre concerne l'identité
de la Bretagne et son histoire locale. «L'ensemble
de ces compositions, écrit Cécile Oulhen,
contribuent à faire de la cathédrale de
Rennes
une uvre d'art totale et une illustration parfaite
de ce style du XIXe siècle qui a tout particulièrement
marquée la peinture religieuse, puisant ses racines
dans l'art des siècles passés, mais reflétant
une certaine unité qui le rend facilement reconnaissable.»
Source : La cathédrale
Saint-Pierre de Rennes (PUR, 2021), articles de
Bernard Heudré et Cécile Oulhen.
|
|
La Primauté de saint Pierre : Le Christ donne les clés
à saint Pierre et tient le globe dans l'autre main.
Alphonse Le Hénaff, 1869. |
La
Primauté de saint Pierre : le Christ tient un
globe dans sa main.
La photo ci-dessus montre le Christ tenant
un globe dans la main gauche. C'est un détail
qui peut étonner. À l'origine, le peintre
avait représenté un calice avec l'hostie.
Des dessins préparatoires conservés le
prouvent. En fin de compte, «on» substitua
le calice par un globe surmonté de la croix pontificale
à trois traverses. L'historien Roger Blot fait
remarquer qu'il s'agit clairement d'une image de combat,
«bien dans l'esprit de Vatican I» ! Quoi
qu'il en soit, on ne voit le globe dans la Primauté
de saint Pierre que dans cette uvre.
Source : La cathédrale
Saint-Pierre de Rennes (PUR, 2021), article de Roger
Blot.
Qui est à la source de cette substitution ? Par
une bulle papale, l'évêque de Rennes,
Grégory Brossays Saint-Marc, est devenu archevêque
de la nouvelle province ecclésiastique de Bretagne
le 3 janvier 1859. Alphonse Le Hénaff a terminé
sa Primauté de Pierre le 1er juin 1869.
Si la modification vient de l'archevêque, celui-ci
a-t-il voulu, par ce signe, remercier le pape Pie IX
et marquer, par le dessin, la toute-puissance de l'Église
face à l'Empire ? En effet, au cours des années
1860, sous les coups de boutoir du préfet Paul
Féart et le regain d'influence du régime
au sein de la classe ouvrière, l'ultramontanisme
de Brossays Saint-Marc et son rejet de l'Empire n'ont
fait que se renforcer. Voir à ce sujet l'encadré
sur l'évêque Brossays
Saint-Marc plus haut.
|
|
«DOLENSES» : procession des Dolois.
Alphonse Le Hénaff, 1870-1872. |
«MACLOVIENSES» : procession des Malouins.
Alphonse Le Hénaff, 1870-1872. |
«VENETENSES» : procession des Vannetais.
Alphonse Le Hénaff, 1870-1872.
Seuls les panneaux relatifs aux diocèses nouvellement
intégrés
dans la province ecclésiastique bretonne affichent des
femmes et des enfants.
Ici : la princesse Triphine et son fils Trémeur que saint
Gildas ressuscita. |
La grille qui entoure
le chur est une ferronnerie d'art très élégante.
---»»» |
|
|
Le déambulatoire et ses peintures murales.
Sur la gauche : l'orgue de chur.
Sa présence au fond du déambulatoire a conduit
à inverser l'ordre de marche des cortèges (voir
l'encadré ci-dessous). |
«RHEDONENSES» : procession des Rennais, détail
Alphonse Le Hénaff, 1870-1872. |
Le
déambulatoire d'Alphonse Le Hénaff.
Passer d'une cathédrale néoclassique quasiment
sans décor à une basilique romaine qui
en serait couverte se fit par un cahier des charges
informel : la tâche commencerait par la décoration
du chur
(on verrait ainsi combien cela coûterait exactement),
puis continuerait par un bras du transept, puis l'autre,
pour finir par les bas-côtés de la nef.
Devenu archevêque en 1859, Mgr Brossays Saint-Marc
voulait faire de sa cathédrale un véritable
panthéon breton dédié aux gloires
chrétiennes de la province. Il mit en route le
cahier des charges et fit bien sûr appel à
des artistes bretons : Alphonse Le Hénaff,
originaire de Guingamp, adepte de l'école nazaréenne
; les Jobbé-Duval, de Rennes
; le sculpteur Jean-Marie Valentin, né
à Bourg-des-Comptes où la famille Brossay
Saint-Marc possédait un château ; enfin
Jean-Baptiste Barré, sculpteur rennais
bien connu.
Les fenêtres jugées inutiles de l'abside
étant murées, Alphonse le Hénaff
commença par peindre à la voûte
en cul-de-four la Primauté de Saint Pierre.
Le 1er juin 1869, la peinture était achevée
et l'artiste se lança dans la grande frise de
huit panneaux entourant le chur.
D'emblée, une chose frappe le visiteur : les
saints s'écartent de la Primauté
et du Christ ! En général, les cortèges
suivent l'ordre inverse. C'est ce qu'a fait Hippolyte
Flandrin à la grande église Saint-Vincent-de-Paul
à Paris. Pourquoi ce choix, ici ? L'article de
Roger Blot dans La cathédrale Saint-Pierre
de Rennes (PUR, 2021) donne l'explication.
En 1867, la paroisse avait passé commande d'un
nouvel orgue de chur
à l'atelier Merklin-Schütze. Le précédent
instrument était placé dans l'abside,
mais, avec le nouveau, on préféra rester
discret et le dresser au fond du déambulatoire.
Problème : l'instrument se trouvait au même
niveau que les cortèges à peindre, la
Primauté étant au-dessus. Les saints
ne se dirigeraient plus vers le Christ, mais vers l'orgue
! Pour éviter cette faute de goût malencontreuse,
on décida d'inverser le sens de la marche. Une
justification fut très vite trouvée :
en s'éloignant du Christ, les saints bretons
se dirigeaient tout simplement vers le monde, vers l'extérieur,
vers les confins de la Bretagne pour concrétiser
le message christique : évangéliser les
nations.
À ce sens caché, qui s'applique à
la forme, vient s'ajouter un autre sens, plus visible
celui-là, qui s'applique au fond et qui donne
la signification profonde de l'uvre : le but des
cortèges est de fédérer les diocèses
de la nouvelle province ecclésiastique bretonne
créée à l'occasion du passage d'évêché
à archevêché en 1859.
Parmi les huit panneaux, quatre sont deux fois plus
grands que les petits : la primauté a été
donnée aux diocèses Rennes,
Dol
et Saint-Malo auxquels on a joint le pays de Vannes.
Le diocèse de Nantes ne s'y trouve pas puisqu'il
avait été conservé dans le périmètre
de la province de Tours.
L'idée centrale de la peinture est de rendre
hommage aux saints évangélisateurs et
fondateurs de la Bretagne en laissant de côté
les saints guérisseurs ou modernes. On compte
quatre-vingt-trois saints auréolés et
soixante-quatre nommés. Beaucoup d'entre eux
viennent d'Irlande ou du pays de Galles. Les seuls réellement
déclarés saints par le Vatican sont Yves
le Tréguier et le catalan Vincent Ferrier. D'autres
sont issus d'hagiographies complaisantes qui, à
l'époque de l'exécution de l'uvre,
n'avaient pas encore été expurgées
de leur côté merveilleux. Notons que les
femmes et les enfants ne se voient que dans les figures
des diocèses raccrochés à Rennes
en 1859, comme, par exemple, dans la procession des
Vannetais à gauche.
Alphonse Le Hénaff aura passé trois ans
à peindre ces cortèges, «dans la
pénombre et le froid» ajoute Roger Blot.
Les bordures qui les environnent sont l'uvre de
l'atelier Jobbé-Duval.
Cette peinture d'une marche solennelle et silencieuse
des saints bretons est unique en Bretagne. Source
: La cathédrale Saint-Pierre
de Rennes, PUR, 2021, article de Roger Blot.
|
|
|
|
|
«CORISOPITENSES» : procession des Quimpérois.
Alphonse Le Hénaff, 1870-1872.
«««---
«LEONENSES» : procession des Léonards (Saint-Pol-de-Léon).
Alphonse Le Hénaff, 1870-1872.
En tête se trouve Yves Mayeuc à qui la tradition
attribue la construction de la cathédrale
de Quimper du XVIe siècle. C'est pourquoi il porte la
maquette de la façade sur son cur. |
|
|
«RHEDONENSES» : procession des Rennais.
«««---
«BRIOCENSES» : procession des Briochins (Saint-Brieuc).
Alphonse Le Hénaff, 1870-1872. |
|
Le chur et la procession des cortèges qui s'écartent
du Christ pour évangéliser la Bretagne (déambulatoire
sud). |
Documentation : «La cathédrale
Saint-Pierre de Rennes», éditions des Presses Universitaires
de Rennes, 2021
+ «Histoire de Rennes», Édouard Privat éditeurs,
1972
+ «Histoire des diocèses de France, Rennes», éditions
Beauchesne, 1979
+ «À l'assaut de nos églises», récit
anonyme d'un témoin, publié en 1906
+ «Notes d'un voyage dans l'Ouest de la France»
par Prosper Mérimée, librairie Fournier, 1836
+ «Par nos villes et nos campagnes» d'Hippolyte Taine,
éditions Libretto, 2020
+ «The Wars of the Roses» de Michael Hicks, Osprey Publishing,
2003
+ «Henry VII» de S.B. Chrimes, Yale University Press
+ Panneaux affichés dans la cathédrale Saint-Pierre. |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|