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Cette page continue l'exploration de
l'architecture de la cathédrale Saint-Étienne de Sens.
On y donne un développement sur le transept
de Martin Chambiges et l'épineux problème du
financement
de sa construction dans les années qui ont suivi la guerre
de Cent Ans.
Les vitraux Renaissance qui illuminent ce transept sont exposés
ici : les deux roses, l'Arbre
de Jesse, l'Invention
et la Translation des reliques de saint Étienne ; enfin
la verrière de Jacob
et de Joseph. Les autres vitraux du transept sont donnés
en page 3. Dans cette même page 3, les détails sur
l'architecture continuent avec le chur,
le déambulatoire
et ses trois chapelles rayonnantes.
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LE VITRAIL DE SAINT EUTROPE (Baie 34) - Année
1530 |
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Baie 34 : VERRIÈRE DE SAINT EUTROPE, 1530.
Elle est attribuée à Jean Cousin père,
mais sans aucune preuve. |
Le Baptême de saint Eutrope, détail de la
baie 34.
Nous sommes à une époque où les détails
anatomiques des personnages
commencent à prendre forme, quoique les muscles
des avant-bras
d'Eutrope soient pour le moins impressionnants... |
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Le
Vitrail de saint Eutrope. Par sa griffe
désordonnée et très colorée,
éloignée de toute stylisation, ce
vitrail est peut-être l'un des plus beaux
de la cathédrale. Il se trouvait auparavant
dans la chapelle Saint-Eutrope, dans le bas-côté
sud, chapelle qui a disparu sous les coups de
butoir de l'architecte restaurateur Adolphe
Lance, au XIXe siècle. Il est toujours
dans le bas-côté sud, mais dans une
ouverture réalisée spécialement
pour lui. La verrière a été
restaurée par l'atelier Gérente
en 1866.
Offert à Saint-Étienne par le chanoine
fabricien Nicolas Richer et son neveu,
le vitrail est daté de 1530 (année
inscrite par deux fois dans les panneaux). On
a coutume d'écrire que Jean Cousin père
(1490-1560) est l'auteur des cartons, mais on
n'en a aucune preuve.
L'histoire de saint Eutrope, contemporain du Christ,
est bien sûr légendaire. Fils du
roi de Babylone, il visite Hérode et sa
cour. Entendant parler de Jésus, il part
à sa rencontre, le trouve au moment de
la Multiplication des pains. Plus tard, il reviendra
et le verra au moment de son entrée triomphale
à Jérusalem. Il sera présenté
au Christ par l'apôtre Jude. Ses parents
et lui seront convertis à la foi chrétienne.
Puis Eutrope se rend à Rome où Pierre
le charge d'évangéliser la Gaule.
À Saintes, il subit un échec. Il
revient avec le titre d'évêque, envoyé
par le successeur de Pierre, le pape Clément,
et vit en ermite. Il prêche et convertit
Estelle, fille d'un roi local. Celui-ci, furieux,
fait assassiner Eutrope par les bouchers de la
ville. Estelle veille à son ensevelissement.
Le lieu en sera sa cabane d'ermite, là
où l'on édifiera plus tard une basilique
et où se produiront de nombreux miracles.
Notons que, sur le vitrail, des textes en vieux
français accompagnent les panneaux.
Le quadrilobe du tympan abrite le Christ, la main
posée sur un orbe. Les quatre évangélistes
l'entourent. Au-dessous, une Annonciation. Le
soubassement reçoit les armoiries du chanoine
Guillaume du Plessis, fondateur de la chapelle
Saint-Eutrope en 1317. Dans un panneau, le chanoine
offre la maquette de la cathédrale à
Eutrope. Or la maquette est enrichie d'un transept,
qui n'a été achevé qu'au
début du XVIe siècle. C'est donc
une incohérence car Guillaume du Plessis
n'a pas pu la connaître.
Sources : 1) Les
vitraux de la cathédrale de Sens, éditions
APROPOS ; 2) Corpus Vitrearum (Vitraux
de Bourgogne, de Franche-Comté et de Rhône-Alpes.)
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Le pape Clément sacre Eutrope évêque
de Saintes, détail de la baie 34. |
Baie 34, Rose du tympan : Les quatre évangélistes
entourent le Christ. |
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Baie 34, registre inférieur : 1) Le Baptême d'Eutrope
; 2) Le pape Clément sacre Eutrope évêque de Saintes
;
3) Eutrope prêche à Saintes et convertit Estelle, fille
d'un roi local ; 4) Le Martyre de saint Eutrope, tué par les
bouchers de la ville sur ordre du roi. |
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L'apôtre Jude montre à saint Eutrope, arrivé
en Palestine, le Christ et ses disciples.
L'arrière-plan reçoit une intéressante
architecture Renaissance. Baie 34, Vie de saint Eutrope. |
«««
Le Martyre de saint Eutrope
Le père d'Estelle, furieux de voir sa fille convertie
à la foi chrétienne, ordonne aux bouchers
de tuer Eutrope.
Sur la droite, le chanoine du Plessis, offre au saint
évêque la maquette de la cathédrale
de Sens. Elle est représentée avec le transept
de 1530 que le chanoine, qui vivait au XIVe siècle,
n'a pu connaître. |
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LE TRANSEPT DE LA CATHÉDRALE SAINT-ÉTIENNE
ET SES VITRAUX RENAISSANCE |
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Le croisillon nord du transept et la grille du chur. |
ROSE NORD : CONCERT CÉLESTE ET ARCHANGE
GABRIEL |
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La Vierge dans l'Annonce à Marie.
Détail des Apparitions de l'Archange Gabriel dans la
baie 119. |
L'archange Gabriel annonce à Zacharie la future naissance
de Jean-Baptiste.
Détail des Apparitions de l'Archange Gabriel dans la
baie 119. |
Les Justes attendent leur délivrance dans les limbes
(vers 1517-1519)
Les Apparitions de l'Archange Gabriel dans la baie 119. |
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L'architecture
du transept. Comme le montre, le texte de
Charles Porée paru lors du Congrès archéologique
d'Avallon en 1907 (voir ci-dessous),
le chapitre s'efforça pendant cinquante ans de
remplir ses caisses avant de charger le talentueux et
très renommé architecte Martin Chambiges
de la construction du transept de la cathédrale.
Pourquoi bâtir un transept? Aucun document d'époque
ne donne la réponse. Était-ce pour gagner
en luminosité? Était-ce pour honorer le
statut de l'édifice, cathédrale d'un archevêché,
et imiter les autres grandes cathédrales de France?
En 1491, la construction du transept commença
par le croisillon sud (qui donne sur la cour de l'archevêché).
Un premier chantier, qui avait le même objectif,
y avait déja été ouvert au XIIIe
siècle, mais il était resté inachevé.
Le portail
de Moïse, bâti selon les dessins de maître
Chambiges, fut achevé avant 1496. Le sculpteur
Pierre Gramain fut sollicité pour la décoration
du portail. En juin 1500, tous les remplages des baies
étaient en place. En novembre de la même
année, on fit appel à trois maîtres
verriers troyens, Liévin Varin, Jean
Verrat et Blathazar Gondon pour les vitraux
qui devaient être livrés deux ans plus
tard. C'est parmi ces verrières que l'on trouve
une version originale de l'Arbre
de Jessé.
En octobre 1500, Hugues Cuvelier (en quelque
sorte le bras droit de Martin Chambiges, lui-même
retenu sur les chantiers de Troyes
ou de Beauvais)
jeta les fondations du croisillon
nord (qui donne sur le cloître des moines).
Pour rendre les deux croisillons symétriques,
il fut nécessaire d'abattre la travée
ouest de la chapelle
Saint-Jean-Baptiste. Cette fois, le chantier prit
plus de temps. On refit appel à Pierre Gramain
pour les sculptures (dont certaines sont encore en place
dans les voussures du
portail Saint-Jean-Baptiste) et aux maîtres
verriers Jean Hympe, père et fils pour les vitraux.
Parmi ceux-ci, on note la splendide rose des anges musiciens,
appelée aussi Le
Concert céleste. Le tout fut achevé
vers 1515-1517.
La structure architecturale dessinée par maître
Chambiges est audacieuse : au nord et au sud, deux travées
rectangulaires dont la hauteur est un peu supérieure
à celle de la nef ; deux niveaux d'élévations
; pas de triforium, mais un système de fenêtrage
plus complexe ; voûtes quadripartites ; enfin
façades creusées de deux grandes roses.
Compte tenu de la renommée de Martin Chambiges
et de la présence à ses côtés
d'Hugues Cuvelier, l'historien Charles Porée,
dans son article pour le Congrès archéologique
d'Avallon en 1907, se pose la question du qui a fait
quoi? Il suit donc à la trace l'architecte
et son second, et écrit : «Ainsi,
la construction du transept avait duré un quart
de siècle. Chambiges avait dirigé effectivement
les travaux pendant quatre ans. Après son départ,
en mai 1494, Cuvelier prend le titre de "maître
d'uvre de la croisée". Mais c'est
sur les plans de Chambiges qu'il travaillait et Chambiges,
même alors qu'il travaillait au transept de la
cathédrale
de Beauvais ou à la façade de celle
de Troyes, continuait à exercer sa surveillance
et son contrôle sur les travaux de Sens. En 1497,
au commencement de février, il passe une semaine
à Sens, "pour visiter l'uvre",
alors fort avancée. Nouveau voyage vers le mois
de mai de l'année suivante. À Paris, il
négocie l'achat de pierres de liais destinées
au remplage des baies et il continue l'année
suivante ses bons offices. En reconnaissance, le Chapitre
lui envoie, à titre de cadeau, une paire de chaussures.
Dans un compte de 1498, il est qualifié de "maître
de l'entreprise et conducteur de la croisée".
Il avait donc bien la haute direction de l'uvre
et se reposait sur Cuvelier pour l'exécution
et les détails.» En revanche, si Chambiges
a bien dressé les plans du croisillon nord, c'est
Cuvelier qui assurait la direction, même si le
chapitre sollicitait les avis du maître. Charles
Porée continue : «(...) au cours des treize
années que dura la construction de cette partie,
les visites de Chambiges, retenu à Beauvais,
se firent plus rares et il ne vint à Sens qu'à
l'occasion de quelques-uns de ses voyages à Troyes.
Cuvelier doit donc partager avec lui l'honneur d'avoir
édifié le transept et, si la conception
ne lui en est pas due, c'est à lui du moins qu'en
revient le mérite de l'exécution. Quand
Chambiges se rendit pour la première fois à
Troyes,
en août 1502, il emmena avec lui Cuvelier. C'est
qu'il appréciait la valeur de ses avis et des
conseils suggérés par son expérience.»
Sources : 1)
Sens, première cathédrale gothique,
éditions APROPOS ; 2) Congrès
archéologique tenu à Avallon en 1907
(74e session), article sur la cathédrale de Sens
par Charles Porée.
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ROSE NORD : CONCERT CÉLESTE ET APPARITIONS
DE L'ARCHANGE GABRIEL
(Baie 119) - 1502 |
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Baie 119 : LE CONCERT CÉLESTE dans la rose
et les APPARITIONS DE L'ARCHANGE GABRIEL dans la partie basse
(vers 1517-1519). |
La
rose nord : le concert céleste et les Apparitions
de l'Archange Gabriel. Le Concert céleste
est l'un des plus beaux spectacles qu'un vitrail puisse
offrir en France. Soixante-deux anges musiciens, dont
quinze sur fond rouge et quarante sur fond bleu, jouent
de trente-deux instruments différents. Hormis
les figures qui se trouvent sur la ligne centrale (dont
le Christ), il y a une parfaite symétrie dans
les vitraux, tout simplement parce que les patrons ont
été retournés. Sur fond rouge se
trouvent plutôt les instruments des grandes cérémonies
; sur fond bleu, les instruments de chambre. Ce sont
évidemment les instruments de l'époque
(viole, harpe, luth, cor, flûte, etc.). Le Christ
se tient au centre de la rose.
L'ensemble de la verrière fait 13 mètres
de haut sur 9 mètres de large. Datée par
le Corpus Vitrearum des années 1517-1519,
posée vers 1528, elle a rapidement réuni
tous les suffrages, mais une paire de jumelles demeure
indispensable pour en voir les détails. Son donateur
est Gabriel Goufier, doyen du chapitre, ses auteurs
sont les verriers sénonais, Jean Hympte fils
et Tassin Gassot.
La partie basse illustre cinq apparitions de l'Archange
Gabriel, regardé comme le messager de Dieu. De
gauche à droite : apparition au prophète
Daniel et prédiction de la résurrection
des Justes de l'Ancienne Loi ; apparition à Zacharie,
futur père de Jean-Baptiste ; apparition à
Marie, mère de Jésus ; le triomphe
de l'Église sur la Synagogue ; apparition à
Daniel et explication de sa vision des derniers temps.
Dans cette dernière lancette, l'Archange Michel
frappe l'Antéchrist qui tombe dans les enfers,
tête la première. La verrière a
été restaurée par l'atelier Gaudin
en 1899, mais à un faible degré.
Sources : 1) Corpus Vitrearum,
les vitraux de Bourgogne, Franche-Comté et Rhône-Alpes,
éditions du CNRS ; 2) Les vitraux de la cathédrale
de Sens, éditions A PROPOS.
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Un damné emmené par deux démons. |
Une sirène démoniaque. |
Une sirène portant deux attributs non déterminés. |
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CULOTS DANS LES CROISILLONS
DU TRANSEPT (XIIe siècle) |
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Qui a
payé la construction du transept? Lorsqu'on
passe à proximité d'un grand édifice
médiéval, on se pose parfois la question : «Comment
a-t-on pu construire cela sans les moyens techniques que nous
connaissons aujourd'hui?» Nous connaissons les réponses.
Mais on ne se pose que rarement l'autre question cruciale
: «Qui a payé?». Il se trouve que pour
la construction du transept de la cathédrale de Sens,
à la toute fin du XVe siècle, l'historien Charles
Porée a trouvé dans les archives de l'Yonne
de quoi rassasier la curiosité du lecteur. Cet érudit
s'étend sur le sujet dans son étude sur la cathédrale
à l'occasion du Congrès archéologique
tenu à Avallon en 1907 (74e session). Lisons le paragraphe
issu de ses recherches :
«Les revenus de la fabrique, qui, dans la première
moitié du XIVe siècle, avait [sic] atteint et
parfois dépassé 1.000 livres, étaient
tombés, cinquante ans plus tard, à moins de
100 livres par an. L'archevêque Louis de Melun dut ordonner,
en 1440, pour assurer l'entretien de la cathédrale,
une quête générale. On fit appel à
la générosité des fidèles par
tous les moyens : les reliques les plus précieuses
de l'église furent confiées à des quêteurs
qui se répandirent dans toute la province et portèrent
leurs châsses jusqu'en Poitou ; quarante jours d'indulgences
furent accordés à ceux qui donneraient à
la fabrique la moitié de ce que leur coûtait
leur nourriture d'une semaine ; les prédicateurs furent
priés de recommander l'uvre dans leurs sermons
et les curés invités à exciter, aux confessions
de Pâques, la charité de leurs ouailles. Chaque
église du diocèse avait sa "boete",
où les paroissiens déposaient, avec "l'obole
de chrétienté", leurs offrandes à
l'uvre de la cathédrale. Dans la cathédrale
elle-même, trois troncs, surmontés d'un tableau
des indulgences, étaient placés devant la chapelle
Notre-Dame, l'autel Saint-Louis et le Sépulcre.»
Charles Porée rappelle ensuite la liste des revenus
habituels de la fabrique : les cens et les fermages des terres
en sa possession, les legs des testateurs, une partie des
recettes collectées par les uvres de bienfaisance
(les Quinze-Vingts et l'hôpital de Saint-Jacques-du-Hautpas
sollicitaient en effet les aumônes dans le diocèse),
une partie du produit des offrandes imposées par le
pénitencier. À toutes ces recettes il faut encore
ajouter les amendes infligées par l'official, les droits
de chape acquittés par les chanoines et les évêques
suffragants lors de leur réception. Et Charles Porée
termine : La fabrique «tirait enfin profit du résidu
des cierges et des images de cire, offerts par les fidèles
et non entièrement consumés, des vêtements
des trépassés placés sur les cercueils
et vendus à l'encan après les obsèques,
des vieux matériaux de l'uvre, pierres, tuiles,
bois à brûler, et des objets de culte hors d'usage.»
Ceux qui ont lu la somme du père dominicain Henrich
Denifle, La désolation des églises, monastères
et hôpitaux en France pendant la guerre de Cent Ans,
savent qu'il y a loin du dogme à la pratique. Les chevauchées
anglaises, celles d'Édouard III et du Prince noir,
au cours du XIVe siècle, aggravées par celles
des Compagnies, puis le retour des vagues de pillage au XVe
siècle avec le roi anglais Henri V et le duc de Bedford
avaient tellement sapé l'économie française
qu'elle s'approcha de la ruine.
C'est pourquoi Charles Porée écrit à
propos des revenus de la fabrique de la cathédrale
: «Toutes ces ressources, presque réduites à
néant au cours de la guerre de Cent ans, augmentèrent
quand, avec la paix, la prospérité fut revenue.
Dans la seconde moitié du XVe siècle les recettes
de la fabrique suivirent une marche ascendante et, dès
1465, le Chapitre pouvait porter chaque année, en réserve,
plus de 150 livres dans son coffre du trésor, en vue
de la construction projetée du transept. C'est avec
les économies ainsi réalisées que la
croisée fut entreprise en 1491. Sans doute eussent-elles
été insuffisantes si le Roi n'avait accordé
un secours annuel de 400 livres pendant six ans et l'octroi
de 5 deniers par minot de sel vendu dans tous les greniers
de la province.» On pourra lire avec intérêt
d'autres développements sur le thème du Qui
a payé? aux pages sur la cathédrale
d'Amiens, sur l'église Notre-Dame
à Dole dans le Jura.
La fin de la guerre de Cent Ans a été marquée
par une renaissance économique qui a saisi, peu ou
prou, l'ensemble de la France. À l'image du renouveau
des moyens de financement pour la cathédrale de Sens,
il arrive fréquemment, dans l'histoire des anciennes
églises, de trouver que les sources médiévales
- souvent rédigées par des chanoines - fassent
état de restaurations entreprises dès la fin
de la guerre (1453). Pourtant on peut lire dans l'introduction
du gros ouvrage de Florian Meunier sur Martin et Pierre Chambiges
(éditions Picard, 2015) l'opinion suivante : «(...)
les études d'histoire économique ont depuis
longtemps établi qu'après les derniers conflits
de la guerre de Cent Ans, la reprise de la production agricole
et des échanges n'avait porté ses premiers fruits
que dans les vingt dernières années du XVe siècle
sur la majeure partie du territoire français. Les églises
commencées dans la première moitié ou
au milieu du XVe siècle peuvent être désormais
regardées comme des exceptions, elles-mêmes restreintes
à l'Ouest de la France (Normandie, Val de Loire et
Bretagne).» Et Florian Meunier ajoute un dernier commentaire
touchant le contexte parisien : «À Paris même,
qui reste un foyer architectural en avance sur le reste du
royaume, il est maintenant assuré que la plupart des
églises flamboyantes furent construites entre 1480
et 1520.» Suite plus
bas »»
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Deux anges jouant du
tambour de basque et de la double flûte
dans le Concert céleste (baie 119). |
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Détail du Concert céleste dans la baie 119.
Sur fond bleu, les anges jouent des instruments de musique de
chambre.
Sur fond rouge, ils jouent avec des instruments pour les grandes
cérémonies. |
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»» Qui
a payé la construction du transept?
(suite et fin)
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les
restaurations des églises et des monastères
menées bien avant 1480 ne sont pas en contradiction
avec ces analyses historiques rappelées par Florian
Meunier, mais elles en sont le complément. Dans
son ouvrage sur la désolation des églises
en France, Henrich Denifle énumère les
pillages, les dévastations, les ruines de bâtiments
et les incendies qui consument les champs et toutes
les maisons en bois. Mais il rappelle aussi que, une
fois les fléaux passés, une fois le climat
apaisé, les gens reprenaient espoir et se mettaient
sans tarder à reconstruire. Cependant un constat
s'impose : refaire la charpente d'une chapelle, rebâtir
le mur d'une maison en bois, restaurer pierre à
pierre l'élévation d'une église,
ou plus simplement encore se remettre à cultiver
un champ dévasté ne peuvent pas être
regardés comme les éléments d'une
reprise économique. Toutes ces actions - même
si elles sont indispensables - s'insèrent dans
un cadre local très restreint. On ne peut pas
parler de reprise économique parce qu'il n'y
a pas d'échanges, seuls facteurs de création
de richesses à l'échelle d'une contrée,
d'une région ou d'un pays.
Ce que décrit Charles Porée est même
l'illustration de la règle générale
de reprise économique à partir des années
1480 en France. À Sens,
dès 1440, pour remplir ses coffres, le Chapitre
de la cathédrale lance une sorte de politique
de harcèlement des fidèles : il faut convaincre
la population de donner une petite partie de ses revenus,
encore faibles. De fait, cette ponction dure cinquante
ans et nous conduit à l'année 1490 avec
Martin Chambiges et le démarrage de la construction
du transept. Nous sommes au cur des deux dernières
décennies du XVe siècle. Les affaires
reprennent, les échanges commerciaux repartent.
La reprise économique est là.
Sources : 1) Congrès
archéologique tenu à Avallon en 1907,
article sur la cathédrale de Sens par Charles
Porée ; 2) Martin et Pierre Chambiges, architectes
des cathédrales flamboyantes par Florian Meunier,
Éditions Picard, 2015 ; 3) La désolation
des églises, monastères et hôpitaux
en France au temps de la guerre de Cent Ans, Henrich
Denifle, 1899.
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L'annonce à Daniel de la résurrection
des Justes de l'Ancienne Loi.
En bas, les Justes attendent dans les limbes.
(Apparitions de l'Archange Gabriel dans la baie 119). |
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«««
À GAUCHE
Le Triomphe de l'Église sur la Synagogue
dans les Apparitions de l'Archange Gabriel (baie 119).
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La Synagogue est représentée
les yeux bandés,
les tables de la Loi refermées et l'étendard
brisé.
Elle tient un calice renversé à la main.
En face d'elle, l'Église est dardée des
rayons lumineux qui viennent du Christ. Elle porte l'Évangile
ouvert,
la croix et un calice avec l'Eucharistie.
Le donateur est agenouillé humblement
devant l'Archange. |
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Gabriel explique à Daniel la vision que celui-ci a eue
sur les derniers temps.
Dans la partie supérieure, l'Archange Michel terrasse
l'Antéchrist.
Détail de la baie 119 dans le croisillon nord du transept.
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ROSE SUD : JUGEMENT DERNIER ET VIE DE SAINT
ÉTIENNE (Baie 120) |
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La Cour Céleste avec saint Étienne en tête
et saint Jean-Baptiste
reconnaissable à sa tunique couverte de poils de chameau.
(Le Jugement dernier de la baie 120) |
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LA ROSE SUD : JUGEMENT DERNIER ET VIE DE
SAINT ÉTIENNE (Baie 120) - 1502 |
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La
rose sud : le Jugement dernier et la Vie de saint Étienne.
Cette grande verrière, haute de seize mètres,
uvre des maîtres troyens Varin, Verrat et
Godon, date de 1502. La rose en elle-même
contient des scènes typiques du Jugement. Au
sommet, le Christ est entouré de séraphins.
Au-dessous vient la Cour céleste avec, d'un côté,
la Vierge, saint Jean et saint Pierre ; de l'autre,
saint Étienne, saint Jean-Baptiste et trois autres
saints (ces cinq personnages sont donnés plus
bas). La partie basse de la rose est celle qui attire
au premier chef le regard du visiteur : on y voit des
morts qui sortent de leurs tombeaux et des démons
rouges, bleus et verts qui entretiennent le chaudron
bouillant où rôtissent les damnés.
Au-dessous de la rose, la claire-voie est constituée
d'une série de lancettes consacrées à
saint Étienne. Les armes du roi Charles VIII
et de la reine Anne de Bretagne surmontent ses extrémités
droite et gauche (Charles VIII a fourni des ressources
pour les travaux sur le croisillon sud en 1496). Les
scènes illustrent deux chapitres des actes des
apôtres. Parmi les plus traditionnelles, on trouve
: Étienne est choisi avec six autres diacres
; des Juifs reprochent à Étienne ses propos
blasphématoires ; Étienne est lapidé,
Saül étant spectateur (panneau ci-dessous)
; le corps d'Étienne reste un jour et une nuit
abandonné par tous, mais préservé
des bêtes sauvages (panneau ci-dessous)
; le corps du protomartyr est enterré.
La verrière a été restaurée
en 1898-1900 par l'atelier Gaudin, puis par celui de
David en 1930. Elle a malheureusement été
endommagée par la grêle en 1971. Il semble
que la belle tête du démon rouge qui surveille
le chaudron soit une recréation.
Sources : 1) Corpus Vitrearum,
les vitraux de Bourgogne, Franche-Comté et Rhône-Alpes,
éditions du CNRS ; 2) Les vitraux de la cathédrale
de Sens, éditions A PROPOS.
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LE JUGEMENT DERNIER ET LA VIE DE SAINT ÉTIENNE
dans la ROSE SUD de la baie 120 (année 1502). |
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Le Jugement dernier dans la baie 120 : les morts sortent de leurs
tombeaux comme s'ils s'éveillaient d'un long sommeil (verrière
de l'année 1502). |
Un démon rouge surveille les damnés plongés
dans le chaudron.
Le vitrail prend un tout autre aspect
quand le remplage qui l'abrite est affiché en relief. |
Le Jugement dernier : un démon de l'enfer |
Le chaudron de l'enfer et les morts qui sortent de leurs tombeaux
dans le Jugement dernier de la baie 120 (1517-1519). |
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Baie 120 : La Lapidation du diacre Étienne,
Saül (le futur saint Paul) est assis, en observateur, sur
la gauche. |
Baie 120 : le corps d'Étienne, abandonné,
est préservé des bêtes sauvages. |
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VITRAIL DE L'ARBRE DE JESSÉ (baie 116)
- 1503-1504 |
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Élévation du croisillon sud du transept, côté
est.
En bas, entrée dans le déambulatoire et entrée
de la chapelle Notre-Dame.
En haut, verrières de l'Arbre de Jessé et de saint
Nicolas. |
Les Rois de Juda dans l'Arbre de Jessé de la baie 116. |
Un roi de Juda dans l'Arbre de Jessé. |
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L'Arbre
de Jessé. Bien des églises
construites à la Renaissance possèdent
un Arbre de Jessé (voir commentaire)
dans leurs vitraux, mais voir un Arbre sur fond rouge
est plus rare. C'est la particularité de celui
de Saint-Étienne de Sens. Cette grande verrière
de 12 mètres sur 4 mètres 20, qui resplendit
dans le croisillon sud du transept à côté
de celle de saint Nicolas (photo ci-contre) date de
1503-1504. Offerte par l'archidiacre de Provins,
elle est l'uvre des maîtres verriers troyens
Jean Verrat, Liévin Varin et Balthazar Godon.
La verrière se découpe en trois parties
: dans les deux lancettes centrale, l'Arbre de Jessé
en lui-même ; dans les parties latérales
basses, huit prophètes ; dans celles du haut,
quatre scènes de l'Ancien Testament.
L'Arbre de Jessé est destiné à
montrer l'origine royale du Christ via David, Salomon
et les rois de Juda. Et le Christ en était jusqu'au
XVe siècle le fleuron culminant. L'Arbre de Sens
marque une évolution notable dans ce thème
artistique car c'est désormais Marie qui va prendre
ce rôle. On trouve la Vierge au bas de l'Arbre,
juste au-dessus de Jessé, dans une Annonciation.
Au-dessus, une scène qui, selon les sources,
est exceptionnelle dans un vitrail : la Pucelle devant
la licorne. Selon la croyance médiévale,
quand la licorne voyait la pucelle, elle s'en allait
se coucher dans son giron, ne lui faisait aucun mal
et s'endormait. Cette image symbolise l'Incarnation.
Le roi David porte sous son bras une petite harpe. En
face de lui, se tient vraisemblablement son fils, Salomon.
Suivent au-dessus quelques rois de Juda qui, comme souvent,
ne sont pas reconnaissables. Enfin, au sommet, Joseph,
qui tient un sceptre à la main car il est race
royale, fait face à Marie qui tient l'Enfant
dans ses bras.
Dans les lancettes latérales, on trouve d'abord
huit prophètes qui tiennent des phylactères
où figurent leurs messages annonciateurs de la
venue du Christ, puis au-dessus, quatre scènes
de l'Ancien Testament qui, elles aussi, annoncent l'Incarnation
: Moïse et le buisson ardent ; Mélchisédech
officiant ; Gédéon appelant la rosée
du ciel sur la toison de bélier ; Ézéchiel
devant la porte fermée du temple de Jérusalem.
L'ensemble a été restauré par Émile
Hirsch en 1883. Selon le Corpus Vitrearum, le
vitrail est assez bien conservé.
Sources : 1) Corpus Vitrearum,
les vitraux de Bourgogne, Franche-Comté et Rhône-Alpes,
éditions du CNRS ; 2) Les vitraux de la cathédrale
de Sens, éditions APROPOS.
On pourra voir également le très
bel Arbre de Jessé d'Engrand le Prince
à l'église Saint-Étienne
de Beauvais
et celui de Jehan II Macadré à
l'église Sainte-Madeleine
de Troyes.
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L'ARBRE DE JESSÉ dans la baie 116
1503-1504. |
Le
donateur du vitrail de l'Arbre de Jessé,
photo à droite »»
Le vitrail ci-contre montre le donateur, le chanoine
Louis la Hure, agenouillé entre
les prophètes Ézéchiel et
Daniel. Le vitrail coûta 120 livres tournois.
Le chanoine se proposa de le rembourser en douze
paiements annuels de dix livres. L'histoire raconte
qu'on attendit le dernier versement pour insérer
dans la verrière les panneaux qui le représentaient.
Et ceci à la place du verre blanc qu'on
y avait mis jusque-là (sûrement sur
instruction du chapitre).
Source : Les vitraux
de la cathédrale de Sens, éditions
APROPOS.
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Les prophètes Nahum et Zacharie. |
Melchisédec officiant. |
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Jessé, l'Annonciation, la Licorne et des rois de Juda dans
l'Arbre de Jessé. |
Les Rois de Juda dans l'Arbre de Jessé de la baie 116. |
L'Archange Gabriel dans l'Annonciation. |
La Vierge dans l'Annonciation. |
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VITRAUX DE L'INVENTION ET DE LA TRANSLATION DES
RELIQUES DE SAINT ÉTIENNE (Baies 122 & 124) - 1502 |
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LA TRANSLATION DES RELIQUES DE SAINT ÉTIENNE
Baie 124, année 1502. |
L'Invention
et la Translation des reliques de saint Étienne.
Les deux verrières datent de 1502. Comme
l'Arbre
de Jessé, elles sont l'uvre des maîtres
verriers troyens Jean Verrat, Liévin
Varin et Balthazar Godon. On ne sait rien
du donateur de l'Invention. En revanche, la verrière
de la Translation a été offerte
par François d'Alègre, Grand-maître
des Eaux et Forêts.
En langage religieux, invention veut dire découverte.
La première verrière raconte donc l'histoire
de la découverte des reliques du protomartyr,
mort lapidé à Jérusalem quelque
temps après la Crucifixion. Les scènes
du vitrail sont construites selon ce que rapportent
les Actes des Apôtres, récit repris
par Jacques du Voragine dans la Légende dorée.
Pour avoir les détails de l'Invention des reliques,
on se reportera à la célèbre verrière
du début du XIVe siècle sur le même
thème que l'on voit à l'abbatiale Saint-Ouen
à Rouen.
La Translation des reliques est l'histoire du
transport par mer de la dépouille du saint de
Jérusalem jusqu'à Constantinople. Le bateau
essuie une tempête, apaisée par saint Étienne
lui-même. Une fois qu'il est arrivé au
port, l'empereur veut faire transférer la dépouille
dans son palais. Au cours du trajet, les deux mules
qui tirent le chariot s'arrêtent et rien ne peut
les faire avancer. On comprend que c'est un signe divin.
Une église est alors bâtie à cet
endroit. Il est intéressant de noter que les
cartons de l'époque mettent l'accent sur les
maçons (voir photo plus
bas). Un panneau illustre leur travail et les outils
qu'ils emploient : la truelle et l'oiseau (matériel
de portage qu'un ouvrier véhiculait sur son dos
pour acheminer divers matériaux). La procession
des escargots en haut du deuxième registre est-elle
un trait d'humour de l'auteur du carton? Signifie-t-elle
que la construction a été très
longue? Dans l'Invention des reliques, il est
aussi question de la construction d'une église
à Jérusalem. Là encore, le panneau
met en scène les ouvriers et leurs outils (voir
plus
bas).
Suite du récit : À Rome, l'empereur
Théodose veut échanger la dépouille
de saint Étienne contre celle de saint Laurent.
En effet, sa fille Eudoxie est possédée
par un démon et, pour sortir du corps de la jeune
fille, le démon exige que le corps d'Étienne
repose à Rome ! Une fois dans la Ville, les porteurs
du corps d'Étienne ne peuvent aller plus loin
que l'église où repose saint Laurent.
Étienne est donc enterré à côté
de Laurent. Quand les délégués
de Constantinople veulent s'emparer du corps de Laurent
(selon l'échange prévu), »»
|
|
»»
ils sont précipités à
terre par une force invisible. Les deux dépouilles
resteront donc à Rome, côte à côte.
Quant aux délégués qui ont ouvert
le sarcophage de saint Laurent, frappés d'un
mal mystérieux, ils mourront quelques jours après.
La verrière de l'Invention des reliques
a été restaurée en 1850 et 1900.
Un orage de grêle l'a endommagée en 1971
et 1981. La verrière de la Translation
des reliques semble être en meilleur état.
Le Corpus Vitrearum indique seulement qu'elle
a été restaurée au milieu du XIXe
siècle.
Sources : 1) Les vitraux
de la cathédrale de Sens, éditions
APROPOS ; 2) Corpus Vitrearum (Vitraux de Bourgogne,
F.-Comté, Rhône-Alpes.)
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Un sénateur de Constantinople, séjournant à
Jérusalem, a fait construire une église en l'honneur
de saint Étienne. À sa mort, son épouse,
Julienne, enterre son corps dans l'église.
Vitrail de l'Invention des reliques de saint Étienne,
1502. |
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La
translation des reliques. Le panneau ci-contre,
extrait de la Translation des reliques de saint
Étienne, montre un «transport» qui
est aussi une cérémonie somptueuse. L'évêque
et les clercs ont revêtu leurs habits d'officiants.
Crosse et croix sont brandies fièrement. Dans
son ouvrage sur les origines du culte des martyrs,
publié en 1912, le père bollandiste Hippolyte
Delehaye nous donne quelques indications sur ces
fameuses translations.
Le corps d'Étienne va d'abord de Jérusalem
à Constantinople, puis de Constantinople à
Rome. Or, à cette époque (IVe, Ve siècles
et après), le cérémonial de la
translation est différent entre le monde romain
et le monde byzantin. À Rome, la loi des Pères
de la République est toujours en vigueur. «Défense
de troubler le repos d'un mort ne fût-ce qu'en
déplaçant son sarcophage, défense
surtout de porter sur ses restes une main sacrilège»,
écrit H. Delehaye. Un mort est enterré
en dehors de la ville, souvent au bord d'une route.
Sa tombe devient de facto un sanctuaire. Cette
tradition romaine s'inséra parfaitement dans
la mentalité chrétienne des premiers âges
et dans le respect voué aux corps des martyrs
: une fois le tombeau refermé, il n'y avait plus
de danger de profanation. Ainsi, H. Delehaye écrit :
«En Occident, à Rome du moins, l'usage
antique fut longtemps gardé, et nulle part les
reliques des saints ne furent mieux honorées
ni mieux à l'abri de toute dévotion indiscrète.»
Ce souverain respect dura des siècles. Pour preuve,
H. Delehaye rapporte l'épisode de Constantine,
femme de l'empereur byzantin Maurice. Nous sommes au
VIe siècle et celle-ci souhaite que le chef de
l'apôtre Paul ou une autre partie de son corps
repose dans la nouvelle église du palais, justement
dédiée à saint Paul. Elle s'adresse
donc au pape Grégoire. Qui refuse et s'en excuse.
Il ne le peut pas et il ne l'ose pas. H. Delehaye nous
donne les arguments du pape : «Des exemples récents
montrent à quels dangers terribles s'exposent
ceux qui troubleraient les restes sacrés des
apôtres ou des saints martyrs. Il rappelle notamment
que le tombeau de S. Laurent ayant été
ouvert par mégarde [cf l'histoire rapportée
juste au-dessus],
tous ceux qui avaient jeté les yeux sur le saint
corps, même sans avoir eu la témérité
d'y porter la main, sont morts dans les dix jours.»
Un pape romain refuse une grâce à une impératrice
grecque pour des raisons de coutumes. Le fossé
est net entre Byzance et l'Occident. Néanmoins,
à Rome, on pratique la politique des brandea,
c'est-à-dire des linges et des étoffes
sanctifiés par le contact du tombeau, ou mieux
encore, par le contact du corps du saint de son vivant.
H. Delehaye rappelle que l'ancienne Rome était
très riche en reliques - païennes évidemment.
La nouvelle Rome, chrétienne, n'en possédait
pas. Et la mentalité romaine, opposée
aux transferts, ne pouvait pas envisager de dépouiller
des villes en sa faveur. Aussi se contentait-on d'ériger
des cénotaphes.
Dans le monde grec, à cette époque, on
ne comprend pas le respect de l'Occident envers les
morts. Les lois gérant les sépultures
n'y sont pas aussi rigoureuses que dans le monde romain.
Ce que d'ailleurs Rome respecte car, quand on demande
au pape quoi faire (puisque c'est lui qui décide),
il répond de suivre les usages locaux. C'est
bien dans le monde byzantin que naît l'usage de
la translation et de la division des reliques. La première
translation connue est celle de saint Babylas sur l'ordre
de Gallus, fait César (351-354) par l'empereur
Constance. De fait, Constance, qui n'entend pas se contenter
de cénotaphes, va être le grand initiateur
du transfert des reliques. Au cours du Ve siècle,
Constantinople va en faire venir à elle un grand
nombre. Et elle le fera en grandes pompes, avec un cortège
officiel et une foule toujours enthousiaste, parfois
tumultueuse. Ainsi, pour la réception d'un saint
martyr du Pont, l'empereur lui-même prend part
à la cérémonie, et «un cortège
naval, brillant de lumières» [saint Jean
Chrysostome rapporté par H. Delehaye] conduit
la précieuse dépouille au lieu qu'on lui
destine.
Mais la piété grecque ne s'arrêta
pas là. «On s'enhardit davantage, écrit
le père bollandiste, et l'on n'hésita
pas à porter la main sur ces restes sacrés,
à en distraire des parties plus ou moins notables,
parfois à les dissiper complètement.»
La division des reliques s'imposa comme pratique courante.
La relique en elle-même devint l'objet d'un culte
distinct et entretint «de pieuses convoitises
qui devaient souvent dégénérer
en passion désordonnée» [Delehaye].
Ainsi l'exemple du document connu sous le nom de Testament
des Quarante Martyrs. (Ce sont des soldats de la
légion thébaine qui, refusant de renier
leur foi, sont laissés nus, toute la nuit, sur
un lac gelé.) Conscients des risques encourus
par leur corps après leur mort, ils demandent
à être ensevelis ensemble et à ce
qu'aucun fidèle ne s'approprie la moindre parcelle
de leurs restes (!) Alors qu'ils respiraient encore,
disent les hagiographes, les martyrs sont livrés
aux flammes par l'autorité romaine et leurs cendres
jetées dans le fleuve. Par la suite, H. Delehaye
rapporte que bien des gens du monde grec, dont les futurs
saints Grégoire de Nysse et Basile, posséderont
chez eux des reliques des Quarante Martyrs...
En guise de conclusion, terminons par ce passage de
l'ouvrage d'Hippolyte Delehaye : «L'opposition
entre la consuetudo graecorum [la coutume grecque]
et la discipline romaine est nettement tranchée.
Rome ni aucun des pays soumis directement à son
influence ne connaissent ni ces grandes solennités
qui mettent toute la population sur pied, ni cette liberté
qu'on se donnait ailleurs d'ouvrir les cercueils et
d'enlever les cendres des morts. Je sais bien qu'à
Rome, du IIIe au Ve siècle, il y eut des translations
de corps de martyrs. Mais elles se firent dans des conditions
si spéciales et, semble-t-il, si parfaitement
légales que rien ne permet de les assimiler aux
transports de reliques accompagnés de cortèges
imposants, tels que l'Orient les aimait.»
Source : Les origines du culte des martyrs, Hippolyte
Delehaye, Bureaux de la société des Bollandistes,
Bruxelles, 1912.
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À DROITE »»»
Alexandre est sénateur à Constantinople.
Il séjourne à Jérusalem et fait construire
une église en l'honneur de saint Étienne.
Le carton le représente en train
de surveiller les ouvriers qui sont à l'uvre
avec leurs outils.
Vitrail de l'Invention des reliques de saint Étienne,
baie 124, année 1502. |
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Le corps d'Étienne est transporté dans le palais
de l'empereur de Constantinople,
Mais les mules s'arrêtent et refusent d'avancer, désignant
ainsi le lieu où les restes du saint doivent reposer.
On remarquera l'étrange procession des escargots en haut
des panneaux donnés ci-dessus et ci-dessous.
Vitrail de la Translation des reliques de saint Étienne,
baie 124, année 1502. |
Les mules ayant désigné l'endroit où saint
Étienne devait reposer, une église est construite.
L'auteur du carton a mis l'accent sur le travail des maçons
et sur leurs outils (truelle et oiseau).
Vitrail de la Translation des reliques de saint Étienne,
baie 124, année 1502. |
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VERRIÈRE DES PATRIARCHES ABRAHAM, ISAAC
ET JACOB (Baie 121) - 1516-1517 |
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Loth et son oncle Abraham combattent les rois du pays de Canaan.
En haut, scène de combat entre Loth et les rois ; Loth
est fait prisonnier.
En bas, Abraham attaque avec ses troupes et libère Loth.
Baie 121, atelier de Jean Hympe, vers 1516-1517. |
Verrière
des patriarches Abraham, Isaac et Jacob.
Cette grande verrière de 12 mètres sur
4 illustre l'histoire d'Abraham et de Jacob. Elle a
été réalisée par Jean
Hympe et son fils, et date de 1516-1517.
Abraham conquiert le pays de Canaan. Puis son neveu
Loth est fait prisonnier lors d'une guerre entre rois
voisins dans le pays de Sodome. Abraham lève
des troupes, attaque l'ennemi et délivre Loth
(panneaux ci-contre). Ces batailles sont, pour l'auteur
des cartons, l'occasion d'insister sur les combats,
les armures et les chevaux. Ensuite Abraham rencontre
Melchisédec. Trois anges lui annoncent qu'il
va avoir un fils de sa femme Sara, nonagénaire.
Il quitte Sodome avec ses deux filles. Puis, ci-contre,
Dieu le met à l'épreuve en lui demandant
de sacrifier son fils unique, Isaac. Abraham bénit
l'union de son fils avec Rebecca. Celle-ci donne bientôt
naissance à des jumeaux, Esaü et Jacob.
Les deux derniers panneaux (en bas, à droite)
montrent Esaü, rentrant bredouille de la chasse,
qui vend son droit d'aînesse à Jacob contre
un plat de lentilles. Enfin, par un subterfuge, Jacob
se fait passer pour son frère et reçoit
la bénédiction de son père Isaac
qui est devenu aveugle. La verrière est décrite
comme «assez restaurée en 1879» par
le Corpus Vitrearum.
Sources : 1) Les vitraux
de la cathédrale de Sens (APROPOS)
; 2) Corpus Vitrearum,
les vitraux de Bourgogne, F-Comté, Rhône-Alpes.
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Scènes de la vie d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.
En haut : Abraham se prépare à sacrifier son fils,
puis il consacre
son union avec Rebecca. En bas : Esaü vend son droit d'aînesse
;
Jacob reçoit la bénédiction de son père
Isaac.
Baie 121, atelier de Jean Hympe, vers 1516-1517. |
Abraham mène l'attaque pour délivrer son neveu,
Loth. |
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VERRIÈRE DE JACOB ET DE JOSEPH (Baie 117)
- vers 1516-1517 |
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Baie 117, JACOB ET JOSEPH, vers 1516. |
Verrière
de Jacob et de Joseph. Cette verrière
est la suite de la verrière précédente.
Datée de 1516, elle est due aussi à
Jean Hympe et à son fils, maîtres
verriers de Sens.
Nous ne reprendrons pas ici l'histoire très connue
de Joseph, que les exégètes placent en
parallèle avec celle de Jésus. Cependant,
quelques détails en sont donnés dans deux
registres ci-dessous. Comme s'en étonne l'ouvrage
collectif sur les vitraux de la cathédrale de
Sens, il est surprenant de constater qu'aucun panneau
n'illustre la joie du vieux Jacob qui retrouve son fils
Joseph, qu'il croyait mort.
Comme la précédente, la verrière
est décrite comme «assez restaurée
en 1879» par le Corpus Vitrearum.
Sources : 1) Les vitraux
de la cathédrale de Sens, éditions
APROPOS ; 2) Corpus
Vitrearum, les vitraux de Bourgogne, Franche-Comté,
Rhône-Alpes, éditions du CNRS.
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Troisième registre de la baie 117 : 1) Joseph est jeté
dans un puits par ses frères ; 2) Il est vendu à
des marchands ;
3) Ses frères annoncent sa mort à Jacob ; 4) En
Égypte, rentré au service de Putiphar, Joseph
fuit l'assiduité de l'épouse de celui-ci. |
Registre du bas de la baie 117 : 2) & 3) Joseph offre un
banquet à ses onze frères (qui ne l'ont toujours
pas reconnu) ;
4) La coupe d'argent est retrouvée dans le sac de Benjamin
; 1 ) Les frères se prosternent devant Joseph. |
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Documentation : «Sens, première
cathédrale gothique», éditions À PROPOS,
2014
+ « Les vitraux de la cathédrale de Sens», éditions
À PROPOS, 2013
+ «La cathédrale de Sens» d'Eugène Chartraire,
Petite monographie des grands édifices de la France, 1928
+ Congrès archéologique tenu à Avallon
en 1907 (74e session), article sur la cathédrale de Sens par
Charles Porée
+ Bulletin monumental, La cathédrale de Sens, 1982
+ Corpus Vitrearum, Les vitraux de Bourgogne, Franche-Comté
et Rhône-Alpes, Éditions du CNRS
+ «Les origines du culte des martyrs» d'Hippolyte Delehaye,
Bureaux de la société des Bollandistes, Bruxelles, 1912.
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