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Quand on quitte Nancy
par le sud et qu'on s'approche de Saint-Nicolas-de-Port, on ne peut
qu'être étonnés par la masse imposante de cette
église qui se dresse au milieu du paysage. Elle semble démesurée
pour une petite ville qui n'atteint pas dix mille habitants. C'est
qu'on pénètre en réalité dans une tranche
d'Histoire de la Lorraine, une époque où Le Port était
la principale ville marchande du duché ainsi qu'un important
lieu de pèlerinage. En 1950, l'édifice est devenu
basilique. Jusque-là, les Lorrains l'appelaient la «Grande
Église». Avec près de 90 mètres en longueur
et en hauteur, Saint-Nicolas compte parmi les édifices de
style gothique flamboyant les plus grandioses de France. Et l'abondance
de ses vitraux Renaissance
justifie largement une visite. Ces pages donnent un très
large aperçu de ces vitraux.
Initialement, le lieu de Port est un quartier commerçant
de la paroisse de Varangéville,
dépendant de l'abbaye de Gorze, elle-même rattachée
au diocèse de Metz. Port garde le pont qui enjambe la Meurthe.
C'est là qu'on charge les marchandises qui naviguent sur
la rivière : les métaux, le sel, le verre et surtout
les draps Si l'on ajoute à ce carrefour commercial (et aux
foires qui triplaient la population) le culte du puissant protecteur
qu'était saint Nicolas, on comprend l'importance de Port
au Moyen Âge et à la Renaissance. La ville connut son
apogée au début du XVIe siècle.
Le culte commença au XIe siècle avec une chapelle
enrichie d'une relique : une phalange du saint rapportée
de Bari en Italie. Au XIIe, le pèlerinage, surtout fréquenté
par les Bourguignons et la population des états «allemands»,
connut un succès considérable. Pour le gérer,
l'Église créa un prieuré. Saint Nicolas «guérissait,
délivrait les prisonniers, mariait les filles, protégeait
les embarcations et les voyageurs, sauvait les enfants», écrit
l'historienne Marie-Claire Burnand dans son ouvrage Lorraine
gothique. En 1195, une église, dont on ne sait rien,
remplaça la chapelle. Les ducs de Lorraine, qui encourageaient
le commerce et qui avaient compris son lien étroit avec le
pèlerinage, la comblèrent de terres, de bois, de droits
divers. En 1471, le roi René Ier d'Anjou offrit un bras-reliquaire
en or et pierres précieuses pour abriter la phalange du saint.
Des rois de France, Jeanne d'Arc, l'empereur allemand Charles IV
vinrent y prier.
Arriva enfin la profonde césure de l'année 1477. Le
4 janvier de cette année-là, la fameuse «Bataille
de Nancy», élément final de la lutte entre Louis
XI et Charles le Téméraire, commença par la
reprise de Port. Le dimanche 5, le duc de Lorraine assista à
la messe et, le même jour, battit la petite armée bourguignonne
qui envahissait ses terres. Le Téméraire avait succombé.
Dès lors, saint Nicolas fut consacré «père
de la Lorraine» par le duc René II et l'on décida
de construire, au Port, une église plus vaste.
La construction semble avoir commencé dès 1480, tout
au moins pour la recherche de financements. Ainsi, cette même
année, à la demande de la duchesse Yolande d'Anjou,
le pape Sixte IV autorisa la célébration d'un jubilé
pour récolter des fonds. On posa vraisemblablement la première
pierre en 1495. La construction doit beaucoup au dynamisme de Simon
Moycet, curé de la paroisse, membre d'une famille de
riches marchands et qui endossa le rôle officieux de maître
d'uvre du chantier. Ce clerc, qui fut aussi gouverneur du
prieuré et de la fabrique, consacra sa fortune à la
nouvelle église. Il reçut l'aide des ducs de Lorraine
et surveilla les travaux de près. La générosité
des pèlerins, celle de Charles Quint et les donations des
marchands firent le reste. Les papes accordèrent d'autres
jubilés en 1488 et 1502.
Il y eut probablement deux campagnes de construction (voir l'encadré
plus bas). La première s'acheva vers 1510-1515 avec l'élévation
de l'abside, du chur
et du début du transept. Une seconde équipe prit le
relais et termina l'édifice, mais dut appliquer une déviation
de six degrés pour des raisons sûrement topographiques.
En 1520, à la mort de Simon Moycet, il manquait toujours
la façade et les tours. L'église ne sera vraiment
achevée que vers 1560 grâce à un don de Marie
d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas : en 1549, de passage à
Saint-Nicolas, elle autorisa, pour achever les tours, la captation
par le chapitre de deniers qui lui revenaient. ---»»»
Suite en page 2.
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Cette page traite de l'architecture de
l'église (intérieure
et extérieure),
de son ornementation
et affiche les vitraux
modernes + texte sur les vitraux.
En page
2 : le chur, les vitraux de l'abside et des absidioles,
les verrières
des bas-cotés et de la façade
ouest.
En page
3 : les chapelles nord et leurs verrières.
En page
4 : les chapelles sud et leurs verrières.
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Vue d'ensemble de la nef de la basilique Saint-Nicolas.
Le décalage de six degrés entre la nef et le chur
est perceptible dès l'entrée dans l'avant-nef. |
La masse de la «Grande Église» écrase
les maisons aux alentours.
La basilique est vue ici depuis le nord-est. |
Architecture
extérieure (1/3). La masse de la «Grande
Église» s'impose dans le paysage portais.
Avec ses 87 mètres de long, ses 31 mètres
de large et sa hauteur sous voûte de 30 mètres,
l'église a pratiquement la taille d'une cathédrale.
Vu de loin, son transept a de quoi attirer l'attention.
Il possède en effet deux travées et donc
deux roses : un cas extrêmement rare. Les roses
de l'élévation nord (plus exactement nord-est)
sont données ci-contre. Autre aspect étonnant
: ce sont les bulbes qui coiffent les deux tours de
la façade et qui lui donnent un aspect un peu
germanique.
De manière toute classique, des chapelles latérales
occupent l'espace entre les contreforts qui s'élèvent
jusqu'à la base du couvrement. Deux petits portails,
au nord et au sud, de style gothique flamboyant,
viennent casser l'ordonnancement extérieur de
ces chapelles. Dans le portail sud, la voûte présente
même un beau chef
de saint Nicolas au-dessus d'une fine ciselure gothique.
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2/3
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Le chevet et l'élévation sud. |
Les deux roses du transept nord (début du XVIe siècle). |
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La façade occidentale et ses trois portails.
Toutes les statues des niches ont été brisées
en 1635 lors du sac de la ville par la soldatesque,
Aujourd'hui, on peut voir une belle statue de saint Nicolas au trumeau
du portail central.
Au-dessus de cette statue, les trois niches accueillaient jadis une
Crucifixion. |
Saint Nicolas sur le trumeau du portail central.
Premier quart du XVIe siècle.
Le saint bénit les trois enfants qui sortent
du saloir et qu'il vient de ressusciter.
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Console gothique sur la façade. |
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Architecture
extérieure (2/3). Le bas de l'élévation
nord nous rappelle que Saint-Nicolas-de-Port fut, vers
la fin du XVe siècle et pendant tout le XVIe,
la principale cité marchande de la Lorraine.
En effet, un pèlerinage ne pouvant exister sans
commerce, on trouve encore, au pied du mur gouttereau,
une succession de six loges de marchands, de
hauteur décroissante en allant vers l'ouest en
raison de la déclivité de la rue. Quatre
de ces niches en anse de panier sont données
dans une photo plus
bas.
La façade occidentale, élément
très homogène, demande un développement
particulier. L'historienne Marie-Claire Burnand dans
son ouvrage Lorraine gothique écrit qu'elle
«est, après celle de la cathédrale
de Toul, la plus belle de la Lorraine gothique».
Malheureusement, il n'y a aucune rue qui lui fait face.
La rue Simon Moycet, qui la borde transversalement,
se contente de dégager une petite place pour
le parvis. Conséquence : il est impossible de
prendre une photographie de la façade avec un
recul suffisant. À part les photos aériennes,
tout ce que l'on peut obtenir est une vue de biais.
La cathédrale
de Toul est plus avantagée.
La façade est à deux niveaux. celui du
bas s'offre à la photo, mais toujours de biais.
Les trois portails occidentaux ont des niches vides
: toutes les statues qu'elles abritaient ont été
détruites par la soldatesque en 1635, pendant
la guerre de Trente Ans. De belles consoles
gothiques subsistent néanmoins.
La seule statue de la façade est celle de saint
Nicolas sur le trumeau du portail central. Datée
du premier quart du XVIe siècle, on ne sait pas
à quelle époque elle a été
dressée là. Marie-Claire Burnand souligne
que l'élégance de cette uvre traduit
l'ambition de finesse et de légèreté
qui s'est emparée des sculpteurs aux environs
de l'année 1500. Qu'en était-il du style
des statues détruites? On ne le saura jamais.
Cette statue de saint Nicolas est attribuée par
l'historienne Suzanne Braun (Lorraine gothique
aux éditions Faton) au sculpteur champenois Jacques
Bachot, également auteur d'une Mise au tombeau,
malheureusement disparue.
Notons encore que certains auteurs ont vu en Jacques
Bachot le fameux maître de Chaource. Voir
à la chapelle Notre-Dame de Pitié l'attribution
possible d'une Piéta.
au maître de Chaource. ---»»
Suite ci-dessous.
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La façade de la «Grande Église».
Il n'y a aucune rue qui aboutit à la façade :
il est impossible de se tenir loin et de face.
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Architecture
extérieure (3/3). Dans les archivoltes
des portails, les sculptures des voussures ont également
disparu. La photo de la façade donnée
ci-dessus
montre que le tympan de ces portails avait été
prévu sans ornementation. À une exception
près : avec ses trois niches à fond
plat, le tympan du portail central devait accueillir
des statues sur socle, elles aussi brisées. On
a pensé à la représentation d'une
Crucifixion.
Au final, la partie restée à peu près
intacte est la frise au-dessus du gâble du portail
central. On y voit un Christ bénissant et deux
couples d'anges à l'attitude très élégante.
Les anges tiennent un écu qui est aujourd'hui
en tôle peinte. Les originaux, indique l'historien
André Philippe pour le Congrès archéologique
de France en 1933, étaient en pierre et
aux armes de Lorraine. Ils ont été eux
aussi brisés (probablement à la Révolution).
Ces anges en haut-relief méritent d'être
regardés de près. «(...) on admire
dans la composition une science de l'équilibre
et un balancement des attitudes qui évite la
symétrie, écrit André Philippe,
et cela, dans une note un peu archaïsante qui ajoute
encore à la grâce de l'ensemble.»
Notons aussi le magnifique garde-corps ajouré
de multiples mouchettes qui surplombe cette frise (photo
ci-dessous).
Au deuxième niveau, la rose centrale à
huit pétales (baie
219) a gardé son vitrail du XVIe siècle.
Culminant à près de 90 mètres,
les tours de Saint-Nicolas se voient de loin. Elles
possèdent deux étages à plan carré,
surmontés d'un troisième à plan
octogonal. Le bulbe original qui les coiffe agit comme
un signe distinctif de la Grande Église, quand
on approche de la ville. Ces deux bulbes sont d'ailleurs
dissymétriques. Selon l'historien Pierre Sesmat
(Congrès archéologique de France
tenu à Nancy en 2006), on s'interroge encore
beaucoup sur leur origine et leur forme.
Sous le bulbe de la tour nord s'étale une large
corniche enrichie de motifs gothiques. Mais il faut
une paire de jumelles pour la voir. L'ornementation,
donnée en gros plan plus
bas, est à trois registres : le premier porte
des fleurs de lys et des feuilles de chêne ; le
deuxième est une succession horizontale de médaillons
garnis de figures humaines, de fleurs et de formes géométriques
; le troisième porte des feuilles de choux. Notons
que les lys ne symbolisent évidemment pas le
royaume de France, mais la maison d'Anjou et son alliance
avec celle de Lorraine.
Sources : 1) «Lorraine
gothique» de Marie-Claire Burnand, éditions
Picard, 1989 ; 2) «La
basilique de saint Nicolas en Lorraine», Association
Connaissance et Renaissance de la Basilique de Saint
Nicolas de Port, 1979 ; 3) «Congrès
archéologique de France, Nancy et Verdun»,
1933, article d'André Philippe sur la basilique
Saint-Nicolas.
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Ornementation gothique au-dessus du gâble du portail central.
Le Christ bénissant est entouré de deux couples
d'anges tenant un écu en tôle peinte (les originaux de
ces écus ont été brisés). |
Consoles gothiques du XVIe siècle sans leurs statues. |
Quatre des six loges de marchands utilisées au XVIe siècle
(côté nord de la basilique). |
Voûte gothique avec liernes et tiercerons du portail latéral
nord.
Les intersections créent onze clés ornées
chacune d'une simple fleur. |
Chef de saint Nicolas et ornementation flamboyante (porte latérale
sud). |
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Le
legs Croué-Friedman. Il arrive parfois
des miracles dans l'histoire des églises. Voir
tomber du ciel des millions de dollars est pourtant
ce qui est arrivé à la Grande Église
en 1983. Du reste, trois ans avant, la presse lorraine
diffusait l'information d'un legs probable à
la basilique venant d'une riche américaine.
Camille Croué descendait d'une famille alsacienne.
Ses grands-parents avaient émigré aux
États-Unis après la guerre de 1870, vraisemblablement
pour fuir, comme tant d'autres, la mainmise de la Prusse
sur l'Alsace. Laissant père et mère gagner
l'Amérique, la future mère de Camille
était restée à Saint-Nicolas-de-Port.
Elle s'y maria et eut quatre filles. Le couple tenait
un café dans la ville. Camille naquit en 1890
et se montra rapidement indépendante, studieuse
et à l'esprit d'aventures. À seize ans,
elle partit aux États-Unis avec ses grands-parents
revenus en visite en Lorraine. Elle mena alors une vie
assez débridée : fille de compagnie dans
les bonnes familles ; donnant des cours de français
aux enfants ; elle fit du cinéma et parcourut
le monde. D'après les articles de presse, elle
semble être devenue femme d'affaires en liaison
avec des maisons de mode américaines. Pour autant,
elle n'oubliait pas sa ville natale et y retournait
souvent.
En 1939, elle revint en France en compagnie d'Arthur
Friedman, «héritier d'une lignée
d'industriels du textile à Chicago» lit-on
dans L'Est républicain du 9 avril 1993,
et l'épousa peu après. Sans doute coquette,
elle tricha toujours sur son âge, même à
son mari, en se donnant cinq ans de moins qu'en réalité.
Arthur Friedman, né en 1879, avait en fait onze
ans de plus que son épouse.
L'homme d'affaires était issu d'une famille de
juifs new-yorkais enrichie, comme on l'a dit, dans l'industrie
du textile. Israélite pratiquant, il épousait
une catholique convaincue. Visiblement très tolérants
l'un et l'autre, «ils avaient coutume de se rendre
ensemble aux offices des deux cultes», écrit
la journaliste Camille Fradet dans L'Est républicain.
À cinquante ans, Arthur Friedman se retrouvait
à gérer un portefeuille d'actions estimé,
selon les articles de presse, à six cents millions
de dollars, soit 2,5 milliards de francs de 1983. Avec
ce mariage, Camille put mener une vie de femme d'affaires,
négociante, jouant en bourse et parcourant le
monde en tant que membre éminent de la Jet
Set. À Saint-Nicolas-de-Port, tout le monde
connaissait ce couple qui revenait régulièrement
vers ses racines lorraines. Il s'y montrait généreux,
réglant notamment les frais du repas dominical
de la soupe populaire. Les cures annuelles à
Vittel ou à Vichy étaient aussi la norme.
Arthur Friedman, bon violoniste et mélomane,
appréciait les concerts donnés l'été
dans ces villes d'eau.
Veuve depuis 1975, Camille Croué-Friedman décéda
le 2 mars 1980. De par son testament, elle léguait
à la basilique une bonne partie de sa fortune,
soit sept millions de dollars (un peu plus de 50 millions
de francs de 1983). Sa volonté était de
«construire et d'entretenir la basilique de Saint-Nicolas-de-Port
afin qu'elle retrouve sa beauté originelle».
Il est vrai que, revenant souvent dans sa ville natale,
la future donatrice avait eu l'occasion de voir le monument
se dégrader sérieusement... Cependant,
un problème épineux se posait car, la
basilique étant propriété de la
commune, le legs allait être frappé d'un
droit de succession de plus de 60%... Monseigneur Bernard,
évêque de Nancy
et président de l'Association diocésaine,
s'engagea alors dans de longues tractations pour que
cette association, exonérée de droits,
fût reconnue légataire à la place
de la commune par la juridiction américaine.
Il y passa trois ans et eut gain de cause. Il fallut
aussi l'avis favorable du Conseil d'État pour
que le legs fût validé !
En mai 1983, un premier versement de 3,2 millions de
dollars débloqua des travaux interrompus car
en attente de fonds. Le reliquat suivit peu après.
En 1980, un examen avait évalué les restaurations
nécessaires à 33 millions de francs. On
put donc faire mieux. Les restaurations intérieures
étaient achevées en 1993. On démonta
les échafaudages dans la nef et le chur,
ce qui permit enfin à la basilique de recouvrer
pleinement sa fonction. Les restaurations de l'architecture
extérieure prirent le relais et s'étalèrent
jusqu'en l'an 2000.
Mentionnons ce qu'ajoute l'article de L'Est républicain
du 9 avril 1993. L'État français avait
avancé des fonds pour la restauration de la basilique.
À l'annonce du legs, il s'empressa de tout retirer.
Une bonne partie fut alors dirigée vers la cathédrale
Saint-Étienne de Toul
qui avait besoin, elle aussi, de quelques travaux.
Sources : L'Est républicain,
articles du 21 mars 1980, du 12 mai 1983 et du 9 avril
1993.
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La tour nord. |
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LA NEF ET SON ÉLÉVATION À
DEUX NIVEAUX
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La nef et le bas-côté sud.
L'ornementation des piles cylindriques se limite à une simple
bague de ciselures gothiques.
Dans le transept, la pile isolée et torsadée sur une
moitié s'élève à 21,50 mètres.
C'est à cette hauteur que naissent les nervures de la voûte. |
L'élévation de la Grande Église est à
deux niveaux.
L'élévation nord est vue ici depuis l'avant-nef. |
Plan de la basilique Saint-Nicolas. |
La
déviation de six degrés. Il
ne fait aucun doute que ce sont des nécessités
topographiques qui ont obligé le maître
d'uvre de la seconde campagne de travaux à
faire dévier l'axe de la nef. Jusque-là,
sur le terrain qui devait recevoir le nouvel édifice,
il n'y avait qu'une petite église. Mais à
l'édifice, il fallait à présent
ajouter le cloître et le bâtiment des moines
réguliers chargés de la gestion des pèlerinages.
De plus, le terrain était limité par trois
rues au sein d'une agglomération compacte.
À propos de cette déviation, l'historien
André Philippe (Congrès archéologique
de France de 1933) fait remarquer qu'un relevé
précis montre que les grandes arcades du nord
(dans la nef et non pas le chur)
sont plus larges que celles du sud, ce qui est bien
visible sur le plan ci-dessus.
Regardons le plan. La première des cinq travées
de la nef (celle qui jouxte la façade occidentale)
dessine, avec les chapelles qui la bordent, un rectangle
parfait : condition géométrique nécessaire
pour assurer l'assise des deux tours. L'ensemble des
quatre autres travées, là aussi avec leurs
chapelles latérales, forme un trapèze.
Il est clair que les six degrés de la déviation
sont répartis sur chacune de ces travées,
l'essentiel étant de rejoindre la première
travée du transept qui, elle aussi, forme un
rectangle parfait (et qui a été érigée
lors de la première période de construction).
La répartition de ces six degrés est très
inégale. Si, à partir du transept, les
surfaces des voûtes sont des parallélogrammes,
on voit aisément que, de la deuxième à
la cinquième travée, elles sont toutes
à plan trapézoïdal. On voit aussi
que ces plans sont tous différents, que ce soit
au sein du groupe des travées sud, de celui des
travées de la nef ou de celui des travées
nord. La réalisation de ces plans ne s'est pas
faite sans mal, ni sans défaut. Compte tenu des
moyens de l'époque, le contraire aurait laissé
les architectes du XXe siècle ébahis...
Dans l'ouvrage édité par l'association
locale portoise Connaissance et Renaissance de la
basilique en 1979, l'architecte Francis Roussel
fait remarquer que, pour ajuster ces fameux six degrés,
le maître d'uvre de la seconde campagne
a dû se départir de la perfection qu'il
avait jusqu'alors montrée. On constate en effet,
dans les chapelles des travées 3 et 4 de la nef,
une série de «maladresses de voûtement
: mauvaise pénétration des ogives dans
les colonnettes, pénétration de colonnettes
dans les voutains».
Les historiens présentent la construction de
l'église en deux tronçons : chur,
puis nef. Cependant, au vu des imperfections et des
tâtonnements observés dans les chapelles
sud des troisième et quatrième travées,
l'hypothèse (rarement évoquée)
d'une construction en trois tronçons se défend
: d'abord le chur
et le transept ; puis le soubassement de la façade
; enfin, dans une ultime période, les travées
de jointure entre les deux bâtis. Une précision
supplémentaire n'est pas à exclure : pourquoi
ne pas scinder cette troisième période
en deux ? Le maître d'uvre aurait d'abord
élevé les travées 2 et 5 de la
nef (parce qu'elles sont les moins perturbées
dans leur dessin architectural), puis les aurait reliées
par les deux dernières travées (les 3
et 4) qui font l'essentiel des frais de l'obligatoire
compensation angulaire.
Cette chronologie (qui n'a pas d''autre ambition que
la logique) est néanmoins différente de
la «thèse récente» (sans précisions
sur son auteur) dont parle l'historienne Suzanne Braun
dans son ouvrage Lorraine gothique (éditions
Faton, 2013) : d'abord le chur,
puis le soubassement de la façade et les trois
travées adjacentes, puis le reste de la nef,
ensuite le transept, le voûtement du chur
et les tours. Ce qui est un ordre assez bizarre. On
ne voit pas trop bien comment tâtonner avec succès
dans les travées 3, 4 et 5 de la nef sans la
présence d'un transept auquel se raccrocher.
Qu'aurait donné le plan
si le maître d'uvre avait opté pour
une nef rectangulaire dans les règles de l'art,
s'obligeant ainsi à relier les deux parties au
moyen d'une travée supplémentaire en forme
de cône très aplati ? Remontez au
plan et
cliquez sur le menu du dessous. Les surfaces voûtées
de la nef, devenues de parfaits parallélogrammes,
auraient été simples à gérer.
En revanche, le cône additionnel, peut-être
pas très compliqué à réaliser
au niveau architectural, aurait été très
disgracieux et indigne d'une grande église de
pèlerinage.
Sources : 1) «Congrès
archéologique de France, Nancy et Verdun»,
1933, article d'André Philippe sur la basilique
Saint-Nicolas ; 2) «La basilique de saint Nicolas
en Lorraine», Association Connaissance et Renaissance
de la Basilique de Saint Nicolas de Port, 1979 ;
3) «Lorraine gothique» de Suzanne Braun,
éditions Faton, 2013.
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L'ORIGINE DES NICHES.
Chapelle nord Saint-Roch-Saint-Sébastien
:
Le contrefort-culée de l'arc-boutant est bien visible
derrière la statue de saint Nicolas. |
L'origine
des niches. Dans son article pour le Congrès
archéologique de France tenu à Nancy
et Verdun en 1933, l'historien André Philippe
signale une différence intéressante dans
l'architecture des six chapelles latérales du
chur
élevées lors de la première phase
de construction. Dans les chapelles sud (chapelles Saint-Joseph,
Saint-Pierre et Sainte-Jeanne-de-Valois), à la
séparation entre les deux baies, là où
le contrefort extérieur s'appuie sur le mur gouttereau,
il n'y a aucune trace de contrefort à l'intérieur.
On ne voit qu'une plinthe moulurée d'une seule
venue (cf photo ci-contre). En revanche, du côté
nord (chapelles Saint-Roch, Notre-Dame de Pitié
et chapelle des Reliques), le contrefort accuse une
très nette saillie à l'intérieur,
avec une succession de profils moulurés (comme
le montre la photo ci-dessus à la droite de la
statue de saint Nicolas).
André Philippe en conclut : «On a donc,
au nord, entre les contreforts, et peu après
leur construction, encastré les chapelles, au-dessous
desquelles, pour utiliser la différence de niveau
entre le pavé de l'église et le sol de
la rue, on a établi des niches destinées
à servir de boutiques lors des pèlerignages.
Ce qui n'était qu'une reprise, au nord, fut réalisé
du premier coup au midi.»
Source : «Congrès
archéologique de France, Nancy et Verdun»,
1933, article d'André Philippe sur la basilique
Saint-Nicolas.
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Le bas-côté nord de la nef et ses chapelles latérales.
Au premier plan, à gauche, la chapelle Saint-Michel.
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Architecture
intérieure (1/2).
Quand le visiteur parcourt la nef de la Grande Église,
plusieurs éléments attirent son attention.
D'abord ce qui saute aux yeux dès qu'on se trouve
dans l'avant-nef, c'est la déviation d'environ
6 degrés qui déporte le transept et
le chur
vers le sud. Elle est bien visible sur la première
photo de cette page. L'historienne Marie-Claire
Burnand écrit à ce sujet dans son ouvrage
Lorraine gothique : «Ceci s'explique sans
doute par la forme de la colline sur laquelle est bâtie
l'église, dont la pente très raide du
côté nord a amené à dégager
les murs des fondations, dans lesquels ont été
creusées des boutiques.»
Ce qui frappe ensuite, c'est la forte luminosité
de la nef, résultat de la très grande
surface vitrée en verre blanc qui s'élève
depuis près de vingt mètres de haut jusqu'à
la naissance des voûtes. Comme souvent, les remplages
gothiques varient d'une baie à l'autre. Ensuite,
s'il lève la tête, le visiteur apercevra
une voûte riche de liernes et de tiercerons,
y compris dans les bas-côtés. Cette ornementation
est un choix délibéré des bâtisseurs.
La voûte n'est étoilée que dans
le chur
et les deux absidioles. La hauteur des bas-côtés
est elle-même déroutante : les chapelles
sont surmontées de grandes verrières,
et ce n'est que le premier niveau ! Un niveau dont bien
des églises de taille moyenne se contenteraient.
Enfin, quand le visiteur s'avance dans la nef, il découvre
le «clou» architectural de l'église
: un transept
double avec deux piles isolées de 21,50
mètres de haut. Un élément
architectural rarissime dans une église de cette
taille ! Ces surprenantes piles, dont l'une possède
une partie torsadée, montent jusqu'au niveau
des sommiers des maîtresses voûtes. Elles
constituent le support central des deux (très)
hautes arcades jumelles du transept. L'historien André
Philippe écrit pour le Congrès archéologique
de France de 1933 : «Ce type de transept géminé,
que l'on rencontre, exceptionnellement il est vrai,
dès le XIe siècle, devient plus fréquent
et forme quelques groupes à la fin de la période
gothique, mais dans des édifices de petites dimensions
; l'église Saint-Nicolas est la seule de cette
importance au XVIe siècle pour avoir adopté
ce parti.» Quant à la forme torse sur la
pile sud, elle est rare. Un autre exemple connu se trouve
à l'église Saint-Séverin
à Paris.
Historiquement, on considère que la construction
de la Grande Église a commencé par l'abside,
les travées du chur,
puis le transept. L'abside, qui est flanquée
au nord et au sud de deux absidioles, se poursuit sur
deux travées, dont l'une accueille aujourd'hui
l'autel de messe : le chur
est donc très vaste. Le transept n'est pas saillant,
mais il dégage un espace vertical considérable,
embelli par les deux hautes piles isolées. Dans
la partie occidentale de l'église, les cinq travées
de la nef sont le résultat de la seconde phase
de travaux (1520-1540), vraisemblablement menée
par une nouvelle
équipe. Leur élévation suit
évidemment le modèle des deux travées
du chur.
L'élévation est à deux niveaux.
Celui du bas est coupé en deux : chapelles latérales
et, au-dessus, des grandes fenêtres à quatre
lancettes au beau remplage flamboyant. La plupart n'ont
pas de vitraux. Un point est rappelé dans tous
les ouvrages sur la Grande Église : c'est l'influence
champenoise, en particulier celle de la région
troyenne. Cela peut s'expliquer : en 1505, le maître-maçon
Michel Robin est cité dans un contrat relatif
à Saint-Nicolas et un autre relatif à
la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul
de Troyes.
L'influence se voit d'abord dans le plan du chur
qui, avec ses absidioles, est «en tous points
identique» à celui de l'église Saint-Urbain
de Troyes,
érigée au XIIIe siècle. C'est ce
qu'écrit Francis Roussel dans l'ouvrage de 1979
édité par l'association portoise Connaissance
et Renaissance de la basilique. En 2006, l'historien
Pierre Sesmat, pour le Congrès archéologique
de France tenu en Lorraine, est d'un autre avis
: «(...) les proportions spatiales sont très
différentes : Saint-Urbain
est plus ample et Saint-Nicolas visiblement projeté
vers le haut. En réalité, le choix de
ce dispositif des absidioles trouve tout simplement
son origine à Toul.»
Cet avis péremptoire ne réfute en rien
l'origine proposée par l'association portoise
: il est ici question du plan de l'ensemble du chur
et de ses absidioles et non de la simple existence de
ces dernières.
L'influence de la Champagne se manifeste aussi dans
la présence, comme à l'église Saint-Gengoult
de Toul,
de la fameuse coursière champenoise au
bas des grandes fenêtres. Cette coursière
dessine un véritable chemin qui permet de marcher
le long des baies. Pour ne pas l'interrompre, des passages
champenois sont aménagés dans les
piles des murs gouttereaux (voir photo ci-contre). Outre
Saint-Gengoult
de Toul,
ce système, adopté en Champagne dès
le XIIe siècle, se voit aussi à l'église
Saint-Maurice
d'Épinal.
---»»
Suite 2/2.
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|
Vierge à l'Enfant
Calcaire polychrome. |
La voûte de la nef et l'élévation sud. |
|
Architecture
intérieure (2/2).
Le visiteur attentif remarquera une différence
de construction dans les arcades des chapelles.
Dans le chur,
les chapelles s'ouvrent par deux arcs qui retombent
sur une colonne centrale. En revanche, dans les trois
premières travées de la nef (quand la
seconde équipe de construction a pris le chantier
en main), elles s'ouvrent par deux arcs surbaissés
qui s'interrompent sur un pendentif.
Une photo de l'élévation donnée
plus
haut en donne un exemple, mais une autre photo plus
bas met mieux en lumière cette différence
entre les deux séries de chapelles.
Le second niveau, avec là encore des grandes
fenêtres à quatre lancettes, est soutenu
par une série de piles cylindriques ornées
d'une bague ciselée de feuillages. Les grandes
arcades qui les séparent sont en tiers point
et leurs nervures retombent dans les piles par pénétration,
ce qui garantit la continuité de l'effet d'élancement.
Le bas de ces grandes fenêtres
est décoré d'une suite de moulures à
base de feuillages. Un fait est à noter : ces
fenêtres occupent tout l'espace entre les demi-colonnes
qui prolongent les piles. Comme le remarque Marie-Claire
Burnand, ce mode architectural est rare en Lorraine.
L'église Saint-Gengoult
de Toul
donne l'exemple opposé de fenêtres séparées
des colonnes par un espace en pierre. Ce phénomène
est aussi notable à la cathédrale Saint-Étienne
de Toul.
Enfin, la dernière caractéristique de
la Grande Église est que nul étage n'est
prévu contre la façade occidentale pour
accueillir un grand orgue. Cette façade
à l'appareil nu se contente de laisser passer
la coursière champenoise. Conséquence
heureuse : rien ne vient obstruer la baie
219 et son vitrail du XVIe siècle.
Sources : 1) «Lorraine
gothique» de Marie-Claire Burnand, éditions
Picard, 1989 ; 2) «La
basilique de saint Nicolas en Lorraine», Association
Connaissance et Renaissance de la Basilique de Saint
Nicolas de Port, 1979 ; 3) «Congrès
archéologique de France, Nancy et Verdun»,
1933, article d'André Philippe sur la basilique
Saint-Nicolas.
|
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Vue partielle du transept nord avec le grand orgue et le pilier
isolé de 21,50 m de hauteur.
On remarquera les fresques du XVIe siècle sur les piliers. |
L'ORIGINE DES NICHES.
Chapelle sud Sainte-Jeanne-de-Valois
: le contrefort n'est pas visible.
On ne voit qu'une plinthe moulurée contre le mur gouttereau.
|
Un
changement d'équipe à mi-parcours de la
construction ?
Dans l'ouvrage édité en 1979
par l'association Connaissance et Renaissance de
la Basilique, l'architecte Fabien Roussel passe
au crible les maladresses, pour la plupart bien visibles,
commises dans la voûte lors de la première
période de construction. Une période que
l'on étale généralement de 1481
aux environs de 1515. Mais s'il y a bien eu changement
d'équipe (ce qui est très vraisemblable),
c'est avant tout, à ses yeux, la nécessité
de modifier l'orientation de l'édifice qui l'a
justifié.
En 2006, l'historien Pierre Sesmat, dans son article
pour le Congrès archéologique de France
tenu en Lorraine cette même année, revient
longuement sur le sujet et s'écarte de la conclusion
portée vingt-cinq ans plus tôt. Nous sommes
en 1511. Le chur,
ses absidioles et ses deux travées sont bâtis,
ainsi que, recouvrant l'ensemble, la voûte complexe
de liernes et de tiercerons. Comme Fabien Roussel en
1979, Pierre Sesmat fait partir son analyse de l'observation
de cette voûte où s'accumulent dissymétries
et imperfections. Il fait remarquer que c'est la première
fois qu'on voûte un édifice d'une manière
aussi compliquée en Lorraine. D'où la
conclusion évidente que l'équipe de maçons
en charge de cette fameuse voûte a, comme tous
les innovateurs, essuyé les pots cassés...
Sans expérience, leur travail n'a pu que semer
les défauts sur sa route.
Pierre Sesmat pose alors la question : y a-t-il eu crise
au sein des maîtres d'ouvrage quand, en plus de
ces malfaçons, ceux-ci prirent conscience que
l'orientation initiale de l'édifice était
fautive et qu'il allait falloir rectifier le tir au
prix de multiples difficultés ? Et les questions
s'enchaînent : la première équipe
a-t-elle découvert, en cours de construction,
des problèmes topographiques invisibles au départ ?
Y a-t-il eu des problèmes dans les fondations ?
Ou a-t-on découvert une instabilité du
terrain nécessitant d'importants remblais ?
On ne connaît pas les réponses.
Toujours est-il que Pierrre Sesmat émet l'idée
que le maître d'uvre et son équipe
furent remis en cause. Les méthodes des bâtisseurs
furent sans doute jugées trop archaïques
et laissant trop de place au travail individuel. Ce
qui ne pouvait conduire qu'à un manque d'esprit
d'équipe et de concertation. À cette fin,
profitant du beau travail de Fabien Roussel sur les
marques de tâcherons gravées sur les pierres
par les tailleurs, Pierre Sesmat met en avant la présence
de ces très nombreuses marques pour justifier
le possible reproche d'individualisme adressé
aux ouvriers. Argument renforcé par l'absence
totale de marque de tâcheron dans les pierres
utilisées lors de la seconde période de
construction. Rappelons néanmoins que, à
la grande époque du gothique, les marques de
tâcherons sont présentées par les
historiens comme un moyen commode d'attribuer à
chaque tailleur de pierre la part qui lui revient -
et de le payer en conséquence. Si l'hypothèse
de Pierre Sesmat est exacte, il faut croire que cette
pratique n'était plus de mise à la fin
du XVe siècle - du moins en Lorraine.
La mise en uvre étant contestée
- et non pas le projet en lui-même - l'équipe
en place changea : c'est donc l'hypothèse que
l'on retient communément. Au niveau architectural,
notons que la disparition brutale des marques de tâcherons
présente un avantage pour la compréhension
historique de l'église : elle permet de repérer
pierre par pierre la césure entre les deux campagnes
de construction.
Il reviendra à la seconde équipe de montrer
toutes ses capacités en terminant d'abord le
transept avec l'élévation des fameuses
piles isolées de 21,50 mètres de hauteur,
puis en se lançant dans la seconde partie de
la construction. L'obligation topographique de faire
dévier l'édifice de six degrés
en sera la difficulté la plus ardue. Mais c'est
bien lors de la première phase du chantier que
furent définis les grands partis architecturaux.
La seconde équipe, au cours de la période
~1510-1530, respecta les choix antérieurs.
Sources : 1) «La
basilique de saint Nicolas en Lorraine», Association
Connaissance et Renaissance de la basilique,
1979 ; 2) «Congrès archéologique
de France, Nancy et Lorraine méridionale»,
2006, article de Pierre Sesmat sur la basilique Saint-Nicolas.
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Le
bas-côté nord (ci-contre). On
remarque les passages champenois dans les piles au bas
des grandes fenêtres et la différence architecturale
dans l'ouverture des chapelles.
Dans l'ouverture des trois chapelles latérales
du fond, les arcs jumelés avec clés pendantes
sont issus de la seconde phase de la construction (~1510-1530).
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Pile monocylindrique avec sa bague sculptée. |
Une
église de pèlerinage sans déambulatoire ?
Nicolas a toujours été l'un des saints
les plus populaires. Les gens du Moyen Âge l'invoquaient
souvent, surtout pour prévenir les naufrages
(qui malheureusement n'étaient pas rares). La
bienfaitrice américaine Camille Croué-Friedman
a en partie justifié son importante donation
pour la restauration de la basilique en rappelant que
ses invocations à saint Nicolas l'avaient justement
sauvée d'un naufrage en 1933. On invoquait aussi
saint Nicolas pour protéger les pèlerins
sur les routes peu sûres, les pêcheurs,
les parfumeurs, les enfants et les prisonniers. Jadis,
dans la Grande Église, les chaînes des
prisonniers libérés s'accumulaient comme
autant d'ex-voto.
Le culte à saint Nicolas se développa
en Asie mineure et dans le monde byzantin à partir
du VIe siècle. Après la translation des
reliques du saint à Bari en 1087, il s'étendit
en Italie, puis en Europe. On raconte même que
les invocations qu'on lui adressait à Saint-Nicolas-de-Port
avaient plus de succès que celles faites à
Bari.
Saint-Nicolas a été érigée
dès sa construction en tant qu'église
de pèlerinage. D'ordinaire, ces édifices
très fréquentés abritent des reliques
exposées dans le chur. Les pèlerins
en font le tour en cheminant le long d'un déambulatoire.
Et en laissant quelque offrande sonnante et trébuchante
évidemment. Mais si Saint-Nicolas possède
bien une relique (une phalange du saint rapportée
vers 1098 par le croisé Aubert de Varangéville),
elle n'a pas de déambulatoire. Sur une longueur
totale de 87 mètres, on pourrait penser qu'il
y avait assez de place pour en créer un. Pourquoi
cette absence ?
C'est la question que se pose l'historien Pierre Sesmat
dans son article sur la basilique rédigé
lors de la session du Congrès archéologique
de France tenue en Lorraine en 2006. Quand Saint-Nicolas
sort de terre, la cathédrale de Metz est déjà
en plein chantier. Sa construction a débuté
en 1486 et s'achèvera en 1520. L'édifice
est prévu très majestueux avec un chur
entouré d'un déambulatoire et de chapelles
rayonnantes. Pourquoi cette cathédrale n'a-t-elle
pas servi de modèle aux maîtres portois ?
La réponse de Pierre Sesmat est que, à
Metz, l'architecture du chur est d'inspiration
trop française. Tellement française qu'elle
est unique en Lorraine ! Au Port, les maîtres
d'uvre ont donc privilégié le modèle
sans déambulatoire de la cathédrale Saint-Étienne
de Toul,
une grande église elle aussi, bâtie du
XIIIe au XVe siècle. L'historien écrit :
«Le modèle toulois semble incarner davantage
une tradition spatiale lorraine et serait donc plus
adapté pour honorer un saint dont on veut justement
exalter le patronage sur la Lorraine.» L'élévation
à deux niveaux, bien qu'elle soit présente
dans bien des édifices flamboyants, aurait également
été inspiré par le modèle
toulois.
Pour élargir le sujet, on pourra se reporter
à la grande collégiale romane érigée
au Dorat
(en Limousin) au XIIe siècle. Elle offre l'exemple
caricatural d'un édifice construit avec déambulatoire
et chapelles rayonnantes dans le but d'honorer deux
saints locaux, Israël et Théobald, dont
l'histoire et les miracles ont été créés
de toutes pièces pour attirer les pèlerins...
Source : «Congrès
archéologique de France, Nancy et Lorraine méridionale»,
2006, article de Pierre Sesmat sur la basilique.
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L'ornementation
de la Grande Église (hors vitraux).
Si le visiteur est saisi dès son entrée
dans Saint-Nicolas, par l'impression de grandeur et
d'homogénéité architecturale, c'est
que l'ornementation n'est pas envahissante. La basilique
n'est pas l'église Saint-Pantaléon
de Troyes.
Le principal décor, omniprésent dans l'édifice,
se trouve au-dessus de la tête du visiteur : c'est
la très belle voûte enrichie de liernes
de tiercerons qui couvre la nef et les bas-côtés.
Les piles monocylindriques reçoivent un décor
assez sobre constitué d'une bague
à sculpture végétale ou figurée.
Dans quelques travées, une frise à
redents orne l'élévation entre les
grandes arcades et les fenêtres du second niveau
(photo ci-contre). Cette frise possède une légèreté
ornementale remarquable. Par le fait qu'elle ne soit
pas présente partout, elle agit comme un marqueur
des différentes périodes de construction.
Ces frises sont accompagnées d'un bandeau sculpté
à thème floral ou figuré. La deuxième
photo ci-dessous
en est un exemple. Mais ce bandeau est à vingt
mètres de haut ! C'est pourquoi il est toujours
conseillé de visiter une église gothique
de bonne taille avec une paire de jumelles. Les ornementations
intéressantes sont souvent nichées dans
les parties hautes, surtout quand elles sont licencieuses
ou qu'elles ridiculisent le clergé. À
ces hauteurs, il n'y avait pas de risque que les prélats
les remarquent...
Les fresques sur les piles constituent une autre
partie de l'ornementation de la basilique, même
si leur état assez délavé n'attire
pas vraiment le regard. Réalisées avant
1520, elles ont subi de plein fouet les ravages de l'incendie
de 1635. À la suite de quoi, on les recouvrit
d'un badigeon pour masquer les traces du sinistre. Ces
fresques étaient assez nombreuses puisqu'on en
a relevé dix-neuf (parfois il ne reste que le
cadre) dont neuf se laissent encore admirer. L'ouvrage
édité en 1979 par l'association locale
Connaissance et Renaissance de la basilique indique
que plusieurs de ces neuf fresques «ont été
ravivées avec beaucoup de goût et de discrétion
par une élève de l'École des Beaux-Arts
de Nancy il y a de cela une dizaine d'années»,
ce qui situe ce travail de restauration vers la fin
des années 1960.
Les photos des fresques proposées dans cette
page ont été retouchées informatiquement
pour donner une meilleure idée de l'aspect qu'elles
avaient vraisemblablement à l'origine. La principale
(qui est aussi la plus grande) est celle du Ravissement
de Sainte-Madeleine. Contrairement aux autres, elle
n'est pas peinte sur un pilier, mais sur l'élévation
sud. Ces fresques montrent quelques scènes intéressantes
comme saint Yves entre un avocat et un plaideur (donnée
ci-contre), ou sainte
Aprône qui s'apprête à guérir
une paysanne. On remarque aussi une belle Déploration
dont quelques parties n'ont pas pu être récupérées.
Parmi les uvres peintes du XVIe siècle,
il ne faut pas manquer non plus les quatorze
petites scènes de la Vie de saint Nicolas,
des peintures qui restent à ce jour sans attribution
d'auteur. L'ouvrage de l'association Connaissance
et Renaissance de la basilique nous apprend que,
vers la fin du XIXe siècle, ces quatorze panneaux
ont été enchâssés dans un
portique en bois, sculpté par Eugène Vallin,
célèbre artiste de l'École
de Nancy. Une restauration a été effectuée
en 1976.
Enfin, quelques statues de saints et de saintes se trouvent
dans les chapelles des bas-côtés ainsi
qu'une belle Piéta
dans la chapelle Notre-Dame de Pitié qui a peut-être
été réalisée par l'atelier
du maître de Chaource.
Source : «La
basilique de saint Nicolas en Lorraine», Association
Connaissance et Renaissance de la Basilique de Saint
Nicolas de Port, 1979.
|
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Frise à forme de redents dans le croisillon sud du transept.
Sur la gauche, on reconnaît la pile isolée et torsadée. |
Ornementation du bandeau qui court sur l'élévation
dans le transept. |
Les
vitraux de la basilique Saint-Nicolas : I-l'historique.
L'édifice présente l'une des vitreries
d'époque Renaissance les plus importantes de
Lorraine. Bien sûr, cette vitrerie, passée
par les malheurs de l'Histoire, n'est ni complète,
ni intacte. Beaucoup de retouches du XIXe siècle
complètent les scènes du XVIe. Certaines
grandes verrières ont été créées
au XIXe, voire au XXe siècle.
Cette page donne ci-dessous les trois grandes verrières
modernes qui se dressent au-dessus des chapelles latérales.
D'abord une verrière créée par
un peintre verrier portois au XIXe siècle : les
Personnages
du Décalogue (Melchisédec, Abraham,
David, Élie). Puis deux verrières du XXe
siècle : les Épisodes
de la Vie de saint Nicolas et les Métiers.
Les études historiques le montrent : les vitraux
figurés de l'église n'ont jamais occupé
que le premier niveau de l'élévation (chapelles
et au-dessus des chapelles). En effet, les grandes verrières
sous la voûte, qui avaient pour but d'apporter
le maximum de lumière, reçurent du verre
blanc dès l'origine.
La guerre de Trente ans provoqua la destruction de bien
des vitraux et en endommagea beaucoup d'autres. La Lorraine
fut une terre de passage pour les troupes au cours de
ce conflit sanglant et, en plus, une proie désignée
pour Louis XIII et Richelieu. Le 11 novembre 1635, la
soldatesque (suédoise, française ou les
deux ensemble) saccagea la Grande Église et y
mit le feu. Pour ce qui est du vitrail, les moines bénédictins,
en charge de l'édifice et du pèlerinage,
s'efforcèrent de réparer les dégâts
: des bouche-trous ou du simple verre comblèrent
les vides ; on associa de façon tout hétéroclite
des panneaux brisés, etc. Le résultat
- calamiteux - allait donner du fil à retordre
aux historiens des XIXe et XXe siècles.
Une restauration eut lieu de 1847 à 1855, mais
elle ne fit qu'ajouter un peu plus à la confusion
(à l'exclusion des baies des chapelles). L'équipe
dirigée par le cartonnier Désiré
Laurent et le peintre Pierre-Napoléon
Rives n'avait pas la compétence nécessaire.
Pis, aucune étude archéologique ne fut
menée au préalable. Au vu du résultat,
il semble que le but recherché était d'obtenir
des scènes complètes (et évidemment
factices) en réalisant les ajouts modernes nécessaires.
Laurent et Rives rassemblèrent des morceaux épars,
notamment dans les baies des absidioles, sans aucun
souci de cohérence. L'abside échappa toutefois
à ce saccage technique. Une deuxième restauration
intervint en 1887, cette fois menée par le service
des Monuments historiques. Les ateliers parisiens d'Adolphe
Steinheil et d'Albert Bonnot en reçurent
la charge.
Parallèlement à ces restaurations, des
donateurs privés offrirent des vitraux créés
par divers ateliers. La grande verrière du Décalogue
est de ceux-là. On y reconnaît sans peine
la griffe du XIXe siècle, qui jure d'ailleurs
un peu avec le reste des uvres.
En 1914 et en 1939, tous les vitraux du XVIe siècle
furent mis à l'abri. La règle suivie était
très large : il suffisait qu'une once de vitrail
ancien subsistât dans une baie pour déposer
l'ensemble. Si la première guerre mondiale épargna
complètement la ville, il n'en fut pas de même
pour la seconde. Le 18 juin 1940, résistant à
l'avancée allemande, les forces françaises
refusèrent de céder le pont sur la Meurthe.
S'ensuivit un duel d'artillerie. Des obus français
frappèrent le côté sud de l'église
(entre la troisième et la quatrième travée),
détruisant une partie de l'élévation.
L'effet de souffle eut raison d'une partie des verrières
des XIXe et XX siècles. Ces verrières
modernes - et donc non classées - n'avaient pas
été déposées. Notons que,
le même mois à Saumur, un acte de résistance
similaire pour empêcher les Allemands de passer
le pont sur la Loire provoqua l'intervention des Stuka.
Les bombes endommagèrent gravement l'église
Notre-Dame des Ardilliers, à l'exclusion toutefois
du chur et de son magnifique retable maniériste.
Dans l'ouvrage édité en 1979 par l'association
Connaissance et Renaissance de la basilique,
Serge Saunier rappelle un épisode douloureux.
Les Portois, épargnés par le premier conflit
mondial, avaient offert une verrière que notre
auteur qualifie de «magnifique». On y voyait
saint Nicolas au-dessus de deux files de pèlerins
au sein desquelles cheminaient monarques et clergé.
Le curé Guillaume, titulaire en 1914, et Monseigneur
Ruch, évêque de Strasbourg, y étaient
présents. Tout cela fut soufflé en 1940.
Il n'en reste que des photos.
Voir
sources plus bas.
|
|
Vitrail de la baie 112 : Personnages du Décalogue : Melchisédec,
Abraham, David, Élie.
Il est situé au-dessus de la chapelle Saint-Joseph, dans
le bas-côté sud du chur.
Seconde moitié du XIXe siècle.
Peintre verrier : Frère Marcellin le Forestier, atelier
à Saint-Nicolas-de-Port. |
Vierge à l'Enfant de la baie 13, détail.
Par la douceur de son expression, l'historien du vitrail
Michel Hérold attribue ce vitrail à un atelier
troyen. |
«Vierge à l'Enfant avec saint Jean-Baptiste» (vers 1530), détail.
MUSÉE
DES BEAUX ARTS DE CAEN
Giovanni Antonio Sogliani (1492-1544). |
Sources utilisées
pour les vitraux : 1) «Les
vitraux de Saint-Nicolas-de-Port», Corpus Vitrearum,
Michel Hérold, 1993 ; 2) «Congrès
archéologique de France, Nancy et Lorraine méridionale»,
2006 ; 3) «Les vitraux de Lorraine et d'Alsace»,
Corpus Vitrearum, 1994 ; 4) «Le vitrail
en Lorraine du XIIe au XXe siècle», Éditions
Serpenoise, Centre culturel des Prémontrés,
1983.
|
|
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Frises à forme de redents dans une travée de la
nef et une travée du transept. |
Bague décorative ornée d'une chaîne de bonshommes
sur une pile nord. |
Saint Yves entre un avocat et un plaideur.
Fresque du début du XVIe siècle sur une
pile. |
Saint Martin partageant son manteau.
Fresque du début du XVIe siècle sur une
pile. |
|
|
Vierge à l'Enfant, détail.
Calcaire polychrome.
«««--- À
GAUCHE
Le Christ en croix
dans l'élévation occidentale.
|
|
Le roi David et Élie dans la verrière du Décalogue
(baie 112).
Seconde moitié du XIXe siècle.
Peintre verrier : Frère Marcellin le Forestier, atelier
à Saint-Nicolas-de-Port.
(L'intervalle entre les deux lancettes a été réduit
pour les besoins de la mise en page.) |
Les
vitraux de la basilique Saint-Nicolas : II-le financement.
Grâce au commerce des métaux, du sel, du
verre et surtout du drap, grâce à ses foires
et au pèlerinage, Saint-Nicolas-de-Port, au XVIe
siècle, était une ville riche. En dehors
de la famille ducale et de son rôle de mécène
officieux (René II et son fils Antoine offrirent
les grandes
verrières de l'abside), les donateurs ne
manquaient pas. Les marchands de la ville, souvent à
l'envergure internationale, avaient à cur
d'offrir une verrière où ils pouvaient
se représenter. C'est le cas de la famille des
Thiriet ou des Fériet (baie
17), ou encore - et indirectement - des Berman (baie
25). Plus modestement, ils choisissaient aussi de
faire figurer leur blason. Quand ils n'en avaient pas,
le verrier pouvait intégrer dans la vitre un
écu avec leur seing manuel. Voir un exemple de
seing dans un soufflet losangé du tympan de la
baie
20.
Au Port, on ne trouve pas la trace des corporations
d'artisans dans les offrandes de vitraux. Ce qui étonne
les historiens. En revanche les cités étrangères
sont présentes. Si les blasons de Bâle
et de Strasbourg figurent toujours dans les baies 119
et 121, d'autres blasons ont sûrement été
détruits. Ces dons venus de l'étranger
s'expliquent paradoxalement par l'adhésion à
la Réforme des contrées allemandes. Les
lieux de pèlerinage en terre protestante devenaient
rares et les catholiques qui habitaient en terre allemande
affluaient dans les grands centres voisins.
Dans l'ouvrage Le vitrail en Lorraine du XIIe au
XXe siècle (éditions Serpenoise, 1983),
Nicole Blondel, conservateur de l'Inventaire général,
souligne le changement qui caractérise au XVIe
siècle la représentation des donateurs
dans les vitraux. «Sans doute, le Moyen Âge,
écrit-elle, faisait-il traditionnellement une
place aux donateurs agenouillés auprès
de leur saint patron. Mais l'échelle plus petite
à laquelle on les figurait marquait toute la
distance qui les séparait du monde céleste
évoqué dans le vitrail.» À
la Renaissance, les choses changent. Les donateurs (souvent
des marchands), sans doute fiers de leur statut social
qui gagne en importance, sont représentés
nettement plus gros, parfois de la même taille
que leur saint patron ou que le Christ lui-même.
Si, la plupart du temps, ils restent agenouillés,
on en trouve aussi qui se tiennent debout. Dans les
baies 101
et 102
de l'abside, le duc René II et son fils Antoine,
marquis du Pont, figurent au bas des verrières,
à genoux et en gros plan, sans aucune discrétion.
La famille Fériet s'octroie aussi une large place
dans la baie
17. À l'église Saint-Côme-Saint-Damien
de Vézelise, le duc de Lorraine Antoine, donateur
de la baie 0, occupe tout un panneau au bas de la verrière.
Il y est nettement plus imposant que la sainte Marguerite
du panneau d'en face aux prises avec le démon...
Pour mesurer l'importance que revêtaient ces donations
de vitraux aux yeux des marchands et des bourgeois des
villes, on pourra se référer à
l'église Saint-Étienne-du-Mont
à Paris qui se dresse près du Panthéon.
Le vitrail
de l'Apocalypse a été offert en 1609
par le marchand de vin Jean le Juge. Prenant acte de
sa décision de faire une offrande pour aider
à la construction de l'église, le chapitre
lui proposa d'offrir plutôt une cloche ou de participer
à l'érection du portail, deux choses jugées
indispensables alors qu'une baie peut toujours recevoir
du verre blanc. Malgré les pressions, Jean le
Juge tint bon et finança l'une des verrières
de la nef. Le visiteur de Saint-Étienne-du-Mont,
l'une des plus belles églises de Paris, peut
toujours voir le marchand et sa famille agenouillés
en prière dans le premier registre de la baie.
C'était sans aucun doute plus glorieux pour son
statut social.
Voir
sources plus bas.
|
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Melchisédec et Abraham, dans la verrière du Décalogue
(baie 112).
Abraham tient le couteau du sacrifice d'Isaac.
Seconde moitié du XIXe siècle.
Peintre verrier : Frère Marcellin le Forestier, atelier
à Saint-Nicolas-de-Port.
(L'intervalle entre les deux lancettes a été réduit
pour les besoins de la mise en page.) |
Les
vitraux de la basilique Saint-Nicolas : III-le
programme iconographique.
Contrairement à la tradition qui veut que
le chapitre d'un édifice religieux impose
les thèmes historiés ou figurés
des vitraux, le programme iconographique de Saint-Nicolas
a été laissé libre par le
prieur commendataire de Port et les prêtres
séculiers e de l'église, notamment
Simon Moycet, maître de fabrique au démarrage
de la construction. Ainsi, le principal bienfaiteur,
le duc de Lorraine René II, a choisi une
série de grands personnages pour orner
les baies le plus en vue : celles de l'abside
(100, 101 & 102). Il s'est fait représenter
au bas de la baie
101 et son fils, marquis du Pont, l'est au
bas de la baie
102.
De cette absence d'unité iconographique
découlent certaines redites. Saint Georges
est par exemple représenté dans
cinq baies. Toutefois l'ensemble respecte une
répartition ordonnée entre verrières
historiées de couleur et verrières
blanches. Suite ci-dessous --»».
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Vierge de la Nativité
dans la baie 113.
Atelier Hirsvogel de Nuremberg, vers 1510.
L'expression un peu dure du visage
semble typique du style «allemand». |
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---»» Il faut
noter aussi, remarque Michel Hérold pour le Corps
Vitrearum «l'absence quasi totale de l'expression
des cultes locaux, tout à fait inhabituelle en
ce début du XVIe siècle.» Certains
saints évêques, notamment dans l'abside,
ne sont pas identifiés. S'agit-il de saints locaux
cachés ? Ou cette absence résulte-t-elle
du saccage de 1635 ? Même saint Nicolas n'est
présent que deux fois. Quoi qu'il en soit, les
verrières de Saint-Nicolas-de-Port, comme celles
de Vézelise
ou de Blénod-lès-Toul, sont à l'image
de leur milieu local, «marqué par une foi
peu savante», précise Michel Herold. Voir
sources plus bas.
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Les
vitraux de la basilique Saint-Nicolas : IV-Les peintres
verriers.
Les verriers furent choisis parmi les grands. Une fois
l'abside construite, René II fit venir de Lyon
le maître Nicolas Droguet qui réalisa
les trois verrières destinées aux baies
axiales 100,
101
et 102.
Il fut assisté de Georges Millereau et
de Jacot de Toul. Pour les baies des chapelles
et celles du premier niveau au-dessus, tous les auteurs
ne sont pas connus. On sait simplement que les maîtres
d'Outre-Rhin exécutèrent quelques uvres.
Un donateur allemand offrit une verrière réalisée
par l'atelier de Veit Hirsvogel à Nuremberg
(baie
113), d'après un carton de Hans Süss
de Kulmbach, l'un des meilleurs dessinateurs de l'atelier
d'Albrecht Dürer.
Entre 1514 et 1520, ce fut le tour du Strasbourgeois
Valentin Bousch (fin du XVe-1541) dont l'atelier
réalisa dans un premier temps onze verrières
et, quinze ans plus tard, celle de la façade
occidentale (baie
219). Le maître travaille dans le même
temps à la cathédrale de Metz où
il doit respecter les contraintes iconographiques fixées
par le chapitre. Rien de tout cela à Saint-Nicolas
où il est laissé libre d'imaginer plans
et arrière-plans à sa guise. En effet,
il semble acquis que Bousch dessine lui-même ses
cartons. Peut-être a-t-il subi l'influence du
maître allemand Hans Baldung Grien. Celui-ci a
travaillé dans l'atelier d'Albrecht Dürer
de 1503 à 1507 et a fourni de nombreux patrons
à l'atelier de Veit Hirsvogel.
Utilisant sa liberté, Valentin Bousch, dans la
Présentation de la Vierge au temple (baie
23), compose une scène architecturale complexe.
Dans les Funérailles de la Vierge (baie
23 également), il crée un paysage
montagneux avec une ville esquissée en profil
et, en arrière-plan, l'arrestation
d'un homme (une petite scène qui interpelle
toujours les historiens). Dans la grande baie
111 de la Transfiguration, la végétation
rejoint le monde du fantastique. Au sein de son atelier,
Valentin Bousch forme les apprentis. De la sorte, son
art et sa griffe personnelle se répandent en
Lorraine.
À Saint-Nicolas-de-Port, cet artiste fait la
preuve de sa valeur et gagne la protection de la famille
de Lorraine. Une protection qui lui vaut bientôt
la commande de la plupart des vitraux de la cathédrale
de Metz. «Grâce aux apprentis et compagnons
formés dans son atelier, suivi par des imitateurs,
l'art de Valentin Bousch, écrit Michel Hérold,
marque très vite d'une empreinte profonde le
vitrail en Lorraine (...).» On trouve ainsi des
vitraux signés de sa main en Meurthe-et-Moselle
(église Saint-Côme-et-Saint-Damien
de Vézelise) et en Moselle (Sainte-Barbe et Ennery).
La Lorraine, restée profondément catholique,
permet ainsi au Strasbourgeois Valentin Bousch d'être
l'un des phares de la Renaissance «allemande».
Les historiens du vitrail insistent largement sur la
part prépondérante des verriers «allemands»
dans les vitraux de Lorraine au XVIe siècle.
Cette mainmise n'est autre que la traduction dans l'art
du vitrail de «la domination exercée par
les marchands "allemands" sur le commerce
portois, écrit Michel Hérold pour le Corpus
Vitrearum. Saint-Nicolas-de-Port entretient des
relations économiques particulièrement
soutenues avec Nuremberg, Francfort et surtout avec
Strasbourg : des verriers de Nuremberg et de Strasbourg
travaillent pour l'église.»
Michel Hérold évoque aussi la possibilité
que certains vitraux soient l'uvre d'un maître
troyen inconnu : le saint Adrien de la baie
17, le saint évêque de la baie
15 et la Vierge à l'Enfant de la baie
13. L'ensemble se logeait peut-être dans une
même verrière exécutée vers
1510-1520. Leur mauvais état de conservation
ne permet pas d'être catégorique. Pourtant
le visage de la Vierge de la baie
13 (donné ci-dessus
à gauche), élégant et gracieux,
correspond à la griffe champenoise.
Il en va tout autrement de la griffe «allemande»,
notamment celle de Nuremberg. Michel Hérold y
souligne «les visages aux expressions très
dures, presque maladroites», y compris quand il
s'agit de dessiner la Vierge. Ce qui est bien visible
dans la baie
113 (voir le visage ci-dessus).
Exécutée par l'atelier de Veit Hirsvogel
à Nuremberg, d'après les dessins de Hans
Süss de Kulmbach, la dureté dans l'expression
faciale de la Vierge trahit-elle un trait de caractère
germanique ? Quoi qu'il en soit, on est très
loin des madones du Pérugin ou de Raphaël
créées à la même époque.
On donne ci-contre un exemple de madone réalisée
vers 1530 par Giovanni Antonio Sogliani et dont la douceur
d'expression ressemble beaucoup à celle de la
Vierge du vitrail troyen de la baie
13. Voir sources ci-contre.
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Déploration.
Fresque du début du XVIe siècle sur une pile. |
Le saint homme Job.
Fresque du début du XVIe siècle sur une pile. |
Le bas-côté nord vu depuis l'avant-nef |
Baie 124 : Épisodes de la Vie de saint Nicolas, détail.
Vitrail du XXe siècle. |
Porte gothique et meuble avec ses panneaux peints du XVIe siècle.
Au-dessus, la fresque du Ravissement de sainte Madeleine
présentée ici sans aucune retouche informatique. |
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Les chapelles latérales du bas-côté sud
vues de la nef.
Elles datent de la seconde période de construction.
Dans les ouvertures des chapelles, la jonction entre les deux
arcades est interrompue
dans sa partie haute et se termine par un pendentif. |
Pendentif de l'arc central
dans une chapelle latérale de la nef
(seconde période de construction). |
Scène du Rosaire dans la chapelle Sainte-Jeanne
de Valois.
Fresque du XIXe siècle. |
Le
Ravissement de sainte Madeleine.
Au XXe siècle, cette fresque du début
du XVIe a laissé perplexes les spécialistes.
À présent, tout le monde s'accorde
autour du thème du Ravissement de Marie-Madeleine.
Après l'incendie de 1635, une couche de
badigeon l'avait recouverte. Elle a été
remise au jour en 1891 après un grattage
délicat.
La fresque illustre un paysage méditerranéen :
forêt au premier plan avec un enfant et
ses jouets, ainsi qu'un cavalier tenant un autre
cheval par la bride. Sur la droite, la famille
des donateurs est en prière.
Un important pan de montagne occupe le reste de
la scène. En second plan : un oratoire,
une maison de ferme et un pèlerin. Au-dessus
: un château-fort, une ferme fortifiée
et un autre pèlerin qui gravit la montagne,
aidé de son bâton. Enfin, au sommet
du rocher, une jeune femme nue se tient debout,
vêtue uniquement de sa longue chevelure.
Elle est en prière et quatre anges l'élèvent
au-dessus du rocher. Derrière la jeune
femme on arrive à distinguer trois croix
dressées.
Dans l'ouvrage édité par l'association
locale Connaissance et Renaissance de la Basilique
Saint Nicolas de Port, Serge Saunier écrit
: «Il faut avoir visité le massif
forestier et montagneux, et le rocher de la Sainte-Baume
en arrière de Marseille, près de
Saint-Maximin, et on est alors frappé :
- par la similitude des paysages, dûs [sic]
au calcaire compact et tabulaire des Préalpes
du sud - et par l'atmosphère qui se dégage
de ce tableau.» Serge Saunier en conclut
qu'on peut être certains que cette fresque
représente Marie-Madeleine «venue
trouver calme et repentir dans la grotte de la
Sainte-Baume». La légende raconte
en effet que la sainte était transportée
chaque jour dans les Cieux pour assister à
un concert divin.
Source : «La basilique
de saint Nicolas en Lorraine», Association Connaissance et Renaissance de la Basilique de Saint Nicolas de Port, 1979.
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Vitrail moderne de la baie 124 : Épisodes de la
Vie de saint Nicolas. |
Baie 124 : Épisodes de la Vie de saint Nicolas,
détail.
Vitrail du XXe siècle. |
Fresque du Ravissement de sainte Madeleine
(avec retouche informatique). |
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QUATRE PANNEAUX PEINTS DU XVIe SIÈCLE
SUR LA VIE DE SAINT NICOLAS
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Saint Nicolas, déposé, rétabli par Marie. |
Saint Nicolas apaise la tempête. |
Saint Nicolas guérit les malades. |
Saint Nicolas nourrit pendant la famine. |
Vitrail moderne de la baie 120.
Il illustre des métiers souvent patronnés par
saint Nicolas.
On peut y voir leurs symboles ( ruche, mître, échelle,
ancre),
mais aussi des objets liturgiques (calice, hostie, etc.). |
Le bas-côté sud débouche sur la chapelle
absidiale du Sacré-Cur. |
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Le bas-côté sud avec quatre chapelles.
Dans les grandes baies : deux vitraux du XXe siècle (baies
120 et 124). |
Le bas-côté nord (premier et second niveaux) avec
la pile isolée nord. |
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Le
grand orgue 1/2. Dès la construction
de la Grande Église, il était prévu
d'installer un orgue dans le bras nord du transept.
Un témoignage écrit aux alentours de l'an
1700 confirme qu'il y avait bien un orgue au XVIIe siècle,
construit par un moine bénédictin répondant
au nom de Dom Matthieu. Un rapport de janvier 1791 parle
d'un orgue (est-ce le même?) demandant quelques
réparations aux claviers et aux soufflets. L'instrument
resta en place jusqu'en 1846, année où
l'on décida de le remplacer.
Le buffet de ce nouvel orgue a été dessiné
par l'architecte Désiré Laurent de Nancy.
Le matériau utilisé était le chêne
; le style retenu, le néo-gothique du XVe siècle,
parfois appelé style troubadour. Malheureusement,
la partie instrumentale, créée par le
facteur d'orgue nancéien Joseph Cuvillier, fit les frais
du manque de profondeur dans l'élévation.
En juin 1851, une fois l'installation terminée,
la commission chargée de l'inspection ne pourra
que louer l'éclat extérieur du buffet,
mais notera que la sonorité de l'instrument est
«contrariée par l'entassement». ---»»
2/2
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Le grand orgue au-dessus de la chapelle Saint-Roch-Saint-Sébastien.
Le buffet, en chêne, date de la deuxième République
(milieu du XIXe siècle).
L'instrument est dû au facteur Haerpfer de Boulay. |
L'aigle au-dessous du grand orgue est en taille réelle.
Il a été créé lors de l'installation
du nouvel orgue en 1994. |
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Le grand orgue au-dessus de la chapelle
Saint-Roch-Saint-Sébastien. |
«««---
À GAUCHE
Au milieu d'un décor
néo-gothique du XVe siècle,
la statue de saint Nicolas
trône au dessus du siège
de l'organiste.
Le saint vient de ressusciter
trois enfants dont la taille est toute symbolique !
Dessin de Désiré Laurent
Matière : chêne,
Milieu du XIXe siècle.
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Partie basse du buffet du grand orgue (milieu du XIXe siècle).
Le beau garde-corps illustre à lui seul le style troubadour,
en vogue à cette époque. |
La croisée du transept avec l'orgue et la pile isolée
de 21,50 mètres de haut. |
Saint Pierre et sa clé dans le buffet du grand orgue. |
--»»
Le grand orgue 2/2.
La maison Jacquot de Rambervilliers se chargea de l'entretien
de manière satisfaisante... jusqu'au 18 juin 1940 et
au duel d'artillerie entre Français et Allemands. Un
obus français tomba près de l'orgue. Les éclats
soufflèrent les tuyaux ou les détériorèrent.
Profitant du trou béant, la pluie s'en mêla et
le mécanisme fut bientôt définitivement
perdu.
Un nouvel orgue est reposé en 1956, uvre du facteur
Jacquot-Lavergne de Rambervilliers. Serge Saunier, dans l'ouvrage
édité en 1979 par l'association locale Connaissance
et Renaissance de la basilique, déplore que ses
performances ne soient pas à la hauteur de l'édifice
religieux qui l'abrite. Il en rend responsable l'alliage choisi
pour la confection des tuyaux. De même, il regrette
que l'instrument soit installé à cheval sur
l'élévation : les tuyaux sont à l'intérieur
de la basilique tandis que le mécanisme est à
l'extérieur, devenant ainsi une proie facile pour les
infiltrations d'eau.
Enfin, grâce à l'important legs Camille Croué-Friedman
de 1980, un nouvel instrument dû à la manufacture
Haerpfer de Boulay est installé en 1994.
Sources : 1) «La basilique
de saint Nicolas en Lorraine» (1979) & «Découvrir
la basilique de Saint-Nicolas-de-Port» (2008), deux
ouvrages édités par l'association Connaissance
et Renaissance de la Basilique de Saint Nicolas de Port.
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La nef vue de la croisée du transept et le vitrail de la baie
219. |
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Documentation
: «Congrès archéologique de France, Nancy et Verdun»,
1933, article d'André Philippe sur la basilique Saint-Nicolas
(avec les notes de Pierre Marot pour l'historique)
+ «Congrès archéologique de France, Nancy et Lorraine
méridionale», 2006, article de Pierre Sesmat sur la basilique
Saint-Nicolas
+ «La basilique de saint Nicolas en Lorraine», Association
Connaissance et Renaissance de la Basilique de Saint Nicolas de Port,
1979
+ «La Lorraine des Marchands à Saint-Nicolas-de-Port»,
Odile Kammerer-Schweyer, Association Connaissance et Renaissance de
la Basilique de Saint Nicolas de Port, 1985
+ «Lorraine gothique» de Marie-Claire Burnand, éditions
Picard, 1989
+ «Lorraine gothique» de Suzanne Braun, éditions
Faton, 2013
+ «Les vitraux de Lorraine et d'Alsace», Corpus Vitrearum,
1994
+ «Les vitraux de Saint-Nicolas-de-Port», Corpus Vitrearum,
Michel Hérold, 1993
+ «Le vitrail en Lorraine du XIIe au XXe siècle»,
Éditions Serpenoise, Centre culturel des Prémontrés,
1983
+ Brochure «Découvrir la basilique de Saint-Nicolas-de-Port»,
Association Connaissance et Renaissance de la Basilique de Saint Nicolas
de Port, 2008
+ Dictionnaire iconographique des saints, Les éditions de l'Armateur,
1999 par Bertrand Berthod et Élisabeth Hardouin-Fugier.
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