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L'église Sainte-Jeanne d'Arc de
Rouen
date de 1979. Ses courbures très modernes s'élèvent
au milieu de la place du Vieux-Marché, dont le réaménagement
s'est achevé la même année. Initialement sur
la place, il y avait une église dédiée au Saint-Sauveur.
Elle fut la paroisse de Pierre Corneille. On la ferma en 1791 ;
elle fut rasée en 1795. Au Moyen Âge et à l'époque
moderne, la place était le cur du commerce des denrées
alimentaires de la ville. Sous le Second Empire, sa surface doubla
; on y fit construire deux grandes halles. Quant à Jeanne
d'Arc, elle inspira les romantiques et fut à la mode au XIXe
siècle. Souvenir longtemps oublié, on finit par se
rappeler que la place du Vieux-Marché avait été
le lieu de son supplice. Après les dégradations de
la seconde guerre mondiale, la municipalité décida
d'aménager ce vaste endroit à la mémoire de
la Pucelle : construction d'une église et d'un mémorial,
mise en évidence de l'emplacement du bûcher
ainsi que du pilori où l'on exposait les condamnés.
Des maisons à pans de bois furent même réédifiées.
Avant 1944 se trouvait, non loin de la place, une vieille église
dédiée à saint Vincent, attestée dès
le XIIe siècle. De style gothique flamboyant, c'était
l'une des plus riches et des plus belles de Rouen. Ses magnifiques
verrières dataient de la Renaissance. La ville les fit mettre
à l'abri dès 1939. Bonne anticipation : les bombes
alliées détruisirent l'église en 1944.
La nouvelle église est due à l'architecte Louis
Arretche (1905-1991). Son toit épouse la forme d'une
coque de navire renversée et la nef accueille treize magnifiques
verrières
Renaissance de l'ancienne église Saint-Vincent. Ces verrières
constituent une étape incontournable d'une visite de la ville
de Rouen. Cette page en donne un très large aperçu.
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Vue d'ensemble de la nef de l'église Sainte-Jeanne d'Arc |
L'extérieur de l'église prend la forme d'une flamme
Sur la droite, la croix qui se dresse est le mémorial élevé
à Jeanne d'Arc |
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Le jardin et l'emplacement du bûcher (à l'endroit de
l'écriteau).
Sur la gauche, le pilori. |
Les fondations de l'église Saint-Sauveur, rasée en 1795,
sont toujours visibles |
Vue d'ensemble de l'église, côté ouest |
En 1977, on remonta, sur la place du Vieux-Marché, les façades
de maisons à pans de bois
situées dans les quartiers est de la ville et que la guerre
avait démolies. |
Statue de Jeanne d'Arc par Real del Sarte |
La nef et l'entrée occidentale surélevée. |
L'orgue de tribune
Toutes dévouées aux vitraux, les informations sur l'église
ne fournissent rien sur l'orgue. |
La partie arrière de la nef. |
La voûte est faite de lamelles de sapin.
En son centre se trouve une armature métallique très
originale.
La seule colonne interne à l'église est visible près
de l'autel (photo ci-contre) ---»»» |
La nef vue de l'entrée. |
Jeanne d'Arc par Michel Coste, 1999. |
La chapelle du Saint-Sacrement et ses boiseries Renaissance sur la
droite. |
Statue de la Vierge à l'Enfant
Art populaire |
Ces boiseries Renaissance proviennent de la chapelle Sainte-Anne de
l'ancienne église Saint-Vincent.
Chapelle du Saint-Sacrement |
Le chur très dépouillé de l'église
Sainte-Jeanne d'Arc. |
Les fonts baptismaux
Huit vitraux de l'immense verrière ---»»» |
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LES TREIZE VERRIÈRES
RENAISSANCE DE L'ANCIENNE ÉGLISE SAINT-VINCENT |
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Disposition des vitraux dans l'église Sainte-Jeanne d'Arc.
Ils sont tous originaires de l'église Saint-Vincent.
Les cinq de droite (9 à 13) se trouvaient jusqu'en 1939 dans
le déambulatoire de cette église détruite en
1944.
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Le schéma ci-contre donne
la disposition des verrières et leurs thèmes.
Ces treize verrières, créées dans la
décennie 1520-1530, se trouvaient dans le chur
de l'ancienne église Saint-Vincent. Les verrières
9 à 13 éclairaient le déambulatoire,
avec la Crucifixion dans l'axe central. La Vie du Christ,
avec quatre vitraux (Enfance, Passion, Crucifixion et Résurrection),
illuminait donc le chur. Y était ajouté
le martyre de saint Vincent, patron de l'église (n°
13).
Les autres verrières (1 à 8) étaient
réparties dans les chapelles. Les vitraux 2, 3 et 4,
relatifs à sainte Anne et à la Vierge - dont
le somptueux vitrail des Chars -, ornaient la chapelle Sainte-Anne.
Les verrières 3, 5 et 6 ont été réalisées
par le célèbre atelier des Le Prince,
à Beauvais.
Les dix autres sont attribuées à des ateliers
de Rouen, que les historiens d'art désignent sous le
nom générique d'«Atelier Rouennais».
On y sent très fortement l'influence du maître
Arnoult de Nimègue qui avait quitté Rouen
en 1513. On n'en sait guère plus sur cet «atelier»
: les signatures des artistes manquent sur les verres (à
part celle de Le Vieil sur la verrière de Sainte-Anne).
Source : Vitraux retrouvés
de Saint-Vincent de Rouen,
musée des Beaux-Arts de Rouen, 1995.
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La partie gauche de la verrière (ci-dessus) abrite les trois
vitraux de l'atelier des Leprince à Beauvais. |
Les vitraux
de Saint-Vincent. En 1939, prévoyant le
pire, l'Administration prit la décision de déposer
tous les vitraux anciens de l'église Saint-Vincent.
Après classement en bonne et due forme, ils furent
envoyés au donjon de Niort, dans les Deux-Sèvres.
Les vitraux des XVIIIe et XIXe siècles restèrent
en place. Avec l'église, ils furent réduits
en miettes lors du bombardement allié du 31 mai 1944.
On parvint à extraire des décombres quelques
pièces de mobilier et des restes de sculpture. L'église
avait été classée aux Monuments historiques.
Elle fut déclassée, à l'exception du
portail sud du transept, et partiellement rasée. Les
vitraux, entreposés entre-temps à Paris, n'avaient
donc plus d'édifice de destination. Que faire? Construire
une nouvelle église? Bâtir un musée dédié?
Les exposer à demeure dans un musée déjà
existant? Il fallut trente-cinq ans pour régler l'affaire.
En 1951, la Ville envisagea d'exposer les plus beaux vitraux
au musée
le Secq des Tournelles. De Paris, ils revinrent donc à
Rouen. Quatre furent exposés : l'Arbre
de sainte Anne, les Chars,
les Saints
et le Jugement dernier.
En 1957, on partagea les verrières de Saint-Vincent
en deux. Le premier groupe, jugé indivisible, comprenait
les vitraux du chur de l'ancienne église jusqu'au
transept. Les autres, qui ne constituaient pas un véritable
ensemble, formaient le second groupe. Huit verrières
de ce groupe furent remontés, à la cathédrale,
dans la chapelle de la Vierge et dans l'ancienne salle du
trésor de la tour Saint-Romain.
Peu après, la décision fut prise de construire
une nouvelle église place du Marché et l'on
ne parlait plus vraiment d'y remonter les vitraux de l'ancien
chur. De quel style serait-elle? Néo-gothique?
Résolument moderne? Les avis se heurtaient. Et puis,
des vitraux anciens dans du moderne? Des services officiels
s'y opposaient. Cependant, en 1962, les Amis des Monuments
Rouennais bataillèrent pour que
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l'insertion des vitraux dans la
nouvelle église fût inscrite au cahier des charges.
L'idée de créer un musée du vitrail fut
rejetée. L'historien d'art Jean Lafond fit alors une
nouvelle répartition des vitraux : ceux qui appartenaient
à l'église primitive avant la reconstruction
du chur ; ceux qui provenaient d'autres églises
et avaient été remontés à Saint-Vincent
pendant la Révolution ; enfin, la série installée
dans le chur. Cette série, indivisible, sera,
au bout du compte, remontée en 1978 dans la nouvelle
église après de nouvelles péripéties.
En 1972, le projet finalement choisi ne prévoyait pas
de place pour l'insertion des treize verrières. Le
projet était celui de l'architecte Louis Arretche,
Architecte en Chef des Bâtiments Civils et des Palais
Nationaux et urbaniste de la ville de Rouen. Les défenseurs
des vitraux, scandalisés, firent pression. La vice-présidente
des Amis des Monuments Rouennais, madame Néel-Soudais,
à la tête d'un petit groupe, les Amis de Rouen
et de Jeanne d'Arc, amena l'architecte, par sa force de persuasion,
à modifier ses plans. Celui-ci accepta d'enfoncer de
deux mètres l'église dans le sol afin de donner
à la façade nord une hauteur suffisante pour
les verrières. Les treize verrières furent restaurées
de 1975 à 1978 par l'atelier Gaudin, et remontées
à Sainte-Jeanne d'Arc au second semestre 1978.
En dehors de ces treize verrières et de celles qui
ont été remontées à la cathédrale
Notre-Dame, le vitrail du Jugement dernier a été
visible pendant quelques années dans une fenêtre
du musée Le
Secq des Tournelles (qui est une ancienne église).
Il a depuis rejoint les autres verrières, dont un Arbre
de Jessé, dans les réserves du musée
des Beaux-Arts de Rouen.
Source : Vitraux retrouvés
de Saint-Vincent de Rouen,
musée des Beaux-Arts de Rouen, 1995.
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1 - VITRAIL DE
SAINT PIERRE («Atelier Rouennais», vers 1530) |
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Vitrail de Saint-Pierre
«Atelier Rouennais», vers 1530
Le tympan est du XIXe siècle. |
À DROITE ---»»»
Vitrail de Saint-Pierre
Détail du troisième panneau du bas
Un démon est repoussé par un enfant. |
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Le
vitrail de la vie de saint Pierre est une
uvre de l'«Atelier Rouennais». À
son style, on le classe parmi les dernières créations
de cet «atelier», c'est-à-dire vers
1530. Faisons tout de suite un sort au tympan : c'est
un ensemble de saynètes de la vie de saint Pierre
réalisées en 1869 par le peintre verrier
Duhamel-Marette. Deux extraits en sont donnés
ci-dessous. Le style choisi rappelle évidemment
celui des deux registres Renaissance. D'après
les sources, l'ancien tympan, réalisé
en 1721 par Le Vieil, était une vitrerie fleurdelysée...
qui avait disparu depuis longtemps quand Duhamel-Marette
confectionna son beau pastiche Renaissance.
Le registre du bas du vitrail illustre (de gauche à
droite) : la Vocation de saint Pierre et de saint
André ; la pêche miraculeuse
; la Rivalité entre Pierre et Simon le magicien
qui tombe du haut du Capitole ; la Polémique
entre saint Pierre et Simon le Magicien. Cette dernière
scène est enrichie d'un bel arrière-plan
architectural montrant les églises Saint-Ouen
et Saint-Maclou.
Le registre supérieur illustre : la Prédication
de l'apôtre et ses miracles ; la Remise
des clés du Paradis par le Christ ; enfin,
une Apparition du Christ à saint Pierre.
Une observation attentive montre que les visages des
personnages principaux sont très travaillés,
la plupart du temps à la grisaille (voir le Christ,
Pierre et Jacques en gros plan ci-dessous), tandis que
les personnages secondaires (démons et spectateurs)
sont esquissés sans recherche artistique particulière.
Quant aux curieux angelots du registre du bas, ils sont
affichés dans des postures maniérées.
Enfin, le jaune d'argent, utilisé depuis le début
du XIVe siècle, est largement utilisé
dans les costumes. Il sert donc à délimiter
les formes (surtout dans le registre inférieur).
Source : Vitraux retrouvés
de Saint-Vincent de Rouen, musée des Beaux-Arts
de Rouen, 1995.
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L'appel de Pierre, vitrail de 1869 (atelier Duhamel-Marette).
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Le crucifiement de Pierre, vitrail de 1869 (Duhamel-Marette).
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Vitrail de la vie de saint Pierre : le registre inférieur
Cette rangée est remarquable par son emploi abondant du jaune
d'argent dans les vêtements. |
Le visage à la grisaille du Christ
appelant les deux pêcheurs Pierre et Jacques.
(Registre inférieur du vitrail de saint Pierre). |
«««---
À GAUCHE
Appel et vocation de Pierre et Paul, Pêche miraculeuse
;
Victoire sur Simon le magicien ; Polémique
entre saint Pierre et Simon le magicien. |
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Le visage de l'apôtre Pierre
(«Atelier Rouennais», vers 1530), registre inférieur. |
Vitrail de la vie de saint Pierre : le registre supérieur.
Miracle et Prédication de saint Pierre ; Remise des clés
par le Christ ; Apparition du Christ.
«Atelier Rouennais», vers 1530.
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Le visage de l'apôtre Jacques
(«Atelier Rouennais», vers 1530), registre inférieur. |
2 - VITRAIL DE
LA VIE DE SAINTE ANNE («Atelier Rouennais», 1520-1530) |
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Vitrail de la vie de Sainte Anne
(«Atelier Rouennais», 1520-1530) |
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La
verrière de la vie de sainte Anne
se compose de deux grands tableaux sur chacun des deux
registres. En haut : l'Apparition de l'ange à
Joachim ; la Rencontre à la Porte dorée.
En bas : la Naissance de la Vierge ; la Présentation
de la Vierge au Temple. Le tympan, qui illustre
le miracle du «pendu dépendu» n'affiche
pas le même niveau de qualité artistique.
Cette verrière est datée de la décennie
1520-1530. En deux endroits bien anodins (sur un manteau
et une coiffe), on peut y lire un nom, celui de «Viel».
Il s'agit vraisemblablement de Jean Le Vieil, un
peintre verrier qui avait travaillé pour la fabrique
de Saint-Maclou en 1519 et 1520. Des dix verrières
attribuées à «l'Atelier Rouennais»,
c'est la seule qui possède une signature.
Source : Vitraux retrouvés
de Saint-Vincent de Rouen,
musée des Beaux-Arts de Rouen, 1995.
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Un ange apparaît à Joachim ; la Rencontre à
la Porte dorée
Vitrail de la vie de Sainte Anne, registre supérieur
«Atelier Rouennais», 1520-1530 |
La
Rencontre à la Porte dorée
n'est pas, comme on pourrait le croire, la première
rencontre entre Anne et Joachim qui, ensuite, se marient,
puis Anne qui enfante la Vierge. L'affaire est plus
sérieuse. Dans la Légende dorée
de Jacques de Voragine, on apprend qu'Anne et Joachim
sont mariés depuis vingt ans et n'ont pas d'enfant.
«Tous deux vivaient sans reproche, accomplissant
tous les commandements du Seigneur» (traduction
de Teodor Wyzewa, éditions Diane de Selliers).
De leurs biens, ils faisaient trois parts égales
: pour eux et leur famille ; pour le Temple ; pour les
pauvres et les pèlerins. Conscients d'être
inféconds, ils firent un jour le vu que,
s'ils avaient un enfant, ils le consacreraient au service
divin.
Peu après, Joachim se rendit à Jérusalem,
comme à chacune des trois grandes fêtes
de l'année. Au Temple, il présenta son
offrande au grand prêtre, mais celui-ci la refusa,
indigné de la stérilité de son
couple. Dépité, Joachim n'osa pas retourner
chez lui et décida de vivre avec des bergers
dans la campagne. Un jour, un ange lui apparut pour
l'informer que sa femme enfanterait bientôt une
fille. Il l'appellera Marie et la consacrera à
Dieu. Plus tard, celle-ci donnera naissance au fils
de Dieu. L'ange ajouta que Joachim devait se rendre
à Jérusalem, à la porte d'Or. Là,
il rencontrera sa femme, inquiète de sa longue
absence. Entre-temps, l'ange s'en alla informer Anne
de la même chose. Le mari et la femme se rencontrèrent
donc à la Porte dorée, dans l'état
d'exaltation que l'on devine.
Après sa naissance, Marie fut allaitée
pendant trois ans, puis conduite au Temple avec des
offrandes. Elle resta recluse dans ce lieu sacré
jusqu'à l'âge de quatorze ans, visitée
par les êtres célestes et admise à
la vision divine. Elle consacra sa vie à la prière
et au tissage de la laine, tandis qu'un ange se chargeait
de lui apporter sa nourriture.
La Rencontre à la Porte dorée, compte
tenu du contexte de symboles et d'émotions où
il faut l'insérer, a souvent inspiré les
artistes, notamment les peintres verriers mandatés
par les fabriques. Ces peintres ont laissé errer
leur imagination, que ce soit dans l'attitude des deux
époux ou dans l'environnement architectural.
La Porte d'Or est en effet une ouverture dans la forteresse
qui entoure la vieille ville de Jérusalem. Elle
peut être présentée comme un arc
triomphal ou comme un simple passage dans un mur. Dans
le vitrail qui nous occupe ici, l'auteur du carton a
choisi la version «Arc triomphal», faisant
l'impasse sur le mur de la forteresse. L'architecture,
ornée d'angelots et de médaillons, emprunte
beaucoup à l'art de la Renaissance. Quant à
Anne et Joachim et à la posture qu'on leur prête
lors de leurs émouvantes retrouvailles, on voit,
dans la plupart des uvres, les deux époux
rester l'un en face de l'autre, souvent à bonne
distance (ce qui est le cas ici). Quelquefois, ils se
tiennent la main, le bras, ou ils s'embrassent chastement.
Il est rare qu'ils s'étreignent comme deux amoureux.
(Voir le groupe sculpté d'Anne et Joachim, uvre
de la statuaire troyenne du XVIe siècle, à
l'église Saint-Pantaléon
à Troyes.)
Les collections des peintures des Écoles du Nord,
au musée du Louvre, exposent un tableau
de cette fameuse rencontre, peint par Wilhem Ziegler
au XVIe siècle où l'on voit Anne et Joachim
engloutis dans une étreinte ! Quant à
la porte d'Or, elle semble carrément insérée
dans une masure. Seul le paysage verdoyant du fond peut
faire penser qu'il s'agit bien d'une porte et qu'on
est en plein air. Le même tableau montre aussi,
sur la gauche, la scène de l'ange qui informe
Anne de la future naissance de Marie. Cette scène
se situe dans l'ouverture d'une demeure. On a l'impression
que l'ange a tout simplement frappé à
la porte et, comme le facteur, qu'il tient un courrier
à la main !
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«««---
À GAUCHE
«La Rencontre à la Porte dorée»
Wilhelm Ziegler (1480 - vers 1543)
PARIS, MUSÉE DU LOUVRE |
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Naissance de la Vierge, Présentation de la Vierge au Temple
Vitrail de la vie de sainte Anne (1520-1530), Registre inférieur.
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Marie devant le grand-prêtre (tête restaurée en
1869)
Vitrail de la vie de sainte Anne (1520-1530)
Détail du registre inférieur
«Atelier Rouennais», 1520-1530
Là encore, le jaune d'argent est utilisé pour
le manteau et les cheveux. |
3 - VITRAIL DES
CHARS (Jean et Engrand LE PRINCE, Beauvais, 1522-1524) |
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Le vitrail des Chars ou Le Triomphe de la Vierge
(Jean et Engrand Le Prince, Beauvais, 1522-1524) |
Ève naît d'une côte d'Adam (Jean et Engrand
le Prince)
Vitrail des Chars (soufflet dans le tympan) |
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Le
vitrail des Chars, uvre de Jean
et Engrand Le Prince à Beauvais, est l'un
des plus beaux vitraux exposés dans l'église
Sainte-Jeanne d'Arc. Très riche en couleurs,
il affiche des arrière-plans d'architecture ou
de massifs forestiers. Le jaune d'argent y est utilisé
pour donner un «cachet de feu» à
certaines parties du dessin, comme le char d'Adam et
Ève, dans le registre situé sous le tympan.
Comme souvent, avec les Le Prince, il est signé.
Au niveau artistique, le vitrail des Chars illustre
le goût du Triomphe chez les gens de la Renaissance.
Le Triomphe, c'est un char tiré par des vertus
ou des vices, accompagné par des animaux et suivi
par des personnages incarnant le Bien ou le Mal, la
Justice ou l'Envie, la Charité ou l'Avarice,
etc. Sur le plan théologique, le vitrail des
Chars rappelle les grandes phases de l'histoire du monde
et le combat de l'Église catholique contre le
protestantisme.
Le décryptage commence par le tympan : Marie,
enfant, au côté du Créateur, préexiste
à la création du monde. Dans un soufflet,
Ève, qui sort d'une côte d'Adam, fait la
liaison avec le registre du dessous où s'avance
le premier Triomphe, celui d'Adam et Ève au paradis
terrestre. Deux vertus, parées de robes bleue
et rouge tirent le char ; d'autres le suivent. Adam
et Ève tiennent bien haut l'étendard de
la Justice.
Le registre du milieu évoque la chute de l'homme
: c'est le Triomphe de Satan. Le char porte l'arbre
de la Connaissance autour duquel s'entoure le serpent.
Il est précédé par Adam et Ève
courbant l'échine. Ce panneau, très célèbre,
est un classique du vitrail de la Renaissance. Adam
et Ève, déchus, sont maintenant les captifs
de Labor et de Dolor. Ils se traînent
devant un superbe décor en camaïeu bleu
montrant la cathédrale Notre-Dame de Rouen et
les toits de maisons de la ville. Cette fois, l'étendard
de la Justice, en berne sur sa hampe, est porté
par la Crédulité. Les sept péchés
capitaux, montés sur des animaux, suivent le
porte-étendard.
Enfin, le registre du bas est à la gloire de
la Vierge. David et Isaïe l'accompagnent sur son
char, dont les roues écrasent le démon.
Marie se présente ainsi en actrice du rachat
du péché originel, elle qui, nous disent
les Écritures, préexistant à la
création du monde, a été conçue
sans péché. Le char est tiré par
des anges, tandis que Moïse, la Vérité
et l'Hérésie ouvrent la route.
Derrière, les donateurs suivent le cortège.
Les historiens d'art ne savent pas exactement qui ils
sont. Des marchands? En tout cas, des roturiers car
leurs habits sont sobres. Au-dessus de leurs têtes
trône un magnifique camaïeu de la cathédrale
de Beauvais. Sont-ils originaires de cette ville?
Et, si oui, est-ce pour cette raison qu'ils ont commandé
la verrière à un atelier de Beauvais?
Il n'y a aucune certitude.
La Vierge, en tant que rédemptrice, occupe une
place centrale dans l'iconographie de ce vitrail. C'est
évidemment une réponse aux réformés
qui lui ôtent quasiment toute part dans la théologie
protestante. Le symbole est encore accentué par
la présence de l'Hérésie
et de la Vérité comme porte-étendards
en tête du cortège. Le sujet de cette verrière
était nouveau. Les peintres se sont d'une part
inspiré du dessin d'Albert Dürer, le
grand char de l'empereur Maximilien, ils ont aussi
inséré quelques cartouches pour expliquer
les scènes. Quoi qu'il en soit, le résultat
est digne de louanges. Des répliques en furent
faites, dont l'une, destinée à l'église
Saint-Nicolas de Rouen, se trouve dispersée en
Grande-Bretagne.
On regardera avec intérêt le chef d'uvre
d'Engrand le Prince à l'église Saint-Étienne
de Beauvais
: un arbre de Jessé considéré comme
l'un des plus beaux de la Renaissance.
Source : Vitraux retrouvés
de Saint-Vincent de Rouen,
musée des Beaux-Arts de Rouen, 1995.
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Le Triomphe de la Vierge ou le vitrail des Chars
Registre supérieur : la cathédrale de Rouen en
camaïeu bleu (Jean et Engrand le Prince, 1522-1524) |
Les animaux du paradis terrestre dans le registre supérieur
Vitrail des Chars, Jean et Engrand le Prince, Beauvais, 1522-1524 |
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Le Triomphe de la Vierge : Marie, en tant que rédemptrice,
triomphe du Mal qui est écrasé par les roues.
Vitrail des Chars, registre inférieur
(Jean et Engrand le Prince, Beauvais, 1522-1524). |
Le triomphe d'Adam et Ève au paradis terrestre
Vitrail des Chars, registre supérieur
Adam et Ève, nus sur le char, portent haut l'étendard
de la Justice.
Pour le char et le cortège, les Le Prince se sont inspirés
de la gravure du «Grand char de l'empereur Maximilien»
d'Albert Dürer. |
À DROITE ---»»»
Adam et Ève, captifs de Labor et Dolor, tirent
le char du Mal où trône l'arbre de connaissance.
Vitrail des Chars, registre du milieu (Le triomphe de
Satan)
Ce superbe vitrail illustre la page de couverture du volume
du Corpus Vitrearum sur les vitraux de Haute-Normandie. |
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Le triomphe de Satan
Vitrail des Chars, registre du milieu
L'étendard de la Justice, en berne, est porté par la
Crédulité.
L'Arbre de la Connaissance a pris place sur le char. Autour de l'Arbre
s'enroule le démon. Il a pris la forme d'un serpent à
tête humaine. |
4 - VITRAIL DE
L'ARBRE DE SAINTE ANNE («Atelier Rouennais», 1520-1530) |
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Vitrail de l'Arbre de sainte Anne
«Atelier Rouennais»
1520-1530
À DROITE ---»»»
La Vierge et l'Enfant
au centre du vitrail.
Vitrail de l'Arbre de sainte Anne |
Le vitrail
de l'Arbre de sainte Anne rappelle la disposition
de l'Arbre de Jessé. Il veut illustrer la descendance
d'Anne au travers (selon la Légende dorée
de Jacques de Voragine) de ses trois mariages. Au bas de l'Arbre
se trouve sainte Anne instruisant la Vierge, fille qu'elle
a eu avec Joachim. Elle s'est ensuite mariée avec Cléophas,
dont elle a eu Marie Cléophas (à droite), puis
avec Salomé, dont elle a eu Marie Salomé (à
gauche). Sainte Anne est donc entourée de ses trois
filles. On a donc affaire à une représentation
des trois Marie.
Au niveau supérieur, la Vierge se tient au centre,
portant l'Enfant Jésus dans ses bras. À gauche,
on trouve les enfants de Marie Cléophas (mariée
à Alphée) : Simon, Joseph le Juste, Jacques
le Mineur et Jude ; à droite, les enfants de Marie
Salomé (mariée à Zébédée)
: Jacques le Majeur et Jean l'Évangéliste. Cinq
de ces six demi-frères seront apôtres du Christ.
Tous ont la même grand-mère, sainte Anne. Jésus
et ces cinq apôtres sont donc cousins au premier degré.
Il s'agit bien sûr d'une généalogie tirée
de la Légende dorée, avec sa part inévitable
d'invention. Inutile d'ajouter que des érudits, dès
le Moyen Âge, ont rejeté cette descendance. Vraie
ou pas, elle doit être prise avec respect : grâce
à elle, des artistes ont pu réaliser des chefs-d'uvre.
On peut voir les statues des trois Marie sur le portail sud
de la collégiale Saint-Vulfran
à Abbeville.
Les originaux ont été détruits par la
guerre de 40, mais des copies ont été montées
en 1998.
Bien que la descendance de sainte Anne ait été
un thème assez fréquent à la fin du Moyen
Âge, il est rare de le voir illustré avec autant
d'ampleur. Dans les draperies et les gestes, on y sent l'influence
du maître hollandais Arnoult de Nimègue
(qui avait séjourné à Rouen peu avant
la création des vitraux de Saint-Vincent).
Sources : Vitraux
retrouvés de Saint-Vincent de Rouen, musée
des Beaux-Arts de Rouen, 1995 + La Légende dorée
de Jacques de Voragine.
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Les trois Marie : Marie Salomé, sainte Anne (avec la Vierge)
et Marie Cléophas.
Vitrail de l'Arbre de sainte Anne
«Atelier Rouennais», 1520-1530 |
5 - VITRAIL DE
LA VIE DE SAINT JEAN-BAPTISTE (Engrand Le PRINCE, Beauvais,
1525-1526) |
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Vitrail de la vie de saint Jean-Baptiste
Engrand le Prince
Beauvais, 1525-1526 |
Le vitrail
de saint Jean-Baptiste est un chef d'uvre
d'Engrand le Prince, indiscutablement l'artiste le
plus doué de cette famille de peintres verriers de
Beauvais. L'histoire commence par le tympan avec les premiers
épisodes de la vie de Jean : Annonce à Zacharie,
Visitation, Départ de Jean de la maison de
ses parents pour le désert ; Première
prédication. Sur les deux registres au-dessous,
Engrand Le Prince développe les quatre phases capitales
de sa vie ou liées à elle. En haut, devant un
riche arrière-plan : la Prédication,
puis le baptême du Christ. Le superbe décor
bleuté (où figurent encore quelques éléments
d'architecture) lie les deux scènes. Au-dessous, deux
compositions célèbres (et légèrement
refaites à cause des bouche-trous) : la Décollation
et la Présentation de la tête du Baptiste
à Hérode et Hérodiade.
Voir l'église Saint-Jean-Baptiste
à Saint-Jean-d'Angély
pour connaître le pourquoi de la décollation
de Jean et le rôle de ses remontrances à Hérode
Antipas.
Quelques parties de ce vitrail ne sont pas d'origine. Dès
le XVIe siècle, on eut à refaire la tête
du Christ dans la scène du baptême. D'après
les sources, la tête originale aurait pu être
brisée lors du saccage de Rouen par les protestants
en 1562. Enfin, retouche plus importante (due aux nombreux
bouche-trous) dans deux panneaux du registre inférieur
: celle de la Présentation de la tête de Jean
à Hérode et Hérodiade par Salomé.
La danse de Salomé, accompagnée de rubans qui
volètent, est une «création» de
l'atelier Duhamel-Marette à Évreux en 1869.
Cette création est dénigrée par les historiens
d'art pour deux raisons. D'une part, elle ne correspond pas
à l'iconographie (Salomé présente en
effet la tête sur un plateau et ne danse pas) ; d'autre
part, l'atelier Marette avait sous la main, dans l'église
de Pont-Audemer, une fort bonne imitation de la scène
perdue d'Engrand le Prince. En effet, cette célèbre
verrière a été copiée par d'autres
peintres verriers normands dès son exposition dans
l'église Saint-Vincent. Ainsi, en 1535, Mausse Heurtault
en fit une réplique (jugée très correcte
par les historiens) pour l'église Saint-Ouen de Pont-Audemer.
D'autres églises de Haute-Normandie possèdent
des imitations de cette verrière, preuve que la «griffe»
d'Engrand le Prince servait de source d'inspiration et d'émulation
au niveau d'une région.
Source : Vitraux retrouvés
de Saint-Vincent de Rouen,
musée des Beaux-Arts de Rouen, 1995.
|
|
Registre supérieur du vitrail de la vie de saint Jean-Baptiste
par Engrand le Prince (1525-1526)
Le lion en bas à gauche est marqué par l'influence de
Dürer.
La tête du Christ dans la scène du baptême a été
refaite au XVIe siècle. |
La Décollation de Jean-Baptiste et la Présentation de
la tête du saint à Hérode et Hérodiade.
Vitrail de la vie de saint Jean-Baptiste par Engrand le Prince (Beauvais,
1525-1526).
Registre inférieur. |
Tête de Salomé.
Vitrail de la vie de saint Jean-Baptiste par Engrand le Prince
Cette tête de Salomé, ainsi que tout le personnage en
train de
danser, est une création de l'atelier Duhamel-Marette en 1869. |
Salomé attend, avec son plateau, la tête de Jean-Baptiste.
Vitrail de la vie de saint Jean-Baptiste par Engrand le Prince (1525-1526),
registre inférieur
Le grand artiste qu'était Engrand Le Prince n'a lésiné
sur rien : le camaïeu bleu du bâtiment
sur la gauche fait apparaître des personnages sur les balcons
afin que tout le décor soit animé.
|
Hérode et Hérodiade reçoivent la tête de
Jean-Baptiste présentée sur un plateau par Salomé.
Vitrail de la vie de saint Jean-Baptiste par Engrand le Prince (1525-1526),
registre inférieur
Dans tout ce registre, Engrand le Prince emploie le jaune d'argent
pour les vêtements
des deux personnages principaux de l'histoire : Hérode et Salomé. |
La Décollation de Jean-Baptiste (partiel)
Vitrail de la vie de saint Jean-Baptiste par Engrand le Prince (1525-1526),
registre inférieur
La magnificence des architectures d'arrière-plan et les personnages
qui les animent
font partie intégrante de la marque de fabrique d'Engrand le
Prince. |
Jean quitte la demeure de ses parents, Première prédication
Vitrail de la vie de Jean-Baptiste par Engrand le Prince (1525-1526),
détail du tympan. |
6 - VITRAIL DES
UVRES DE MISÉRICORDE (Jean et Engrand LE PRINCE,
Beauvais, vers 1525) |
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Vitrail des uvres de Miséricorde
par Jean et Engrand le Prince
(Beauvais, vers 1525) |
Le
vitrail des uvres de miséricorde
possède une iconographie peu commune. Quatre
tableaux allégoriques illustrent les bienfaits
de la Charité. Jean et Engrand Le Prince
y déploient tout leur talent dans des panneaux
hauts en couleurs. Celui du bas a subi une restauration
après le saccage de Rouen par les protestants
en 1562. Et l'atelier Duhamel-Marette fit une restauration
générale en 1869.
Les registres regorgent d'inscriptions nommant les personnages
ou expliquant ce qu'ils font : le thème devait
être difficile à cerner.
Le registre du bas est une allégorie du Mauvais
riche. Celui-ci a pris place au centre de la table,
habillé d'un manteau au col de fourrure très
luxueux. À droite, on voit Suffisance,
debout, dans sa belle robe rouge aux manches vertes
; à gauche se tient une nonne (les Le Prince
voulaient-ils rappeler par là que les couvents
étaient riches?). Trois pauvres tendent la main
et se font rabrouer. Le quatrième, Lazare, est
étendu par terre, au premier plan. Lui aussi
tend la main ostensiblement.
Le registre du dessus montre la punition de l'ingratitude.
La cause des riches, en vêtements luxueux, est
défendue par Pitié auprès
du Christ, qui refuse de s'apitoyer sur leur sort :
une inscription porte la mention : «Qu'ils souffrent
de la faim comme les chiens». Dans ce panneau,
les riches sont clairement désignés comme
des ingrats. Une inscription à la base les appelle
d'ailleurs «les riches ingrats». Cette notion
d'ingratitude est ici surprenante. Qu'ont fait les
---»»» Suite à droite
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Le Mauvais riche
Vitrail des uvres de Miséricorde
par Jean et Engrand le Prince (Beauvais, vers 1525) |
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pauvres pour ce riche? En quoi est-il leur débiteur?
Il faut connaître la mentalité des gens
du Moyen Âge à partir du XIIe siècle
et le sens qu'on y donnait alors au mot pauvreté.
Pour ce faire, on se reportera au développement
proposé ci-dessous.
Disons simplement que l'existence des indigents était,
d'une certaine manière, considérée
comme la source de la fortune des riches. Un riche qui
ne pratiquait pas la charité était donc
un ingrat : il ne rendait pas aux pauvres ce que les
pauvres lui avaient donné eux-mêmes. Sur
la gauche, la Mort perce un riche de sa lance.
Au registre au-dessus, Richesse, une femme élégante
parée d'une robe peinte au jaune d'argent., repousse
Nécessité qui mendie pour ses enfants.
Derrière, Charité secourt des pauvres,
dont un boiteux. Au premier plan, à droite, une
scène plus ambiguë : Aumône
éteint le feu qui menace Péché.
Ce symbole se traduit aisément : le secours
aux pauvres réduit le pouvoir du Malin en ôtant
les hommes secourus à son influence.
Au registre supérieur enfin, le Christ , sous
un dais richement décoré, promet de nourrir
tous ceux qui viennent à lui. Ce panneau n'est
pas reproduit en gros plan dans cette page.
Source : Vitraux retrouvés
de Saint-Vincent de Rouen,
musée des Beaux-Arts de Rouen, 1995.
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À GAUCHE
Le Festin du Mauvais riche
Vitrail des uvres de Miséricorde
par Jean et Engrand le Prince (Beauvais, vers 1525) |
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Le Festin du Mauvais riche
Vitrail des uvres de Miséricorde par Jean et Engrand
le Prince (Beauvais, vers 1525)
Le Mauvais riche rabroue les mendiants. Sur la droite, Dame Suffisance
ne porte que mépris à la scène.
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La pauvreté
au Moyen Âge occidental.
Le sens du mot «pauvreté» a évolué
au XIIe siècle, époque marquée par un
important progrès technique et un enrichissement global
de la société. Jusque-là, la pauvreté
était conçue comme la rançon du péché,
comme un châtiment ; la richesse, regardée comme
une faveur divine qui permettait de faire l'aumône,
acte qui s'était presque institutionnalisé.
Certains grands nobles traînaient en permanence derrière
eux une douzaine de pauvres qu'ils nourrissaient. Ainsi ils
respectaient leurs obligations envers les pauvres et les opprimés.
On trouve dans le XIIe siècle occidental une situation
qui rappelle celle de ce début du XXIe : le progrès
technique entraîne l'enrichissement de ceux qui entreprennent,
mais multiplient les pauvres. L'Église aussi s'enrichit,
et de là naît le scandale. Comment imiter le
Christ quand on vit dans l'opulence? L'accroissement du nombre
des «laissés-pour-compte de la croissance»
(comme on dirait aujourd'hui) et la nécessité
de ne pas s'écarter de l'idéal évangélique
vont changer les mentalités.
André Vauchez, dans son ouvrage La spiritualité
du Moyen Âge occidental, écrit que «cette
conception ritualiste de la charité fit place à
une volonté de lutter efficacement contre la misère
et surtout d'entrer en contact direct avec les pauvres.»
S'occuper de la veuve et de
---»»»
|
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l'orphelin avait été à la source
de l'idéal chevaleresque. Désormais il faut
aussi s'occuper de ceux qui sont regardés comme des
victimes de l'injustice (on dirait aujourd'hui de l'injustice
sociale) et ils sont légions : mendiants, errants,
prostituées, malades, lépreux, etc. Mais André
Vauchez souligne aussi que la pauvreté, à cette
époque, ce n'était pas seulement manquer d'argent,
c'était aussi manquer de protection, être abandonné
à soi-même. Faire l'aumône à un
mendiant dans la rue n'était plus suffisant. Il fallait
le prendre en charge, c'est-à-dire créer des
maisons où on pourrait l'accueillir. D'où la
floraison d'établissements de bienfaisance, d'«hôpitaux»,
souvent ouverts par des mains privées. Les léproseries
vont ainsi se multiplier dans tout l'Occident chrétien
dans les dernières décennies du XIIe siècle.
«La véritable charité consistait à
dépister les misères et à les soulager
par une organisation aussi efficace que le permettaient les
conditions de l'époque», écrit encore
André Vauchez. Parfois la charité allait encore
plus loin : on sortait un pauvre de sa misère en lui
trouvant du travail car la présence du pauvre, véritable
«vicaire du Christ» était regardée
comme salvatrice.
Globalement parlant, au cours du XIIe siècle la nature
de l'aumône se transforme : elle n'est plus un acte
méritoire, elle devient un geste de justice. Sous les
coups de boutoir des têtes pensantes du christianisme
de l'époque, comme saint Bernard, la conscience collective
ira même plus loin : le riche a le devoir de donner
parce que l'aumône est devenue un droit ; si le riche
ne donne pas, le pauvre a le droit de voler pour récupérer
son dû.
La verrière des uvres de Miséricorde
réalisée par les Le Prince assimile à
des ingrats les riches qui ne donnent pas (deuxième
registre en partant du bas). L'utilisation du mot «ingratitude»
peut étonner ici. Qu'ont donc fait les indigents pour
les riches? En remerciement de quoi doivent-ils recevoir de
l'argent? Nous avons vu plus haut que l'aumône en était
venue à être ressentie, par les mendiants, comme
un droit. Saint Bernard, cité par André Vauchez,
pousse l'affaire encore plus loin et précise clairement
le sous-tendu de la civilisation occidentale du XIIe siècle.
L'historien cite le saint qui apostrophe les riches en se
faisant le porte-parole des pauvres : «C'est notre vie
qui forme votre superflu. Tout ce qui s'ajoute à vos
vanités est un vol fait à nos besoins.»
Mentalité qui peut, replacée dans la bouche
des indigents, s'interpréter abruptement de la manière
suivante : «le fait que je vive vous permet d'être
riche, donc le fait de vivre doit me rapporter de l'argent.»
Au vu de la construction incessante, au cours des âges,
d'hospices, d'Hôtel-Dieu et de maisons spécialisées
pour s'occuper des pauvres, il est clair que cette mentalité
a peu ou prou perduré jusqu'au XIXe siècle.
On fera aisément le parallèle avec l'aide sociale
plus que généreuse de notre civilisation actuelle
où le fait de vivre signifie pour certains : «je
consomme, donc j'accrois vos bénéfices».
Avec la conclusion qui s'ensuit. Ce bouleversement des mentalités
fait du XIIe siècle une époque charnière
dans l'histoire de la mentalité occidentale.
Source : La spiritualité
du Moyen Âge occidental (VIIIe-XIIIe siècle)
d'André Vauchez, Collections Points, éditions
du Seuil.
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L'inscription «Les Riches ingras» est à moitié
effacée.
Bas du panneau «La Pitié intercède pour les Riches
ingrats auprès du Christ»
Vitrail des uvres de Miséricorde
par Jean et Engrand le Prince (Beauvais, vers 1525) |
Dame Richesse repousse Dame Nécessité qui mendie pour
ses enfants (à gauche)
L'Aumône (Osmone) éteint le feu qui menace Péché
couché par terre (à droite)
Vitrail des uvres de Miséricorde
par Jean et Engrand le Prince (Beauvais, vers 1525). |
La Pitié intercède pour les Riches ingrats auprès
du Christ qui les repousse.
La Mort transperce un riche avec sa lance.
Vitrail des uvres de Miséricorde
par Jean et Engrand le Prince (Beauvais, vers 1525). |
7 - VITRAIL DE
SAINT ANTOINE DE PADOUE («Atelier Rouennais», vers
1530) |
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Vitrail de saint Antoine de Padoue
«Atelier Rouennais», vers 1530
Son style est nettement marqué par l'influence des Le
Prince. |
À DROITE ---»»»
Vitrail de saint Antoine de Padoue
«Atelier Rouennais», vers 1530
1) Le Miracle du pied coupé ---»»»
2) Le Cur de l'usurier (partie droite du panneau)
---»»»--»»»
On découvre le cur dans la cassette, au milieu
des pièces d'or, tandis que la dépouille
n'a pas de cur. |
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Le
vitrail de saint Antoine de Padoue est la
seule verrière parmi les treize de l'ancienne
église Saint-Vincent qui soit peinte en grisaille
et sanguine rehaussée de jaune d'argent. L'influence
des Le Prince y est manifeste : précision de
l'architecture, riches drapés avec plis et surplis,
et surtout abondance de jaune d'argent pour définir
les formes et affiner les modelés. Les historiens
n'expliquent d'ailleurs pas comment cette influence
a pu s'exercer : les Le Prince étaient en activité
à Beauvais et le phénomène d'imprégnation
du travail d'un maître par l'observation attentive
de ses uvres n'était guère possible.
Les créateurs de cette verrière (comme
de celle de saint
Pierre vue plus haut, influencée elle aussi
par les Le Prince) avaient-ils été travailler
dans l'atelier de Beauvais? Question sans réponse.
Le vitrail de saint Antoine illustre trois des principaux
miracles attribués à ce saint. En bas,
on voit le Miracle de la mule. L'animal s'agenouille
devant une hostie consacrée au lieu de la manger.
Au-dessus : Prédication du saint aux funérailles
d'un usurier. Antoine de Padoue avait prédit
que l'on trouverait le cur de cet homme, qui aimait
l'or plus que Dieu, dans sa cassette. On découvre
en effet son cur au milieu des pièces d'or
de son coffre (image à droite ci-dessous) ; on
s'aperçoit aussi que sa dépouille n'a
pas de cur. Registre suivant : le Miracle du
pied coupé (photo ci-dessous). Un homme a
frappé sa mère avec son pied. Antoine
conseille alors à ce fils indigne de couper ce
pied qui scandalise, ce que fait l'homme. Ému
et pris de remords, Antoine recolle le pied à
la jambe. Enfin, le registre supérieur dépeint
la Mort de saint Antoine. Le saint y est entouré
de moines et de proches.
Cette verrière possède beaucoup de plombs
de casse et l'appréciation de ses qualités
artistiques en est rendue difficile. Néanmoins,
elle a une caractéristique notable : les panneaux
sont une agrégation de plusieurs scènes
pour constituer une histoire. Ainsi, dans le panneau
du pied coupé, on distingue nettement, dans la
partie droite, l'homme qui se coupe le pied et, en bas,
le saint qui le recolle à la jambe.
On pourra se reporter à l'église Saint-Antoine-de-Padoue
au Chesnay, près de Versailles,
église achevée en 1900 et possédant
une très belle verrière des ateliers Lorin
à Chartres sur la vie de saint Antoine.
Source : Vitraux retrouvés
de Saint-Vincent de Rouen,
musée des Beaux-Arts de Rouen, 1995
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Le Miracle de la mule
Vitrail de saint Antoine de Padoue
«Atelier Rouennais», vers 1530
En bas à gauche, deux donatrices agenouillées sont en
prière.
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La Mort de saint Antoine de Padoue
Vitrail de saint Antoine de Padoue, «Atelier Rouennais»,
vers 1530. |
C'est souvent sur les vitraux
de la Renaissance que l'on trouve de très intéressants
dessins des vaisseaux de cette époque.
Voir le vitrail de la nef au palais
Jacques Cur à Bourges.
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La nef dans l'arrière-plan du «Miracle de la mule»
(Le haut du mât a été coupé.) |
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8 - VITRAIL DES
SAINTS («Atelier Rouennais», 1520-1530) |
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Le
vitrail des Saints est situé au-dessous
de celui de saint Antoine de Padoue, dans la même
verrière. Dans l'ancienne église Saint-Vincent,
ces deux vitraux étaient séparés.
Sur un plan général, les grandes figures
dont se compose le vitrail des Saints ont inspiré
les peintres verriers normands pour d'autres églises.
Les historiens d'art penchent pour une participation
de plusieurs artistes dans la conception de ce vitrail.
En particulier un détail retient l'attention
: le panneau du haut est enrichi d'un décor d'arrière-plan,
ce qu'on ne voit pas dans les deux autres. Certains,
faisant le parallèle avec un vitrail d'Arnoult
de Nimègue à Louviers, y voient une
influence déterminante de ce maître. Serait-ce
même un verrier formé par lui qui aurait
fait ce panneau? Les sources consultées font
mention d'une différence importante entre le
visage de saint Jacques (reproduit en gros plan à
droite) et le visage des autres personnages. «La
douceur qui émane du visage de saint Jacques,
modelé à la sanguine et à la grisaille,
provient d'un jeu de hachures très subtil qui
se confond avec le travail de putoisage et d'enlevés.
Sur les autres visages, traités uniquement en
grisaille, les hachures sont plus apparentes»,
lit-on dans l'ouvrage Vitraux retrouvés de
Saint-Vincent de Rouen sous la plume de Véronique
Chaussé et Laurence de Finance. Faut-il en conclure
à un quasi-partage des tâches entre verriers
au sein d'un même registre de scènes? Question
que posent nos deux auteurs et qui reste sans réponse.
Le registre inférieur du vitrail des Saints montre
sainte Anne instruisant la Vierge, et sainte Jean-Baptiste.
À leurs pieds, les donatrices. Registre du dessus
: un saint archevêque (probablement saint Claude)
et saint Nicolas, aisément reconnaissable. Le
registre supérieur représente saint Vincent,
patron de la paroisse, et saint Jacques le Majeur. L'arrière-plan
de ce panneau est orné d'un très bel arc
triomphal typique de l'art Renaissance.
Notons encore que le sac de Rouen par les protestants
en 1562 a ici laissé des traces puisque le visage
de Marie (photo ci-dessous) et le visage de la donatrice
de gauche (visible sur la photo générale
du vitrail) ont été restaurés après
cette date. On y trouve en effet des traces d'émaux,
technique inconnue au début du XVIe siècle.
Enfin, l'atelier Duhamel-Marette s'est chargé
d'une restauration globale au XIXe siècle.
Source : Vitraux retrouvés
de Saint-Vincent de Rouen,
musée des Beaux-Arts de Rouen, 1995.
|
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L'Éducation de la Vierge et une donatrice
Vitrail des Saints, «Atelier Rouennais», 1520-1530.
Le visage de la Vierge, qui porte des traces d'émaux,
a été
restauré après 1562, année du saccage de
Rouen par les protestants. |
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Vitrail des Saints
«Atelier Rouennais», 1520-1530.
Le registre supérieur trahit une forte influence de l'art
d'Arnoult de Nimègue. |
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Saint Jacques Le Majeur
Vitrail des saints, «Atelier Rouennais», 1520-1530.
C'est le seul visage de la verrière à être
modelé à la sanguine et à la grisaille. |
L'Éducation de la Vierge
Vitrail des Saints, «Atelier Rouennais», 1520-1530.
Le visage de la Vierge, qui porte des traces d'émaux,
a été
restauré après 1562, année du saccage de
Rouen par les protestants. |
«««---
À GAUCHE
Gros plan sur l'arc triomphal Renaissance
Vitrail des Saints, «Atelier Rouennais», 1520-1530
Registre supérieur |
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9 - VITRAIL DE
L'ENFANCE ET DE LA VIE PUBLIQUE DU CHRIST («Atelier Rouennais»,
1520-1530) |
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Vitrail de l'Enfance et de la vie publique du Christ
«Atelier Rouennais», 1520-1530.
|
La
verrière de l'Enfance et de la vie publique du
Christ a été donnée
à la paroisse Saint-Vincent par l'une des grandes
familles rouennaises, les Roux de Bourgtheroulde. En
dehors d'objets qui rappellent l'environnement quotidien
(chien, cage en osier pour les tourterelles), le vitrail
se distingue par un travail tout en douceur sur les
visages, ainsi que par le soin apporté au rendu
des étoffes. Les deux registres font ressortir
trois couleurs dominantes : bleu, rouge et jaune d'argent.
Les zones verdoyantes, à l'arrière-plan,
sont tout juste perceptibles.
Au tympan, on peut voir une Annonciation, un
Christ de Pitié et, au milieu, la Vierge
et saint Jean. Dans le registre supérieur,
après un Couronnement de la Vierge, on
trouve les premières étapes de la vie
de Jésus : Nativité, Adoration
des mages et Présentation au Temple.
Registre inférieur : Fuite en Égypte,
Jésus parmi les Docteurs, Multiplication
des pains et Adieux de Jésus à
sa mère.
Source : Vitraux retrouvés
de Saint-Vincent de Rouen,
musée des Beaux-Arts de Rouen, 1995.
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Couronnement de la Vierge, Nativité, Adoration des mages
et Présentation de Jésus au Temple.
Vitrail de l'Enfance et de la vie publique du Christ, registre
supérieur, «Atelier Rouennais», 1520-1530.
|
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Fuite en Égypte, Jésus parmi les Docteurs, Multiplication
des pains et Adieux du Christ à sa mère.
Vitrail de l'Enfance et de la vie publique du Christ, registre inférieur.
«Atelier Rouennais», 1520-1530.
À noter que le visage de la Vierge dans les lancettes 1, 3
et 4 est le même. Le peintre verrier a utilisé le même
carton. |
La Vierge avec Jean et Marie-Madeleine ?
Vitrail de l'Enfance et de la vie publique du Christ. |
10 - VITRAIL DE
LA PASSION («Atelier Rouennais», 1520-1530) |
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Vitrail de la Passion
«Atelier Rouennais», 1520-1530. |
Le vitrail
de la Passion, créé vers 1520-1530,
affiche les scènes classiques de cet épisode
bien connu du Nouveau Testament. Au registre inférieur,
l'Entrée du Christ à Jérusalem,
Jésus au jardin des Oliviers (la composition
générale du panneau est inspirée d'un
dessin de Dürer), le Baiser de Judas et la
Comparution devant Caïphe. Dans le panneau du Baiser
de Judas, on remarquera, au premier plan et tombant à
terre, la présence de Malchus, l'homme dont saint Pierre
coupe l'oreille droite. Au registre supérieur : la
Flagellation (peut-être aussi inspirée par
Dürer), Ecce homo, Comparution devant Pilate
et Portement de croix.
Au tympan, sainte Véronique présente le voile
de la sainte Face. De part et d'autre, des anges portent les
instruments de la Passion. Tandis que, au-dessus, d'autres
anges portent les armoiries des donateurs (on aperçoit
une tête de sanglier).
Le Christ est toujours vêtu de violet, à l'exception
de la scène de l'Ecce homo. Son habit, toujours
très simple, contraste avec ceux, nettement recherchés,
des soldats et des bourreaux. Au premier plan du registre
supérieur, deux figures attirent l'attention par leurs
couleurs éclatantes : le soldat dont l'armure est embellie
par le jaune d'argent ; et le soldat d'à côté
qui tient une hallebarde, bien dressé dans son costume
rouge et bleu à crevés. Enfin, notons que l'auteur
des cartons a inclus un chien dans chacun des deux registres.
Source : Vitraux retrouvés
de Saint-Vincent de Rouen,
musée des Beaux-Arts de Rouen, 1995.
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Le tympan : les anges portent des instruments de la Passion et les
armoiries des donateurs.
Au centre, sainte Véronique présente la sainte Face.
Vitrail de la Passion, le tympan
«Atelier Rouennais», 1520-1530 |
Entrée dans Jérusalem, Jésus au jardin des Oliviers,
Le Baiser de Judas, Comparution devant Caïphe.
Vitrail de la Passion, registre inférieur. Un enfant joue avec
un chient en bas à droite.
«Atelier Rouennais», 1520-1530. |
Le baiser de Judas.
Vitrail de la Passion, registre inférieur
«Atelier Rouennais», 1520-1530. |
Flagellation, Ecce homo (la tête et le buste du Christ
datent de 1873), Comparution devant Pilate.
Vitrail de la Passion, registre supérieur
«Atelier Rouennais», 1520-1530. |
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À DROITE ---»»»
Ecce Homo
Vitrail de la Passion, «Atelier Rouennais»,
1520-1530
L'armure du soldat menaçant est embellie avec du
jaune d'argent.
Par la fenêtre, on voit les murs de la forteresse
de Jérusalem dans le lointain. |
«««---
À GAUCHE
Le chien au pied du Christ dans la Comparution devant
Pilate. |
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11 - VITRAIL DE
LA CRUCIFIXION («Atelier Rouennais», 1520-1530) |
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Vitrail de la Crucifixion
«Atelier Rouennais», 1520-1530. |
Le vitrail
de la Crucifixion, daté de la décennie
1520-1530, offre un très bel ensemble chromatique.
La dominante bleue de la partie supérieure irradie
tout le tableau. Cette verrière a subi des dégradations
lors du sac de Rouen par les protestants en 1562. Elle a été
restaurée peu après, puis à nouveau en
1869 par l'atelier Duhamel-Marette. Ainsi, le bleu plus soutenu
au niveau des corps de Jésus et des deux larrons ne
correspond pas au bleu gris initial que l'on voit juste au-dessus
de l'architecture. De même, les têtes du Christ
et du mauvais larron (à droite) ne sont pas d'origine.
Au pied de la croix, Marie-Madeleine n'a pas un visage particulièrement
réussi, alors que celui de la Vierge est une merveille.
On lit ce détail technique dans l'ouvrage Vitraux
retrouvés de Saint-Vincent de Rouen à propos
de ce visage : «(...) le volume est obtenu par un lavis
de grisaille réchauffé de sanguine et modelé
de hachures parallèles ou entrecroisées. Seuls
quelques traits esquissent les yeux, les ailes du nez et la
bouche.»
Le soldat chamarré qui se tient debout à droite
(encore accompagné d'un chien) possède une caractéristique
digne d'être soulignée : son visage est bleu
pâle comme son casque ; le tout est peint sur la même
pièce de verre. Sa belle armure est obtenue par la
grisaille, rendue vivante par les enlevés, et rehaussée
de jaune d'argent. On remarquera en passant le beau travail
sur la fusée de l'épée (terme usuel pour
désigner la poignée.)
Source : Vitraux retrouvés
de Saint-Vincent de Rouen,
musée des Beaux-Arts de Rouen, 1995.
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La Vierge, saint Jean et Marie-Madeleine au pied de la croix
Vitrail de la Crucifixion
«Atelier Rouennais», 1520-1530.
À droite, le visage de la Vierge, qui est une vraie merveille,
contraste avec celui de Marie-Madeleine qui n'est pas très
plaisant.
On peut voir un visage similaire de Marie-Madeleine dans un vitrail
Renaissance de la Mise
au tombeau à l'église Saint-Romain
à Rouen. |
La Vierge et saint Jean
Vitrail de la Crucifixion, «Atelier Rouennais»,
1520-1530. |
Le merveilleux visage de la Vierge est esquissé de quelques
traits.
Son voile est orné d'un large galon qui tombe très
bas.
Vitrail de la Crucifixion, «Atelier Rouennais»,
1520-1530. |
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Marie-Madeleine au pied de la croix
Vitrail de la Crucifixion, «Atelier Rouennais»,
1520-1530. |
Le soldat romain
Vitrail de la Crucifixion, «Atelier Rouennais»,
1520-1530
Le casque et le visage sont peints sur le même verre. |
Le Christ et les deux larrons.
Vitrail de la Crucifixion, «Atelier Rouennais»,
1520-1530.
Les têtes du Christ et du mauvais larron (à droite)
ne sont pas d'origine, de même que le bleu soutenu de
la partie supérieure. |
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Les donateurs sous une suite de rinceaux obtenus au jaune d'argent.
Vitrail de la Crucifixion,, «Atelier Rouennais», 1520-1530
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12 - VITRAIL DE
LA VIE GLORIEUSE DU CHRIST («Atelier Rouennais»,
1520-1530) |
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Vitrail de la Vie Glorieuse du Christ.
«Atelier Rouennais», 1520-1530. |
Le
vitrail de la Vie Glorieuse du Christ clôt
le cycle de la Passion. Bien qu'étant
sorti lui aussi de l'«Atelier Rouennais»
dans la décennie 1520-1530, il ne brille pas
du même lustre que les deux précédents.
L'ampleur de la grisaille sur les deux registres lui
donne un aspect un peu terne. Son côté
le plus marquant est la présence d'un transi
au soubassement : le donateur est figuré mort,
allongé, et son corps est rongé par les
vers. Cette prégnance de la mort est une expression
habituelle de la foi à la fin du Moyen Âge.
Le registre supérieur présente : la
Descente de croix, la Mise au tombeau, la
Résurrection et les Saintes Femmes au
tombeau. Les sources citées rappellent que
la disposition de la Mise au tombeau suit de près
une uvre sur cuivre de Dürer, la Petite
Passion. Au registre inférieur : Apparition
de Jésus à sa mère, Apparition
à sainte Madeleine, le Repas à
Emmaüs et l'Incrédulité de
saint Thomas. La scène des pèlerins
d'Emmaüs bénéfice d'une belle architecture
d'arrière-plan enrichie de fins détails,
à la manière de Dürer. Une arcade
en anse de panier ornée, à droite et à
gauche, de deux médaillons typiques de la Renaissance,
s'ouvre sur les lambris gris-vert d'un plancher. Le
reste du décor, dont la fenêtre et la vitre,
est en camaïeu bleu.
Si l'on regarde de près tous les visages dans
les deux registres, on verra que le peintre verrier
a utilisé, à deux reprises, le même
carton pour plusieurs personnages. La tête de
saint Thomas, dans la scène de l'Incrédulité,
est identique à celle de l'homme de profil dans
la Mise au tombeau ; la tête de sainte
Madeleine dans l'Apparition est tirée
du même dessin que la tête de la sainte
dans les Saintes Femmes au tombeau. C'est sans
doute par souci d'économie.
Source : Vitraux retrouvés
de Saint-Vincent de Rouen,
musée des Beaux-Arts de Rouen, 1995.
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La Descente de croix, la Mise au tombeau, la Résurrection,
les Saintes Femmes au tombeau.
Vitrail de la Vie Glorieuse du Christ, «Atelier Rouennais»,
1520-1530
La tête de la Vierge, dans la Descente de croix, date
de 1870. |
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Apparition du Christ à sa mère, Apparition du Christ
à la Madeleine, le Repas à Emmaüs, l'Incrédulité
de saint Thomas.
Vitrail de la Vie Glorieuse du Christ, «Atelier Rouennais»,
1520-1530. |
13 - VITRAIL DE
SAINT-VINCENT («Atelier Rouennais», 1520-1530) |
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Vitrail de Saint Vincent
«Atelier Rouennais», 1520-1530. |
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Suite du vitrail de Saint Vincent
cet artiste «le maître
du martyre de saint Vincent». Trois
exemples en gros plan sont donnés
à droite.
L'ensemble de la verrière a été
fortement restauré dès la
première moitié du XVIe siècle,
puis à nouveau après 1562,
et encore en 1869 par l'atelier Duhamel-Marette.
Source : Vitraux
retrouvés de Saint-Vincent de Rouen,
musée des Beaux-Arts de Rouen, 1995.
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Le
vitrail de Saint-Vincent frappe,
de prime abord, par le contraste entre la
dominante bleu et blanc du tympan et la
dominante brun orangé des deux registres.
Il s'en dégage une beauté
d'ensemble «qui, nous disent les sources,
le fit retenir pour le cartulaire de Saint-Vincent
au milieu du XVIe siècle et, en 1840,
Eugène Delacroix en a levé
quelques croquis.»
Les deux registres de ce très beau
vitrail illustrent les épisodes donnés
par la Légende dorée
de Jacques de Voragine (à l'exception
de l'écrasement du saint par la vis
d'un pressoir). On lit, en bas, le Jugement
de Vincent et Valère, puis le
Martyre de saint Vincent ; en haut,
la Mort de saint Vincent écrasé
par la vis d'un pressoir, le Jet du corps
de saint Vincent dans la mer, et l'Exposition
du corps de Vincent aux bêtes sauvages.
Le tympan est illustré de litanies
de la Vierge.
Ce vitrail est marqué par quelques
prouesses techniques : une frise de personnages
fabuleux au soubassement et des ornementations
peu fréquentes dans les vêtements.
Ainsi, l'orfroi de la chape de Valère
est orné d'une Vierge à l'Enfant
dans la baie où Vincent et Valère
sont conduits en prison. Enfin, on admirera
le travail du peintre verrier dans les visages
à la grisaille. L'historien du vitrail,
Jean Lafond, a d'ailleurs surnommé
---»»»
Suite en bas à gauche
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Visage d'un personnage du bateau qui jette le corps
de saint Vincent à la mer (registre supérieur)
Vitrail de Saint Vincent, 1520-1530. |
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Saint Vincent est écrasé sous la vis d'un
pressoir, Mort de saint Vincent, Prodiges du corps de
saint Vincent :
Son corps est jeté à l'eau, lesté
d'une meule, puis livré aux bêtes sauvages
et protégé par un corbeau.
Vitrail de saint Vincent, 1520-1530. |
La
vie de saint Vincent est donnée
par La Légende dorée du moine
Jacques de Voragine (XIIIe siècle). Pour
être exact, ce n'est pas le récit
de la vie d'un homme, c'est la suite ininterrompue
des tortures que lui infligent ses bourreaux,
du moins telle que la rapporte l'histoire.
Vincent vit dans l'empire romain à l'époque
des empereurs Dioclétien et Maximien. Il
est diacre et aide le vieil évêque
Valère dans sa charge : parlant bien, il
assure le prêche à sa place. Mais
Dacien, le gouverneur romain, entend que l'un
et l'autre renient leur religion. Il les fait
arrêter et les laissent mourir de faim en
prison. Plus tard, les croyant presque morts,
il les fait amener devant lui. Surpris et furieux,
il les découvre «pleins de santé
et de joie». À nouveau, ils refusent
de renier leur foi. Dacien, toujours plus irrité,
envoie Valère en exil, tandis que Vincent
est immédiatement mis au supplice.
Étendu sur un chevalet, on lui rompt tous
les membres. Comme le gouverneur vient le provoquer
sur l'état pitoyable de son corps, Vincent
en sourit et répond à un Dacien
exaspéré par sa résistance
: «Insensé, plus tu crois te fâcher
contre moi, plus en réalité tu as
pitié de moi. Laisse-toi donc aller à
toute ta malice ! Tu verras que, avec l'aide de
Dieu, j'aurai plus de pouvoir dans les supplices
que toi en me suppliciant !» Alors Dacien
excite les bourreaux à plus de cruauté.
Ils enfoncent des peignes de fer dans les côtes
du saint (panneau ci-dessous). Le sang coule de
partout, les entrailles sortent d'entre les côtes.
Vincent repousse toujours les appels à
la raison et répond : «Langue empoisonnée,
je ne crains pas tes tourments ; mais ce qui m'effraie,
c'est que tu feignes d'avoir pitié de moi.
Car plus je te vois furieux, plus grand est mon
plaisir. Garde-toi de rien atténuer aux
supplices que tu me prépares afin que j'aie
plus d'occasions de te montrer ma victoire !»
Le supplice change alors de nature. On prépare
un gril pour l'y rôtir. Vincent y monte
de lui-même [rappelons que tous ses membres
ont été rompus] et s'offre généreusement
au feu. Les bourreaux lui enfoncent des pointes
enflammées dans la chair (panneau ci-dessous),
on jette du sel dans les flammes pour accentuer
ses brûlures. Ses entrailles [ou ce qu'il
en reste après le précédent
supplice] sont transpercées et se répandent
autour de lui. Mais saint Vincent, «immobile
et les yeux levés au ciel», invoque
le Seigneur.
Dacien le fait jeter, les pieds liés, dans
un cachot bien sombre dont le sol est jonché
de pointes de fer acérées. Mais
une lumière immense pénètre
le cachot, les fers se changent en fleurs et l'odeur
du parfum se répand. Des anges viennent
soulager la peine du supplicié et chantent
avec lui. Ses gardiens, d'abord épouvantés,
se convertissent.
Dacien, comprenant qu'il est vaincu, ordonne de
laisser Vincent se reposer : il veut continuer
les supplices quand il aura repris des forces.
Mais le saint rend l'âme peu après.
Déçu et voulant sa vengeance, le
gouverneur fait étendre le corps du supplicié
dans un champ pour y être dévoré
par les bêtes sauvages et les oiseaux de
proie (panneau ci-dessus). Mais les anges descendent
du ciel pour protéger le corps tandis qu'un
corbeau gigantesque chasse les prédateurs
à ---»»»
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Personnage et architecture
dans le bateau qui jette le corps
de saint Vincent à la mer (registre supérieur).
Vitrail de Saint Vincent, 1520-1530. |
Personnage près du corps martyrisé de saint
Vincent
Vitrail de Saint Vincent, 1520-1530. |
Le martyre de saint Vincent
Vitrail de saint Vincent, 1520-1530. |
---»»»
grands coups d'ailes. Alors Dacien fait jeter
le corps à la mer pour qu'il y soit cette
fois dévoré par les poissons (panneau
ci-dessus), mais le corps refuse de couler. Il
est porté par les vagues jusqu'au rivage
où une pieuse femme, aidée de ses
frères chrétiens, pourra l'ensevelir
solennellement...
La vie de saint Vincent est l'un des contes les
plus typiques de l'inventivité presque
sado-masochiste de certains moines du Moyen Âge.
Comme on dirait aujourd'hui, pour construire cette
histoire à dormir debout, il y a des moines
un peu pervers qui ont dû «s'éclater».
Source : La Légende
dorée
de Jacques de Voragine, traduction de Teodor Wyzewa,
éditions Diane de Selliers. Toutes les
parties entre guillemets sont extraites du texte
de Teodor Wyzewa.
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Comparution de saint Vincent devant le proconsul Dacien, Condamnation
de Vincent et Valère qui sont conduits en prison, deux
épisodes du martyre de saint Vincent.
On remarquera une Vierge à l'Enfant peinte sur l'orfroi
de la chape de Valère dans la baie où Vincent
et Valère sont conduits en prison.
Enfin, il ne faut pas oublier non plus de jeter un coup d'il
à la frise du soubassement et à ses personnages
fabuleux.
Vitrail de saint Vincent, 1520-1530. |
Gros plan sur la frise du soubassement du vitrail de saint Vincent
Vitrail de Saint Vincent, 1520-1530. |
Documentation : Panneaux dans la nef +
«Les verrières de l'église Sainte-Jeanne
d'Arc», Itinéraire du Patrimoine
+ «La place du Vieux-Marché et le martyre de Jeanne
d'Arc» d'Olivier Chaline, éditions Charles Corlet
+ «Vitraux retrouvés de Saint-Vincent de Rouen»,
édité par la Ville de Rouen à l'occasion
de l'exposition de 1995-1996
+ «La spiritualité du Moyen Âge occidental»
d'André Vauchez, collections Points, éditions
du Seuil. |
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