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Surgissant d'un passé assez mal
connu, un prieuré roman est élevé au XIIe siècle
à l'emplacement actuel de l'église Notre-Dame. Il
dépendait de l'abbaye de Lonlay. Dans la première
moitié du XIVe siècle, le prieuré est sécularisé
et les moines se retirent. Selon les sources les plus fiables, c'est
vers 1356 que Charles III, comte d'Alençon, fait commencer
la construction d'un nouvel édifice. On démarre par
le transept, puis le chur, enfin la nef et son bas-côté
nord attenant au cimetière. La guerre de Cent Ans interrompt
le chantier au début du XVe siècle. Alençon
est pris par l'armée anglaise du roi Henry V en 1417 et occupé
jusqu'en 1449.
Ce n'est qu'aux alentours de 1470 que la construction reprend sous
la conduite d'un maître maçon resté anonyme.
Le maître Jehan Lemoyne lui succédera vers l'an
1500, ajoutant le magnifique porche
en gothique flamboyant et couvrant la nef
d'une somptueuse voûte.
Un ensemble de verrières est mis en place entre 1510 et 1530.
C'est aussi au début du XVIe siècle que les murs gouttereaux
des bas-côtés sont abattus pour bâtir une suite
de chapelles latérales entre les arcs-boutants. Celles-ci
sont financées par les grandes familles de la ville et par
Marguerite
de Lorraine qui, devenue veuve, a la haute main sur le duché
de 1492 à 1520.
En juin et juillet 1562, l'église est saccagée par
les Protestants. Des statues du portail sont brisées. À
l'intérieur de l'édifice, un grand feu consume une
partie des archives du trésor et des confréries. Mais
le pire survient au début d'août 1744. En pleine nuit,
la foudre tombe sur le clocher en bois qui se dresse à la
croisée du transept. Un incendie se déclare, fait
fondre les cloches et se répand dans les combles du chur.
Le tout s'écroule sur la partie sud-est de l'église.
Les moines capucins se démènent et parviennent à
circonscrire le mal. Au final, la nef
sera peu touchée, mais chur, transept et chevet, détruits
ou fragilisés, sont à reconstruire. Dès 1745,
la tâche est confiée à l'ingénieur des
Ponts et Chaussée Jean-Rodolphe Perronet (1708-1794) qui
agrandit le périmètre à bâtir. L'église
s'étend vers l'est, mais la nouvelle
élévation, pourtant conforme au style de l'époque,
étonne aujourd'hui par son aspect massif et disgracieux.
Il faut meubler toute la partie orientale. Notre-Dame s'enrichit
d'un autel en marbre
joint à un baldaquin
abritant une Descente de croix. Détruite en 1792, cette sculpture
sera remplacée vers 1800 par une Assomption.
Dans le nouveau mobilier, on compte aussi des fonts baptismaux et,
à la chaire à
prêcher sont ajoutés un dosseret et un abat-voix.
Dans son ouvrage Alençon de A à Z, l'archiviste
Alain Champion indique qu'en 1786 «le portail est muni d'une
grille qui sera réquisitionnée en 1792 pour fabriquer
des piques»
L'église, indirectement gérée par la ville,
servait de lieu de réunion aux échevins (voir l'encadré
sur le financement plus
bas). Aussi, en mars 1789, est-ce là que s'assemblent
les trois ordres du baillage d'Alençon
pour rédiger les cahiers de doléances. En 1792, l'église
est dévastée ; le porche, mutilé ; le mausolée
du duc René, mort trois siècles plus tôt, détruit.
Frappé à nouveau par la foudre en 1808, l'édifice
ne sera restauré qu'à partir de 1842, mais le porche
ne le sera qu'en 1849-1850. En 1862, l'église est classée
monument historique. Quelques obus l'atteignent lors de la guerre
de 1870. En 1905, l'édifice devient propriété
de l'État. En juillet 1944, les bombardements n'entraîneront
que des dommages secondaires. L'église sera érigée en basilique
mineure par le pape Benoît XVI en août 2009.
C'est à Notre-Dame que fut baptisée le 4 janvier 1873
la future sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus,
née à Alençon
deux jours plus tôt. Une chapelle
latérale lui est dédiée dans l'église
; on peut y voir la robe de son baptême entourée de
nombreux ex-voto et un vitrail
de l'atelier Barillet de l'année 1930.
L'église Notre-Dame possède trois merveilles qui méritent
amplement une visite : son porche
en gothique flamboyant, sa voûte
qui rappelle le style anglais et ses onze verrières
Renaissance. Parmi elles, on trouve en façade ouest un
grand Arbre de Jessé
donné plus bas. Les dix verrières nord et sud des
fenêtres hautes de la nef font l'objet de la page
2. L'histoire des vitraux de l'église, qui ont connu
bien des malheurs, est proposée dans un encadré
de cette page.
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Vue d'ensemble de la nef et du chur de la basilique Notre-Dame.
L'horlogue sur l'arcade séparant la nef du chur indique
que l'église était autrefois utilisée pour les
réunions des échevins. |
Le côté nord de l'église vu depuis la place de
la Magdeleine un jour de marché. |
Le chevet et le clocher reconstruits après l'incendie de 1744. |
L'église d'Alençon et son porche en gothique flamboyant.
Lithographie du XIXe siècle.
La configuration des maisons en face du porche
ne permet pas de prendre cette vue en photo. |
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Architecture
extérieure (1/4). On peut scinder le corps
extérieur en deux parties bien distinctes : d'abord
la nef et le porche, datés de la fin du XVe siècle
et du début du XVIe. Ces deux éléments
constituent le joyau de l'architecture de la basilique. Ensuite
vient la partie orientale (transept, chur, clocher),
reconstruite au milieu du XVIIIe siècle après
l'incendie de 1744 provoqué par la foudre.
Dans l'Histoire des villes de France, parue en 1866
sous la direction d'Aristide Guillebert, l'historien Auguste
Billiard se montre sévère avec cette reconstruction.
Après avoir loué les moines capucins qui évitèrent
par leur zèle la propagation de l'incendie, il écrit
: «On eut ensuite la malheureuse idée de confier
à l'ingénieur Perronet la reconstruction de
la partie incendiée. Il est impossible de trouver une
uvre plus lourde et de plus mauvais goût, sans
aucun rapport avec les parties d'un autre âge.»
Auguste Billiard, qui écrit en plein renouveau néo-gothique,
oublie que c'était le style en vogue à l'époque.
En 1953, pour le Congrès archéologique de
France tenu dans l'Orne, l'historien Louis Grodecki signale
que Jean-Rodolphe Perronet (1708-1794) a laissé dans
l'Histoire le souvenir d'un architecte spécialiste
des ponts et non pas des églises. Il eut en effet à
son actif le pont de Neuilly, bâti en 1774, et celui
de la Concorde à Paris, construit de 1787 à
1792. Pour autant, Louis Grodecki ne l'absout pas puisqu'il
écrit à son tour : «L'effet de cette construction
lourde, sans rapport de proportion avec la nef, n'est pas
des plus réussis et nuit au renom de Notre-Dame».
La photo ci-dessus
à droite montre en effet, si l'on fait abstraction
des grandes verrières, un aspect forteresse peu banal
pour une église. ---»» 2/4.
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Le système boutant du côté nord.
La forme des culées est propre à la fin du XVe siècle
et au XVIe.
Dans leur partie haute, les culées sont reliées
au mur gouttereau par une volée à remplage. |
Architecture
extérieure (2/4). ---»»
Qu'y avait-il avant l'incendie ? L'édifice
bâti au XIe siècle était roman et
l'on s'accorde à penser, selon les documents
d'époque, qu'il avait subi des ajouts gothiques
à la fin du Moyen Âge. L'étude proposée
par l'historien Jacques Dubois, dans le cadre de sa
thèse de doctorat de 1997 sur la basilique Notre-Dame,
permet d'envisager un transept, un arrière-chur
et deux absidioles. Un peu comme aujourd'hui, mais en
taille réduite.
Revenons à la nef. Son flanc sud, serré
par des maisons d'habitation et de commerce, n'est guère
accessible aux visiteurs. Et ceci depuis l'origine.
Seul le flanc nord, depuis la place de la Magdeleine,
s'offre à la photographie.
Selon un processus habituel, la nef a d'abord été
bâtie sans chapelle. Le corps central, surmonté
d'une voûte de pierre, était soutenu par
une série d'arcs-boutants que rien ne reliait
entre eux. Les chapelles ont été ajoutées
dès la fin du XVe siècle au gré
des grandes familles d'Alençon
: posséder une chapelle privée, c'était
entretenir son statut social. Pour ce faire, on abattait
le mur gouttereau entre les arcs-boutants au niveau
de la travée de la future chapelle. Puis on élevait
les côtés et on voûtait selon des
règles uniformes imposées par le chapitre.
Cet ajout architectural pouvait n'intervenir que plusieurs
décennies après l'élévation
de la nef. À la cathédrale
d'Amiens, par exemple, il a fallu attendre deux
siècles.
La beauté du gothique flamboyant de la basilique
Notre-Dame s'étale dans la variété
du remplage des fenêtres du premier niveau
(voir la photo
plus bas). Ces remplages, dont le réseau est
parfois compliqué, s'apprécient pleinement
depuis l'extérieur. À l'intérieur
de l'édifice, la verrière qui les orne
offre généralement un contre-jour nuisible
à l'appréciation du dessin de la pierre.
On donne plus
bas quatre exemples de ces remplages et de leurs
verrières.
Ce premier niveau extérieur est surmonté
d'un garde-corps de style gothique flamboyant, constitué
de «réseaux curvilinéaires à
mouchettes» [Grodecki]. On en voit l'exemple sur
la photo ci-contre.
On remarquera que la baie de la travée la plus
occidentale (qui n'a pas de chapelle, comme le montre
le plan
plus bas) possède un remplage très différent
des autres. De même, le garde-corps (donné
ci-dessous) de cette travée ne présente
pas le même dessin qu'ailleurs. C'est une rangée
d'arcatures abritant des fleurons. Louis Grodecki estime
que ce garde-corps n'a sans doute plus sa forme primitive.
Il faut s'arrêter sur la forme des culées
de la nef car elle est propre à l'extrême
fin du XVe siècle et au XVIe siècle, une
époque qui va bientôt céder le pas
à la Renaissance. La photo
donnée plus haut à droite montre cette
architecture en gros plan. On y voit trois culées
étroites et allongées, chacune surmontée
de deux pinacles en forme de clochetons. Un remplage,
improprement appelé balustrade, relie ces deux
pinacles. La volée de l'arc-boutant est constituée
de deux segments concaves réunis, là encore,
par un remplage. Cette volée rejoint la culée
à un point de butée très bas. Fait
plus intéressant encore : «les volées
sont soutenues par des arcs brisés, écrit
Louis Grodecki, de manière que les têtes
des arcs-boutants paraissent évidées (comme
au Mont-Saint-Michel).» La photo ci-contre le
montre pleinement. ---»» Suite 3/4
|
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En haut : volée de l'arc-boutant ornée d'un remplage.
En bas : garde-corps en gothique flamboyant.
La volée est soutenue par un arc-brisé.
«««---
Garde-corps au niveau de
la première travée occidentale :
une série d'arcatures abrite des fleurons [Grodecki].
Ce garde-corps est-il bien d'origine ? |
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Remplages des fenêtres dans le bas-côté nord.
Le remplage de la fenêtre de droite n'a pas un dessin similaire
aux autres.
En 1997, l'historien Jacques Dubois y voit la marque du maître-maçon
qui a précédé Jean Lemoyne, arrivé vers
l'année 1500, |
LE PORCHE DE LA
BASILIQUE NOTRE-DAME |
|
Partie supérieure du porche de la basilique : ici, les côtés
nord et ouest.
Le partie centrale accueille une Transfiguration. |
Architecture
extérieure (3/4).
---»» Le joyau de l'architecture extérieure
est évidemment le magnifique porche
de style gothique flamboyant qui rappelle à
bien des égards celui de l'église
Saint-Maclou
à Rouen,
conçu dès 1436. D'ailleurs, pour
les historiens, sa forme trapézoïdale
est vraisemblablement inspirée de celle
de Saint-Maclou.
Dans la ville voisine d'Argentan, le porche de
l'église Saint-Germain (donné plus
bas), lui aussi trapézoïdal, puiserait
à la même source.
Un quatrain de l'époque confirme déjà
la prééminence de la beauté
du porche :
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L'église
est faite de telle sorte,
Que pour mettre le Bon Dieu
Au plus bel endroit du lieu,
Il faudrait le mettre à la porte. |
L'analyse des documents
d'époque montre que le porche de Notre-Dame
n'a pu qu'être accolé à une
construction préexistante. Il a été
construit de 1506 à 1516 environ, sous
la direction de Jehan Lemoyne, maître
d'uvre de l'église. En 1488, celui-ci
travailla à l'église Saint-Germain
d'Argentan dont l'architecture est proche de celle
de Notre-Dame.
N'ayant aucun parvis, le porche donne directement
sur la Grande Rue d'Alençon.
La présence de maisons juste en face rend
impossible la prise d'une photo d'ensemble, même
de biais. La seule solution est de recourir au
dessin, ce que propose une reproduction plus
haut.
Le porche présente trois arcades coiffées
chacune d'un haut gâble ajouré. Un
garde-corps, où les verticales prédominent,
se combine avec le gâble et avec deux lignes
horizontales dans un réseau de dentelles
de pierre très équilibré.
Le gâble central accueille les sept personnages
d'une Transfiguration
: le Père céleste ; le Christ ;
les apôtres Pierre, Jacques et Jean ; et
enfin, Moïse et Élie de chaque côté
du Christ. De façon singulière,
l'apôtre saint Jean tourne le dos au spectateur.
Dans son ouvrage Alençon de A à
Z, l'ancien archiviste de la ville, Alain
Champion, raconte une légende à
son sujet. Lors du sac de la ville par les huguenots
en 1562, ceux-ci voulurent renverser les statues
du porche. «Mais à peine eurent-ils
touché celle de l'apôtre, écrit-il,
qu'elle se retourna d'indignation et que les réformés,
effrayés, s'enfuirent.» La chronique
de l'époque, ajoute Alain Champion, rapporte
qu'un buste de pierre tomba sur un protestant
et lui brisa les jambes, le rendant impotent.
Comme les photos le montrent, les sculptures à
l'intérieur des porches ont en grande partie
disparu. Louis Grodecki avance que c'est là
l'uvre de la Révolution, mais on
sait que les guerres de Religion n'y sont pas
étrangères non plus. Néanmoins,
on peut encore voir des angelots, des prophètes,
des apôtres et des sibylles,
notamment dans la partie haute des archivoltes.
L'historien Jacques Dubois, dans sa thèse
de doctorat sur la basilique Notre- Dame soutenue
en 1997, nous apprend que jadis le tympan du portail
central (photo ci-contre) accueillait un Arbre
de Jessé.
Les portes
latérales nord et sud, en anse de panier,
de ce grand portail sont surmontées d'un
ou de plusieurs arcs en accolade ainsi que de
deux niches vides. Enfin, un détail qui
n'est pas souligné dans la littérature
: la présence du Père
céleste tenant un globe dans un bas-relief
du portail nord.
Dans sa thèse, Jacques Dubois tente de
cerner la nature du programme iconographique de
ce vaste porche. La tâche est ardue à
cause des manques, des dégradations et
peut-être aussi du caractère complexe
du programme. «Avec les quelques éléments
actuellement en place, écrit-il, l'idée
directrice du projet initial est de manifester
le passage d'un temps ancien à un temps
nouveau en insistant sur le messianisme de l'ensemble.»
Dans les années 1480, le thème de
l'Immaculée Conception était en
vogue en Normandie. La Vierge, qui faisait le
lien entre les deux Testaments, devait occuper
une place de choix dans ce porche. D'ailleurs,
le même lien intervient dans les grandes
verrières de la nef. Ornant jadis le
tympan du portail central, l'Arbre de Jessé
aboutissait à Marie, rameau final de la
descendance des rois. ---»» Suite
4/4
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«Alençon : les bords de la Sarthe», huile
sur carton, XIXe siècle.
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Architecture
extérieure (4/4).
---»» Quant aux voussures du portail central,
elles sont loin d'avoir livré tous leurs secrets.
On y voit six statues de jeunes femmes qui laissent
l'observateur perplexe. Qui sont-elles exactement
? Jacques Dubois en donne une description précise
et remet en question leur identification aux sibylles.
«Celles-ci sont voilées, écrit-il,
vêtues d'une longue robe recouverte d'un manteau
aux larges et nombreux plis. Le livre qu'elles tiennent
toutes est soit ouvert, parfois l'index appliqué
sur l'une des pages, soit fermé.» Et il
ajoute : «Vouloir identifier ces femmes aux sibylles
reste délicat du fait de leur iconographie particulière
et de la possession pour l'une d'elles d'un chapelet
à gros grains.» Alors qui sont-elles ?
Les saintes femmes au tombeau ? Peu probable. Des
vertus théologales ? Les attributs sont
loin de correspondre.
Un mystère semblable entoure les prophètes
dans les mêmes voussures. Bien sûr, la présence
quasi permanente d'un phylactère dans chaque
statue fait aussitôt penser aux patriarches de
la Bible. Cependant, vu le contexte iconographique,
Jacques Dubois y voit plutôt des apôtres.
Le phylactère évoquerait les paroles attribuées
à chacun d'entre eux lors de la Pentecôte.
Rassemblées, ces paroles formeraient le Credo.
Il écrit : «Malgré l'étroitesse
des banderoles et leur dimension qui interdit toute
représentation du texte, le contexte d'évangélisation,
par l'envoi de missions sous les évêques
Gilles de Laval et Jacques de Silly, favorise l'opinion
d'un Credo apostolique.»
Tout cela reste au conditionnel. Aucun document actuellement
connu ne permet de trancher. Jacques Dubois termine
sa présentation de la façade occidentale
de Notre-Dame par un autre conditionnel qui, à
lui seul, suffit à expliquer toute la difficulté
qu'ont les historiens à élucider les clés
iconographiques de ce magnifique porche : «À
l'origine de sa conception d'ensemble se cache très
certainement un prêtre rompu de théologie
comme Jehan Le Maignen, alors doyen puis curé
de Notre-Dame au début du XVIe siècle
par exemple.»
Sources : 1) Congrès
archéologique de France tenu dans l'Orne
en 1953, article sur la basilique de Louis Grodecki
; 2) Notre-Dame d'Alençon de Jacques Dubois,
Presses Universitaires de Rennes, 2000 ; 3) Alençon
de A à Z par Alain Champion, éditions
Alan Sutton.
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Portail principal de la façade occidentale.
Aujourd'hui nu, le tympan, accueillait à l'origine un
Arbre de Jessé. |
Voussures dans l'archivolte du portail central.
Sibylles à gauche (?). Moïse est au centre, en bas.
Dans le même archivolte, voir plus
bas les voussures du côté opposé. |
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Le gâble du portail central est orné d'une Transfiguration.
Dans la partie basse à droite, on remarque que l'apôtre
saint Jean, au-dessous du Christ, tourne le dos aux passants. |
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Prophète ou apôtre avec son phylactère
Voussure du portail central. |
Prophète ou apôtre avec son phylactère
Voussure du portail central. |
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Prophète ou apôtre avec son phylactère
Voussure du portail central. |
Le Père céleste tenant le globe terrestre
dans la partie haute du portail nord. |
Deux anges musiciens
dans les vousssures du portail nord. |
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Le
financement de l'église (1/2).
Au début du XIIIe siècle, il y avait à
Alençon
deux églises paroissiales : Notre-Dame et Saint-Léonard.
La première se trouvait dans le quartier nord-est
de la ville, au cur d'un faubourg à forte
activité commerciale et artisanale ; la seconde,
dans le quartier sud. Le château se dressait à
l'ouest de la cité. Chaque église avait
son vicaire. Selon l'historien Jacques Dubois (thèse
de doctorat de 1997), un document ancien indique que
l'évêque de Sées, en 1243, «décide
de réunir les deux districts d'Alençon
en un seul bénéfice.» Saint-Léonard
devient alors une chapelle, dépendante de Notre-Dame
qui se retrouve seule église paroissiale de la
ville. Celle-ci n'a donc plus qu'un seul vicaire.
Cette unicité et l'absence d'autorité
ducale depuis l'occupation anglaise (1417-1449) jusqu'aux
années 1480 se traduisent par une forte implication
des laïcs dans la gestion temporelle de l'église.
Jacques Dubois écrit : «Depuis la sécularisation
du prieuré vers 1350 et l'instauration du système
fabricien, ils [les laïcs] contrôlent entièrement
le temporel de leur paroisse. Les trésoriers
deviennent alors les représentants de l'échevinage
avec une église entièrement perçue
et utilisée à certaines occasions comme
un bâtiment à fonction municipale.»
D'où la présence d'une horloge dans la
nef.
Les trésoriers gèrent la fabrique de Notre-Dame,
mais en fait ne font qu'exécuter les décisions
prises par les échevins. Néanmoins, leur
pouvoir est étendu : issus du patriciat de la
ville, ils contrôlent les institutions civiles
et religieuses liées à l'église
comme les confréries et l'Hôtel-Dieu. Ce
lien extrêmement fort entre l'église et
la ville (on dirait aujourd'hui que l'église
est nationalisée) permet d'expliquer le soin
et la rigueur constatés dans la construction
de l'édifice.
Sur le plan économique, Alençon,
sans être fort riche, se présente comme
«une ville de carrefour sur les voies commerciales
d'un trafic nord-sud et est-ouest» [Dubois]. Le
monde des artisans et des marchands tourne autour du
textile, du vin, du poisson et des épices.
La première partie de la construction de l'église
(XIVe siècle) est essentiellement financée
par les dons. Puis les travaux s'arrêtent à
cause de l'occupation anglaise. Il faut ensuite vingt
ans pour que l'économie du duché retrouve
une certaine prospérité et permette, vers
1470, la reprise du chantier. Quêtes, dons
et legs vont alors se multiplier, portés
par l'enthousiasme des paroissiens, mentionne Jacques
Dubois, et leur fierté, via l'échevinage,
de participer à la prise de décision du
chantier.
Les revenus tirés des quêtes et des expositions
de reliques sont irréguliers, mais substantiels
lors des fêtes religieuses. Les donations sont
soit anonymes (tirées des troncs de l'église),
soit reconnues et portées dans les registres.
Le donateur peut alors en spécifier l'affectation.
Dans son étude très fouillée sur
le financement, Jacques Dubois précise que ces
dons, en période de construction, approchent
les 60% des recettes totales utilisées pour l'édifice.
Deux sources annexes de revenus méritent d'être
mentionnées : le droit de fosse à l'intérieur
de l'église (il faut payer pour que la dépouille
d'un parent défunt repose dans l'édifice
et non dans le cimetière le long du bas-côté
nord) ; l'autorisation de prélèvement
donnée à la fabrique par la confrérie
de la Présentation Notre-Dame sur les
droits d'entrée des nouveaux confrères.
Enfin, marque d'une bonne gestion de la fabrique, les
fermages ainsi que les rentes foncières
et immobilières prennent une importance croissante
dans les ressources. L'acquisition de terres par la
fabrique est massive dans la seconde moitié du
XVe siècle. Elle découle d'ailleurs souvent
de donations en nature. Loin de se cantonner aux environs
d'Alençon,
ces propriétés, qui se traduisent en rentes
rurales, s'éparpillent dans tout le duché.
En revanche, la rente urbaine se regroupe sur Alençon,
dans les quartiers de Notre-Dame et de Saint-Léonard.
Ce dernier sera d'ailleurs bientôt délaissé
au profit du premier et de la partie ouest de la ville,
plus attractifs. Jacques Dubois rapporte un cas particulier
intéressant : un «bourgeois» d'Alençon,
Jehan Pilloys finance en 1501 la construction d'une
chapelle privée à Notre-Dame par la donation
à la fabrique d'un immeuble situé devant
l'église. Via la mise en location des logements,
cet immeuble a dû venir grossir la rente urbaine.
---»» Suite 2/2
à gauche.
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Partie haute du portail sud de la façade occidentale.
Le portail sud est moins riche que le portail nord. ---»»» |
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Prophète avec son phylactère.
Voussure du portail central. |
LA NEF DE LA BASILIQUE
NOTRE-DAME |
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Le côté nord de la nef et ses trois niveaux d'élévation. |
Plan de la basilique Notre-Dame.
L'église possède deux parties bien distinctes
:
- nef et porche, achevés vers 1510-1520 ;
- chur, transept et arrière-chur, bâtis
de 1745 à 1762. |
Le côté nord de la nef et son élévation. |
Chapiteau à feuilles d'aubépine et masque. |
Les
chapiteaux (2/2). ---»»
Le type de feuille ornant le chapiteau est bien souvent
l'aubépine. On trouve aussi des feuilles de vigne.
Quatre photos données ici illustrent un phénomène
quasi général dans les frises : elles
présentent un grotesque sur la nervure de l'arcade
(barbu grimaçant, tête recouverte d'un
bonnet à oreilles, tête d'animal, etc.)
d'où s'échappent deux feuilles sculptées
sur les côtés. Une frise reste mystérieuse
: on y voit une main sortir de la nervure tenant un
bâton qui ressemble à un lance-pierre (photo
ci-dessous).
Sources : 1) Congrès
archéologique de France tenu dans l'Orne,
1953, article sur la basilique par Louis Grodecki ;
2) Notre-Dame d'Alençon de Jacques Dubois,
Presses Universitaires de Rennes, 2000.
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Chapiteau à feuilles d'aubépine avec une main
tenant un lance-pierre (?) |
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Architecture
de la nef. La nef est longue de 32,60 m,
large de 9,50 m et possède cinq travées.
Celle qui jouxte le porche est plus longue que les autres
sans que l'on sache pourquoi. Est-ce la conséquence
d'une contrainte topographique ? En hauteur, l'église
atteint vingt mètres sous la voûte.
L'élévation est à trois niveaux
: grandes arcades, triforium et fenêtres hautes.
L'observateur averti constatera que la hauteur des arcades
égale celle des fenêtres hautes. Le rapport
entre les étages est d'ailleurs très précis
: 2/5, 1/5, 2/5. Ainsi, la hauteur du triforium égale
la moitié de celle des deux autres. Dans sa thèse
de doctorat de 1997 sur l'église Notre-Dame,
l'historien Jacques Dubois analyse ce rapport en profondeur
ainsi que la méthode de construction adoptée
par le maître-maçon qui a repris le chantier
vers 1470, après cinquante ans d'arrêt.
On ne sait rien de ce maître, mais il dut gérer
les problèmes posés par la construction
romane antérieure. En l'absence totale de documents,
«retrouver un système cohérent afin
de déterminer l'élaboration du plan n'est
pas possible», écrit Jacques Dubois. Comment
se présentait le bâti d'où il est
parti ? Qu'y avait-il de la nef, du transept et
du chevet ? Le Corpus Vitrearum parle d'une
église où l'on aurait effectué
des travaux dans le transept et la nef, où l'on
aurait commencé à élever le chur
et le mur du bas-côté nord.
Quoi qu'il en soit, la prise de la ville en 1417 par
l'armée anglaise du roi Henri V interrompit tout.
Pour ce qui suit, toujours selon Jacques Dubois, c'est
l'analyse archéologique qui apporte les éléments
manquants. À la reprise du chantier, vers 1470,
le maître anonyme ferma la façade ouest
et poursuivit l'élévation avec le triforium
et les grandes fenêtres sans les remplages.
Jacques Dubois propose un système géométrique
ingénieux utilisé par ce maître
pour s'assurer des proportions de 2/5, 1/5 et 2/5. Ce
système met à profit «la largeur
du chur roman et la hauteur présumée
du bas-côté prévu lors de la construction
du transept au cours de la seconde moitié du
XIVe siècle» [Dubois]. Ainsi, c'est par
une conception géométrique rigoureuse
qu'on aboutit à l'élévation si
particulière du vaisseau central et à
ces grandes arcades peu élevées. En effet,
le schéma classique affectait à ces dernières
la moitié de la hauteur totale. Dans le cas d'un
vaisseau central étroit, ce choix évitait
aux fidèles une désagréable sensation
d'écrasement. Par la largeur de sa nef, Notre-Dame
écarte cette possibilité et il n'est pas
faux de dire que le maître anonyme a su élégamment
en profiter.
C'est aussi cette largeur qui a permis, sans risque
visuel, de casser l'élévation par la présence
de trois cordons horizontaux dans le triforium aveugle
(voir photo ci-dessus). Le bel équilibre général
est simplement obtenu par l'ajout d'un réseau
de colonnettes qui monte sans interruption sur les piles
depuis le sol jusqu'aux retombées de la voûte.
Quant au socle de ces piles, c'est une élégante
succession de minces nervures horizontales équidistantes
(voir photo ci-dessous). Jacques Dubois le souligne
: «Il n'y a pas de lignes dominantes, plus fortes
que d'autres, au contraire, tout y est mesuré
et nuancé.»
L'élégance se poursuit au niveau des arcades
et de la pénétration de leurs nervures
dans les piles comme le montrent encore les deux photos
ci-dessous. Un étroit chapiteau bien dimensionné
crée un effet visuel d'ensemble très agréable.
Au niveau global de l'élévation, cet effet
est encore accru par la prolongation des six lancettes
des fenêtres hautes dans les six baies des travées
du triforium. C'est à bon droit que l'on a pu
considérer la nef de l'église Notre-Dame
d'Alençon,
comme le soutient Louis Grodecki, comme un chef d'uvre
de l'art de la fin du Moyen Âge.
«Dans ces grandes lignes, écrit Jacques
Dubois, l'élévation de la nef reprend
celle de Saint-Germain d'Argentan, avec ses piles fasciculées
mais sans chapiteau.» Argentan n'est pas la seule
source d'inspiration : une comparaison archéologique
rapproche Notre-Dame d'Alençon
d'autres églises de Normandie comme celles de
Caudebec, de Bernay ou de Falaise. Pour Jacques Dubois,
il est vraisemblable que le maître anonyme ait
été formé sur leurs chantiers de
construction ou, à tout le moins, qu'il les ait
visités.
Vers 1500, l'arrivée à Alençon
de Jehan Lemoyne va se traduire par des modifications
intérieures et extérieures. Le nouveau
maître d'uvre «s'oppose au style de
son prédécesseur marqué par la
sobriété et la planéité»
[Dubois]. Jehan Lemoyne va laisser sa griffe artistique,
d'un pur gothique flamboyant, dans deux réalisations
marquantes : le porche
occidental et la voûte
de la nef. Il n'oubliera pas non plus les chapiteaux
des piles occidentales et le remplage des hautes fenêtres.
Sources : 1) Congrès
archéologique de France tenu dans l'Orne,
1953, article sur la basilique de Louis Grodecki ; 2)
Notre-Dame d'Alençon de Jacques Dubois,
Presses Universitaires de Rennes, 2000 ; 3) Les
vitraux de Basse-Normandie, Corpus Vitrearum, 2006.
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|
Pilier du côté nord. |
Pilier du côté nord près du chur
avec son faisceau de nervures interrompu. |
Chapiteau avec feuillage (arum?) et masque d'où
jaillissent deux feuilles. |
Les
chapiteaux (1/2). Situés sur
les piles de la nef, les chapiteaux prennent la
forme d'une frise à large cavet orné
de motifs floraux divers. Cette frise s'interrompt
pour permettre la montée jusqu'à
la voûte du bouquet de colonnes semi-engagées
comme le montrent les deux photos ci-dessus.
Dans son article pour le Congrès archéologique
de 1953, Louis Grodecki souligne la beauté
visuelle de l'appariement de ces chapiteaux avec
le bouquet de nervures montantes sur les piles.
Une même physionomie, une égalité
des largeurs font que l'un n'écrase pas
l'autre et créent «un groupe homogène
pour la vue». L'historien met en exergue
«le jeu très subtil et très
heureux d'accents plastiques maigres sur le nu
légèrement ondulé du support.»
---»» Suite 2/2
à gauche.
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Chapiteaux à feuilles d'aubépine et tête
de taureau. |
|
Chapiteau à feuilles d'aubépine entourant deux
agneaux tenant un écusson. |
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Porte gothique en accolade. |
Chapiteau à feuilles d'aubépine et masque. |
Buste
d'homme --»» La retombée
des ogives de la travée qui jouxte le chur
est enrichie, au nord et au sud, d'une figure humaine.
Celle du nord est donnée à droite. On
y voit un homme accoudé à la mouluration
supérieure du triforium. S'agit-il d'un visage
anonyme, purement décoratif ou d'un maître
maçon en charge de la construction de l'église ?
Dans sa thèse de doctorat sur la basilique, l'historien
Jacques Dubois pose la question sans répondre.
Cependant, cette pratique était courante à
l'époque et il est très vraisemblable
qu'on ait là le visage d'un maître.
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Buste sculpté dans la pierre à la retombée
de l'ogive de la dernière travée, côté
nord. |
La nef et l'élévation sud vues depuis le chœur. |
La chaire à prêcher.
La cuve est datée de 1536.
L'abat-voix et le dosseret ont été ajoutés en
1765. |
Le Christ vainqueur de la mort et la Bible
sur un panneau de la chaire à prêcher. |
La
chaire à prêcher. Datée
de 1536, elle est en bois sculpté. Bien que plus
récents (datés de 1765), l'abat-son et
le dosseret s'accordent au style de la cuve. La brochure
disponible dans la basilique écrit que «par
son programme iconographique, cette chaire est l'écho
de la redécouverte évangélique
de la Renaissance.»
Les panneaux présentent le Christ associé
à la Bible, le roi Salomon sur son trône,
associé au livre des Proverbes, Jean l'Évangéliste
et son aigle, associé à sa deuxième
épitre ; enfin l'apôtre Paul et l'épée
de son supplice, associé à son épitre
aux Romains. Ces lectures étaient familières
à Marguerite d'Alençon, devenue Marguerite
de Navarre après son mariage en 1527 avec Henri
II d'Albret.
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TROIS PANNEAUX SUR LA
CUVE DE LA CHAIRE À PRÊCHER (1536) |
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L'Évangéliste JEAN et son aigle. |
Le Roi SALOMON associé au Livre des Proverbes. |
L'apôtre PAUL et son épitre aux Romains. |
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Vue d'ensemble de la voûte de la basilique. |
La
voûte de la nef (2/2). ---»»
Au niveau artistique, la présence de ces multiples
liernes et tiercerons a permis la mise en place d'une
dentelle de pierre originale qui mériterait d'ailleurs
plus le nom de «tuyauterie de pierre» !
Voir la photo plus
bas.
Les nervures de la voûte sont, comme à
l'habitude, ornées à leur intersection,
mais ici elles le sont aussi tout au long de leur parcours.
On y trouve des crochets végétaux et des
figures d'animaux ou de monstres comme les lions, les
chiens, les lézards, divers figures ailées,
etc. Les photos ci-dessous en donnent des exemples.
Il faut bien sûr leur ajouter les écussons
qui sont suspendus ça et là, comme, dans
la photo ci-contre, à la clé de voûte.
Ce sont les armoiries des familles donatrices, souvent
rendues illisibles par les grattages postérieurs.
Sources : 1) Congrès
archéologique de France tenu dans l'Orne,
1953, article sur la basilique de Louis Grodecki ; 2)
Notre-Dame d'Alençon de Jacques Dubois,
Presses Universitaires de Rennes, 2000.
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Les nervures à la retombée des voûtes sont
peuplées d'animaux monstrueux. |
La
voûte en gros plan à droite.
On ne peut qu'être admiratif du travail des tailleurs
de pierre de jadis capables de réaliser une pareille
«dentelle». Chacune des huit branches qui
s'écartent de l'écusson central est jumelée
à une espèce de conduit en pierre qui
lui sert de vase ou de gouttière. Vu d'en bas,
on ne voit pas le socle de ce «conduit»
et on a l'impression qu'il est très fin, ce qui
accroît la beauté de l'ensemble. Un travail
remarquable.
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La
voûte de la nef (1/2). Avec le porche
et les vitraux
Renaissance, la voûte de la nef est la troisième
merveille de la basilique. Elle se situe à vingt
mètres de haut. Une observation rigoureuse nécessite
une paire de jumelles. Étrangement, cette voûte
en gothique flamboyant, avec sa multiplicité
de liernes et de tiercerons, rappelle le style du perpendiculaire
anglais.
Au départ de la construction, la voûte
prévue était de type ogival classique.
Les piles devaient recevoir les retombées du
triplet traditionnel : ogive-formeret-doubleau. Quand
on termina l'étage des fenêtres hautes,
les sommiers des arcs, au nombre de trois pour se brancher
sur le triplet tombant prévu, étaient
en place et attendaient la voûte.
Mais il y eut un changement de programme comme l'a constaté,
le premier, l'historien Louis Grodecki dans son article
pour le Congrès archéologique de France
de 1953. Un changement peut-être dû, comme
il le suggère, à l'arrivée d'un
nouveau maître d'uvre. Quand cela eut-il
lieu ? En 1490 ? En 1500 ? Des riches
familles de la ville ont-elles proposé de financer
une sur-décoration de la voûte en y incluant
leur écusson personnel ? On ne sait pas exactement.
Toujours est-il que le nouveau maître, à
l'époque Jehan Lemoyne, eut à gérer
sept retombées au lieu des trois initiales. Une
photo
plus bas à gauche montre la façon dont
le problème a été traité
au niveau des sommiers. Dans sa thèse de doctorat,
l'historien Jacques Dubois écrit à ce
sujet : «la solution a été de faire
reposer les arcs supplémentaires sur des culots
sculptés.» Comme le montre une seconde
photo
en gros plan, il était difficile de cacher la
rupture entre les trois nervures qui retombent proprement
sur leur sommier et les quatre autres qui s'arrêtent
abruptement. Un culot enrichi d'un petit décor
sculpté s'imposait... Vu de près, comme
le constate Jacques Dubois, «l'effet du compromis
apparaît maladroit, et finalement assez lourd.»
On fixe en général aux environs de l'année
1500 la fin de la construction de cette voûte
flamboyante. Cependant, Jacques Dubois, pour des raisons
techniques et d'équilibre des poussées,
la situe plutôt vers 1515, une fois le système
de contrebutement terminé.
---»» Suite 2/2
à gauche.
|
|
La quatrième travée de la voûte avec son
écusson et son aigle à la clé de voûte. |
Animaux et écusson sur les nervures de la voûte. |
Animaux monstrueux sur les nervures. |
La clé de voûte de la troisième travée
et son écusson.
Vus de face, les liernes et les tiercerons donnent l'impression
d'être guidés par des tuyaux de pierre.
|
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Animaux et feuillages sur les culots à la retombée des
voûtes.
Le problème des quatre retombées de tiercerons non prévues
à l'origine est bien visible sur ce gros plan.
Voir les explications plus
haut. |
Animaux sur les nervures de la voûte. |
|
Animaux monstrueux
sur les nervures de la voûte
avec un écusson.
«««---
La voûte de la nef
avec les grandes
verrières Renaissance. |
|
Historique
des vitraux de l'église Notre-Dame.
À l'origine, toutes les baies de l'église possédaient
une verrière. Les tribulations de l'édifice
au cours des âges ont détruit maintes d'entre
elles. Les guerres de Religion, l'incendie de 1744, la Révolution
et les bombardements de juin et juillet 1944 n'ont laissé
en place que les onze verrières hautes de la nef...
qui heureusement avaient été déposées
en 1939. Ces verrières historiques ont parfois été
très restaurées. Celles des bas-côtés,
du transept et de l'abside ont disparu au profit de créations
modernes.
Qui finança les vitraux ? Les sources manquent
pour les plus anciens, c'est-à-dire ceux des bas-côtés
et de l'abside. Pour le Corpus Vitrearum, il est probable
que Marguerite de Lorraine, avant son entrée chez les
Clarisses d'Argentan en 1520, en ait offert une partie. D'après
les fragments qui nous sont restés, il devait y avoir
une Adoration des mages et une Adoration des bergers.
Dans la façade occidentale, l'Arbre
de Jessé a été offert en 1511 par
la confrérie de l'Angevine qui regroupait les
artisans du cuir de la ville. Pour ceux des grandes fenêtres
de la nef, mis en place à partir de 1529 (et qui sont
tous donnés à la page
2), les sources disponibles indiquent qu'ils furent financés
par les paroissiens (en la personne des trésoriers
de la fabrique) et par des donateurs privés comme le
comte d'Alençon (baie 106)
ou, plus généralement, de riches familles de
la ville.
La première dégradation de la vitrerie vint
des Protestants en 1562 et 1568 qui firent un sort aux vitraux
des bas-côtés, surtout ceux du nord. L'incendie
de 1744 conduisit à la reconstruction du transept et
du chevet de 1745 à 1752. «Les baies du chur,
écrit le Corpus Vitrearum, conservaient encore
à cette date des vitraux de la fin du XIVe siècle
aux armoiries des seigneurs d'Aché et de Larré,
qui avaient gardé des droits sur l'église pendant
toute une partie du Moyen Âge.»
|
En 1792, les révolutionnaires
cassèrent ce qui restait des vitraux dans les baies
basses, détruisant selon leur habitude tout ce qui
portait armoiries.
En plus des restaurations des verrières en place, le
XIXe siècle allait enrichir l'église de nouveaux
vitraux. Plusieurs ateliers furent sollicités, parmi
lesquels ceux d'Émile Laurent et de Charles Champigneulle
sont les plus connus. Dans le chur et le transept, le
thème retenu fut celui de la Vie de la Vierge ; dans
les bas-côtés, celui des saints et des saintes.
Dans les années 1930, l'arrière-chur reçut
les trois
vitraux de Louis Barillet consacrés à la
Vierge, à sainte Thérèse de Lisieux et
à Marguerite de Lorraine.
Au commencement du dernier conflit mondial seules les verrières
du XVIe siècle des fenêtres hautes furent déposées.
Les bombardements de juin et juillet 1944 soufflèrent
tout ce qui était en place, à l'exception des
trois vitraux
de Louis Barillet qui durent néanmoins être restaurés.
Après la guerre, des vitraux à franges Renaissance
de l'atelier Michel Petit vinrent orner le chur et le
chevet, tandis que les bas-côtés recevaient une
vitrerie à thème géométrique de
Michel Petit et de Simone Flandrin-Latron (voir plus
bas).
Sources : 1) Les vitraux
de Basse-Normandie, Corpus Vitrearum, 2006 ; 2) Congrès
archéologique de France tenu dans l'Orne en 1953, article
de Louis Grodecki.
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BAIE 111 - VERRIÈRE
DE L'ARBRE DE JESSÉ SUR LA FAÇADE OCCIDENTALE |
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Baie 111 - Verrière de l'Arbre de Jessé et de la Naissance
de la Vierge. |
Baie 111
- Arbre de Jessé et Naissance de la Vierge.
S'élevant sur la façade occidentale, cette grande
verrière a été offerte en 1511
par la Confrérie de l'Angevine (ou de la Nativité)
qui regroupait les artisans du cuir d'Alençon.
Attribuée aux peintres Guillaume et Robin Juissel,
elle est inspirée d'une planche gravée par Pigouchet
en 1498 dans le livre des Heures d'Anne de Bretagne.
Le métier des donateurs est illustré, à
gauche et à droite de la partie basse, par des cordonniers
et des bourreliers
dans leurs ateliers.
Toujours en bas, la Naissance de la Vierge voisine avec un
Jessé
endormi qui tient dans sa main un compas. L'instrument est
un symbole : l'Homme s'en sert pour mesurer l'espace ;
Dieu l'utilise pour mesurer le temps.
Du corps de Jessé s'élève le tronc de
l'arbre où viennent se greffer des branches très
feuillues, terminées chacune par un roi de Juda chamarré
et galonné. On compte en tout onze rois. Ils sont accompagnés,
dans les lancettes extérieures, par Isaïe à
gauche et Jérémie à droite. Les prophètes
tiennent un phylactère. Sur celui d'Isaïe, on
peut lire : LEVATE IN EXCELSUM OCULOS VESTROS (Levez
les yeux en haut); sur celui de Jérémie :
REGNABIT REX ET SAPIENS ERIT (Le roi régnera et sera
sage).
Au tympan trône une Vierge en gloire portant l'Enfant
et couronnée par un ange. Curieusement, la Vierge est
décalée sur la gauche. Est-ce le réseau
de mouchettes du tympan qui y a contraint les verriers ?
Comme le souligne l'historien Louis Grodecki, ce vitrail,
avec ses dominantes vert-rouge-bleu est très harmonieux.
La verrière a été restaurée pour
un tiers par Théodore Bernard en 1851 (une partie du
personnage de Jessé, les têtes des rois situés
dans les mouchettes, une partie de la scène de la Naissance
de la Vierge et l'échoppe des cordonniers sur la gauche).
Source : Les vitraux de Basse-Normandie,
Corpus Vitrearum, 2006.
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Baie 111 - l'Arbre de Jessé :
rois de Juda et artisans du cuir, donateurs de la verrière.
Ici, ces artisans sont des tanneurs et des bourreliers.
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Baie 111 - Arbre de Jessé : la Naissance de la Vierge. |
Baie 111 - Arbre de Jessé : Jessé endormi. |
LES BAS-CÔTÉS
ET LES CHAPELLES LATÉRALES |
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Le bas-côté nord et ses chapelles vus depuis l'entrée
de la basilique.
Bas-côtés et chapelles sont voûtés d'ogives.
Tous les autels et les retables datent du XIXe ou du XXe siècle.
Les baies des chapelles reçoivent des vitraux à thème
géométrique créés après 1945. |
Les bas-côtés
et les chapelles latérales. Les chapelles
ont été ajoutées entre les arcs-boutants
après démolition du mur gouttereau initial,
à l'exception de la travée occidentale qui ne
possède pas de chapelle (voir plan).
Les bas-côtés ont huit mètres de haut
et sont voûtés d'ogives, tout comme les chapelles.
La photo ci-contre montre l'appareillage de la retombée
des arcades à l'entrée des chapelles et celle
des voûtes d'ogive des bas-côtés : les
nervures sont simplement prolongées par les colonnettes.
Un seul petit chapiteau décore ces dernières
L'église Notre-Dame ayant été pillée
lors de la Révolution, les autels et les retables des
chapelles sont tous du XIXe ou du XXe siècle. Bien
souvent, le mur derrière le retable accueille une peinture
polychrome en rapport avec le saint ou la sainte de la chapelle.
Cette décoration est bien visible dans les chapelles
sud.
La chapelle
Sainte-Thérèse, où se trouvent les
Fonts baptismaux, est la plus visitée. La robe de baptême
de la sainte y est exposée et des centaines d'ex-voto
tapissent les murs. Le baptême de Thérèse
Martin, qui a eu lieu dans l'église, est illustré
par une grande verrière
de Louis Barillet, datée de 1930. Enfin, deux des sentences
bien connues de sainte Thérèse sont affichées
dans la mosaïque derrière sa statue : Je passerai
mon Ciel à faire du bien sur la Terre et Après
ma mort, je ferai tomber une pluie de roses.
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Les bas-côtés sont voûtés d'ogives.
Ici le bas-côté sud vu depuis le transept. |
Retable du XIXe siècle
dans la chapelle du Sacré-Cur. |
Retable du XIXe siècle
dans une chapelle du côté nord. |
|
Les
baies des bas-côtés et leurs remplages.
Les vitraux que ces baies avaient reçus dans
les années 1880 n'ont pas été jugés
dignes d'être mis à l'abri en 1939. Ils
relataient des épisodes de la vie de différents
saints (Dominique, Latuin, Louis, Catherine de Sienne,
Jeanne d'Arc, Marguerite-Marie Alacoque). Trois autres
illustraient les thèmes de l'Éducation
de la Vierge, de la Sainte Famille et de la Crucifixion.
Les bombardements de 1944 les ont complètement
soufflés.
De 1986 à 1997, les neuf baies accueillirent
des créations originales de Michel Petit et Simone
Flandrin-Latron. Quatre sont données en exemple
ci-dessous. Ce sont des compositions géométriques
colorées assez recherchées. La «dixième
baie», de l'atelier Courageux, est constituée
des trois vitraux de la chapelle nord à trois
pans (voir le texte associé plus
bas).
La partie la plus intéressante de ces neuf baies
n'est pas la verrière, mais le remplage.
Rappelons que le remplage d'une baie à lancettes
est constitué, dans sa partie basse, de lancettes
parallèles et, dans sa partie haute, du réseau.
Ce réseau est lui-même un assemblage plus
ou moins savant de soufflets et de mouchettes. On distingue
les deux termes en se rappelant que le soufflet possède
une forme symétrique.
Dans son article pour le Congrès archéologique
de France tenu dans l'Orne en 1953, l'historien
Louis Grodecki n'hésite pas à qualifier
d'«extraordinaires» les réseaux des
fenêtres basses : «les mouchettes s'allongent
démesurément, écrit-il, et, en
fuseaux pointus, convergent vers la clef de la baie.»
Dans la photo extérieure des baies du bas-côté
nord donnée plus
haut, on constate que le dessin du réseau
dans la baie près du porche (une rose à
deux mouchettes) est complètement différent
des autres. Même chose pour la baie au sud qui
lui fait face : le réseau y prend la forme d'un
cur encadré d'une mouchette.
L'historien Jacques Dubois, dans sa thèse de
doctorat soutenue en 1997, avance la présence
de deux maîtres-maçons. Le premier, à
l'identité inconnue, aurait repris les travaux
vers 1470 après une longue interruption due à
la guerre de Cent Ans et créé ces deux
baies nord et sud dans l'élévation occidentale.
Le second, Jehan Lemoyne, arrivé aux alentours
de 1500, lui aurait succédé et fait choix
de complexifier les motifs en multipliant les mouchettes.
On retrouve le même genre de réseaux complexes,
riche de cinq modèles, dans les fenêtres
hautes de la nef.
Sources : 1) Congrès
archéologique de France, L'Orne, 1953, article
sur la basilique de Louis Grodecki ; 2) Notre-Dame
d'Alençon de Jacques Dubois, Presses Universitaires
de Rennes, 2000.
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«Saint François d'Assise»
Huile sur toile, XVIe siècle. |
«Saint Pierre»
Huile sur toile, XVIIe siècle. |
Détail de la statue de
la chapelle du Souvenir 1914-1918. |
Marguerite de Lorraine faisant l'aumône
Statue dans la chapelle du même nom.
uvre d'Eugène Vallin, 1921. |
«La Vierge portant le Sacré-Cur»
Tableau anonyme, XIXe siècle ? |
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Verrière contemporaine de Jean-Pierre Courageux
dans la chapelle nord à trois pans. |
Le bas-côté nord vu depuis le transept. |
Statue de l'Éducation de la Vierge
dans la chapelle Sainte-Anne. |
Statue de René II, duc d'Alençon
dans la chapelle Marguerite de Lorraine. |
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Chapelle Sainte-Thérèse de Lisieux.
«Le Baptême de sainte Thérèse»
---»»»
Vitrail de l'atelier Louis Barillet
Vers 1930.
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Le vitrail
du baptême de sainte Thérèse de Lisieux.
Thérèse Martin est née à Alençon
le 2 janvier 1873. Elle baptisée dans l'église
Notre-Dame deux jours plus tard. En 1877, son père,
devenu veuf, emmène sa famille vivre à Lisieux.
Thérèse entre au Carmel à l'âge
de quinze ans en bénéficiant d'une dérogation
papale. Morte en 1897, elle est béatifiée en
1923, puis inscrite au catalogue des saints en 1925. Elle
reste dans l'Histoire sous le nom de sainte Thérèse
de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face.
|
Le vitrail ci-dessus a une histoire
que rapporte le Corpus Vitrearum.
L'atelier de Louis Barillet fut chargé vers 1930 de
réaliser une verrière du baptême de la
sainte. Mais la famille Martin ne l'accepta pas. Le maître
verrier, vers 1932, en réalisa donc une autre qui,
cette fois, fut acceptée après modifications
et installée dans la chapelle Sainte-Thérèse
de Notre-Dame. Restée en place comme tous les vitraux
du XIXe siècle, elle fut soufflée lors du bombardement
du 17 juillet 1944. Et la première version - refusée
- de la verrière a pris sa place.
Source : Les vitraux de Basse-Normandie,
Corpus Vitrearum, 2006.
|
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Détail de la chapelle Sainte-Thérèse de
Lisieux avec les Fonts baptismaux et les ex-voto sur le mur. |
Mosaïque dans la chapelle
Sainte-Thérèse ---»»
On peut y lire ces deux sentences célèbres
de la sainte :
«Après ma mort je ferai tomber une pluie
de roses»
et «Je passerai mon Ciel à faire du bien
sur la Terre».
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Le retable d'une chapelle du côté sud. |
«La Vierge donnant le Rosaire à saint Dominique et sainte
Catherine»
Vue partielle d'un tableau anonyme. |
Retable de la chapelle Sainte-Thérèse. |
|
Le chur avec l'autel de messe et deux chapelles du côté
sud. |
Le transept de la basilique avec le baldaquin et l'orgue de
chur. |
La
culture française (2/3).
---»» Dans tout pays, les dépenses
des populations sont séparables en deux parties
: les biens fongibles (qui sont détruits par
leur consommation) et les biens durables. Ce qui est
fongible permet de vivre ; ce qui est durable est en
quelque sorte la matérialisation d'un surplus..
Pour la France, la création des biens durables
conduit à la question-clé : où
est passé l'argent des Français depuis
mille ans ? qu'a-t-on créé ?
et qu'en reste-t-il à notre époque, après
moult guerres et révolutions ? Il est aisé
de répondre. Ce qui subsiste de plus voyant,
ce sont évidemment les vieilles pierres : châteaux,
cathédrales, églises, monastères,
palais, hôtels particuliers, hôtels-Dieu
(transformés depuis). À ces constructions
innombrables, qui représentent la part la plus
coûteuse de la dépense en biens durables,
s'ajoutent les uvres d'art : peintures, sculptures,
dessins, boiseries, orfèvreries, verres, porcelaines,
etc. On y inclura enfin les livres, concrétisations
des créations littéraires. Ces créations
multiples portent la griffe des habitants d'un pays,
de leurs goûts, de leur art de vivre et... du
choix de leurs dépenses.
Le site patrimoine-histoire.fr propose quelques
études sur le financement des églises.
Malheureusement, ce domaine attire peu les historiens
car, bien souvent, les sources manquent. Dans sa thèse
de doctorat sur Notre-Dame d'Alençon
en 1997, Jacques Dubois déplore ainsi que, pour
ce dernier édifice construit à la charnière
des XVe et XVIe siècles, «la question des
revenus de la fabrique et de ses administrateurs n'a
d'aucun temps été examinée, ni
même suscité le moindre intérêt
chez les érudits locaux.» C'est un exemple
qu'on peut multiplier.
Néanmoins, les quelques textes sur le financement
des églises présents dans ce site permettent
de cerner valablement le problème. On constate
ainsi que les têtes couronnées sont rarement
les principaux donateurs. La plupart du temps, les marchands
de la ville (quand l'économie est prospère)
et les chanoines du chapitre assurent la plus grosse
part du financement. Puis viennent les dons et les legs
de ceux des paroissiens qui, sans appartenir à
la sphère marchande, sont plus ou moins fortunés
et veulent assurer leur salut en donnant à l'Église.
Dernière source à ne pas négliger
: les quêtes à l'occasion des dimanches
et des fêtes religieuses.
Donnons quelques exemples. Le rôle primordial
des marchands se rencontre à l'église
Saint-Nicolas
dans la ville très florissante de Saint-Nicolas-de-Port
(française depuis Louis XV). Il se voit à
Houdan, petite ville aux confins de la Beauce, où
les marchands, modestement enrichis par le commerce
du blé, mettront deux siècles à
bâtir l'église Saint-Jacques-Saint-Christophe.
Il se voit à Alençon
avec la reprise des échanges économiques
vingt ans après la fin de la guerre de Cent Ans.
Que les bénéfices du commerce suffisent
ou non, on ajoute aux moyens de financement les dons
et les legs faits à la fabrique. Quand cela ne
suffit pas, on a recours aux indulgences papales, au
droit - taxé - de ne pas respecter
les règles du Carême (tour de beurre de
la cathédrale
de Rouen) ; plus rarement, aux taxes rétrocédées
par le souverain pour une durée limitée.
Ce fut le cas, au XVIe siècle, à Dole
(française depuis Louis XIV) pour l'église
Notre-Dame
construite pour un quart par la rétrocession
de la redevance sur le sel.
Parfois, ce sont les chanoines qui mettent à
profit la taille prélevée sur leurs serfs.
Ce fut le cas à Toul
pour l'église Saint-Gengoult
et à Paris pour la cathédrale
Notre-Dame. Là, en 1250, alors que le roi
Louis IX était à la croisade, le niveau
de la taille, jugé insupportable, déclencha
une révolte des paysans soutenus par la régente
Blanche de Castille. On a vu mieux encore : les bourgeois
aisés d'une paroisse qui, via une lettre royale,
décident de s'imposer une contribution volontaire
(église Saint-Maclou
à Rouen).
---»» Suite 3/3
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La voûte du chur et le Christ en croix. |
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La
culture française (1/3).
Pourquoi afficher en grand format la photographie du
chur ci-dessus ? Tout y semble banal et déjà
vu dans bien des églises. Pourtant, on peut répondre
à cette question d'une manière constructive
et dire que, outre sa beauté d'ensemble, on y
voit, en grande partie, les éléments de
ce qui définit la «culture française» :
autel, console, éléments de culte, grille
en fer forgé, dallage de marbre, peintures, et
bien sûr vieilles pierres. Ces pierres datent,
pour la nef, de la charnière XVe-XVIe siècles
et, pour le chur, du XVIIIe siècle. Elles
sont assemblées ici pour bâtir un édifice
du culte catholique, un culte autour duquel s'est forgée
la France pendant presque deux mille ans
Devant ce décor chargé d'Histoire, le
visiteur perspicace se pose la question : qui a
payé ? Soyons plus précis : qui a payé les
ouvriers et les architectes ? qui a payé les
matériaux, les éléments du culte et les décorations ?
S'il est vraiment perspicace, le visiteur se rappellera
l'affaire du Watergate et l'informateur mystérieux
des deux journalistes du Washington Post. Lors
de leurs rencontres secrètes, cet homme, resté
inconnu, donnait ce conseil : «Pistez l'argent».
Formule que l'on peut expliciter en disant : pour connaître
la vérité, cherchez à savoir qui
a payé. Un excellent conseil qui poussera au
final le président Richard Nixon à démissionner
pour éviter l'infamie d'une destitution.
En matière culturelle aussi, il est bon de suivre
ce conseil. Alors pistons l'argent. ---»»
Suite 2/3
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Médaillon de l'Agneau pascal sur la calotte hémisphérique. |
La
culture française (3/3).
Au cours de ces siècles de constructions
d'églises et de cathédrales, la coutume
chez les familles fortunées consistait à
«acheter» une chapelle d'enceinte ou une
chapelle de pilier. Outre l'affirmation du statut social,
cette chapelle servait de dévotion privée
et parfois (contre paiement bien sûr) de lieu
de sépulture pour la famille. Les acquéreurs
avaient l'obligation de meubler leur chapelle selon
les règles édictées par le chapitre
de l'église. D'où de nouvelles dépenses
pour les autels, les retables, les vêtements liturgiques,
les livres de culte, les ornements, etc.
Le statut social s'affirmait aussi par l'offre d'un
vitrail où le donateur et sa famille pouvaient
s'afficher, visibles par tous : un privilège
revendiqué. Voir à ce sujet l'histoire
du vitrail de l'Apocalypse à l'église
Saint-Étienne-du-Mont
à Paris. Ou encore la verrière était
financée par une confrérie d'artisans
qui marquaient ainsi leur importance dans la cité.
C'est le cas pour l'Arbre
de Jessé à Notre-Dame d'Alençon.
En dépensant le fruit de leur travail et de par
la nature de ces dépenses, les populations créent
peu à peu un patrimoine culturel. Qui sera national
dans le cas d'un pays. Quand ce pays se développe
à partir de racines chrétiennes, ce qui
est le cas de la France, l'histoire montre que la Bible
agit comme une source incontournable d'inspiration pour
les artistes et les créateurs.
Insistons sur ce point : ces créations de tout
ordre, ces biens durables de toute nature ne représentent
la culture d'un pays que parce qu'ils incarnent le choix
de dépenses de ses habitants, des dépenses
issues du fruit de leur travail, et que, à leur
tour, ces choix sont le résultat de leurs goûts.
C'est au sein de ces choix que se trouve l'argent transformé
en biens durables. Rappelons la formule de l'informateur
secret : «Pistez l'argent». Ce n'est pas
le fait de peindre un tableau de maître qui crée
une culture, ni même ce tableau une fois terminé,
c'est la décision de dépenser son argent,
d'user du fruit de son travail, en passant commande
à un maître. Ici, l'artiste, maître
d'uvre, doit s'effacer devant le désir
du commanditaire, maître d'ouvrage.
Ainsi, et de manière plus robuste, on définira
une culture nationale par un ensemble de choix de dépenses
plutôt que par un ensemble d'uvres. L'existence
d'un patrimoine national multiséculaire crée,
par le biais du choix de la dépense à
travers les âges, le concept de culture nationale.
On définira de la même façon les
cultures anglaise, allemande, espagnole, italienne,
etc.
C'est pourquoi on évitera de dire qu'un pays
n'a pas de culture propre. Nier cette évidence,
c'est faire manque d'analyse et afficher son mépris
pour le travail de ses aïeux.
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Architecture
du chur (1/2).
Comme pour son aspect extérieur, l'architecture
intérieure du chur
et du transept
n'offre qu'un attrait limité. En 1968, pour le
Dictionnaire des églises de France édité
par Robert Laffont, l'historien Philippe Siguret,
alors directeur des services d'Archives de l'Orne, écrivait
qu'il était difficile de leur trouver un quelconque
intérêt architectural. Après l'incendie
de 1744, l'ingénieur Jean-Rodolphe Perronet (1708-1794),
chargé de la reconstruction dès l'année
suivante, a suivi le goût architectural de son
époque, mais semble quand même s'être
contenté du minimum.
Le point le plus intéressant est néanmoins
la croisée du transept surmontée d'une
calotte hémisphérique surbaissée
où est peint l'Agneau pascal. Au centre trône
un bel autel-baldaquin. L'autel en marbre a été
offert en 1750 par Louis-François Lallement,
comte de Levignen et intendant de la généralité
d'Alençon.
Initialement, un groupe sculpté représentant
une Descente de croix l'accompagnait. Détruite
à la Révolution, cette sculpture a été
remplacée par une belle Assomption
due au statuaire Pierre Taveau.
L'arrière-chur, voûté en berceau,
est flanqué de deux grandes absidioles qui n'ont
rien de remarquable (voir celle dédiée
à saint Joseph plus
bas). L'architecture est similaire dans les bras
du transept. Il est à remarquer que toutes les
voûtes, sauf à la croisée, sont
en berceau surbaissé. Philippe Siguret rappelle
malicieusement que c'est la façon de construire
les ponts, la future grande spécialité
de Perronet... Pour ne pas être entièrement
négatifs, notons quand même l'opinion de
l'historien Louis Grodecki qui trouve une certaine grandeur
dans l'élévation du chur : une architrave
nue sans fenêtres hautes qui porte directement
la voûte.
Les vitraux de cette partie de l'église
sont du XXe siècle. La plupart suivent un modèle
unique créé par le maître verrier
Michel Petit en 1975 : du verre blanc strié de
petites formes géométriques multiples
et bordé d'une frange
peinte à l'émail dans le style Renaissance
(motifs floraux, animaux et têtes humaines). Le
Corpus Vitrearum signale que ces motifs sont
en fait inspirés de ceux du XVIIIe siècle
qu'on peut voir à l'abbaye de Juaye-Mondaye et
dans les églises parisiennes Saint-Merry
et Saint-Nicolas-du-Chardonnet. ---»» Suite
2/2.
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Le chur vu depuis le bras sud du transept avec deux travées
de la nef à l'arrière-plan. |
Le chœur avec son autel-baldaquin de 1750.
L'arrière-chur est voûté en berceau
surbaissé. |
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Le maître-autel en marbre a été offert en
1750 par l'intendant d'Alençon. |
«La Grâce accordée aux âmes du Purgatoire»
Charles Lefebvre (1805-1882)
Huile sur toile, 1835.
Don de l'empereur Napoléon III à l'église Notre-Dame
en 1853. |
Architecture
du chur (2/2).
---»» Dans les années 1930, l'atelier
Louis Barillet créa les trois grandes verrières
de l'arrière-chur.
Le Couronnement de la Vierge y est entouré de
la bienheureuse Marguerite de Lorraine et de sainte
Thérèse de l'Enfant-Jésus. Ces
trois vitraux sont donnés plus
bas.
Le mobilier disparu vaut d'être mentionné.
Les stalles et la clôture du chur, commandées
en 1531, ont péri dans l'incendie de 1744. Une
pièce dont la perte est plus regrettable est
le tombeau du duc René de Valois, érigé
dans le chur en 1492 par Marguerite
de Lorraine. Après 1744, on le transféra
dans une chapelle, mais, en 1792, les révolutionnaires
violèrent le caveau sépulcral des ducs
et le détruisirent.
Sources : 1)
«Congrès archéologique de France
tenu dans l'Orne, 1953», article sur la basilique
de Louis Grodecki ; 2) Dictionnaire des églises de
France, éditions Robert Laffont, 1966, article de
Philippe Siguret ; 3) Les vitraux de Normandie,
Corpus Vitrearum, 2000 ; 4) Brochure sur la basilique
disponible dans l'église.
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L'Assomption dans le chur de la basilique.
uvre de Pierre Taveau, actif dans les années 1780-1790. |
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Vitrail de 1975
Atelier Michel Petit. |
Angelot sur un angle du
maître-autel en marbre. |
Angelot accompagnant la Vierge de l'Assomption.
uvre de Pierre Taveau, actif dans les années 1780-1790.
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Frange avec son imitation du style Renaissance
dans un vitrail de 1975. |
Vue partielle de l'Assomption de Pierre Taveau. |
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Le Christ en croix dans le chur. |
Vue partielle du Christ en croix (époque indéterminée). |
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L'ARRIÈRE-CHUR
ET LES CHAPELLES ABSIDIALES |
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«Le Couronnement de la Vierge»
Atelier Louis Barillet, années 1930. |
«Sainte Marguerite de Lorraine, duchesse d'Alençon»
Atelier Louis Barillet, années 1930. |
«Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus
et de la Sainte-Face» Détail du vitrail de Louis
Barillet. |
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L'arrière-chur et ses stalles
Les vitraux sont de l'atelier Louis Barillet, années
1930. |
Chapelle absidiale sud Saint-Joseph. |
Le Couronnement
de la Vierge : La Trinité
Atelier Louis Barillet, années 1930 ---»»» |
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«Sainte Marguerite de Lorraine, duchesse d'Alençon»
Détail du vitrail, années 1930. |
«Sainte Marguerite de Lorraine, duchesse d'Alençon»
Détail : les anges porteurs de l'écusson
de la duchesse. |
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«Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus»
Atelier Louis Barillet Années 1930. |
Détail du retable de la chapelle absidiale de la
Vierge. |
Statue de saint Joseph
dans la chapelle absidiale sud. |
Retable du XVIIIe siècle dans la chapelle
absidiale de la Vierge. |
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La nef et la tribune occidentale vues depuis le chur.
Photo prise avant l'année 2016, date de la réinstallation
des grandes orgues. |
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Documentation
: «Congrès archéologique de France tenu dans l'Orne, 1953»,
article sur la basilique de Louis Grodecki
+ «Notre-Dame d'Alençon» de Jacques Dubois, Presses
Universitaires de Rennes, 2000
+ «Les vitraux de Basse-Normandie», Corpus Vitrearum,
2006
+ «Alençon de A à Z» par Alain Champion,
éditions Alan Sutton, 2008
+ «L'Orne de la Préhistoire à nos jours»,
éditions Jean-Michel Bordessoules, 1999
+ «Dictionnaire des églises de France», éditions
Robert Laffont, 1966, article de Philippe Siguret
+ «Histoire des villes de France» par Aristide Guilbert,
Paris 1866
+ Brochure «Église Notre-Dame, Alençon»
disponible dans la basilique.
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